Noëlla Rouget, la déportée qui a fait gracier son bourreau

 

"Quand je vous parle des souffrances que nous avons vécues à Ravensbrück, je parle pour prêcher la vigilance auprès des jeunes générations car si Auschwitz a été possible, Auschwitz est possible tant que règnent dans le monde le racisme et la haine."

 

vidéo de juin 2018 ici

 

Jeanne Héon-Canonne (née en 1906 et arrêtée en 1944 ) et Noëlla Rouget (née en 1919 et arrêtée en 1943) se sont-elles rencontrées dans la Résistance à Angers ?
L'histoire ne le dit pas, mais il est possible que oui. Toutes deux en tout cas ont connu les geôles du Pré-Pigeon.

 


 

Témoignage : "J'ai fait gracier mon bourreau" - Journal de France 2 du 15 septembre 2019 :

 

voir le reportage ici  

 


 

 "Je suis une des dernières survivantes de l'enfer"

 

Noella Rouget, résistante, déportée et passeuse de mémoire honorée par l'une des plus haute récompense de la République française, l'insigne de Grand Croix. Une distinction des mains du Grand Chancelier, représentant le Président Emmanuel Macron.

En 1940, Noëlla Rouget est institutrice. Au moment où la France est envahie, elle décide d'entamer la Résistance, en devenant agent de liaison. Mais en 1943, elle est arrêtée avec son fiancé. Ce dernier est fusillé. Elle est déportée au camp de Ravensbrück. Elle échappe par deux fois aux chambres à gaz. La Libération intervient en 1945.

Au sortir de tout cela, elle raconte peu. Mais dans les années 1980, avec les premiers propos négationnistes, elle commence à témoigner. Depuis, elle ne s'est pas arrêtée, passant dans les classes et assemblées. C'est ce qui l'honore notamment avec cette distinction. De même que cet acte, datant de 1966. Elle demande alors la grâce de son bourreau au général De Gaulle, car le dignitaire nazi était condamné à mort.

La grâce fut accordée par le Général. Celui-là même qui avait créé l'Ordre national du mérite.

une vidéo de Léman Bleu du 7 février 2020 ici

 

 


 

Décoration prestigieuse pour une Genevoise d'adoption

 

Daté du même jour, voici l'article de La Liberté :

Genevoise d'adoption, la Française Noëlla Rouget, résistante et déportée, est distinguée par son pays. Elle a reçu vendredi les insignes de Grand-Croix de l'Ordre national du mérite, une des plus hautes distinctions de l'Etat français.

"Noëlla Rouget a eu un comportement héroïque et exemplaire tout au long de sa vie", a déclaré le général Benoît Puga. Grand Chancelier de la Légion d'honneur, il est venu à Genève remettre cette décoration à la centenaire afin de lui épargner un déplacement à Paris. Compte tenu de son importance, cette médaille est habituellement remise par le président de la République française.

 

 

"Vous avez su, au moment de la victoire, ne pas succomber à la haine, à la rancune, à l'esprit de vengeance", a-t-il poursuivi en s'adressant à Mme Rouget. Et de lire la demande de grâce qu'elle avait adressée au président, le général de Gaulle, le 14 janvier 1966, permettant à l'auxiliaire de la Gestapo qui l'avait arrêtée et torturée d'échapper à la peine de mort.

"Il me semble devoir, si je veux être logique avec moi-même, vous présenter cette requête", écrivait-elle, avec pour seuls arguments sa croyance en Dieu, en son pays qui allait abolir la peine de mort, en de Gaulle qu'elle avait suivi dans les rangs de la résistance et son affection pour la nièce du général, rencontrée à Ravensbrück. "Ce pardon est magnifique", a souligné le général Puga.

 

La personne à gauche est Pascal Couchepin, ancien président de la Confédération Helvétique.

