saint Léger, évêque d'Autun son martyre - sa première sépulture à Lucheux traditions locales et souvenirs historiques qui s'y rattachent recueillis et publiés par M. l'abbé Théodose Lefèvre, aumônier à Doullens 1884
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* Lucheux, canton et arrondissement de
Doullens (Somme), autrefois du diocèse d'Arras et du pagus
Atrebatensis Les principales circonstances de son martyre
nous sont connues par le récit des différents auteurs
qui ont écrit sa vie, récit que les Bollandistes ont
reproduit dans les Actes des Saints du mois d'octobre et que nous
abrégeons d'après eux. Victime de la perfidie et de la
cruauté d'Ebroïn, saint Léger fut confié
à la garde du comte Robert ou Chrodebert, qui avait mission de
le faire périr au premier ordre qui lui serait donné.
Robert, comme tout le fait supposer, conduisit l'illustre captif dans
le domaine qu'il possédait sur les confins du pays des
Atrébates et des Morins. Touchés des vertus et des
malheurs de l'évêque d'Autun, les habitants de la
contrée se convertirent en grand nombre et la maison du comte
Robert se ressentit bientôt de l'heureuse influence qu'exerce
toujours la présence d'un saint. Robert, lui-même,
paraissait tout changé ; il ne pouvait se défendre
d'une secrète admiration pour la victime de la barbarie
d'Ebroïn ; il l'aurait volontiers délivrée, s'il
n'avait craint les terribles vengeances de son redoutable
maître, en enfreignant les ordres formels qui lui avaient
été donnés à ce sujet. Ebroïn venait
d'envoyer un message pour faire mourir le prisonnier ; il avait
même, par un raffinement de cruauté bien digne de lui,
commandé de jeter son corps au fond d'un puits, au plus
épais d'une forêt, pour effacer le souvenir de sa
mémoire et empêcher le peuple de le
vénérer comme un saint. vitrail de
l'église de Sus St Léger (Pas de
Calais) Tout en déplorant cet ordre barbare,
le comte Robert n'osa pas s'y soustraire et remit saint Léger
à quatre de ses sicaires, avec l'ordre d'accomplir les
différentes prescriptions du Maire du Palais. C'est en vain
que les bourreaux cherchèrent un puits dans la vaste
forêt qui avoisinait le domaine de Robert ; n'en trouvant pas,
et, d'ailleurs, subjugués par une force surnaturelle, ils
s'arrêtèrent enfin sur l'ordre de saint Léger et
se mirent en devoir de le décapiter. Touchés de ses
discours et de son héroïque patience, trois d'entre eux
se jetèrent aux genoux du saint martyr, lui demandèrent
pardon de leur faute et refusèrent de participer au meurtre
qui leur était commandé. Le quatrième, au
contraire, rendu plus furieux par le refus de ses compagnons, ne
recula pas devant un crime et trancha la tête du saint
évêque dans l'endroit appelé depuis Sylva S.
Leodegarii, en mémoire de ce tragique événement.
Ces choses se passaient le 2 octobre 678, sur l'ordre d'Ebroïn,
avec la participation du faible Thierry III. détail du
même vitrail, dans l'église de Sus St
Léger La femme de Robert, au dire du biographe
Ursin, fit déposer le corps sanglant du martyr dans sa villa
de Sarcing et élever, en cet endroit, un petit oratoire qui
devint, dans la suite, fort célèbre dans toute la
contrée. D'après ce récit primitif,
l'endroit où a été consommé le martyre de
saint Léger et le lieu de sa sépulture seraient tout
à fait distincts l'un de l'autre ; c'est ce qu'insinue
également Baldéric, au XIe siècle, dans les
indications précieuses qu'il nous a laissées à
ce sujet. Il s'exprime ainsi dans sa Chronique d'Arras et de Cambrai
: "In territorio
Atrebatensi transductum, decollari fecitin loco qui dicitur Sylva S.
Leodegarii, sepultus que est in villa quae dicitur Sercin, quae est
in confinio Cameracensis episcopii et
Morinensis." Baldéric désigne d'une
manière formelle l'endroit appelé de son temps Sylva S.
