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Le Travailleur rural : bulletin de la Fédération des syndicats de cultivateurs de la région de Moulins - mars 1911

 

 

Le Gaulois - 29 avril 1911

 

 

Le document qui suit est extrait de La Revue socialiste, syndicaliste et coopérative - janvier-juin 1913
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5834101r

 

Le éveloppement des idées sociales
et des œuvres de solidarité en eaujolais

 

Il fait un temps magnifique. Nous sommes tout heureux, M. Favier, directeur de l'entrepôt de Lyon de la "Coopérative de Gros" et moi, son modeste collaborateur, de quitter la grande cité lyonnaise, aux boulevards monotones, pour gagner la riante campagne du Beaujolais, tout enluminée de soleil par ce beau dimanche de février.

Nous descendons du train à Cercié, en plein cœur du Beaujolais, et, heureux de vagabonder un instant sous les tièdes rayons solaires, nous nous acheminons lentement vers Saint-Lager, localité située à deux kilomètres de là, où est établi le siège d'un intéressant mouvement de coopération et de syndicalisme paysans.

 

 

A son bureau, discutant avec deux coopérateurs, nous trouvons le camarade Ravier, l'actif militant qui cumule les fonctions de président du Syndicat des métayers vignerons de Saint-Lager, de président de la Fédération des Syndicats de métayers du Beaujolais, de gérant de la coopérative de consommation "La Fraternelle de Saint-Lager" et d'administrateur d'une coopérative de distillation des marcs. Celui-ci, beau gaillard de quarante ans environ, à la physionomie ouverte et loyale, nous accueille de la façon la plus cordiale, et de suite nous sommes conquis par sa bonhomie franche et sincère. Cette sympathie spontanée et sans réserve, qui est particulière aux militants de la campagne, nous rappelle celle que témoignent en toutes circonstances Bernard, Guillaumin, Rougeron, Chambon, ces autres propagandistes paysans du Bourbonnais - lesquels reçoivent toujours leurs visiteurs avec un amical sourire aux lèvres et la main largement ouverte pour presser cordialement celle qu'on leur tend.

Pendant que Mme Ravier s'occupe de préparer le déjeuner auquel nous devons prendre part, nous questionnons notre hôte sur la situation et les phases diverses du mouvement syndical, coopératif, mutualiste et socialiste de la région. Il nous renseigne volontiers.

Ravier est fils d'un modeste propriétaire d'une commune toute proche. Il possède lui aussi un petit endroit sur cette même commune. Mais comme ce lopin est trop étroit et ne pourrait suffire pour occuper un travailleur aussi actif, aussi vaillant à la besogne rude des champs que notre ami, celui-ci le loua à l'un de ses voisins. Il prit alors une métairie plus grande à Saint-Lager, où il put élever plus facilement ses quatre enfants : trois beaux lurons de cinq à dix ans, et une gentille fillette d'une douzaine d'années.

 

 

Gagné aux idées syndicalistes, socialistes et coopératives, il s'occupa, dès son arrivée à Saint-Lager, de grouper ses camarades métayers en syndicats et en coopératives.

"Notre mouvement, nous dit-il, débuta en juillet 1909. Les premiers syndicats furent créés à cette époque, et, au printemps suivant, nous en comptions 13. En voici la liste : Cercié et Saint-Lager, Villié et Morgon, Lancié et Corcelles, Régnie et Durette, Belleville et Saint-Jean-d'Ardières, Saint-Etienne-les-Ouillères et Arbuissonnas, Saint-Etienne-la-Varenne et Odenas, Denicé et Lacenas, Blacé, Saint-Georges-de-Reneins, Pommiers-sur-Anse, Charnay-sur-Anse, Charentay.

Comme vous le voyez, la plupart de ces syndicats rayonnent sur deux communes limitrophes. Plusieurs même ont des adhérents dans trois ou quatre localités.

Tous donnèrent leur adhésion à la Fédération que nous constituâmes le 6 avril 1910, au congrès de Saint-Lager, pour coordonner les efforts de propagande des diverses organisations, disséminées çà et là à travers le Beaujolais. Je participai à la formation de tous ces groupements, car les camarades, non encore habitués à ce genre d'exercice, avaient besoin de renseignements et d'encouragements. Quoique jeune dans le mouvement syndical, j'avais une idée assez nette, une compréhension assez précise des choses, pour mettre celles-ci au point et pour me rendre utile à la cause que j'avais embrassée. Je fus admirablement secondé, dans cette besogne énorme, par le camarade Longepierre, auquel fut confié le secrétariat de la Fédération.

