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 Bulletin Municipal de St Léger en Yvelines - octobre 2005 

 

Villes ou villages de France sont toujours fiers et honorés quand ils comptent parmi leurs habitants des personnages célèbres. Saint Léger n'échappe pas à la règle. Peter Townsend, ce grand acteur de l'histoire de la deuxième guerre mondiale, a longtemps résidé à Saint Léger avec sa famille. Il nous a quittés le 19 juin 1995. 10 ans déjà !

A l'occasion de cet anniversaire, nous avons voulu lui rendre hommage et donner la parole à son épouse, Marie-Luce puis à Gérard Ingold qui lui a consacré un long chapitre dans l'un de ses livres.

 

 

le 12 octobre 2005

 

La Mare aux Oiseaux, au lieu-dit "les Grands Coins", ou l'histoire d'une passion

 

Peter Townsend

De sa vie de pilote de chasse, Peter avait gardé le goût de l'étude des cartes géographiques. Il pointa un village cerné de toutes parts par la forêt de Rambouillet et ce fut notre première découverte de Saint Léger en Yvelines.

Avec nos trois petits, la forêt devint un but de balade, nous étions emballés par sa beauté, Peter retrouva avec bonheur les bruyères et les fougères, réminiscence de son Somerset natal.

 

St Léger en Yvelines - le château de Pincourt - oblitération de 1909

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le parc du château de Pincourt

 

Nos pas nous menaient invariablement chez la veuve Lecourt, personnage picaresque et haut en couleur, qui vivait seule avec une vache, deux chèvres et six lapins dans une ferme en ruine isolée sur le plateau des grands coins à St Léger.

Selon les circonstances nous l'aidions à rentrer à l'étable vache ou chèvres et les enfants étaient subjugués par la baratte en action. Elle nous conviait dans son unique pièce cuisine, d'un confort spartiate, à déguster beurre et rillettes de lapin qui réjouissaient la gourmandise déclarée de Pierre notre fils.

Madame Lecourt vivait en recluse, depuis la mort de son mari dans les années 50, elle était d'une chaleureuse rudesse et d'une séduisante authenticité, toute l'année durant chaussée de bottes entre le cloaque de la cour à la mare et de l'étable au clapier, elle parvenait à vivre en complète autarcie et en solitude durement consentie.

Au fil de nos visites, nous soupçonnions une blessure secrète. Elle n'était plus descendue au village depuis 10 ans ni montée à Rambouillet depuis 20 ans. Nous étions fascinés par cette vie hors du temps. Un dimanche au crépuscule, elle se confia à nous tous réunis en rond autour d'elle, assis sur des cageots.

C'était l'automne, la nuit nous recouvrait, grise et sombre, sa pièce l'était tout autant, faiblement éclairée par l'unique ampoule maculée de poussière, les enfants silencieux étaient bouche-bée, nous pressentions l'importance du moment.

 

St Léger en Yvelines - les Sorbiers et la pièce d'eau

 

 

 

 

 

 

les Sorbiers, façade ouest

 

Alors, elle nous révéla son histoire : le père Lecourt était un original pour les anciens du pays, une forte tête aimant le gros rouge, il faisait son beurre à deux heures du matin et rentrait ses bêtes à minuit, il avait ses idées bien à lui.
En 1943, il avait recueilli et caché trois pilotes anglais dans sa grange durant plusieurs jours, en vue de les diriger vers un réseau ami.
Mais il avait été dénoncé par les gens du bourg (ce vieux qui ne faisait rien comme tout le monde risquait de les mettre tous en péril).
Alertés et en catastrophe, les pilotes avaient gagné la forêt toute proche, jetant précipitamment dans la mare toutes traces de leur passage.
Les interrogatoires serrés et les perquisitions des gendarmes n'avaient pas épargné le couple meurtri.

Cette délation fut une trahison qui les ébranla profondément, ils se replièrent dans leur ferme et progressivement en eux-mêmes. Au fil des jours et des années un mur de soupçon et de rancoeur devenu infranchissable s'érigea entre le couple Lecourt et les gens d'en bas, de St Léger.

