La
seigneurie, l'un des cadres de l'ancienne société
rurale avec la paroisse et la communauté d'habitants, n'est
pas seulement une institution économique mais aussi une
organisation de pouvoir. Les documents de la seigneurie de
Saint-Lager conservés aux Archives départementales du
Rhône sont très riches. Ils renseignent sur la gestion
de la seigneurie et sur la justice (Série B : Justice de
Saint-Lager, 15 liasses, et Série E : Fonds Cuzieu, Seigneurie
de Saint-Lager, 48 liasses).
a
seigneurie et son terroir
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Le paysage et la
répartition du sol
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La paroisse de Saint-Lager (774
hectares), se situant à l'extrémité de la plaine
beaujolaise, est bien connue depuis le XVIIe siècle comme
fournissant l'un des meilleurs crus dans la région. A la fin
du XVIIle siècle, la directe du seigneur de Saint-Lager
s'exerce sur des terres dispersées dans 15 paroisses et 1
annexe. Sa haute justice couvre la paroisse de Saint-Lager et une
partie de Cercié, paroisse voisine.
Vers 1700, la surface
cultivée de la paroisse se répartit en 247 ha (36,5%)
pour les vignes, en 173 ha (25,6 %) pour les terres labourables, en
86 ha (12,7 %) pour les prés et en 172 ha (25,2 %) pour les
bois et broussailles. Dans la première moitié du XVIIle
siècle, la mutation culturale en vignes n'est pas encore
considérable par rapport à celle en terres labourables
: les superficies défrichées pour la période
1696-1747, totalisant 61 ha, se répartissent en 44 % pour les
premières et en 49 % pour les secondes. La demande de vigne
serait accélérée par la hausse du prix ainsi que
par l'accès au marché du vin parisien depuis les
années 1760.
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le
château de Saint-Lager
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Toujours vers 1700, la
répartition sociale du sol est la suivante : 0,9 % pour les
ecclésiastiques, 38,7 % pour les nobles, 31,3 % pour les
bourgeois et 29,1 % pour les habitants (entendons par
là les propriétaires exploitants). Les bourgeois
profitent bien de la productivité élevée des
vignes : la portion des vignes représente 46 % pour la
propriété bourgeoise, 30 % pour la
propriété nobiliaire et 33 % pour la
propriété paysanne ; en revanche, les broussailles
occupent 17 % de la propriété bourgeoise, 26 % de la
propriété nobiliaire et 33 % de la
propriété paysanne. Du point de vue de la formation de
l'unité agricole, les habitants sont souvent
misérables : on ne compte que 13 propriétaires sur 58
(soit 22,4 %) qui ont une exploitation fondée à la fois
sur les vignes, les terres, les prés et les bois. Les
privilégiés ont 21 propriétés sur 40
(soit 52,5 %) dans ce cas.
carte
postale écrite en 1907
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carte
postale écrite en 1936
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La gestion de la
seigneurie
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La seigneurie se compose des
tenures paysannes et du domaine propre. Le seigneur exerce la
directe sur le premier et apparaît comme un
propriétaire terrien sur le dernier. La justice seigneuriale
qui doit maintenir l'ordre féodal se situe au centre des
droits seigneuriaux.
Les droits seigneuriaux dans
leur ensemble sont de moins en moins importants au cours du XVIIe et
du XVIIIe siècles. Les corvées et la taille
seigneuriale, reconnus sur les anciens terriers, ne le sont plus
depuis celui de 1545. La taille seigneuriale tombe en
désuétude. Le droit de corvées se transforme
d'une obligation des tenanciers à celle des justiciables.