Le nombre total des paysans syndiqués a dépassé 900 au début. Il est descendu, ces temps derniers, à 600 environ. Cette diminution de nos effectifs provient du refroidissement de l'enthousiasme qui marqua la naissance de notre mouvement syndical. Beaucoup de camarades croyaient qu'il suffisait d'adhérer à un syndicat pour qu'aussitôt l'on nous accordât les améliorations réclamées. Ce n'est pas dans un jour, hélas ! que l'on obtient gain de cause, mais seulement après de longues années de lutte opiniâtre et persévérante. Ce sont les non-convaincus et les impulsifs qui nous ont lâchés ; les autres, ceux sur lesquels nous pouvons compter et qui répondront toujours "présents" à l'appel, sont restés fidèlement attachés à nos organisations.

 

 

- Quelles sont les revendications que vous avez formulées dans vos syndicats ?

- Les voici, dans l'ordre où elles ont été classées par notre fédération :
1° Suppression de l'impôt colonique, appelé chez nous "l'impôt de basse-cour"
2° Suppression des corvées et redevances
3° Paiement, par les propriétaires, du foin et de la paille, lorsque ces produits ne sont pas récoltés en quantité suffisante dans la métairie
4° Paiement, par les propriétaires, des frais de plantation des vignes
5° Marc du raisin entièrement abandonné au vigneron.

L'impôt colonique, payé par le métayer à son propriétaire, varie chez nous de 10 à 30 francs par hectare, selon la qualité du vignoble ; il représente pour le propriétaire le loyer de l'habitation et du jardin dont dispose le métayer. Les corvées consistent en charrois, en prestations, en travaux divers, au bénéfice du maître, et les redevances en un certain compte de poulets, d'œufs, de kilos de beurre, etc, que retient le patron sur la part du métayer. Ces deux revendications-là sont d'ailleurs formulées aussi par les métayers syndiqués du Bourbonnais.

- Votre action syndicale a-t-elle donné quelques résultats appréciables ?

- Il est difficile de se prononcer d'une manière générale à cet égard, nous répond Ravier avec un sourire de satisfaction ; mais, dans une large mesure, les vignerons de la région ont vu supprimer leurs corvées et redevances. Quelques-uns ont déjà obtenu la disparition du partage des marcs de raisin - condition imposée par les propriétaires à leurs métayers depuis une trentaine d'années seulement. D'autres revendications de second ordre ont été également obtenues. Ah ! si tous, tous sans exception, tous les métayers du Beaujolais étaient venus à nous, notre victoire eût été bien plus belle encore. Mais, enfin, il faut savoir se contenter de peu.

Nous n'avons pas fait des miracles, certes, mais nous avons montré tout au moins à nos patrons qu'avec de l'union les travailleurs seraient capables de se faire respecter et d'obtenir une vie meilleure. Ils savent maintenant qu'ils ont en face d'eux des hommes conscients et résolus, avec lesquels ils doivent compter.

Enfin, nous avons fait notre devoir, tout notre devoir. Tant pis pour ceux qui n'ont pas voulu entendre notre appel ; ils en seront punis les premiers. Seulement nous ne désarmerons pas et nous nous préparons sans cesse pour la lutte, dans l'espoir que viendront des jours plus favorables aux mouvements collectifs.

Je ne désespère pas de voir se réaliser, avant ma mort, l'émancipation complète de ma classe, c'est-à-dire la reprise de la terre par les paysans qui la fécondent.

Vers 1911, nous décidâmes d'adjoindre l'action coopérative à notre action syndicale. Nous créâmes alors la société de consommation "La Fraternelle de Saint-Lager".

 

 

Nous avions choisi un gérant parmi nos amis les plus actifs ; mais au dernier moment, quelque temps seulement avant la date fixée pour l'ouverture de notre magasin, il nous annonça sa résolution de renoncer à l'emploi que nous voulions lui confier.