 

la Sabote

 

 

les Buttes Bayelles

 

 

le Champtier

 

 

le Bagnolet

 

 

le Bagnolet

 

Quelques mois plus tard, lors d'une de nos visites dominicales, Mme Lecourt, regardant Peter, lui déclara vouloir lui vendre un jour sa ferme, à lui le pilote anglais, car son mari l'aurait approuvé.
Nous restâmes un instant interloqués et sceptiques. Nous étions en 1969, nous rentrions respectivement des Etats-Unis et de Londres et nous n'étions assurément pas acheteurs. Par ailleurs, l'état de délabrement avancé des bâtiments, la mare croupissante et le terrain envahi de ronces, d'orties et de chiendents nous paralysaient. Seuls six beaux poiriers centenaires investissaient souverainement le terrain en friche.
L'ampleur de la tâche nous semblait insurmontable.

La veuve Lecourt attendait.

Un matin au réveil, nous nous sommes regardés, et nous pensions ensemble la même chose. Nous nous sommes lancés dans cette folle aventure, grandement aidés par mon frère architecte qui produisit tous les plans et par l'excellent Monsieur Bibaut, entrepreneur à Saint Léger ; nous entamions la restauration de cette ruine, avec ses surprises, ses joies, ses aléas, soutenus par une joyeuse exaltation téméraire.
Je me souviendrai toujours de l'expression ébahie de nos petites filles sur l'échelle de meunier, lorsque nous tentions de leur expliquer que ce grand vide de grenier délabré, envahi par des toiles d'araignées, serait leurs chambres.
Nous avons passé en famille des dimanches entiers à défricher à mains nues les bords de l'étang, nous l'avons curé, grâce à Monsieur Bibaut, à qui nous étions reconnaissants de garder en toute circonstance un calme olympien.
Pour soutenir l'équipe, je remontais de chez la truculente madame Galopin de délicieuses quiches lorraines.

Nous avions les joues et les mains en feu, prêts assurément à déplacer des montagnes.
Il fallut une étonnante dose d'inconscience et de passion mêlées pour mener à bien une telle entreprise.
Ce fut la grande histoire de nos vies, qui dure toujours aujourd'hui et que nous n'avons jamais regrettée.

 

 

Au moment de la signature, chez le notaire en présence de Madame Lecourt, nous apprenons fortuitement ses refus répétés aux propositions avantageuses des agences immobilières voisines. Obstinément elle refusa, souhaitant réserver sa ferme et sa terre à Peter devenu son ami.

Trente-cinq ans plus tard, ce lieu est devenu à nos yeux poésie et charme par l'énergie et l'amour que nous y avons mis, durant toutes ces années.
Nous y avons été très heureux et nous le sommes encore aujourd'hui, car la présence de Peter, décédé il y a eu dix ans en juin dernier, habite ce lieu qui le symbolise si fidèlement.

 

 

 

 

 

 St Léger en Yvelines - le Maupas - oblitération de 1907

 

 

 

 

 

 

 

 

la propriété Vassal

 

 

 

 

 

 

 

 

Le groupe captain Peter Townsend (1914-1995)

 

Peter Townsend

Peter Townsend, le héros légendaire de la bataille d'Angleterre, avait choisi un village de l'Ile de France, Saint Léger en Yvelines, pour y vivre, entouré de ses chevaux, de ses chiens, de ses livres. Saint Léger l'avait aussitôt adopté, comme l'un de ses enfants. Il y coulait une retraite paisible, entouré de son épouse, Marie-Luce, avec laquelle il formait un couple délicieux. Peter se dévouait à des oeuvres caritatives, à l'enfance malheureuse, aux problèmes du tiers-monde.

Il avait aussi beaucoup d'amis, tous les habitants du village admiraient et aimaient cet homme doux et charmant, à l'exquise courtoisie, resté si simple après avoir connu la gloire et sur lequel l'âge semblait n'avoir pas de prise. Il était en réalité le héros le plus populaire de ce qui avait été la bataille d'Angleterre.