Vivement contesté à plusieurs reprises par les
habitants, le nombre de corvées que chaque habitant doit faire
chaque année se réduit de 12 à 6 en 1517,
ensuite de 6 à 3 en 1640. Le droit de guet et garde du XVIIIe
siècle ne demande aux justiciables que de curer les
fossés autour du château, pendant deux journées
chacun tous les huit ans. Le droit de boucherie qui donne le monopole
de la vente de la viande à un boucher est pratiquement
abandonné depuis les années 1760. Le bail du droit de
leyde, que tous les marchands aux foires et marchés doivent
payer, évolue de la façon suivante : 13 livres et 2
agneaux en 1628, 96 livres en 1692, 72 livres en 1755 et 60 livres en
1782. A noter que les marchés de Saint-Lager sont de moins en
moins prospères depuis la fin du XVIIe siècle devant la
concurrence des marchés des villes telles que Villefranche,
Belleville et Beaujeu. Le droit de péage sur la Saône
n'est plus perçu depuis le début du XVIIe
siècle. II y a tout de même les droits en vigueur
jusqu'à la fin du XVIIIe siècle : les droits de
mesures, de chasse et pêche et de banc. Ils ne rapportent pas
les intérêts matériels au seigneur, mais sont
importants pour garder son honneur et son prestige.
carte postale
oblitérée en 1909
La directe sous laquelle les
tenanciers jouissent de la propriété utile est un droit
de percevoir la rente noble qui se compose de cens et servis, lods et
ventes, et pension. Les tenanciers reconnaissent sur le terrier le
cens et servis en denrées telles que le froment, l'avoine, le
seigle et les poules, etc, fixées par la mesure de Saint-Lager
; mais on le paye estimé en argent sur la base de la
mercuriale du marché de Belleville à la fête de
Saint-Martin, le jour de perception de la redevance, en principe. En
1790, on compte au moins 286 tenanciers dans toute la seigneurie. Le
poids du cens et servis est fort varié selon les tenures : 3
sols, 9 sols, 11 sols. 16 sols, etc, par bicherée (1
bicherée = 0,15 ha). Il est vrai qu'un certain nombre de
tenures bénéficient d'une modération au cours du
XVIIe siècle. Un moulin appelé Moulin du Pas, par
exemple, dont le cens et servis s'accompagne du droit de mouture qui
oblige le tenancier à moudre sans aucun frais les bleds pour
la provision du château, connaît la réduction
suivante : 2 asnées de froment et 4 asnées de seigle en
1545, 2 asnées de froment et 3 asnées de seigle en
1600, et 1 asnée de froment et 2 asnées de seigle en
1696. Mais le poids du cens et servis reste presque inchangé
sur l'ensemble des tenures depuis la fin du siècle
malgré des rénovations du terrier ; pas d'aggravation
donc à la veille de la Révolution.
Le seigneur partage la
dîme avec le Chapitre de Saint-Paul de Lyon : 2/3 pour le
premier et 1/3 pour le dernier ; il s'agit de la dîme
inféodée. Le Chapitre, de son côté,
partage sa portion par moitié avec le curé de
Saint-Lager. Mais les dîmes sur le domaine seigneurial sont
toutes réservées au seigneur. Le
prélèvement se fait à proportion de 1/14 des
fruits décimables tels que le froment, la bondée, le
vin et le chanvre. L'important, c'est que la dîme
inféodée, en faisant partie des droits, est
pratiquement conçue comme le champart ; foi et hommage que
fait le seigneur au Chapitre de Saint-Paul se transforment
déjà en simple confirmation du partage de la
dîme.
carte postale
oblitérée en 1924
La principale partie du domaine
seigneurial s'étend sur la paroisse de Saint-Lager. Sa
composition en 1671 est comme suit :
1 - Une basse-cour, deux colombiers et les jardins de 0,6 ha
2 - Quatre unités d'exploitations que les documents appellent
domaine et cellier : le fonds muni de bâtiment
d'exploitation et d'habitation. Les superficies culturales se
répartissent en 6,9 ha de vignes et en 5,6 ha de terres
labourables.
3 - Cinq vignes totalisant 2,4 ha qui ne s'intègrent pas dans
l'unité d'exploitation
4 - De même quatorze terres totalisant 17,2 ha. Dans deux
paroisses voisines de Saint-Lager, on trouve 8,9 ha de terres.