Je venais justement d'être congédié, quelques jours auparavant, par le propriétaire de la ferme où j'habitais. Celui-ci, gros négociant des environs, avait toléré, bien à contre-cœur certes, que je m'occupasse de syndicalisme. Il ne put me pardonner de vouloir faire échec au commerce local, en me plaçant parmi les fondateurs de la coopérative de consommation.

Les camarades insistèrent donc aussitôt auprès de moi pour me faire prendre la gérance de la société en formation.

Or, comme il me devenait impossible de me replacer dans un autre vignoble de la commune, et me voyant obligé de quitter la localité, de m'éloigner de la coopérative à l'organisation de laquelle j'avais consacré tous mes efforts, j'acceptai leur offre bienveillante. Cet emploi me permet de gagner ma vie modestement, tout en travaillant activement à la réalisation de mon idéal. Bien que n'étant pas préalablement au courant du commerce, ma femme ni moi, nous fûmes cependant très vite à la hauteur de notre tâche. Avec de la volonté et du courage, on apprend assez facilement, même à notre âge, un nouveau métier. Actuellement, je fais les livraisons à domicile dans la campagne, avec cheval et voiture. Cela me procure l'occasion de porter, en même temps que les marchandises, les idées syndicales et coopératives jusqu'aux hameaux les plus reculés de la plaine.

Notre petite société, qui a débuté en novembre 1911, avec cinquante sociétaires, a donné déjà de bons résultats. Pour l'exercice fin 1912, nous avons distribué à nos membres 4 francs de trop-perçus pour 100 francs d'achats, sans préjudice des versements aux caisses du fonds de réserve, de développement et d'amortissement, prévus par les statuts. Nous sommes en ce moment 150 adhérents environ. Nous vendons au public, et ceci nous permet de recueillir beaucoup de nouveaux sociétaires, que nous gagnons peu à peu à notre cause.

En somme, l'avenir semble plutôt nous sourire, maintenant que nous avons écarté en partie de notre chemin les grosses difficultés du début.

Plusieurs autres coopératives semblables à la nôtre se sont créées, ou sont en voie de création, dans la région beaujolaise, à Pommiers-sur-Anse et au Bois-d'Oingt, notamment.

Mais notre action coopératiste ne se borne pas seulement aux sociétés de consommation ; nous avons créé également des coopératives de production pour la distillation des marcs, en attendant que nous puissions fonder aussi une coopérative vinicole, pour la préparation et la vente de nos vins si renommés dans toute la France.

Ces coopératives sont au nombre de dix actuellement, et ont leur siège à Villié, Le Bois-d'Oingt, Lancié, Corcelles, Belleville, Saint-Jean-d'Ardières, Saint-Lager, Charentay, Saint-Etienne-les-Ouillères et Lacenas. Toutes ces sociétés, à part celle de Bois-d'Oingt, sont rattachées entre elles et ont un conseil d'administration commun. Avec cette méthode d'organisation, nous avons beaucoup plus de bénéfices car les frais généraux ainsi que les formalités de régie ne sont pas multipliés par neuf, comme cela se produirait si les sociétés étaient autonomes, et sont supportés par la collectivité.

Autrefois, beaucoup de vignerons ne se donnaient pas la peine de faire brûler leur marc. Ils le vendaient simplement, pour un prix dérisoire, au bouilleur de cru. Lorsque quelques-uns d'entre nous se décidaient à le faire cuire eux-mêmes, les bouilleurs leur prenaient de 30 à 35 francs l'hecto en s'appropriant le tartre. Aujourd'hui, le tartre paye les frais de distillation. Quelques rares fois, les frais supplémentaires de distillation, causés par un moins bon rendement, peuvent monter jusqu'à 2 et 3 francs par hecto d'eau-de-vie.

 

 

Pour vous montrer l'exactitude de ma thèse, je tiens à vous fournir quelques chiffres à l'appui :

Prenons pour exemple un vigneron qui ait récolté 50 pièces de vin à sa part - la pièce équivaut à 2 hectos environ. Il vend son marc de raisin directement au bouilleur :
50 pièces X 0 fr 75 (valeur moyenne du marc d'une pièce) = 37 fr 50.