 

 

 

 

le chalet des Bruyères - carte postale datée de 1910

 

 

le chalet des Bruyères - carte postale datée de 1917

 

 

 

le parc du chalet des Bruyères 

 

Au début de la deuxième guerre mondiale, le 3 février 1940, il avait abattu le premier bombardier allemand qui ait été frappé dans le ciel d'Angleterre, un Heinkel 111.
Puis, apprenant l'existence d'un survivant, le mitrailleur Karl Missy, il lui rendit visite, le lendemain, à l'hôpital de Whitby, lui apportant une boite de 50 cigarettes Player's et un sac d'oranges. Le malheureux avait eu les jambes fracassées par les balles du Hurricane. Vingt-huit ans après, Peter devait à nouveau lui rendre visite, en Allemagne cette fois. Dix-neuf jours plus tard, le 22 février, Peter abattait son deuxième Heinkel 111 dans la mer du Nord.

 

les Prés du Jardinet

 

 

les Prés du Jardinet

 

 

 

 

le Jardinet (1919)

 

 

 

 

Des duels de naguère, Peter écrivait : "Sans ces rencontres dans le ciel, nous ne nous serions pas connus. L'amitié et l'estime mutuelles qui en sont nées sont tout de même un bénéfice pour l'humanité".
Comme de nombreux pilotes de chasse - et la tradition en remontait à la première guerre mondiale - Peter Townsend considérait en effet le combat aérien comme une lutte chevaleresque. On pouvait à juste titre appeler ces aviateurs les "chevaliers du ciel".
Le 11 juillet 1940, alors que commençait la bataille d'Angleterre, Peter Townsend, après un violent combat contre un bombardier Dornier 17, se faisait descendre au dessus de la mer après avoir criblé de balles son adversaire. Il était heureusement repéré et sauvé par un chalutier britannique.

Figure emblématique de la bataille d'Angleterre, au cours de laquelle il avait été crédité de douze victoires, à la tête de son célèbre squadron 85, puis nommé Ecuyer du Roi George VI, Peter Townsend avait été choisi pour conduire, dans le ciel de Londres, le défilé de la victoire en 1945. Peter faisait partie de "ceux, si peu nombreux, comme l'écrivait Churchill, à qui tant d'hommes durent autant".

 

Bagatelle

 

 

Bagatelle au début des années 1950

 

Par la suite, Peter avait choisi la France pour sa retraite, d'abord à Levis Saint Nom, puis à Saint Léger dans les Yvelines. Il était alors devenu un écrivain de grand talent. J'avais fait sa connaissance peu avant la parution de son maître-livre : "Un duel d'aigle", qui fut traduit dans de nombreuses langues. Nous avions longuement correspondu car, de mon côté, j'écrivais la biographie de mon frère, Charles Ingold, le pilote de chasse mort à vingt ans (1941) dans les rangs de l'aviation française libre dans le ciel d'Angleterre.
Les carnets de mon frère avaient beaucoup intéressé Peter et il avait choisi Charles Ingold pour être l'un de ses personnages dans "Duel d'aigles", en citant quelques extraits de ses carnets de pilote. Tout cela nous avait rapprochés, nous étions ainsi entrés en amitié et ces liens devaient durer près de vingt-cinq ans. Je retrouvais en Peter la figure du frère disparu. N'étant pas moi-même pilote, j'avais eu recours à lui lorsque des détails techniques relatifs aux combats aériens m'échappaient. J'avais questionné de même, lorsqu'il s'agissait des forces aériennes françaises libres, une figure de légende de l'aviation, le colonel Duperier.

 

le château de la Croix-Rouge - vers 1904

 

 

le château de la Croix-Rouge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quant à Peter, il me raconta plus d'une fois combien il avait été fier d'avoir sous ses ordres, dans son squadron, deux pilotes français de grande classe, François de Labouchere et François-Emile Fayolle, le petit-fils du maréchal. Tous deux devaient tomber au champ d'honneur, François de Labouchere à la tête de l'escadrille Versailles, le 5 septembre 1942, quinze jours après son ami Fayolle, à la tête d'une escadrille de la Royal Air Force, au dessus de Dieppe.