5 - Deux prairies et cinq prés
6 - Les bois taillis se trouvent tant à Saint-Lager que dans
deux paroisses voisines
7 - Deux maisons, ne participant pas au domaine et cellier,
rapportent au seigneur le loyer.
En 1700, le seigneur
possède, sur l'étendue de la paroisse de Saint-Lager,
12,2 ha de vignes, 16,8 ha de terres, 24 ha de prés et 37,7 ha
de bois et broussailles : au total 90,7 ha, ce qui correspond
à 12 % de la surface de la paroisse. Si en 1764 les vignes
atteignent 23,5 ha, la plus grande partie de cette croissance est due
à la mutation culturale depuis dix ans ; les acquisitions des
vignes sont rares.
Le domaine et
cellier constitue l'exploitation principale du domaine
seigneurial. Le vigneron cultive à moitié fruit le
domaine, d'ordinaire, pour le bail de 6 ans. L'ensemble de fonds et
bâtiments qui compose le domaine constitue le capital foncier
placé par le seigneur-bailleur. S'y associe le capital
d'exploitation fourni soit par le seigneur (pressoir, gros et petit
bétail, basse-cour, semences, foin et paille), soit par le
vigneron (outils agricoles, semences, foin et paille, tonneaux). Les
semences aussi bien que les foins et paille sont partagées par
moitié entre le seigneur et le vigneron. Le bail à
cheptel, amodiation d'une partie du capital d'exploitation, se fait
le plus souvent pour 2 vaches dont les prix sont différents
selon les forces.
La basse-cour sert à la
nourriture du vigneron ; dans les années 1670, 6 poules et 1
coq sont fournis à chaque vigneron qui, de son
côté, paye annuellement 9 douzaines d'ufs et 14
poulets. D'autre part, le bail à culture exige que le vigneron
entretienne à ses frais le cellier, l'étable et la
maison, et qu'il renouvelle de vieilles vignes : il s'agit de la
conservation du capital foncier. Le vigneron n'échappe pas aux
charrois, impositions accessoires et arbitraires.
oblitération
de 1912 - pour un agrandissement, cliquez sur
l'image
Conformément au bail, le
vigneron doit fournir sa part de capital d'exploitation, mais non
sans difficultés. Il est fatalement dépendant du
prêt de son maître. Lorsqu'il s'agit d'un prêt en
nature, le vigneron peut compter sur un tiers-marchand qui fait
crédit au seigneur. Dans les années 1780, 71 %
d'endettement des vignerons pour semences, paille et tonneaux sont
remboursés au tiers par le seigneur. La plupart du temps les
dettes sont réglées au moyen de la récolte des
vins avant le partage dont la vente est confiée aux mains du
seigneur. En gros, l'endettement de l'automne au printemps et le
remboursement avant l'été sont constants. Mais le
seigneur n'hésite pas à renvoyer le vigneron qui a du
mal à rembourser ses dettes, et cela au cours du bail
même. Aux relations financières entre les deux parties,
s'associent les relations humaines étroites : parmi 44
vignerons du château qui figurent sur les rôles de taille
1718-1789, 31, soit 70,5 %, renouvellent le bail de 6 ans, si c'est
le cas, une, deux... cinq fois même. On trouve 3 cas où
la culture se succède de père en fils.
Pour la fiscalité
seigneuriale, l'ensemble des droits seigneuriaux est aussi important
que le domaine seigneurial. En 1673, les revenus estimés
à 6.094 livres se répartissent en 1.100 livres (18 %)
pour les droits seigneuriaux, en 1.534 livres (25 %) pour la
dîme inféodée et en 3.460 livres (57 %) pour le
domaine seigneurial. On trouve pareille répartition des
revenus dans les années 1780. La deuxième moitié
du XVIIe siècle est marquée par un malaise de gestion,
ce qui oblige le seigneur à vendre la seigneurie en
1695.
