Prédication du dimanche 2 février 1997
La personne de saint Léger (616-678)
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l'église protestante de St Légier-La Chiésaz
Les saints sont toujours des gens
étonnants. C'est d'ailleurs pour ça que l'Eglise les a
nommés saints, justement. Comme pour dire : attention ne vous
y trompez pas, voilà quelqu'un de pas ordinaire, et même
d'assez exceptionnel dans son genre. Mais pour les protestants tout
spécialement, les saints sont des gens vraiment bizarres. On
ne sait pas trop qu'en penser, on les regarde un peu comme des Ovnis.
On ne s'en occupe pas trop : tout ça, c'est encore des
combines de catholiques. Nous, on a Jésus, et Jésus
nous suffit, on n'a pas besoin des saints en plus. Et si on y allait voir d'un peu plus
près, ce matin ? Car nous vivons dans un village qui porte le
nom d'un saint. Et pas très connu, le bougre ! Qui est ce
saint, et qu'a-t-il fait pour que notre village porte son nom ? Il
faut bien avouer que c'est pour la plupart de nous une
énigme. Mais une énigme, ça peut aussi
nous titiller, nous donner envie d'aller y voir de plus près.
D'ailleurs, l'énigme déjà est là
physiquement, archéologiquement, au coeur du village. Car la
toute première chapelle dédiée à
St-Léger a aujourd'hui disparu sans laisser de trace.
Où se trouvait-elle ? Mystère sur toute la ligne. Il
n'en reste que le nom du lieu-dit : Sur-la-Chapelle, entre le Tirage
et le chemin de Champ-aux-Lièvres. L'énigme est grande, et l'envie est
là de chercher à comprendre, de chercher à
connaître ce personnage. Qui était-il, qu'a-t-il fait
pour mériter ce titre de saint, et surtout, qu'est-ce que ce
personnage peut m'apprendre à moi ? Et peut-être
qu'à travers lui je pourrai comprendre quelque chose de la
foi. Disons que St-Léger a vécu une
foi très profonde à une époque où les
conflits politiques étaient très compliqués et
très nombreux. Pendant un temps, il a fait partie du
gouvernement politique, pendant un temps il a même
été évêque de la ville d'Autun. Il a
dû s'exiler ou on l'a exilé dans un monastère. Il
s'est retiré de la vie publique, puis il y est revenu, avant
d'être progressivement éliminé par ses ennemis,
jusqu'à être assassiné. Disons que c'était un homme qui a
été confronté quasiment toute sa vie à la
cruauté, et au désir de pouvoir qui va jusqu'au meurtre
pour arriver à ses fins. Il a surtout été
confronté à un ennemi farouche qui s'appelait
Ebroïn. St-Léger a eu son heure de gloire, mais il a
aussi connu de profondes souffrances, puisque deux ans avant sa mort,
sur l'ordre d'Ebroïn, on lui a déjà crevé
les yeux et coupé la langue, avant de l'exiler. l'église
protestante de St Légier-La Chiésaz St-Léger a donc connu une vie
mouvementée et difficile, mais ce qui a frappé ses
contemporains, c'est la manière dont il a gardé
toujours cet enracinement dans la foi, qui lui a permis de traverser
en chrétien toutes ces difficultés. Il s'est toujours opposé à
l'emploi de la force, même quand ses ennemis s'acharnaient
contre lui. Il a toujours refusé de rendre le mal pour le mal.
En termes modernes, on dirait que c'était un non-violent, et
qu'il l'a payé de sa vie. Et il en faut de la foi, pour
résister au mal sans rendre coup pour coup ou insulte pour
insulte. Et là encore, nous sommes face à une
énigme, mais une énigme de la foi. Quelle sorte de foi
faut-il vivre pour la mettre en pratique jusqu'à ce
point-là ? Nous avons nous aussi entendu ce matin ces
récits de Matthieu qui nous invitent, face au mal, à
tendre l'autre joue et à aimer ses ennemis. Et nous pouvons
légitimement ressentir cette même incompréhension
: comment est-ce possible? Quelle sorte d'hommes Jésus nous
demande-t-il d'être là ? Ce sont des enseignements de Jésus
qui sont assez radicaux. Et pourtant, le christianisme, c'est aussi
ça. Ça dérange, ça peut nous mener loin.