 

Promesse de témoigner

Née Peaudeau le 25 décembre 1919, Noëlla s'engage dès 1940 dans la résistance à Angers (France), où elle enseigne le français. Arrêtée en juin 1943, tout comme comme son fiancé, elle sera déportée à Ravensbrück (Allemagne) le 31 janvier 1944, tandis que son compagnon sera torturé puis exécuté en France.

Elle sera libérée en avril 1945. "Comment aurais-je pu imaginer, alors que je pesais 32 kg et que je souffrais de tuberculose, que je serait encore en vie 75 ans plus tard ?" a-t-elle déclaré vendredi lors de la cérémonie à la résidence du consul de France. Peu après, en convalescence à Château-d'Oex (Canton de Vaud), elle rencontrera son futur mari, le Genevois André Rouget, lors d'un bal.

Noëlla Rouget a dédié "cette noble distinction" à toutes ses camarades de Ravensbrück: "Je suis une des dernières survivantes de l'enfer, j'ai pu tenir cette promesse faite à nos mortes de témoigner autant qu'il m'a été possible de le faire." Durant de nombreuses années, elle a parlé devant des classes et accompagné des élèves visiter les camps de concentration.

 

Noëlla Rouget à Château-d’Oex, en Suisse, en novembre 1945

 

Autres médailles

Elevée à la dignité de Grand-Croix de l'Ordre national du mérite, Mme Rouget rejoint les 142 récipiendaires de cette décoration qui récompense les mérites distingués, militaires ou civils, rendus à la France. La cérémonie a eu lieu en présence de ses deux fils, de proches et de personnalités, dont l'ex-conseiller fédéral Pascal Couchepin, l'ambassadeur de France et le consul honoraire d'Allemagne.

Seules deux Grand-Croix de l'Ordre national du mérite sont remises chaque année. Mme Rouget, qui est déjà Grand Officier, a aussi reçu la Croix de Guerre et la Médaille du combattant volontaire en 1945. En 1961, elle a été nommée Chevalier de la Légion d'honneur et, en 1996, promue Commandeur. Son amie Geneviève de Gaulle-Anthonioz lui avait remis ces insignes à Genève.

 


 

La déportée angevine qui demanda au général De Gaulle de gracier son bourreau

 

Il s'agit d'un article du Courrier de l'Ouest en date du 9 novembre 2020, et signé Jean-Yves Lignel :

 

 

Nous sommes le 18 octobre 1965, à Paris. Le collaborateur Jacques Vasseur entre, avec son escorte, dans son box de la Cour de sûreté de l'État. Un courant d'air glacé pétrifie la salle.

Le procès qui s'ouvre est exceptionnel : deux cents témoins et quinze jours de débat sont annoncés. Dans la foule qui se presse, personne ne doute : la peine de mort guette l'ancien chef des agents auxiliaires de la Gestapo d'Angers, tant les crimes de celui-ci sont immenses. Cet homme au physique insignifiant, petit, maigre, au teint blafard, est responsable de 430 arrestations, de 310 déportations et de 230 morts, dont 52 abattus ou fusillés sur le territoire français. C'est lui qui, pendant l'occupation allemande, a traqué les résistants du grand Ouest de la France, a participé aux tortures dans les sinistres caves de la rue de la Préfecture à Angers et, probablement, à des exécutions sommaires. C'est lui, le traître, né à Valenciennes, fils d'un fonctionnaire de la Banque de France, bien éduqué et instruit, parlant allemand couramment, que les occupants sollicitèrent, d'abord comme interprète, avant qu'il devienne le chef incontesté du service, dirigeant lui-même les interrogatoires avec une cruauté qui écœurait jusqu'aux soldats allemands.

C'est lui, enfin, qui disparut à la Libération et fut condamné à mort par contumace, avant qu'on s'aperçoive, en 1962, qu'il était tout simplement caché dans l'appartement de sa mère à La Madeleine, près de Lille. Pendant dix-sept ans, il était resté terré dans un grenier.