Or, du point de vue des charges
paysannes, l'ensemble des droits seigneuriaux ne pèse que
modestement sur les paysans. Dans les années 1750, le poids
des redevances ne dépasse pas 3 % du produit net, alors que
les impôts royaux (taille, vingtième, capitation et
accessoires) représente 30 %. Avec la croissance de
l'État depuis la fin du XVIe siècle, les impôts
royaux sont de plus en plus écrasants. Les montants de la
taille évoluent comme suit (déflatés par la
valeur intrinsèque d'or de la livre tournois) : 200 livres
(100) en 1583, 400 livres (186) en 1595, 500 livres (215) en 1613,
2.900 livres (929) en 1640 et 2.500 livres (771) en 1664. La
surcharge de tailles est décisive depuis les années
1640 ; les droits seigneuriaux sont réduits d'autant dans le
partage du surplus paysan entre les deux pouvoirs.
La formation des groupes
sociaux peut être examinée à partir du rôle
de taille. En 1755, on compte 18 habitants (dont la taille
moyenne se monte à 88 livres 10 sols), 6 propriétaires
forains (72 livres 17 sols), 2 grangers (68 livres 8 sols), 7
fermiers (36 livres 17 sols), 118 vignerons (36 livres 17 sols) et 9
locataires (2 livres).
En Beaujolais, le mot
habitant a une signification sociale au sens strict : celui
qui possède et exploite le fonds dans la paroisse. Il arrive
qu'on demande de manière plus rigide d'avoir une maison, de
posséder le fonds de valeur productive et d'avoir la
capacité pour la collecte des tailles, c'est-à-dire
savoir lire et écrire. En 1700, parmi 58 propriétaires
du fonds, on en compte 7 possédant plus de 8 ha, 5
possédant 6 à 8 ha, 3 possédant 4 à 6 ha,
10 possédant 2 à 4 ha et 33 possédant moins de 2
ha. Les petites propriétés sont toujours
précaires. Entre 1700 et 1755, le nombre des
propriétés viticoles de moins de 1 ha passe de 20
à 3.
le bourg de
Saint-Lager vu des pentes du mont Brouilly
Au plus haut de la
hiérarchie des habitants apparaissent des bourgeois ruraux ;
ils sont à la fois propriétaires, exploitants et
marchands. Voici l'exemple de Jean Ferra, meunier, marchand,
habitant de Saint-Lager. En 1700, Ferra ne possède que
0,5 ha de vigne et 2 ha de prés, et il est meunier. Un peu
plus tard, il achète successivement deux domaines. Les
acquisitions suivies, la propriété viticole des Ferra
atteint 5,2 ha en 1755. Il possède deux moulins ; l'un pour
ses propres affaires et l'autre pour donner à ferme. C'est
à la suite de la vente de la seigneurie en 1695 que Jean Ferra
plaide courageusement contre le nouveau seigneur, au bailliage, et
même au Parlement de Paris, au sujet des droits de mouture,
corvées et cens. Après sa mort en 1717, Jullien Ferra,
son fils, s'accorde bien avec le seigneur à travers
l'affermage de la grande dîme. Rien d'étonnant que les
Ferra entretiennent les alliances avec les notaires et marchands de
la région.
Face à la seigneurie se
manifeste la communauté d'habitants. Ce sont les
habitants qui participent à l'assemblée des
habitants pour délibérer sur les impôts royaux,
les réparations de l'église, les communaux, etc. Le
consul, élu parmi eux, se charge avant tout de la collecte des
impôts en compagnie de deux aides-consuls recrutés parmi
les vignerons.
carte postale
écrite en 1910
Les fermiers figurant sur le
rôle de taille de 1755 se composent de trois fermiers des
dîmes (pour le seigneur, le curé et le Chapitre de
Saint-Paul), un fermier de la rente noble, un fermier des vignes et
deux fermiers du four à chaux. Les trois derniers sont des
exploitants comme les vignerons et les grangers. Ceux-ci, s'occupant
principalement de la production céréalière,
cultivent aussi à moitié fruit les vignes. On a
déjà vu les rapports du vigneron avec son maître.
