Saint Léger

 par Denis Grivot

 

Nous connaissons relativement bien la vie de Léger.
Il vivait à une époque qui, elle, était plus que relativement sauvage : le VII° siècle.
Les successeurs de Clovis ayant donné l'exemple de la lutte sans merci, les grands de l'époque les imitèrent.
Le seul élément stable venait de l'Eglise et particulièrement des évêques.
En ce temps-là, pour avoir la paix dans une région ou dans la ville, on nommait un évêque célèbre par sa sainteté, ou son courage.
Il semble que Léger fut d'abord célèbre par son énergie : il le devint plus tard par sa sainteté.
Il est facile de dire, comme le fait un historien célèbre, que
"la piété populaire a transformé en saint un évêque brouillon et agité" ; il est trop rapide également de dire qu'il mérita la sainteté par sa mort car s'il était mort d'un coup, on pourrait discuter, mais il a mis longtemps pour mourir.
Sa mort a été une Passion, c'est autre chose qu'un fait divers.

 

statue de saint Léger du XVIe siècle, à St Léger du Bois (71)
Le pouce, l'index et le majeur levés signifient : la force, la tempérance et l'enseignement.

 

Léger était fils de famille. Il devait arriver, il arriva.
En ce temps-là, on se faisait brigand ou moine. Chez les moines, on rencontrait parfois des brigands, mais des saints également. Chez les brigands, on rencontrait quelquefois des saints.
Léger fut rapidement, peut-être trop rapidement. abbé de Saint-Maixent. Il avait des appuis : pourquoi n'en aurait-il pas eu ? Pourquoi n'en aurait-il pas profité ?
L'extraordinaire, dans la vie de Léger, c'est que, arrivé à un poste élevé de la cléricature, après s'être laissé entraîner à des excès d'autoritarisme, il étudia, à l'heure de la misère, sa situation, et acquit l'esprit de son état. Il devint ce qu'il était : un prêtre.

Attiré ou poussé à la Cour, il fut le conseiller de la reine Bathilde : Saxonne vendue par des pirates, elle mit de l'ordre en France en s'entourant d'évêques.
Vers 663, Bathilde fit nommer Léger évêque d'Autun, avec mission de continuer son rôle de conseiller.
On avait besoin, à Autun, de retrouver un peu d'ordre. Depuis deux ans, il n'y avait plus d'évêque. Deux hommes s'étaient disputé le siège épiscopal ; l'un fut assassiné, l'autre envoyé en exil, et après cette aventure les abus ne se comptèrent plus.

 

 

 

 

 

 

 

 saint Léger, Patron de l'église de Leulinghen-Bernes (62)

 

Léger commença par restaurer les murs de sa ville, il embellit sa cathédrale qui tombait en ruine et se mit en devoir de faire appliquer les Canons de la Religion, à défaut de l'esprit : "Ceux que la prédication ne ramena pas à la concorde, la justice et la terreur les y forcèrent."
C'est un peu glacial pour un évêque. C'est le premier aspect de la vie de Léger : la religion imposée par la force et le couteau.

Bathilde s'étant retirée, les affaires se gâtèrent. Le conseiller officiel fut désormais Ebroïn.
On a souvent opposé Ebroïn le brigand à Léger le saint, mais à l'origine Ebroïn et Léger se ressemblaient : ils utilisaient à peu près les mêmes méthodes.
Ebroïn n'était pas encore un brigand et Léger n'était pas encore un saint, mais Ebroïn devint un brigand et Léger un saint.

Ebroïn avait son candidat : Thierry III. Léger avait le sien : Childéric.
Ce dernier l'emporta : Thierry fut rasé et Ebroïn envoyé au monastère de Luxeuil, en pénitence.
Ebroïn ne devint pas évêque, mais, vous ne le saviez peut-être pas, il prit l'habit monastique et fut tonsuré ; il ne fut pas rasé, mais tonsuré - c'est différent -
Ebroïn dans les Ordres, Léger est donc victorieux.
Les auteurs de Vies de Saints nous disent qu'il fut mal considéré par Childéric parce qu'il lui reprochait son mariage anormal. Les historiens, eux, nous disent que Léger lassa tout le monde par sa dureté. Ils ont tous raison.

 

Deux statues du saint Léger
dans l'église de St Léger en Gaume (Belgique)

la première,
à l'entrée

près du choeur,
une deuxième

 

Une nuit de Pâques, à Autun, Childéric, invité, refusa de venir à l'Office à la cathédrale de Léger, la cathédrale Saint-Nazaire. Mais il eut tort de boire.
Il eut peut-être raison car il donna à Léger l'occasion de devenir un saint.
Il finit par se rendre à la cathédrale, mais il était ivre : il poussa des hurlements, dans la cathédrale, en plein office, mais comme il était le roi, personne ne dit rien.
Voyant que personne ne disait rien, le roi crut qu'il n'y avait personne et il sortit comme il était entré. Sa haine contre Léger ne passa pas avec la nuit.
Léger décida de fuir : il partit, mais il fut vite rattrapé, jugé et envoyé en exil à Luxeuil, monastère, et là il retrouva Ebroïn, moine.
Il pria à côté d'Ebroïn. Ebroin pria à côté de Léger et lui promit une amitié éternelle.