 

Résistante à Angers

 

Parmi les deux cents témoins qui fixent Vasseur sur son banc de justice se trouve une femme, venue spécialement de Genève. Elle s'appelle Noëlla Rouget. Elle est née Noëlla Peaudeau (c'est son nom de jeune fille), le 25 décembre 1919 à Saumur, mais c'est à Angers que toute sa famille s'est installée. C'est une famille ouvrière où la religion a de l'importance. C'est pourquoi la jeune fille et son frère aîné, Georges, reçoivent une bonne éducation à l'institution Saint-Laud. Noëlla Rouget a vingt ans quand arrivent la guerre et l'occupant. Et très vite la jeune femme, qui est devenue institutrice, plonge avec détermination dans la Résistance. Elle tape des tracts clandestins à la machine, les distribue, transporte de mystérieuses valises…

C'est dans ce réseau qu'elle a rencontré un jeune instituteur, comme elle. Il s'appelle Adrien Tigeot : un grand jeune homme, sérieux, réfléchi. Malgré la guerre, malgré la mort qui rôde, tous les deux tombent amoureux. Adrien a des projets d'avenir car il vient d'être nommé instituteur à Corzé.

 

Noëlla vers 1943

 

Juste avant de mourir

 

Hélas, leur idylle est des plus brèves car leur réseau, constitué par des étudiants de l'école normale d'Angers, est surveillé par l'occupant. Le 7 juin 1943, Adrien Tigeot est interpellé par des policiers d'Angers, devant ses élèves à Corzé. Le 23 juin, c'est au tour de Noëlla d'être arrêtée, chez elle, par Vasseur. Les amoureux sont tous les deux incarcérés à la prison de Pré-Pigeon, dans des ailes différentes. Noëlla n'y sera pas torturée, "seulement" giflée, par Vasseur. Mais pour Adrien Tigeot, ce fut bien pire. Lorsque le couple est autorisé à s'embrasser brièvement, lors d'une confrontation, Adrien Tigeot est méconnaissable par l'effet des coups et des tortures.

Puis ils ne se virent plus jamais. Adrien Tigeot est condamné à mort et fusillé à Belle-Beille, le 13 décembre 1943. Juste avant de mourir, il fut autorisé à écrire une lettre à sa fiancée : Mon grand amour, je te quitte pour toujours […] Puisque je ne suis plus, il faut que tu m'oublies, ma chérie, que tu vives. Notre grand amour est fini. Il faut que tu guérisses ta plaie, que tu aimes encore. Ne fais pas un mariage de raison, surtout, ma Noëlla adorée ; aime ton mari, sois heureuse, très heureuse, fais-le pour moi […].

Noëlla Peaudeau ne lira cette lettre que bien plus tard : à son retour de Ravensbrück où elle fut déportée en janvier 1944. Quand elle descendit du train du retour, à la gare d'Angers, le 16 avril 1945, elle pesait 32 kg.

 

Persécutés

 

C'est cette histoire que Noëlla raconta à la barre du procès de Vasseur, parmi des centaines d'autres récits plus affreux encore. À l'époque, les journaux avaient dépêché leurs meilleurs chroniqueurs pour ce procès historique. Pour Le Courrier de l'Ouest, c'est Léon Lelong qui signe, pendant deux semaines, de très longs comptes rendus hallucinés d'horreur et aussi d'indignation envers les veules démentis de Vasseur.

La jeune femme dépose le vendredi 22 octobre, au milieu d'autres rescapés des camps. Elle ne parle que quelques minutes. Il faut aller vite. Il y en a tant qui doivent témoigner. On le devine à travers les articles des journaux. Dans la salle, l'assistance n'en peut plus de ce défilé sans répit de persécutés, de sévices et de souffrance. On voudrait pouvoir arrêter le martyrologe, supplie Léon Lelong.