Les locataires sont aussi qualifiés de vigneron, veuve,
tonnelier et cordonnier. En se situant au plus bas des vignerons et
artisans, il ne leur reste que le travail journalier. Il y a 32
valets et 15 servantes employés par les habitants et
les vignerons. Non contribuables et souvent étrangers, les
domestiques agricoles restent en marge de la paroisse.
pour un
agrandissement, cliquez sur l'image
a
justice seigneuriale et la
criminalité
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L'organisation de
la justice
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Ce sont les officiers
seigneuriaux qui font fonctionner la justice ; il s'agit des rouages
du pouvoir seigneurial. A la fin du XVIIle siècle, on compte
un juge, un juge lieutenant, un procureur fiscal, quatre procureurs,
un greffier et un huissier. S'y ajoute le personnel subalterne : un
geôlier et un garde des chasses des pêches et des bois.
Le chirurgien assiste aux levées de cadavres. Les officiers
sont recrutés parmi les officiers royaux, mais le personnel
subalterne parmi les paysans. La réception des offices
commence par les lettres de provisions accordées par le
seigneur au candidat. A la suite de la requête du candidat, le
procureur fiscal et le juge procèdent à une
enquête. Mais l'information sur les vie, murs et religion
du candidat est assez sommaire ; au cours du XVIlIe siècle, 5
réceptions seulement sur 21 connaissent l'information. Et pour
cause, les officiers seigneuriaux sont tenus, avant d'entrer en
fonction, d'être reçus par les officiers des
juridictions royales, et ce conformément aux
législations royales. Tandis qu'au XVle siècle les
officiers se procuraient les gages, on cherche en vain au XVIIIe
siècle la mention des gages dans les lettres de provisions. La
mention de la finance non plus : les offices sont pourvus
gratuitement. L'office de greffier, quant à lui, s'accompagne
du bail à ferme du greffe jusqu'à la fin du XVIIe
siècle. Les officiers subalternes reçoivent les gages,
mais pas périodiquement. La durée de l'office est long,
parfois presque en viager : 11, 16,19, 35 et 38 ans même. Et
qui plus est, les offices de juge et de lieutenant se transmettent de
père en fils pour deux familles. On voit là la
stabilité du pouvoir seigneurial. Les juges sont à la
fois avocats en Parlement de Paris. Les lieutenants cumulent l'office
de procureur de la prévôté de Belleville et celui
de notaire royal du bailliage de Villefranche. Les procureurs fiscaux
sont en même temps notaire royal du bailliage. Les procureurs,
greffiers et huissiers se chargent de l'office parallèle de la
prévôté. Par ailleurs, les officiers seigneuriaux
cumulent les fonctions dans d'autres juridictions seigneuriales. En
1789, leurs activités s'étendent sur 7 juridictions (y
compris la prévôté de Belleville) qui comprennent
12 paroisses, soit en totalité, soit en partie : territoire
semi-circulaire d'un rayon de 7 km dont le centre est à
Belleville. Contrôlés par les juridictions royales, les
officiers seigneuriaux sont pratiquement intégrés dans
le réseau de la machine judiciaire du Roi.
Les frais de procédure
civile sont relativement élevés à la fin du
XVIIIe siècle. Pour trois époques différentes
(1704-1706, 1760-1761 et 1786-1789), les dépens moyens d'une
trentaine de procédures sont de (déflaté par le
prix du froment) : 4 livres 14 sols (100), 7 livres 10 sols (84) et
17 livres 6 sols (145). La procédure criminelle est assez
coûteuse : 35 livres 3 sols, 50 livres 18 sols, 81 livres 2
sols, etc. Les officiers partagent selon les fonctions les frais de
procès pour leur salaire. La part du juge est la plus grande ;
de plus, il touche l'épice qui se monte de 2 à 4
écus. Les frais de procédure criminelle sont lourds
pour le seigneur. Si les gagnants pas plus que les perdants ne sont
capables de verser les dépens, c'est le seigneur qui s'en
charge ; ce risque pécuniaire découragerait la justice
de réprimer les crimes.
