Bulletin Municipal de St Léger en Yvelines - octobre 2005 |
A l'occasion de cet anniversaire, nous avons
voulu lui rendre hommage et donner la parole à son
épouse, Marie-Luce puis à Gérard Ingold qui lui
a consacré un long chapitre dans l'un de ses
livres. le 12 octobre
2005 Peter
Townsend De sa vie de pilote de
chasse, Peter avait gardé le goût de
l'étude des cartes
géographiques. Il pointa un village
cerné de toutes parts par la forêt de
Rambouillet et ce fut notre première
découverte de Saint Léger en
Yvelines. Avec nos trois petits, la
forêt devint un but de balade, nous
étions emballés par sa beauté,
Peter retrouva avec bonheur les bruyères et
les fougères, réminiscence de son
Somerset natal. St Léger
en Yvelines - le château de Pincourt -
oblitération de 1909 le parc du
château de Pincourt Nos pas nous menaient
invariablement chez la veuve Lecourt, personnage
picaresque et haut en couleur, qui vivait seule
avec une vache, deux chèvres et six lapins
dans une ferme en ruine isolée sur le
plateau des grands coins à St
Léger. Selon les circonstances nous
l'aidions à rentrer à l'étable
vache ou chèvres et les enfants
étaient subjugués par la baratte en
action. Elle nous conviait dans son unique
pièce cuisine, d'un confort spartiate,
à déguster beurre et rillettes de
lapin qui réjouissaient la gourmandise
déclarée de Pierre notre
fils. Madame Lecourt vivait en
recluse, depuis la mort de son mari dans les
années 50, elle était d'une
chaleureuse rudesse et d'une séduisante
authenticité, toute l'année durant
chaussée de bottes entre le cloaque de la
cour à la mare et de l'étable au
clapier, elle parvenait à vivre en
complète autarcie et en solitude durement
consentie. Au fil de nos visites, nous
soupçonnions une blessure secrète.
Elle n'était plus descendue au village
depuis 10 ans ni montée à Rambouillet
depuis 20 ans. Nous étions fascinés
par cette vie hors du temps. Un dimanche au
crépuscule, elle se confia à nous
tous réunis en rond autour d'elle, assis sur
des cageots. C'était l'automne, la
nuit nous recouvrait, grise et sombre, sa
pièce l'était tout autant, faiblement
éclairée par l'unique ampoule
maculée de poussière, les enfants
silencieux étaient bouche-bée, nous
pressentions l'importance du moment. St Léger
en Yvelines - les Sorbiers et la pièce
d'eau les Sorbiers,
façade ouest Alors, elle nous
révéla son histoire : le père
Lecourt était un original pour les anciens
du pays, une forte tête aimant le gros rouge,
il faisait son beurre à deux heures du matin
et rentrait ses bêtes à minuit, il
avait ses idées bien à lui. Cette délation fut une
trahison qui les ébranla
profondément, ils se replièrent dans
leur ferme et progressivement en eux-mêmes.