 

Jacques Vasseur, au début des années 1960

 

À son tour, elle écrit…

 

Noëlla Rouget n'est pas satisfaite en quittant le palais de justice. Depuis la guerre, elle a étonnamment mûri. Elle a 46 ans. Les camps, la famille qu'elle a fondée avec un jeune Suisse croisé lors de sa convalescence en 1945, sa foi catholique et sa grande amitié avec des personnalités exceptionnelles comme Geneviève de Gaulle-Antonioz, qu'elle a connue à Ravensbrück, l'ont profondément changée. Et sans doute, loin, très loin, il y a la dernière lettre de son fiancé, Adrien, qui sonne en elle comme un appel à la paix, à la compassion, à la vie…

Elle n'aime pas ce procès. Elle n'aime pas cette curée, cette course vers la mort annoncée d'un pauvre type cruel et frustré, aussi odieux que minable. Alors, de retour du procès, elle s'assied à sa table et, à son tour, elle écrit une lettre :

Monsieur le président du tribunal […],
Les horreurs vécues sous le régime concentrationnaire m'ont sensibilisée à jamais à tout ce qui peut porter atteinte à l'intégrité tant physique que morale de l'homme […].

 

"Notre cause n'en sortirait pas grandie"

 

Je sais que certains camarades sont venus à la barre le cœur plein de ressentiment, de haine même. Je les comprends pour avoir partagé leurs souffrances, leurs révoltes. Mais les vingt années écoulées depuis ces temps affreux devraient nous avoir apporté plus de lucidité et de sérénité. Nous devrions avoir compris que la violence ne paie pas et qu'il y a eu assez de sang versé pendant cette guerre. Vasseur mort, nous serions vengés certes, mais notre cause d'hier n'en sortirait pas grandie […].

Certes Vasseur est coupable. Il faut le châtier (encore est-il que ses 17 années de réclusion volontaire pourraient lui être comptées comme temps partiel d'expiation). Mais surtout qu'on l'amène à une prise de conscience de ses actes passés… au repentir (je dois avouer que son impassibilité tant à l'instruction qu'au procès m'ont mise très mal à l'aise). Qu'on le rééduque, qu'on l'oblige à se mettre d'une façon constructive au service de cette société qu'il a trahie autrefois, qu'on essaie de ranimer la petite flamme humaine qui doit tout de même bien subsister en lui […].

 

"Un monument"

 

Cette lettre, lue à l'audience avant les plaidoiries, eut un effet considérable. Elle fut reprise par les journaux et, bien sûr, par les avocats de la défense. Elle valut aussi à Noëlla Rouget de solides incompréhensions de la part de ses camarades déportés auxquelles elle dut souvent répondre par la suite. Robert Badinter, qui plus tard permit la fin de la peine de mort, a dit de cette lettre qu'elle est un monument. Toutefois, l'abolition n'était pas encore dans les têtes et les juges, le samedi 6 novembre 1965, condamnèrent à mort Jacques Vasseur.

Alors, Noëlla Rouget prit encore la plume, cette fois pour écrire au Président de la République française, Charles De Gaulle, l'oncle de son amie Geneviève. Cette nouvelle lettre est plus brève, plus intense aussi :

Monsieur le Président,
Parce que je crois en Dieu […],
Parce que je crois en mon pays, à son esprit humanitaire qui l'amènera bientôt, j'espère, par une réforme législative, à abolir la peine de mort,
Parce que je crois en vous, Général, que j'ai suivi avec élan, il y a vingt ans, dans les rangs de la Résistance,
Et aussi, peut-être, au nom de la grande affection qui me lie à votre nièce Geneviève,
Je vous supplie, Monsieur le Président de la République, d'user de votre droit de grâce en faveur de Jacques Vasseur.

 

 

"Une belle vie"

 

Est-ce cette lettre qui emporta la décision du Président de la République ? Ou une autre, même s'ils furent peu nombreux à se lever pour sauver un pauvre type comme Vasseur… ? De Gaulle ne s'est jamais expliqué. Le 13 février 1966, le Président de la République gracia Jacques Vasseur, dont la peine fut commuée en réclusion criminelle à perpétuité, soulevant au passage des torrents d'indignations.