La foi en Christ, ça va jusque là ! Mais comment est-il possible de ne pas
résister au méchant ? La tendance naturelle, c'est
plutôt de se défendre, nous le savons tous, nous sommes
tous comme ça. Répondre à l'insulte par une
autre insulte, à une attaque par une autre attaque. Aboyer et
mordre. Ne dit-on pas que la meilleure défense, c'est
l'attaque? C'est à la mode, aujourd'hui, il faut
se battre, tout le temps. Le saint de la société
d'aujourd'hui, c'est ce qu'on appelle le battant. Alors ? Alors, nous
voilà devant un St-Léger qui ne se bat pas, qui en voit
des vertes et des pas mûres, et qui rend grâce à
Dieu même dans la souffrance. Il faut être
fou. Peut-être qu'il faut être fou
pour être chrétien ! Peut-être... Mais si je réponds au mal par le mal,
je ne fais qu'augmenter le mal. C'est la spirale sans fin, le cercle
vicieux dont on ne sort jamais. La violence entraîne la
violence, et ainsi de suite: la colère entraîne la
colère, la vengeance une autre vengeance, jusqu'à ce
qu'on ne sache même plus pourquoi on
s'assassine... St-Léger s'est trouvé en face
d'un homme de pouvoir, maire du palais, homme violent et cruel,
c'était Ebroïn. C'est lui qui a fait mutiler puis
assassiner St-Léger. Mais à cet ennemi personnel, il
n'a pas rendu le mal pour le mal (oeil pour oeil, dent pour dent). Il
a cassé le cercle vicieux de la vengeance. Il a su tendre
l'autre joue. Passage bien connu de l'évangile, mais ô
combien difficile à mettre en pratique. Tendre l'autre joue ? Pourquoi ? Parce que
c'est la seule manière de ne pas résister au mal par le
mal. Et en plus, ça met l'autre face au mal qu'il fait. Il
peut se voir tel qu'il est, il est percé à jour.
L'attitude de non-violence va toujours pointer le doigt sur la
violence. C'est comme un miroir. Le coléreux va y voir sa
colère. Le violent va y être mis en face de sa violence
; et c'est souvent cela qu'il ne pourra pas supporter. La joue tendue joue le rôle d'un
révélateur, d'un miroir; ce n'est pas une preuve de
masochisme de la part du chrétien. Le masochisme, ce serait de
tendre deux fois la même joue. Mais tendre l'autre joue, c'est
proposer un changement, laisser à mon adversaire, après
l'offense, la chance d'un redépart. Laisser une porte ouverte.
Permettre à l'autre de ne pas frapper encore une
fois. Mais qu'il est difficile de tendre l'autre
joue ! On a beau se raidir, serrer les dents, ça nous
paraît hors de portée. Et c'est vrai qu'on n'y arrivera
pas par un simple effort de la volonté. C'est un geste
au-dessus de nos forces, comme d'aimer nos ennemis. On ne peut pas se
contraindre à vivre ça, même avec la meilleure
volonté du monde. Nous demander de tendre l'autre joue, c'est
pas humain ! Oui, pour être capable de faire cela,
il faut vraiment l'avoir reçu de plus haut que nous. Je crois
qu'à la base de tout ça, il doit y avoir un coeur qui
est changé par Dieu. Il doit y avoir la présence de cet
amour dont parle l'apôtre Jean, un amour qui vient de Dieu. Un
amour tellement fort qu'il ne peut que nous être
donné. nouvelle vue de
l'église protestante de St Légier-La
Chiésaz Et c'est là que St-Léger est
un modèle de foi pour nous : il nous rappelle ce que Dieu peut
faire aussi en nous. En ce sens, nous sommes nous aussi
appelés à devenir des saints, c'est-à-dire des
gens que l'amour de Dieu transforme. Des hommes et des femmes qui
portent leur foi chevillée au coeur. Une foi qui peut rayonner
autour de nous, et briser la carapace dure et froide qui trop souvent
nous entoure aujourd'hui. Face à cette dureté,
St-Léger a vécu, comme chacun est appelé
à le faire, sa vocation. Il a vécu cet amour
jusqu'au-boutiste, qui tend l'autre joue et qui aime ses ennemis.
Qu'il ait pu se saisir de cette possibilité, de cette
grâce offerte, c'est un rappel pour chacun de
nous. Alors nous pouvons mieux comprendre ce que
peuvent être des saints aujourd'hui pour nous : des
modèles dans la foi, comme des bornes que Dieu a
placées dans l'histoire pour nous donner l'exemple d'une foi
vécue. St-Léger et les autres, ce sont des poteaux
indicateurs, suggérant dans nos difficultés l'exemple
à suivre ou la route à emprunter. C'est cette qualité d'être qui
nous frappe tellement chez les saints ; et pourtant, cette
qualité d'être, cette qualité d'amour-là,
nous sommes appelés à les vivre nous aussi ! Nos coeurs
sont appelés à se dilater, à vivre d'un amour
plus large, et à faire jaillir la lumière autour de
nous. Cette lumière de la foi que
St-Léger a su transmettre, elle nous est offerte encore
aujourd'hui. Puissions-nous la transmettre à notre
tour. F. Rosselet
Eglise protestante de St Légier la Chiésaz (Suisse)
le 2 février 1997