Au fil des jours et des années un mur de
soupçon et de rancoeur devenu
infranchissable s'érigea entre le couple
Lecourt et les gens d'en bas, de St
Léger. la
Sabote les Buttes
Bayelles le
Champtier le
Bagnolet le
Bagnolet Quelques mois plus tard, lors
d'une de nos visites dominicales, Mme Lecourt,
regardant Peter, lui déclara vouloir lui
vendre un jour sa ferme, à lui le pilote
anglais, car son mari l'aurait approuvé. La veuve Lecourt
attendait. Un matin au réveil,
nous nous sommes regardés, et nous pensions
ensemble la même chose. Nous nous sommes
lancés dans cette folle aventure, grandement
aidés par mon frère architecte qui
produisit tous les plans et par l'excellent
Monsieur Bibaut, entrepreneur à Saint
Léger ; nous entamions la restauration de
cette ruine, avec ses surprises, ses joies, ses
aléas, soutenus par une joyeuse exaltation
téméraire. Nous avions les joues et les
mains en feu, prêts assurément
à déplacer des montagnes. Au moment de la signature,
chez le notaire en présence de Madame
Lecourt, nous apprenons fortuitement ses refus
répétés aux propositions
avantageuses des agences immobilières
voisines. Obstinément elle refusa,
souhaitant réserver sa ferme et sa terre
à Peter devenu son ami. Trente-cinq ans plus tard, ce
lieu est devenu à nos yeux poésie et
charme par l'énergie et l'amour que nous y
avons mis, durant toutes ces années. St Léger en Yvelines
- le Maupas - oblitération de 1907 la propriété
Vassal Le groupe
captain Peter Townsend (1914-1995)
Peter
Townsend Peter Townsend, le
héros légendaire de la bataille
d'Angleterre, avait choisi un village de l'Ile de
France, Saint Léger en Yvelines, pour y
vivre, entouré de ses chevaux, de ses
chiens, de ses livres. Saint Léger l'avait
aussitôt adopté, comme l'un de ses
enfants. Il y coulait une retraite paisible,
entouré de son épouse, Marie-Luce,
avec laquelle il formait un couple
délicieux. Peter se dévouait à
des oeuvres caritatives, à l'enfance
malheureuse, aux problèmes du
tiers-monde. Il avait aussi beaucoup
d'amis, tous les habitants du village admiraient et
aimaient cet homme doux et charmant, à
l'exquise courtoisie, resté si simple
après avoir connu la gloire et sur lequel
l'âge semblait n'avoir pas de prise. Il
était en réalité le
héros le plus populaire de ce qui avait
été la bataille
d'Angleterre. le chalet des
Bruyères - carte postale datée de
1910 le chalet des
Bruyères - carte postale datée de
1917 le parc du
chalet des Bruyères Au début de la
deuxième guerre mondiale, le 3
février 1940, il avait abattu le premier
bombardier allemand qui ait été
frappé dans le ciel d'Angleterre, un Heinkel
111. les Prés
du Jardinet les Prés
du Jardinet le Jardinet
(1919) Des duels de naguère,
Peter écrivait : "Sans ces rencontres dans
le ciel, nous ne nous serions pas connus.
L'amitié et l'estime mutuelles qui en sont
nées sont tout de même un
bénéfice pour l'humanité". Figure emblématique de
la bataille d'Angleterre, au cours de laquelle il
avait été crédité de
douze victoires, à la tête de son
célèbre squadron 85, puis
nommé Ecuyer du Roi George VI, Peter
Townsend avait été choisi pour
conduire, dans le ciel de Londres, le
défilé de la victoire en 1945. Peter
faisait partie de "ceux, si peu nombreux, comme
l'écrivait Churchill, à qui tant
d'hommes durent autant". Bagatelle Bagatelle au
début des années
1950 Par la suite, Peter avait
choisi la France pour sa retraite, d'abord à
Levis Saint Nom, puis à Saint Léger
dans les Yvelines. Il était alors devenu un
écrivain de grand talent. J'avais fait sa
connaissance peu avant la parution de son
maître-livre : "Un duel d'aigle", qui fut
traduit dans de nombreuses langues. Nous avions
longuement correspondu car, de mon
côté, j'écrivais la biographie
de mon frère, Charles Ingold, le pilote de
chasse mort à vingt ans (1941) dans les
rangs de l'aviation française libre dans le
ciel d'Angleterre. le château
de la Croix-Rouge - vers 1904 le château
de la Croix-Rouge Quant à Peter, il me
raconta plus d'une fois combien il avait
été fier d'avoir sous ses ordres,
dans son squadron, deux pilotes français de
grande classe, François de Labouchere et
François-Emile Fayolle, le petit-fils du
maréchal. Tous deux devaient tomber au champ
d'honneur, François de Labouchere à
la tête de l'escadrille Versailles, le 5
septembre 1942, quinze jours après son ami
Fayolle, à la tête d'une escadrille de
la Royal Air Force, au dessus de Dieppe. Peter se rappelait bien ces
deux figures qui lui étaient chères
et m'écrivait à leur sujet : "Ils
étaient nos camarades, ils volaient aile
à aile avec nous." François-Emile
Fayolle avait écrit à Peter le 5
décembre 1940 : "Nous étions parmi
vous absolument comme chez nous, l'escadrille
était notre home ; maintenant plus que
jamais nous sommes certains d'avoir la victoire".