Childéric trouva le moyen de se faire assassiner.
Du coup, Ebroïn, son ancien ennemi, sortit du monastère.
Ebroïn prit la route d'Autun. Léger prit la route d'Autun. Ils se suivaient à une journée de marche, le moine précédant l'évêque.
L'évêque pénétra cependant le premier dans Autun ; iI y fut très bien reçu.
Ebroïn commençait à regretter ses serments d'amitié.
Léger reconnaît le roi Thierry. Il ne restait qu'une chose à faire à Ebroïn : reconnaître un autre roi. Il le fit en extirpant de l'ombre un certain Clovis.
Nous voilà revenus au même point qu'au début, mais maintenant, Léger est décidé à devenir un saint et Ebroïn un brigand.
Il envoie une armée sur Autun. Léger prie, fait prier, donne ses biens et demande pardon de ses erreurs :
"Si j'en ai blessé par mes paroles, que ceux-là me pardonnent."
L'armée arrive, encercle Autun, Autun qui possède de belles murailles mais qui n'a jamais su les défendre.
Léger se sacrifie, il s'offre. On le prend, on lui crève les yeux, il accepte tout sans se révolter.
Prisonnier, Léger reste silencieux. Sa passion commence dans le silence, dans la nuit.
Léger n'arrive pas à mourir, il faut qu'il souffre avant de mourir. Il souffrira en silence, en priant.
Ebroïn le fait envoyer dans une forêt et ordonne de le laisser mourir de faim. Le gardien en a pitié, il en a respect ; au bout de quelques jours, il l'emmène chez lui et le réconforte.
Léger n'a pas assez souffert.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

statue de saint Léger à Vicq sur Gartempe (86)

 

 

On le sort de chez son gardien et on le conduit devant un tribunal : on l'accuse d'avoir fait tuer Childéric.
On en profite pour lapider Guérin, son frère, mais lui, Léger, il ne faut pas le tuer parce qu'on se rend compte que c'est un saint vivant, et on sait bien qu'un saint mort est beaucoup plus dangereux qu'un saint vivant.
Il faut éviter d'en faire un martyr, il faut le conduire au désespoir, au trou.
On lui déchire les pieds, on lui coupe la langue, les lèvres, on le laisse mourir à petit feu, sous bonne garde.
Léger ne meurt pas, Léger n'a pas assez souffert, Léger est devenu saint Léger.
Il n'a plus rien d'un homme d'action, c'est une loque, une sainte loque.
Une fois de plus, son gardien est retourné : il le conduit à l'abri, dans un monastère à Fécamp.
Mais Ebroïn apprend la chose. Voyant que saint Léger ne désespère pas, il trouve des hommes d'Eglise à sa solde pour tenir un synode.
Les hommes d'Eglise condamnent leur pair et le dégradent. Saint Léger ne désespère toujours pas. Ebroïn finit par donner l'ordre de le tuer, mais en cachette.
Léger meurt en cachette, mais il est saint depuis longtemps.
Il avait commencé à devenir un saint le jour où il avait commencé à échouer dans ses entreprises.

 

Denis Grivot
Maître de Chapelle Honoraire de la Cathédrale d'Autun
Conservateur Honoraire des Antiquités et Objets d'Art de Saône et Loire

 

 

La version officielle souligne :

"Denis Grivot, dit le Chanoine Grivot, né le 3 novembre 1921 à Rully et décédé à Autun le 11 juillet 2008, fut ordonné prêtre en 1947 et vicaire de la cathédrale St-Lazare d'Autun. Homme d'église, historien et écrivain français, il fut Conservateur des Antiquités et Objets d'Art de Saône et Loire, et est connu comme auteur spécialisé dans l'art roman et en particulier d'ouvrages consacrés à Autun."

Pour l'avoir eu plusieurs fois au téléphone, c'était aussi un bon homme, érudit étonnamment tonique et drôle. Un rebelle.

Christophe, webmaster du site - juin 2009

 

 

 

 "Vie de Saint Léger, Evêque d'Autin"
par un moine de St Symphorien d'Autun qui vécut auprès du saint
La Vie de Saint Léger, évêque d'Autun
vers 980 - manuscrit de la bibliothèque de Clermont-Ferrand
 "Saint Léger - La Légende Dorée"
de Jacques de Voragine, nouvellement traduite en français - 1261-1266
 "De St Léger, évêque et martyr", par le R.P. Simon Martin
Les Nouvelles Fleurs des Vies des Saints - 1654
 "Saint Léger - 2 octobre"
Les Vies des Saints - 1724
 "Histoire de saint Léger, évêque d'Autun et martyr"
par le R.P. Dom Pitra - 1846
 "Saint Léger - son martyre - sa première sépulture à Lucheux"
par l'abbé Théodose Lefèvre - 1884
 "saint Léger, évêque d'Autun, martyr"
Imprimeur E. Petithenry, Paris - vers 1900
 "Vie de Saint Léger"
par le R.P. Camerlinck, de l'Ordre des Frères Prêcheurs - 1906
 "Léger, d'Autun"
par
Dom H. Leclercq - 1929
"Eléments pour une étude sur la diffusion du culte de Saint Léger"
parue dans "la revue du Bas Poitou" tome IV - 1971
 "Saint Léger - fête le 2 octobre - 3 octobre"
La Légende Dorée d'Autun, par Denis Grivot - 1974
"Saint Léger", par Denis Grivot,
Maître de Chapelle Honoraire de la Cathédrale d'Autun
 La prédication sur Saint Léger faite à l'église protestante
de St Légier la Chiésaz (Suisse) - 1997
 
 "Saint Léger, évêque d'Autun et martyr"
2 homélies du Père Alexandre, St Léger sous Beuvray - 1998 et 2003
 "Saint Léger, porte-parole des élites bourguignonnes"
tiré du Journal de la Bourgogne - 2002
 "le bon et la brute" ou "Léger contre Ebroïn"
sur le très joli site "Auxonne, capitale du Val de Saône" - 2009

 

 

https://www.stleger.info