Sous forme d'assises
seigneuriales, la justice seigneuriale rassemble les habitants
justiciables. C'est un moment où le seigneur s'impose le mieux
en tant que justicier. Les habitants y assistent avec les armes et
bâtons, et cela pour témoigner les devoir et
obéissance qu'ils doivent audit seigneur. La
démarche des assises est différente selon les cas.
D'ordinaire, elles se déplacent à plusieurs endroits le
long des limites de la juridiction. Parfois la lecture de
l'ordonnance de police est faite, parfois les procès en cours
sont jugés. C'est l'assemblée administrative et
judiciaire de la seigneurie. Au milieu du XVIIe siècle, elles
sont tenues au moins trois fois par an, mais au XVIIIe siècle
le nombre d'assemblées est réduit à deux. Ce ne
serait pas par hasard qu'on retrouve les procès-verbaux
d'assises conservés en particulier pour les années 1640
; on pense à une forme de la réaction
seigneuriale.
Les
activités de la justice
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De nombreux documents
conservés au civil nous disent combien les habitants dans la
campagne avaient besoin de la justice seigneuriale pour régler
les affaires gracieuses et contentieuses. Les activités pour
ces dernières se reflètent dans la fréquence
annuelle des audiences. Depuis les années 1650 jusqu'aux
années 1730, les audiences sont de moins en moins
fréquemment tenues (moyenne annuelle pour la période
1653-1658 = 18,5 ; 1730-1741 = 5,6). Mais depuis le milieu du XVIIIe
siècle, la fréquence annuelle rebondit (1747-1749 =
11,6 ; 1750-1759 = 14,2 ; 1760-1769 = 16), pour s'effondrer de
nouveau dans les années 1770 et 1780 (1770-1779 = 8,4 ;
1780-1790 = 6,4). Compte tenu de l'évolution
démographique, il est évident que les gens du XVIIIe
siècle sont moins procéduriers que ceux du
siècle précédent. Sur 254 affaires des
années 1760, on compte 273 demandeurs et 272
défendeurs. En occupant environ 60 % de l'ensemble pour chaque
partie, les marchands et artisans, et, ensuite, les habitants
et laboureurs sont les usagers les plus habituels de la justice. Les
vignerons, quant à eux, sont presque quatre fois plus
fréquemment défendeurs que demandeurs (33 % contre 9
%). La justice fonctionne en particulier au service de la petite
bourgeoisie.
A la suite de l'achat de la
seigneurie, le nouveau seigneur intente assez souvent des
procès civils pour les arrérages de cens et les faits
de la dîme : 45 fois entre 1697 et 1706. Mais ses successeurs
ne se serviront plus de la justice au civil en vue de la
défense d'un ordre seigneurial.
La police rurale informe
largement sur la vie quotidienne des justiciables : murs, ordre
public, hygiène, chemin, récoltes, police
économique, et enfin droits seigneuriaux. Les amendes sont
plus élevées en matière de murs, ordre
public, chasse et pêche. La justice n'est pourtant pas si
implacable à l'égard des contrevenants, surtout ceux de
la police des chemins. Par exemple, presque cinq ans sont
nécessaires pour qu'une ordonnance d'élagage soit
entièrement exécutée. On sait que la justice
seigneuriale se heurte, en matière de police de murs,
à la communauté d'habitants, car c'est aussi les
garçons de paroisse qui contrôlent la moralité
des villageois, en particulier celle des jeunes gens. D'autre part,
elle consulte, au moment des vendanges, l'assemblée
d'habitants qui donne conseil sur la maturité des raisins
avant la publication du ban de vendanges.