Noëlla Rouget n'y prêta pas garde et ne s'arrêta pas là. À peine Vasseur avait-il rejoint sa cellule qu'elle entreprit de lui écrire, débutant une longue correspondance avec, sans doute, l'espoir de ranimer chez son tortionnaire cette petite flamme humaine.

Sur ce point, elle fut déçue. Dans les lettres qu'il lui envoie en retour, Vasseur, toujours aussi pitoyable, ne s'apitoie que sur son sort et ne manifeste pas le moindre début de remise en cause.

Jacques Vasseur fut finalement libéré en 1983, pour bonne conduite. Entre-temps, il s'était marié en prison avec une bibliothécaire allemande avec laquelle il correspondait. Une persistante légende affirme que son premier souci fut de revenir sur les lieux de ses crimes, à Angers. À l'époque, bien des résistants vivaient encore. La rumeur de son passage avait de nouveau fait souffler le même vent glacé.

Puis il partit vivre chez sa femme, en Allemagne. Il est mort le 7 février 2009, à 88 ans.

Quant à Noëlle Rouget, elle vit toujours. C'est une dame très âgée qui aura 101 ans à Noël. À ses amis qui viennent la voir, elle dit qu'elle a eu une belle vie "parce que j'ai lutté pour des idées que je savais justes."

 

À savoir

 

Cet article doit beaucoup aux archives du Courrier de l'Ouest et surtout à un formidable livre, sorti en juin, sur Noëlla Rouget où l'on trouve, dans leur intégralité, quelques-unes de ses lettres très émouvantes.
Les auteurs, M. et Mme Exchaquet-Monnier, qui vivent en Suisse, devaient venir en Anjou en cette mi-novembre pour plusieurs conférences et signatures. La crise sanitaire en a décidé autrement mais un autre voyage semble programmé en avril 2021, si le virus s'éloigne enfin.
Toutefois, nous leur donnerons longuement la parole dans une interview que nous publierons demain.
"Noëlla Rouget, la déportée qui a fait gracier son bourreau", par Brigitte Exchaquet-Monnier et Éric Monnier, aux éditions Tallandier

 


 

L'Angevine qui fit gracier son tortionnaire : la "belle vie" de Noëlla Rouget

 

Voilà l'article du Courrier de l'Ouest du lendemain 10 novembre 2020, à nouveau signé Jean-Yves Lignel :

 

Eric Monnier et Brigitte Exchaquet-Monnier, biographes de Noëlla Rouget

 

Brigitte Exchaquet-Monnier et Eric Monnier ont écrit un livre très émouvant sur l'histoire de leur amie Noëlla Rouget, la déportée et résistante angevine qui demanda au Général De Gaulle de gracier son bourreau. Les auteurs (qui sont Suisses) devaient venir en Anjou en cette mi-novembre. Ce ne sera bien sûr pas le cas pour cause de confinement. Toutefois un nouveau voyage semble programmé en avril. En attendant, ils ont répondu à nos questions.

Vous vivez en Suisse Romande. Dans quelles circonstances avez-vous croisé le destin extraordinaire de Noëlla Rouget, née à Angers ?

Brigitte Exchaquet-Monnier : "Cela rejoint nos histoires personnelles. Il se trouve que j'ai été élevée par une nounou que j'aimais beaucoup. Et un jour que nous allions la voir, pour fêter ses 94 ans, elle nous raconte qu'elle avait tenu une maison de convalescence pour des jeunes déportées ici, en Suisse, à Château-d'Oex. La voilà qui nous sort de son buffet un livre d'or, qu'elle ouvre. Et la première signature qu'on voit est celle de Geneviève De Gaulle, parmi des dizaines de signatures de jeunes femmes. On était très stupéfaits de découvrir ça."