L'année suivante, au contraire, il se décide à le faire brûler par un bouilleur ambulant.
Pour ces 50 pièces, il faudra dix opérations d'un alambic, soit 5 pièces par opération. Chaque opération peut produire 15 litres environ d'eau-de-vie :

10 opérations X 15 litres = 150 litres d'eau-de-vie
Ce liquide vaut, en moyenne 0 fr 80 le litre : 150 litres X 0 fr 80 = 120 fr.

Voilà pour les recettes ; maintenant, voici pour les dépenses :
10 opérations à 4 fr 50 l'une (prix fixé par les bouilleurs) = 45 fr

Récapitulons : 120 francs de recettes - 45 francs de dépenses = 75 francs.
Donc, en distillant lui-même son marc, le vigneron obtenait un bénéfice net de 75 francs pour 50 pièces de résidu de grappe. Or, bien que le tartre restât au bouilleur, il y avait encore un avantage de 37 fr 50 à opérer de la sorte. Mais les camarades hésitaient devant les frais d'envasage, c'est-à-dire d'achat de futailles, et les difficultés d'écouler leur eau-de-vie.

Depuis que nous avons organisé nos coopératives de distillation, nous louons des alambics à raison de 45 francs par mois, et nous opérons nous-mêmes. Comme je vous le disais tout à l'heure, le tartre - qui reste en notre possession maintenant - couvre la plupart du temps les frais de location de l'appareil, de chauffage et de manutention.

 

 

Voici, d'ailleurs, le bilan du groupe de distillation de Saint-Lager, dont le rendement en alcool fut moindre que celui des autres groupes. Ces chiffres officiels confirmeront mes dires.

Il y eut 115 opérations de faites (deux par jour et par appareil) :

DÉPENSES
Rétribution du gérant pendant 57 journées à raison de 4 fr 50 par jour : 258 fr 75
Charbon 5.660 kg à 3 fr 50 les 100 kg environ : 197 fr
Location de l'alambic, 45 francs par mois : 92 fr 85
Frais divers, éclairage, registres, régie, etc : 16 fr 05
Total : 564 fr 65

RECETTES
Tartre produit: 474 kg à 90 fr les 100 kg : 426 fr
Manne de tartre : 30 fr
Reste du charbon à distribuer (2.570 kg à 3 fr 50 les 100 kg) : 90 fr
Total : 546 fr

Les dépenses sont donc supérieures aux recettes de : 564 fr 65 - 546 fr = 18 fr 65.

Or, comme il y eut 115 opérations de faites, nous obtenons le résultat de 18 fr 65 : 115 = 0 fr 17 en chiffres ronds, somme qui représente le coût de chaque opération.

Les distillateurs nous prenaient autrefois 4 fr 50 par opération. Ce même travail nous revient seulement à l'heure actuelle, en période de mauvais rendement, à 0 fr 17, d'où un bénéfice net de : 4 fr 50 - 0 fr 17 = 4 fr 33 par opération, c'est-à-dire par 15 litres d'eau-de-vie obtenus, ce qui nous donne 28 fr 85 de bénéfice par hecto.

Ces chiffres suffisent, il me semble, pour démontrer la valeur et les résultats merveilleux de l'organisation coopérative entre producteurs. Je pourrais vous en fournir d'autres, mais je crois que c'est inutile, car ceux que je vous ai donnés ci-dessus pourront certainement convaincre les plus pessimistes.

 

 

De plus, le fait d'être organisés nous permet de faire à peu de frais la réclame nécessaire pour assurer la vente facile de nos eaux-de-vie.

Aux prochaines vendanges, nous achèterons deux alambics pour l'ensemble de nos groupements. De ce fait, les frais de distillation seront non seulement réduits à zéro, mais encore le vigneron trouvera un bénéfice d'au moins 10 francs par hecto.

Aussi, les avantages de l'association de production étant indéniables et sautant aux yeux même des plus aveugles de nos paysans, notre nombre d'adhérents augmente-t-il chaque jour. D'ici quelques années, je suis persuadé que la totalité des métayers-vignerons sera avec nous, au sein de la coopérative de distillation. Cela nous permettra de les amener insensiblement à donner leur adhésion à la coopérative de consommation "La Fraternelle" - qui créera des succursales dans les communes environnantes - et au syndicat professionnel.