Peter ajoutait : "Il est mort pour sa patrie, pour
la mienne aussi". le pavillon des
Grands Coins pavillons des
Petits Coins Dans sa
propriété de Saint Léger, "La
Mare aux Oiseaux", Peter Townsend continuait son
oeuvre d'écrivain. J'avais moi-même
pris ma retraite dans ce village, quelques
années auparavant. En 1994, Marie-Luce et
Peter nous prièrent de venir dîner,
Jacqueline et moi, à la Mare aux Oiseaux, un
soir de Noël. Ce fut un émerveillement
: dans l'ancienne ferme restaurée avec art ;
la table était dressée dans
l'orangerie qui donnait sur l'étang. Des
flocons de neige tombaient doucement à la
surface de l'eau. Des projecteurs installés
dans les arbres des alentours éclairaient de
leur lumière les canards qui glissaient sur
l'étang, animant de leur présence la
féerie de la scène. Lors de cette soirée
à la Mare aux oiseaux, nous avions
évoqué le dernier ouvrage de Peter :
"Nostalgia britannica" qui venait de
paraître. Peter y racontait l'histoire
de l'Angleterre, bien souvent mêlée
à celle de sa propre famille, donnant au
royaume, à travers les siècles, des
soldats, des marins, comme le célèbre
amiral Nelson, des hommes d'église ou de
loi, des explorateurs, des colons, et, nous venons
de le voir, au 20e siècle, un héros
de légende, véritable chevalier des
temps modernes. Peter y peignait la tristesse que
lui inspirait la fin d'un empire. Si Peter Townsend
était, comme l'écrivait Michel Mohrt,
un "gentleman héroïque", il
était aussi un homme d'une simplicité
inimaginable. les 4
Cheminées les 4
Cheminées Larchet -
habitation du Commandant de
Saint-Maurice Lors d'une
cérémonie qui se tenait un 11
novembre sur la place du village, pour le salut aux
drapeaux et l'envoi des couleurs sur les mâts
dressés pour la circonstance, nous avions
réuni des anciens combattants des forces
alliées, un Américain habitant Saint
Léger, un Russe domicilié dans les
environs, et, pour la Grande Bretagne, bien
sûr, Peter Townsend. Chacun était
arrivé, décorations pendantes, comme
c'était la règle. Lorsque apparut Peter, nous
nous étonnâmes de le voir sans aucune
décoration. Peter nous répondit : "Je
n'ai plus de décorations. Je les ai
offertes, lors d'un gala de bienfaisance, au cours
d'une vente aux enchères au profit des
orphelins du tiers-monde". Après une
grave maladie, Peter nous a
quittés, voilà presque dix
ans. Ceux qui l'ont connu ne peuvent pas
l'oublier. "Beau, courageux, romanesque",
ainsi le définissait
François Nourissier, au lendemain
de sa mort. Quelques jours avant
son grand départ - je suis
tenté d'écrire son "envol" -
car Jean Guitton l'eut nommé "un
ange" - Peter nous avait appelés au
téléphone, Jacqueline et moi
; il se savait sérieusement atteint
et nous avait alors annoncé : "Je
vais partir dans quelques jours.
Voudriez-vous nous faire l'amitié
d'une ultime visite et venir à la
Mare aux Oiseaux afin que je puisse vous
dire un dernier adieu ?" Aujourd'hui, Peter
repose en paix dans ce village de l'Ile de
France qui l'avait accueilli. Sur sa tombe, une
seule inscription : Gérard
Ingold le château du Planet, vu de
la pièce d'eau le chalet de Planet le Planet le château du Planet,
photographié ici vers 1957 Source : Bulletin
Municipal de St Léger en Yvelines - octobre
2005 erci
de fermer l'agrandissement sinon.
En 1943, il avait recueilli et caché trois
pilotes anglais dans sa grange durant plusieurs
jours, en vue de les diriger vers un réseau
ami.
Mais il avait été
dénoncé par les gens du bourg (ce
vieux qui ne faisait rien comme tout le monde
risquait de les mettre tous en péril).