Peter se rappelait bien ces deux figures qui lui étaient chères et m'écrivait à leur sujet : "Ils étaient nos camarades, ils volaient aile à aile avec nous." François-Emile Fayolle avait écrit à Peter le 5 décembre 1940 : "Nous étions parmi vous absolument comme chez nous, l'escadrille était notre home ; maintenant plus que jamais nous sommes certains d'avoir la victoire". Peter ajoutait : "Il est mort pour sa patrie, pour la mienne aussi".

 

le pavillon des Grands Coins

 

 

pavillons des Petits Coins

 

 

 

 

 

Dans sa propriété de Saint Léger, "La Mare aux Oiseaux", Peter Townsend continuait son oeuvre d'écrivain. J'avais moi-même pris ma retraite dans ce village, quelques années auparavant. En 1994, Marie-Luce et Peter nous prièrent de venir dîner, Jacqueline et moi, à la Mare aux Oiseaux, un soir de Noël. Ce fut un émerveillement : dans l'ancienne ferme restaurée avec art ; la table était dressée dans l'orangerie qui donnait sur l'étang. Des flocons de neige tombaient doucement à la surface de l'eau. Des projecteurs installés dans les arbres des alentours éclairaient de leur lumière les canards qui glissaient sur l'étang, animant de leur présence la féerie de la scène.

Lors de cette soirée à la Mare aux oiseaux, nous avions évoqué le dernier ouvrage de Peter : "Nostalgia britannica" qui venait de paraître.

Peter y racontait l'histoire de l'Angleterre, bien souvent mêlée à celle de sa propre famille, donnant au royaume, à travers les siècles, des soldats, des marins, comme le célèbre amiral Nelson, des hommes d'église ou de loi, des explorateurs, des colons, et, nous venons de le voir, au 20e siècle, un héros de légende, véritable chevalier des temps modernes. Peter y peignait la tristesse que lui inspirait la fin d'un empire. Si Peter Townsend était, comme l'écrivait Michel Mohrt, un "gentleman héroïque", il était aussi un homme d'une simplicité inimaginable.

 

les 4 Cheminées

 

 

les 4 Cheminées

 

 

Larchet - habitation du Commandant de Saint-Maurice

 

 

 

 

 

Lors d'une cérémonie qui se tenait un 11 novembre sur la place du village, pour le salut aux drapeaux et l'envoi des couleurs sur les mâts dressés pour la circonstance, nous avions réuni des anciens combattants des forces alliées, un Américain habitant Saint Léger, un Russe domicilié dans les environs, et, pour la Grande Bretagne, bien sûr, Peter Townsend. Chacun était arrivé, décorations pendantes, comme c'était la règle.

Lorsque apparut Peter, nous nous étonnâmes de le voir sans aucune décoration. Peter nous répondit : "Je n'ai plus de décorations. Je les ai offertes, lors d'un gala de bienfaisance, au cours d'une vente aux enchères au profit des orphelins du tiers-monde".

Après une grave maladie, Peter nous a quittés, voilà presque dix ans. Ceux qui l'ont connu ne peuvent pas l'oublier. "Beau, courageux, romanesque", ainsi le définissait François Nourissier, au lendemain de sa mort.

Quelques jours avant son grand départ - je suis tenté d'écrire son "envol" - car Jean Guitton l'eut nommé "un ange" - Peter nous avait appelés au téléphone, Jacqueline et moi ; il se savait sérieusement atteint et nous avait alors annoncé : "Je vais partir dans quelques jours. Voudriez-vous nous faire l'amitié d'une ultime visite et venir à la Mare aux Oiseaux afin que je puisse vous dire un dernier adieu ?"

Aujourd'hui, Peter repose en paix dans ce village de l'Ile de France qui l'avait accueilli.

Sur sa tombe, une seule inscription :

Peter Wooldridge Townsend - 1914-1995
Royal Air Force - 85th Squadron

 

Gérard Ingold

 

   

  

le château du Planet, vu de la pièce d'eau

 

 

le chalet de Planet

 

 

 

 

le Planet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le château du Planet, photographié ici vers 1957

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

  

 

 

 

 Source : Bulletin Municipal de St Léger en Yvelines - octobre 2005 

 

 

 

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