La justice criminelle est moins
efficace que la justice civile et que la police. Parmi 91
procédures conservées pour la période 1690-1789,
on n'en compte que 8 qui aboutissent à la sentence
définitive. Le reste s'arrête souvent à la
plainte ou à l'ouverture d'information. Après
l'information, la prise de corps est rarement
décrétée contre les accusés ;
l'ajournement personnel est plutôt courant pour les
interrogés. D'ordinaire, la durée de la
procédure criminelle, au cas où cette dernière
connaît la sentence, est assez longue comme 2 mois, 4 à
5 mois, 7 mois et 1 an. La procédure étant longue et
par là même coûteuse, les accusateurs aussi bien
que les accusés cherchent la voie de conciliation. La
méfiance envers la justice entraîne aussi les
accusateurs à une autre solution : le recours à la
justice privée. Un vigneron à qui on a volé sa
vache envoie les différentes personnes à la poursuite
du voleur et de sa vache ; on ramènera cette dernière
le troisième jour. L'édit de 1772 a pour objectif de
pousser les justices seigneuriales à réprimer les
crimes : si la justice seigneuriale intervient la première
dans l'affaire, celle-ci peut être renvoyée devant la
justice royale qui se chargera des dépens ; par contre, si la
justice royale est la première, les frais incomberont au
seigneur. Bien que les plaintes déposées à la
justice de Saint-Lager doublent dans les deux dernières
décennies de l'Ancien Régime, on cherche en vain les
procès renvoyés au bailliage de Beaujolais,
excepté deux en appel. La justice de Saint-Lager reste
indifférente à l'édit, semble-t-il.
Depuis les années 1690
jusqu'en 1789, on dispose de 91 procédures criminelles pour 86
affaires. Si le nombre de procès ne correspond pas à
celui des affaires, c'est qu'une même affaire peut donner lieu
à deux procès : l'accusé riposte contre
l'accusateur dans 5 affaires. La fréquence décennale
des affaires évolue comme suit : 16 pour 1690-1699, 13 pour
1700-1709. 12 pour 1710-1719, 6 pour 1720-1729, 9 pour 1730-1739, 6
pour 1740-1749, 7 pour 1750-1759, 3 pour 1760-1769, 7 pour 1770-1779,
7 pour 1780-1789. On s'aperçoit que les difficultés
sociales du XVlIe siècle se reflètent dans la
fréquence élevée du crime. La plupart des
affaires relève de la violence, à commencer par 47
coups et blessures, et par 3 assassinats qui occupent 58 % de
l'ensemble, alors que les vols sont au nombre de 15, soit 17 %.
Lorsque le crime est commis en complicité, l'auteur principal
est accusé soit avec sa femme, sa mère, ses enfants ou
ses valets ; 18 affaires de ce genre représentent 20,5 % de
l'ensemble. Disons que la solidarité familiale de
l'époque apparaît aussi dans le monde criminel. Parmi
156 accusés, on compte 50 vignerons et grangers, 2 fermiers,
16 valets et 3 vendangeurs : au total 46 % ; ils sont pour la plupart
illettrés. Parmi 98 accusateurs, les privilégiés
et les agents de l'autorité sont au nombre de 22, soit 22,5 %
de l'ensemble ; l'attentat contre l'autorité n'est pas
négligeable.
Les aspects de la violence
révèlent plus ou moins des rapports humains de la
communauté rurale, avec ses motivations : haine, jalousie,
rivalité, vengeance, non-payement, chapardage, etc. Là
où les rapports humains sont difficiles, les motivations sont
parfois complexes. Une famille de vigneron-habitant figure 6
fois en 12 ans sur les plaintes en tant qu'accusé et
accusateur : une famille mal aimée de la communauté.
Dans la campagne où tout le monde se connaît, le vol
s'accompagne difficilement de violence physique. Et pourtant, les
voleurs deviennent violents à l'égard des passants
étrangers sur le grand chemin : on n'est pas loin du
brigandage. Les cabarets et foires sont des lieux de
sociabilité, et des lieux de violence en même temps. Le
divertissement, l'enthousiasme et l'alcoolisme poussent aux disputes
et aux rixes. Les jeunes se défoulent par la violence
collective, au moment des fêtes en particulier. Une vingtaine
de garçons de paroisse armés de fusils, pistolets et
bâtons se rassemblent en battant la caisse visant une veuve, sa
fille et son gendre remarié ; la bande du charivari est
dirigée par les fils des plus riches de la paroisse dont
Jullien Ferra. Les vendangeurs, originaires de la montagne
beaujolaise et du Maconnais, se battent pour fixer le prix de leur
salaire, face au marchandage des vignerons. Le viol est souvent
caché pour les victimes. On ne retrouve qu'un seul cas
où la gravidation donne lieu à un procès
criminel : une servante accuse son maître.