Leodegarii, comme ayant été le lieu où a
été martyrisé saint Léger. Mais quel est
cet endroit aujourd'hui ? Est-ce une forêt de l'Artois
appelée ainsi depuis, en souvenir de ce tragique
événement ? Certains auteurs l'ont pensé, comme
Mabillon, dans ses Annales bénédictines, et le
père Lecointe, dans ses Annales ecclésiastiques des
Francs. Mabillon va même jusqu'à dire
que, de son temps, cette forêt existait encore en Artois. Les
Bollandistes, dans le savant commentaire qui précède la
vie de saint Léger, ne partagent pas l'opinion du docte
bénédictin ; ils la rejettent même avec
vraisemblance, parce qu'aucun document sérieux ne vient
justifier cette assertion. C'est en vain qu'ils ont cherché
cette forêt de Saint-Léger dans les plus anciennes
cartes de l'Artois. Est-ce, au contraire, un endroit
habité, un lieu consacré à la religion ? Nous
n'hésitons pas à l'affirmer après les
éléments nouveaux que nous sommes assez heureux de
pouvoir apporter
dans cette discussion. Au XIe siècle, un endroit très
voisin de Lucheux s'appelait Sylva S. Leodegarii, il y avait
là, même, une église qui dépendait
vraisemblablement du prieuré, comme nous le
révèle, en 1149, une bulle du pape Eugène III
que nous citons à l'appui. Qu'est devenu, au moment où
nous écrivons, l'antique sanctuaire nommé, au XIIe
siècle, Sylva S. Leodegarii ? Nous l'ignorons d'une
manière formelle. Peut-être est-ce
Sus-Saint-Léger ? Peut-être
est-ce un endroit à présent détruit ?
Peut-être même est-ce cette chapelle de
Saint-Léger dont nous parlerons bientôt ?
Sus St
Léger (Pas de Calais) et ses allées de charmes
têtards Nous ne désespérons pas un
jour de jeter quelques lumières sur toutes ces
obscurités, bien que nos recherches aient été
infructueuses jusqu'ici. La tradition est plus explicite sur
l'endroit de la sépulture de saint Léger. Les
biographes du saint martyr désignent communément la
villa de Sarcing ou Sercin. Il en est fait également mention
dans les martyrologes d'Adon et de Notker, pour ne citer que les
documents les plus anciens. Sercin, d'après Baldéric,
était, au XIe siècle, sur les confins de
l'évêché de Cambrai et de celui des Morins ; de
là des prétentions rivales de la part de plusieurs
bourgades qui se disputent l'honneur d'avoir été
sanctifiées par la sépulture de notre saint.
Le texte de Baldéric, mal
étudié par quelques auteurs, leur a permis
d'accréditer des opinions qui ne sont plus soutenables
aujourd'hui. On n'a pas assez fait attention que Baldéric
écrivait à une époque où les
diocèses d'Arras et de Cambrai étaient réunis et
gouvernés par un seul et même évêque, et
qu'il a pu fort bien désigner comme faisant partie de la
circonscription de Cambrai les paroisses de l'ancien diocèse
d'Arras, qui se trouvaient alors, par le fait de cette union, sous la
juridiction de l'évêque de Cambrai. Les recherches, pour
être utiles, doivent se porter de préférence vers
les paroisses de l'ancien diocèse d'Arras, voisines de celui
de Boulogne, diocèse qui a succédé, comme l'on
sait, avec Ypres et Saint-Omer, à l'ancien
évêché des Morins. C'est ce qu'ont compris les
Bollandistes et c'est ce que le père de Smet s'efforce
également d'établir dans les savants Commentaires
publiés par lui au tome IV des Acta sanctorurn Belgii.
Nous rejetons pour ce motif l'opinion de MM.
Pringuez et Warmé,
qui désignent, sans preuves suffisantes,
Saint-Léger-les-Authie comme le lieu de la sépulture de
l'illustre évêque d'Autun. Cette bourgade, voisine de
l'ancien diocèse d'Arras, est par trop éloignée
de celui des Morins pour que l'on puisse espérer y retrouver
l'antique Sercin. C'est également sans raison plausible que
Mabillon la désigne très incidemment, dans une note de
deux lignes, comme ayant pu être sanctifiée par
l'attouchement de ce corps sacré. le village de St
Léger les Authie (Somme) Les raisons que nous venons
de faire valoir nous engagent à agir de même pour le
sentiment du président Hénaut et pour celui de l'auteur
de l'Annuaire du Pas-de-Calais de 1808, lorsqu'ils font mourir notre
saint martyr à Saint-Léger, dans le canton de
Croisilles. L'opinion qui désigne
Sars, près d'Houvin, n'est guère plus vraisemblable ;
car l'endroit indiqué sous le nom de Sarcing ou Serein, a
toujours gardé cette dénomination depuis les temps les
plus reculés jusqu'à nos jours, sans jamais changer.