Eric Monnier : "Il se trouve, en plus, que le seul nom masculin de ce livre d'or est celui d'André Rouget. Or je me souvenais de lui : je l'avais connu dans une association au cours des années 1970. Nous avons découvert qu'il était décédé depuis mais nous avons essayé de prendre contact avec Noëlla, sa femme. Et c'est ainsi qu'est née une amitié qui se poursuit encore aujourd'hui."

C'est ce que vous racontez dans vos premiers livres…

"Oui. Nous avons fait des recherches sur ce moment d'histoire qui est mal connu, à savoir l'accueil, en Suisse, de femmes qui revenaient de déportation, sitôt la fin de la guerre. Des comités suisses se sont organisés pour ouvrir des sortes de maisons d'hôtes où des centaines de femmes furent soignées et ont tenté de se reconstruire. C'est ce que nous avons écrit dans un premier livre, sorti en 2013, qui traitait de l'accueil en Suisse romande d'anciennes déportées françaises de la Résistance de 1945 à 1947."

 

Noëlla

 

Parmi toutes ces femmes, comment découvrez-vous l'histoire de Noëlla Rouget dont elle-même parlait peu ?

"Il y a deux ans, les deux fils de Noëlla Rouget nous ont contactés pour nous dire que leur mère ne pouvait plus vivre seule et devait rejoindre un établissement médico-social, ce que vous appelez un Ehpad en France. Il fallait vider l'appartement et ils nous confiaient les archives de leur mère, avec la mission de les explorer. C'est là que nous avons découvert des documents extraordinaires : le journal intime de Noëlla Rouget lorsqu'elle était à Château-d'Oex, de très nombreux courriers avec ses camarades anciennes déportées, mais aussi les lettres clandestines qu'elle envoie de la prison d'Angers à son frère ou à ses parents, le plan qu'elle a fait de la prison, des photos de son fiancé Adrien Tigeot, qui a été fusillé à Belle-Beille en 1943, et une copie partielle de la correspondance qu'elle entretient, à partir du milieu des années 1960, avec son bourreau, Jacques Vasseur."

Votre livre évoque avec beaucoup de pudeur les quatorze mois qu'elle passe au camp de concentration de Ravensbrück…

"Nous n'avons pas voulu écrire un énième livre de témoignages sur Ravensbrück. D'ailleurs, les documents qu'elle gardait de cette période sont bien sûr peu nombreux, mis à part quelques lettres qu'il lui fut permis d'envoyer à ses parents."

Vous racontez que Noëlla rencontre André Rouget pendant sa convalescence et qu'ils fondent une famille. Ils auront deux fils. Elle semble retrouver une vie normale, mais ce n'est qu'apparent…

"Les témoignages que nous avons de son enfance angevine montrent que c'était une enfant très drôle et très espiègle. C'est ce que disait son frère Georges qui fut longtemps prêtre aux Ponts-de-Cé. Elle fut une jeune femme gaie et pleine d'humour. Mais bien sûr, plus rien n'est pareil à son retour de concentration. Il y a une rencontre qui la choque beaucoup : celle d'une femme, à la gare d'Angers, qui lui demande si elle a eu faim dans les camps. La question est odieuse car elle pesait 32 kg ! Et la femme ajoute : Nous aussi, nous avons eu faim. Je crois que Noëlla a mesuré là, et de manière très violente, le fossé qui la sépare des gens qui l'accueillent et l'impossibilité de parler de l'horreur des camps. Ce silence a subsisté pendant des années. Il est imposé en famille : très vite, son mari ne supporta plus qu'elle évoque ce passé. Ses enfants mêmes l'ignoraient en grande partie. Des années plus tard, elle s'est aperçue que les élèves dans les écoles, où elle va témoigner parfois, en savent plus que ses deux fils sur ce qu'elle a vécu. Nous savons qu'il y a eu une discussion mais qui n'a pas rompu ce silence familial."