Alors, nous ne serons pas loin d'être les maîtres de la situation, et nos propriétaires devront accepter, de force ou de bon gré - comme il leur conviendra - nos légitimes revendications.

- Ne croyez-vous pas qu'il soit nécessaire que vous constituiez dans votre région une caisse locale de crédit agricole mutuel ? Pour créer vos œuvres et pour les développer, il vous faut de l'argent ; or il ne doit pas vous être toujours très facile de vous procurer ce précieux auxiliaire parmi vos adhérents, qui ne sont en général que de pauvres métayers assez gênés ? Cette caisse de crédit serait la vache à lait de vos groupements, comme cela se pratique dans le Bourbonnais, par exemple.

- Certes, nous avons bien pensé à cela, nous répond Ravier. Nous sommes d'ailleurs en pourparlers à ce sujet avec l'honorable M. Rivière, président de la caisse régionale de crédit agricole, lequel est également président de la coopérative de distillation du Bois-d'Oingt.

Mais, voyez-vous, pour faire vivre toutes ces organisations, il faut des hommes dévoués, instruits, persévérants qui s'y adonnent entièrement.

Et vous savez bien que c'est partout la même chose, plus encore à la campagne qu'à la ville : les hommes d'action font défaut ! Songez que pour administrer toutes les sociétés actuelles de notre rayon, nous ne sommes que trois ou quatre ; les autres camarades suivent, sont sympathiques, mais ne s'occupent de rien. C'est là que réside entièrement la difficulté.

 

 

- A part vos coopératives, les œuvres de mutualité propre se développent-elles dans votre région ?

- Oui, nous dit notre aimable interlocuteur. Ainsi, à Saint-Lager, nous avons une société de ce genre. Lorsque l'un des nôtres est malade, nous allons tous ensemble, les adhérents, lui faire son travail arriéré. Ce mode de paiement en nature est préférable pour l'associé aux allocations en espèces ; car, en certaines périodes de grands travaux, la main-d'œuvre faisant parfois défaut, il lui serait très difficile de se procurer des ouvriers. Sa besogne resterait donc à faire.

- Quels sont les sentiments des paysans beaujolais à l'égard des idées socialistes ? demandons-nous encore à notre hôte sympathique.

- Quant aux idées socialistes en Beaujolais, nous répond-il avec franchise, je vous dirai que jusqu'à ce jour elles n'ont pas été bien accueilles par la masse paysanne. Pour ma part, j'ai fait de la propagande syndicale et coopératiste, mais non politique, bien qu'étant très attaché au parti socialiste unifié. De cette façon, j'ai fait pénétrer peu à peu les idées sociales dans mon milieu.

Lorsque les camarades voient que les militants syndicalistes et coopérateurs sont en même temps des socialistes, et que les œuvres syndicales et coopératives ne sont en fait que des essais pratiques de socialisme, ils se rallient aussitôt aux idées socialistes.

Le Beaujolais est républicain mais jusqu'à ce jour ce sont les radicaux-socialistes qui ont obtenu la grosse majorité des voix électorales. Nous aurions été brûlés d'avance si nous avions fait plus tôt de la propagande purement socialiste. Aux dernières élections législatives, le candidat socialiste n'a pu recueillir que le 1/7e des suffrages exprimés. Connaissant parfaitement les sentiments de mes camarades, je restai muet en tant que militant des idées politiques. Mais actuellement les fautes du régime radical ne passent pas inaperçues ; les esprits avancés et avisés se lassent des mensonges des politiciens bourgeois. Aussi je vous assure qu'à Saint-Lager, où le candidat socialiste n'a obtenu que quelques voix en 1910, on verra grossir considérablement le nombre de ses partisans en 1914, surtout si la loi de trois ans est votée - car ici on a en horreur l'augmentation de la durée du service militaire.

Je suis persuadé que j'ai fait plus de bien au Parti en ne parlant pas de lui mais en tapant sur les gouvernants chaque fois que les circonstances s'y prêtaient, qu'en agissant de tout autre façon."

Nous avons bavardé longuement, et Mme Ravier se plaint de ce que nous avons laissé refroidir le déjeuner qui nous attend depuis longtemps. Quoique M. Favier et moi soyons deux buveurs d'eau intransigeants, Ravier nous oblige malgré tout à goûter au jus excellent de la vigne beaujolaise.