On sait que sous l'Ancien
Régime la fête et la révolte paysanne sont
étroitement liées : les villageois saisissent
l'occasion du défoulement pour manifester la répugnance
pour les droits et l'autorité des seigneurs et même des
curés. Et dans la criminalité rurale, l'attentat contre
les privilégiés marque une révolte encore plus
primitive et isolée qu'au moment de la fête. On vole au
seigneur les perdreaux, les effets saisis et les bois. Un grand coup
de fourche ferrée est donné au cheval du seigneur. Jean
Ferra, qui s'est introduit dans le château pour reprendre son
cheval qui avait été saisi, est accusé de voie
de fait contre le seigneur. L'économe du château se fait
agresser soit par la troupe de chasse soit par les domestiques du
château. Le délit de chasse est aussi attentat contre
l'autorité seigneuriale. Aux yeux des paroissiens, le
curé est agent d'une Église qui méprise leurs
propres divertissements ; il est aussi lié aux autres
privilégiés. En passant devant la porte du
presbytère, 4 quidams, signalés par les aboiements du
chien du curé, jettent des pierres contre la palissade et
même contre le curé. Les bourgeois de Lyon sont souvent
créanciers. Il n'est pas étonnant qu'on les vole.
L'attentat contre les collecteurs de la taille se place au rang de la
révolte contre le pouvoir royal. Le consul ainsi que
l'huissier royal est menacé et injurié par plusieurs,
et même parfois par une vingtaine de vignerons.
Les sentences
définitives prononcent les peines pécuniaires telles
que l'amende, les dommages et intérêts, et la provision.
La peine pour injures et menaces consiste en réparation
d'honneur en présence des personnes au choix des accusateurs.
Le jugement est arbitraire et sévère contre l'attentat
anti-seigneurial, en infligeant l'amende élevée et
l'emprisonnement. Il arrive que l'assassin condamné à
mort ne soit pas exécuté. La justice privée, de
son côté, connaît parfois la notion de
bannissement qui se dissimule dans la mentalité
communautaire.
Saint-Lager - le
temps des vendanges - pour un agrandissement, cliquez sur
l'image
Peut-on conclure à une
évolution capitaliste de la seigneurie ? Lorsque les revenus
de type féodal et seigneurial représentent presque la
moitié de la fiscalité seigneuriale à travers
les XVIIe et XVIIIe siècles, la seigneurie de Saint-Lager
n'est certes pas trop modernisée. Avec la croissance de
l'Etat, le prélèvement des droits seigneuriaux recule.
Le seigneur ne se presse pourtant pas d'acquérir des fonds.
Parallèlement, la justice seigneuriale se laisse pratiquement
intégrer dans l'organisation judiciaire du Roi ; ce sont les
bourgeois qui se placent habilement dans les rouages royaux ainsi que
seigneuriaux en tant qu'officiers supérieurs. C'est surtout
à la suite de la vente de la seigneurie que les droits
seigneuriaux sont contestés. Mais les révoltes
paysannes, à Saint-Lager, restent toujours
isolées.
Mitchio Hamada,
Chargé de cours à l'Université de Tokyo
Thèse de 3e cycle, Université Lyon 2, 15 novembre
1984
la mairie,
l'église, la poste
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la grande rue et
les châteaux
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des coupures de
presse d'avant 1910
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des coupures de
presse depuis 1910
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des vues plus
récentes du village
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les photos de
Henri
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erci
de fermer l'agrandissement sinon.
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