 

carte de rapatriée de Noëlla - avril 1945

 

Vous dites aussi qu'elle est une tout autre femme lorsqu'elle retrouve d'autres anciennes déportées…

"Elle est toute différente lorsqu'elle retrouve ses camarades de l'ADIR, l'Association d'anciennes déportées que Geneviève de Gaulle a fondée après la guerre. Elle retrouve alors des gens qui ont vécu la même chose qu'elle et avec lesquelles elle peut parler. Ses enfants découvrent alors que leur mère peut être une femme très gaie, très différente de la maman triste et dépressive qu'ils connaissent. Au point que l'un d'eux nous a dit qu'ils étaient jaloux de l'ADIR ! Mais nous pensons que c'est une réaction que beaucoup d'anciens déportés ont connue. Chacun régissait et se protégeait comme il pouvait."

On est surpris par la beauté des lettres très émouvantes et impressionnantes qu'elle envoie, en 1965, aux juges du procès Vasseur, puis au Président de la République, puis à ses camarades de l'ADIR. Où a-t-elle appris à écrire comme ça ?

"Robert Badinter dit de ces lettres qu'elles sont un monument. Noëlla a, c'est indéniable, un vrai talent d'écriture. Elle n'a jamais voulu écrire son autobiographie, mais elle aurait pu le faire. Elle dit aussi qu'elle a reçu une très bonne formation à l'école Saint-Laud d'Angers. Sa foi catholique et son milieu familial l'ont beaucoup enrichie. Mais il n'y a pas que ça. Il y a aussi un profond humanisme en elle, qui s'est éveillé lorsqu'elle a fréquenté son fiancé Adrien Tigeot qui était instituteur, comme elle. Il y a aussi une évolution de sa pensée. Lorsque la terrible Dorothea Binz, une des responsables du camp de Ravensbrück, est pendue en 1947, Noëlla ne réagit pas. En revanche, elle se manifeste en 1965 et 1966 au moment de la condamnation à mort de Jacques Vasseur. Avec le temps, elle affirme de plus en plus ses positions humanistes."

 

le chemin du retour de Ravensbrück

 

Elle va jusqu'à entretenir une correspondance suivie avec son bourreau, Jacques Vasseur. Mais qu'en attend-elle ?

"Ces lettres sont des initiatives très personnelles, comme la lettre au Président de la République pour demander la grâce de Vasseur. Elles ont suscité beaucoup d'incompréhension, jusque dans les rangs de ses camarades de l'ADIR.

Les lettres à Jacques Vasseur sont très étonnantes, tout comme les échanges qu'elle a avec la mère de Vasseur, qui est une femme mauvaise et manipulatrice. Lui ne se repend jamais de ce qu'il a été. Il considère qu'il n'était qu'un petit rouage. Il ne se reconnaît aucune responsabilité dans les centaines d'arrestations et de déportations qui lui sont attribuées. Elle a eu l'espoir qu'il pouvait changer, devenir plus humain. Elle est portée par cette foi. Mais c'est un espoir déçu. Du reste, il ne lui écrit même plus à partir du moment où il sort de prison en 1983."

Comme va-t-elle aujourd'hui ?

" Comme une femme très âgée qui a maintenant plus de cent ans… Elle avait déjà des troubles de la mémoire lorsqu'on a commencé le livre. On l'a fait parler sur les photos de ses albums en y revenant, souvent, et en recoupant. Elle baisse beaucoup depuis quelque temps. Nous allons la voir au moins une fois par semaine au centre sociomédical. Le Covid n'arrange rien. Elle ne nous reconnaît pas lorsque nous arrivons mais, dès que nous baissons un peu le masque, son visage s'éclaire. Mais elle reste une femme radieuse. Elle nous a dit qu'elle estimait avoir eu une belle vie car elle a lutté pour des idées qu'elle croyait justes."