Alertés et en catastrophe, les pilotes
avaient gagné la forêt toute proche,
jetant précipitamment dans la mare toutes
traces de leur passage.
Les interrogatoires serrés et les
perquisitions des gendarmes n'avaient pas
épargné le couple meurtri.
Nous restâmes un instant interloqués
et sceptiques. Nous étions en 1969, nous
rentrions respectivement des Etats-Unis et de
Londres et nous n'étions assurément
pas acheteurs. Par ailleurs, l'état de
délabrement avancé des
bâtiments, la mare croupissante et le terrain
envahi de ronces, d'orties et de chiendents nous
paralysaient. Seuls six beaux poiriers
centenaires investissaient souverainement le
terrain en friche.
L'ampleur de la tâche nous semblait
insurmontable.
Je me souviendrai toujours de l'expression
ébahie de nos petites filles sur
l'échelle de meunier, lorsque nous tentions
de leur expliquer que ce grand vide de grenier
délabré, envahi par des toiles
d'araignées, serait leurs chambres.
Nous avons passé en famille des dimanches
entiers à défricher à mains
nues les bords de l'étang, nous l'avons
curé, grâce à Monsieur Bibaut,
à qui nous étions reconnaissants de
garder en toute circonstance un calme olympien.
Pour soutenir l'équipe, je remontais de chez
la truculente madame Galopin de délicieuses
quiches lorraines.
Il fallut une étonnante dose d'inconscience
et de passion mêlées pour mener
à bien une telle entreprise.
Ce fut la grande histoire de nos vies, qui dure
toujours aujourd'hui et que nous n'avons jamais
regrettée.
Nous y avons été très heureux
et nous le sommes encore aujourd'hui, car la
présence de Peter,
décédé il y a eu dix ans en
juin dernier, habite ce lieu qui le symbolise si
fidèlement.
Puis, apprenant l'existence d'un survivant, le
mitrailleur Karl Missy, il lui rendit visite, le
lendemain, à l'hôpital de Whitby, lui
apportant une boite de 50 cigarettes Player's et un
sac d'oranges. Le malheureux avait eu les jambes
fracassées par les balles du Hurricane.
Vingt-huit ans après, Peter devait à
nouveau lui rendre visite, en Allemagne cette fois.
Dix-neuf jours plus tard, le 22 février,
Peter abattait son deuxième Heinkel 111 dans
la mer du Nord.
Comme de nombreux pilotes de chasse - et la
tradition en remontait à la première
guerre mondiale - Peter Townsend considérait
en effet le combat aérien comme une lutte
chevaleresque. On pouvait à juste titre
appeler ces aviateurs les "chevaliers du ciel".
Le 11 juillet 1940, alors que commençait la
bataille d'Angleterre, Peter Townsend, après
un violent combat contre un bombardier Dornier 17,
se faisait descendre au dessus de la mer
après avoir criblé de balles son
adversaire. Il était heureusement
repéré et sauvé par un
chalutier britannique.
Les carnets de mon frère avaient beaucoup
intéressé Peter et il avait choisi
Charles Ingold pour être l'un de ses
personnages dans "Duel d'aigles", en citant
quelques extraits de ses carnets de pilote. Tout
cela nous avait rapprochés, nous
étions ainsi entrés en amitié
et ces liens devaient durer près de
vingt-cinq ans. Je retrouvais en Peter la figure du
frère disparu. N'étant pas
moi-même pilote, j'avais eu recours à
lui lorsque des détails techniques relatifs
aux combats aériens m'échappaient.
J'avais questionné de même, lorsqu'il
s'agissait des forces aériennes
françaises libres, une figure de
légende de l'aviation, le colonel
Duperier.
Royal Air Force - 85th
Squadron
vues générales de St
Léger en
Yvelines
cartes postales anciennes des
bâtiments
cpa des rues et des
gens
originaire de St Léger en Yvelines
!
cpa de la forêt
d'Yveline
cartes postales anciennes des
étangs
cpa des auberges et hôtels de St
Léger
cpa des châteaux et des
écarts
cartes postales anciennes de
groupes