le village de St
Léger les Croisilles (Pas de Calais) Les deux opinions les plus
sérieuses et qui peuvent être défendues sont
celles qui revendiquent cet honneur pour Sus-Saint-Léger et
pour Lucheux. Le bollandiste de Bye, au
témoignage du P. Corneille de Smet, semble incliner en faveur
de Sus-Saint-Léger pour l'endroit de la sépulture et
désigne Lucheux comme ayant été le lieu
où il aurait été martyrisé. Les deux
grands arguments invoqués par lui, sont : la proximité
de Sus-Saint-Léger avec l'ancien diocèse des Morins et
le nom de Serein resté à la place publique de
l'endroit. MM. Le Glay, Harbaville et Lambert, cités par M.
l'abbé Corblet, dans l'Hagiographie du diocèse
d'Amiens, ont adopté ce sentiment. Qu'il nous soit permis,
malgré ces grands noms qui font autorité, d'invoquer en
faveur de notre thèse les arguments qui nous permettent de
soutenir l'opinion qui désigne Lucheux. A l'époque où
Baldéric écrivait, Lucheux faisait partie du
diocèse d'Arras, réuni alors à celui de Cambrai.
De plus, cette bourgade se trouvait située sur les confins de
l'évêché des Morins ; car le village de Grouches,
de l'ancien diocèse de Boulogne, séparé de
Lucheux par une distance de deux kilomètres, devait, au XIe
siècle, en faire partie. Tout le monde sait que le
diocèse de Boulogne a été créé
pour remplacer une partie de celui de Térouanne, lors de la
destruction de cette ville par Charles-Quint. Bien loin d'infirmer
notre thèse, le texte de Baldéric sert à la
confirmer ; nous pourrions même ajouter que Lucheux semble
répondre davantage aux données historiques fournies par
notre chroniqueur, puisqu'il touchait immédiatement au
diocèse des Morins, tandis que Sus-Saint-Léger en
était plus éloigné. Le bollandiste de Bye, pour
prouver sa thèse, est obligé d'aller chercher Rebreuve,
de l'ancien diocèse de Boulogne, éloigné de sept
à huit kilomètres de Sus-Saint-Léger. Le nom de
Sercin attribué par le même auteur à la grande
place du pays ne paraît pas s'être conservé
jusqu'à nous ; des personnes originaires de
Sus-Saint-Léger n'ont pas su ce que nous voulions leur dire
lorsque nous les avons interrogées à ce
sujet. Le souvenir d'un lieu
quelconque appelé Sercin s'est-il, au contraire,
conservé sur le territoire de Lucheux ? Ici, tout parle en
faveur de notre opinion. La partie du territoire de Lucheux
située au-delà du beffroi, en venant de Doullens, est
désignée, aujourd'hui encore, sur la matrice cadastrale
par les noms de Serchin ou Cherchin. Les comptes de
l'Hôtel-Dieu de Lucheux font aussi mention du Sarcin, à
propos des redevances qu'y percevait cet établissement
hospitalier. Nous avons également
trouvé ce nom de Serein dans la carte de l'Artois,
publiée en 1704, par Guillaume de l'Isle, qui le place
à côté de Lucheux. Des documents plus anciens
ne nous font pas davantage défaut. Au XIe siècle
(1095), ne voyons-nous pas Hugues Campdavène donner à
l'abbaye de Molesmes les dîmes de Lucheux et de Sarcing et
faire de cette libéralité importante comme la dotation
primitive du prieuré de Lucheux ? Au XIIe siècle,
l'évêque d'Arras, Alvisius (1142), ne nous indique-t-il
pas la très grande proximité de Lucheux et de Sarcing,
lorsqu'il confirme à cette même abbaye la possession de
l'autel de Lucheux et de ses appendices Sarcing et Humbercourt
?