 

Repères

 

 

 

 

"Nous avons l'immense tristesse de vous annoncer que Noëlla s'en est allée, ce dimanche 22 novembre 2020.
Nous pleurons Noëlla, mais sommes si reconnaissants d'avoir pu l'accompagner pendant les 11 dernières années de sa vie, d'avoir partagé avec elle des lectures, des repas fort gais, des aventures, des voyages, notamment à Ravensbrück, mais aussi d'avoir été plusieurs fois à ses côtés lors de ses témoignages en France ou en Suisse.
Et puis, elle nous a accordé, avec ses fils, une immense confiance pour écrire sa biographie.
Nous avons eu le grand privilège de lui remettre en juin dernier son exemplaire de Noëlla Rouget la déportée qui a fait gracier son bourreau et cela a été un moment de grande joie.
Que Noëlla repose en paix ! Nous perdons une grande amie, une très belle personne qui continuera de nous inspirer."
Brigitte Exchaquet-Monnier & Éric Monnier

 

 

 

d'autres "Grandes Dames" de la Résistance

- Irena Sendler (1910-2008)

A sauvé plus de 2500 enfants en les faisant sortir du ghetto de Varsovie. Arrêtée et torturée par les nazis, elle a survécu. Meurt sans avoir reçu le Prix Nobel de la Paix, pour lequel elle avait été nominée en 2007, année où il fut attribué à Al Gore.
pour en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Irena_Sendler

- Jacqueline Armand, ou Christine Granville, en réalité la comtesse polonaise Krystyna Skarbek (1908-1952)

Elle faisait partie du réseau Buckmaster, entrainée en Angleterre et parachutée dans la région de Digne. Faisant preuve d'une incroyable audace, elle est parvenue à obtenir la reddition d'un fort sur la frontière italienne, faisant passer les soldats polonais qui l'occupaient dans la Résistance avec armes et bagages. Autre exploit : par un coup de bluff elle est parvenue à faire évader son chef de réseau, détenu par la gestapo.
pour en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Krystyna_Skarbek

- Madeleine Richou-Bihet (1901-1987) nom de code Mad

Amie d'un officier allemand anti-nazi, elle renseigna le SR français sur les plans de guerre des nazis. Ces renseignements étaient tellement précis qu'ils ne furent pas toujours pris au sérieux par les services français tant ils paraissaient incroyables. A survécu. Elle repose dans le cimetière de Pressigny (Deux Sèvres) où elle est honorée par les autorités à chaque commémoration.
pour en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Madeleine_Richou

- Nancy Wake (1912 -2011) surnommée « la Souris Blanche »

Figure australienne de la Résistance en France, femme la plus décorée de la Seconde Guerre mondiale, c'était une « dure » et une aventurière. Passionnée, vraie francophile, extrêmement courageuse, elle fut une femme engagée, prête à risquer et même à perdre sa vie pour la liberté. Un téléfilm anglais de 1988 porte son nom et raconte son histoire.
pour en savoir plus :
https://blog.francetvinfo.fr/deja-vu/2017/07/26/femmes-combattantes-1-nancy-wake-la-souris-blanche-et-la-gestapo.html

- Marthe Cohn (1920- )
Jeune femme engagée dans l'armée française combattant en Alsace en 1945. Son fiancé avait été fusillé par les nazis. Parlant parfaitement l'allemand, elle est volontaire pour entrer en Allemagne par la Suisse afin d'espionner l'ennemi et transmettre ses renseignements à l'état-major de son régiment.

Exemple de sang-froid, de courage et de volonté. Auteur de mémoires "Derrière les lignes ennemies". Elle habite aux Etats-Unis et est venue à Angers il y a quelque temps pour des conférences.
pour en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marthe_Cohn

Yves Meignan - novembre 2020

 

 

 

ici, une page sur Charles Godier, de Saint Léger sous Cholet

ici, une page sur Joseph Cussonneau, de Mazières en Mauges, héros de 2 guerres

là, une page sur Jeanne Héon-Canonne, Résistante saint-légeoise

là, une page sur les Saint-Légeois prisonniers de guerre 1940

 

 

 

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