 

 

Après le repas, notre hôte nous imite à gravir le coteau tout proche de Brouilly, qui fournit les vins les plus renommés du Beaujolais. Ce coteau, ce mont plutôt, se dresse majestueusement avec ses 700 mètres d'altitude, comme un grand protecteur, au-dessus de Saint-Lager et de toute la plaine qui borde la Saône.

A la cime, une chapelle est élevée en l'honneur de Sainte-Marie, mère des Vierges, protectrice du Beaujolais.

"Autrefois, nous dit Ravier, quand j'étais tout jeune encore, 40 000 pèlerins venaient ici chaque année rendre hommage à Marie, le jour de sa fête. Maintenant, c'est tout à peine s'il en vient 400. La foi catholique s'éteint de plus en plus chez nous !"

De là-haut, un magnifique panorama s'offre à notre vue. Au nord et à l'ouest, la chaîne des Cévennes lance les pointes hardies de ses monts dans le ciel d'un bleu très pur. A l'est, la Saône déroule, à travers les cultures verdoyantes déjà, son beau ruban argenté. Devant nous, au sud, la plaine, la vaste et superbe plaine beaujolaise, avec ses innombrables hameaux et ses maisons blanches disséminés parmi les champs de vigne à couleur grisâtre encore, et les enclos de froment et de prairie au tapis d'un vert très tendre. Le soleil couchant qui rayonne dans un ciel serein semble tout heureux d'inonder de ses effluves printaniers cet émotionnant tableau qu'on ne se lasse point d'admirer.

 


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Toujours en bavardant sur la question sociale, nous redescendons le coteau et nous nous dirigeons vers la gare de Cercié, en repassant par Saint-Lager. Au centre du bourg, nous croisons un cortège d'ivrognes, au milieu duquel un garçon brandit une sorte de drapeau tricolore. Ils sont là une quinzaine de jeunes gens, d'hommes d'âge mur et de vieillards. Précédant le groupe, un piston et un clairon lancent des notes sonores et dissonantes. Deux hommes parmi les plus vieux, ceints d'une écharpe tricolore, portent chacun une énorme hache de sapeurs sur l'épaule. Ces gens titubent, gesticulent, se bousculent, embarrassent la chaussée et crient : "Vive l'armée !"

"Ce sont les conscrits de 20, 40 et 60 ans, nous dit Ravier. Chaque année, ils se réunissent ainsi, les plus patriotes, pour faire la bombe ensemble. Ils vont donner un bal ce soir et l'orgie durera une partie de la nuit."

En moi-même je pense : "Ils sont superbes, les patriotes de ce pays ! Quel contraste frappant que celui de ces pauvres brutes avinées avec ce militant énergique, cet éducateur inlassable, ce pionnier audacieux qu'est Ravier !"

Puis nous reprenons notre conversation un instant interrompue :

"Oui ! oui ! pour réaliser tous nos rêves, pour que nous puissions renverser l'état de choses vétuste du passé et organiser nos œuvres de l'avenir, pour que nous puissions mettre en pratique nos belles théories d'émancipation et de fraternité, il nous faut des hommes, beaucoup d'hommes. Appliquons-nous donc à en faire le plus possible, de ces hommes, de ces militants conscients, dévoués, résolus, audacieux" nous dit encore ce brave Ravier en nous quittant à la gare.

A. Dumont

 

 

Gazette agricole - 13 janvier 1918


 

 

Conseil général de Saône-et-Loire

 

 

 

La Revue de Bourgogne - 1924

 

 

 

La Revue belge - 1er janvier 1925


 

 

L'Écho de Bougie : journal politique, littéraire, commercial & agricole
4 septembre 1932

 

 

Revue des fraudes et des produits purs et d'origine - mars 1939



 

 

La Croix - 28 juin 1941

 

 

Bulletin de la radio-télévision scolaire - 23 novembre 1964

 

 

 

le château de Briante en 1906

 

Le Mouvement social : bulletin trimestriel de l'Institut français d'histoire sociale - avril 1969

 

 

http://domainedebriante.fr

 

 

 

 

France-aviation - novembre 1984

 

 

 

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