2 vitraux
représentant le saint Léger, dans l'église de
Lucheux (Somme) Ces preuves, ce me semble,
doivent suffire pour établir l'identité du Sarcing des
temps anciens avec le Serchin ou le Cherchin des temps modernes, et
ces preuves sont d'autant plus fortes qu'elles sont prises dans les
documents officiels de l'époque où vivait
Baldéric, ou du moins, dans des temps très
rapprochés. Mais où faut-il,
maintenant, aller chercher, sur le territoire de Lucheux, cet antique
sanctuaire du VIIe siècle, qui a conservé pendant deux
ans et demi la dépouille mortelle du martyr saint Léger
? Tout nous porte à le découvrir dans cette chapelle de
Saint-Léger, placée sur le versant d'une colline,
à proximité de la route d'Avesnes-le-Comte et à
quelques centaines de mètres des dernières maisons de
Lucheux. Ce sanctuaire, desservi par
les religieux Carmes depuis les premières années du
XVIIe siècle jusqu'à la Révolution, a eu
autrefois sa célébrité. On y venait de toutes
parts en pèlerinage, et le saint témoignait, par des
miracles, de l'efficacité de son crédit auprès
de Dieu. Ce culte rendu à saint Léger, de temps
immémorial, dans cette chapelle, n'est-il pas comme la
continuation de ces hommages pieux dont nous parlent les anciens
biographes, et ne doit-on pas y découvrir le sanctuaire
élevé autrefois sur son tombeau ? Lucheux (Somme) -
la chapelle Saint-Léger Dans la direction de cette chapelle se
trouve encore la partie du territoire
de Lucheux, connue aujourd'hui sous
le nom de Viéville, et que nous avons trouvée
indiquée dans des documents très anciens. Anselme
Campdavène (1151), en renouvelant les donations faites par son
aïeul, Hugues Campdavène, en 1095, nous
révèle quelques indications précieuses qu'il est
bon de noter. Nous apprenons par lui qu'il y avait alors à
Lucheux une partie du territoire désignée sous le nom
de la Vieille-Ville et que les propriétés bâties
et non bâties données par son aïeul au
prieuré furent connues, dans la suite, sous le nom de la
Neuville, nom qui existe encore aujourd'hui. Or qu'y a-t-il
d'invraisemblable à admettre que la Vieille-Ville du XIe
siècle pourrait bien se confondre avec cette villa
mérovingienne dont nous constatons l'existence, au VIIe et au
VIIIe s., vers cet endroit, lorsqu'il ne s'agit que de l'espace de
deux ou trois siècles tout au plus ? Je suis
une chapelle au fond d'un petit bois Persécuté,
martyrisé, c'est en ce lieu Saint
Léger a laissé son nom depuis toujours Texte
écrit par un monsieur originaire de Sus Saint
Léger En terminant, nous aimons à rappeler,
après M. Corblet, que l'ancienne chapelle des Carmes,
dédiée à saint Léger, a été
rendue au culte dans ces derniers temps par M. Lematte, curé
de Lucheux. Non content d'y rétablir l'antique
pèlerinage, en 1867, à la suite d'une
cérémonie religieuse restée
célèbre dans la contrée, M. le curé de
Lucheux s'est fait l'écho de la tradition de sa paroisse dans
une petite brochure que nous avons lue avec intérêt. *
* notice sur la chapelle de saint
Léger, martyrisé dans le bois de Sarcing, près
de l'antique forêt de Lucheux, etc. Amiens, Alfred Caron, 1867
Pour nous résumer, nous admettons
avec les anciens auteurs que saint Léger n'a pas
été inhumé dans l'endroit même où
il a été martyrisé. Nous ne déterminons
pas d'une manière précise le lieu de son martyre, mais
nous revendiquons, comme très probable, l'opinion qui fixe
à Lucheux la première sépulture de
l'évêque d'Autun.
ruines d'un hospice et d'une chapelle, bâtis vers 1600 par les
Carmes
sur l'emplacement où saint Léger subit le martyre, le 2
octobre 678
Une chapelle où j'ai prié souventes fois
Il faut, pour la trouver dans son nid de verdure
Descendre un long chemin caché sous la
ramure
Que l'évêque d'Autun, patron de mon village
Dont l'ennemi cruel avait crevé les yeux
Fut jeté dans un puits, après un long
voyage
C'était il y a plus de mille trois cents ans
Le 2 octobre de l'an 678
Mais la foi, triomphant depuis la nuit des temps
Fit élever des sanctuaires
Des lieux de culte et de prières
A des églises, des villages et des bourgs
Mais c'est près de Lucheux, de Sus et
d'Humbercourt
Aux confins de l'Artois de la Picardie
Qu'il a donné sa vie