mort pour la France |
Au dessus de son bureau
était apposée une plaque de marbre rappelant le nom
d'un instituteur qui avait enseigné dans cette classe.
L'inscription était la suivante :
Ici
a enseigné CUSSONNEAU Joseph, mort à Mauthausen
(Autriche) le 2 mars 1945.
A cette époque, je me demandais ce qu'il était
allé faire en Autriche, j'ignorais que Mauthausen était
un camp de concentration nazi. A chaque anniversaire, le
maître fleurissait la plaque et ne manquait pas de nous
rappeler le souvenir de cet instituteur et le respect que nous
devions à sa mémoire. J'ai toujours gardé en
mémoire cette inscription et, un jour, j'ai voulu savoir qui
était cet instituteur et les évènements qui
avaient motivé cette plaque du souvenir. Après de nombreuses
demandes près d'associations d'anciens résistants et
d'organismes d'archives *, j'ai pu obtenir les dossiers le
concernant, sur ses activités de résistant et sur sa
déportation. C'est avec beaucoup d'émotion et de
tristesse que j'ai pris connaissance de son parcours et de ses
souffrances endurées jusqu'à sa mort. Je croyais tout savoir sur
Joseph Cussonneau. Lors d'une récente rencontre à la
SLA avec M. Jean Maugeais, domicilié à Mazières
en Mauges, nous avons évoqué le souvenir de Joseph
Cussonneau, lui-même natif de Mazières en Mauges. M.
Maugeais possède, lui, le dossier de notre héros
pendant la guerre 14-18, dossier élogieux sur ce valeureux
soldat. Puisque nous avions
l'opportunité de réunir ses deux dossiers, d'un commun
accord nous avons décidé de lui consacrer ces quelques
lignes pour honorer sa mémoire, son courage et son
sacrifice. Voici donc l'histoire de
notre "héros de deux guerres", où il suffira bien
souvent de transcrire les citations le concernant pour être
édifié." * Bureau
des archives des Victimes des conflits contemporains à Caen,
BP 552, 14037 Caen cédex.
Joseph Jacques Albert
CUSSONNEAU est né le 7 avril 1889 à Mazières
où ses parents tenaient une auberge. la maison natale de
Joseph Cussonneau, à droite, avec l'enseigne - elle n'existe
plus. Au conseil de
révision de 1909, il est exempté de service militaire
pour "faiblesse générale". Il est alors instituteur et
directeur de l'école publique des Cerqueux de
Maulévrier. En 1914, il est reconnu apte au service
armé et appelé à l'activité par le
décret de mobilisation générale. Il arrive
à son corps le 22 février 1915, puis peu après
est nommé aspirant et affecté au 131e régiment
d'infanterie à Orléans où il arrive le 29
août 1915. Avec ce régiment, il participe notamment
à la bataille de la Woëvre, à la bataille des
Flandres et de la Somme. Alors qu'il vient
d'être promu sous-lieutenant le 17 novembre 1916, son
état de santé se dégrade et nécessite son
hospitalisation à Paris. A sa sortie, il est
détaché pour un stage d'essai à la 45e compagnie
d'aérostation, puis affecté définitivement dans
cette arme le 8 mai 1917. Détaché au 1er groupe
d'observation basé à Epinal, il est classé
"observateur en ballon captif" et affecté à la 38e
compagnie d'aérostation. Est-ce en raison de son
état de santé qu'il a été retiré
de l'infanterie, ou n'est-ce pas plutôt en raison de ses
connaissances qu'il a été affecté dans
l'aérostation ? En effet, le rôle d'observateur en
ballon captif ne pouvait être confié qu'à des
personnels spécialisés : il fallait savoir lire les
cartes d'état-major afin de renseigner l'artillerie au sol sur
les mouvements de l'ennemi et régler les tirs. Il devait aussi
renseigner le commandement grâce au téléphone.
L'observateur et son aide étaient équipés d'un
casque téléphonique et d'un micro, de jumelles, de
cartes et de parachutes. Ils emportaient aussi leurs provisions car
il n'était pas question de redescendre se
restaurer. Il fallait avoir une bonne
santé, car le séjour en altitude pouvait se prolonger
en fonction des opérations en cours, parfois jusqu'à 17
heures de suite, sans bouger, sans protection contre la pluie, le
vent et le froid. Il fallait aussi un certain
courage pour rester si longtemps à une altitude pouvant
atteindre 1900 mètres, relié au sol par un simple
câble et un fil téléphonique, sous un ballon
captif appelé "saucisse" en raison de sa forme, gonflé
d'environ 900 mètres cubes d'hydrogène, gaz hautement
inflammable. A partir de 1917, des
améliorations furent apportées : la nacelle en osier
fut doublée de toile, carénée pour diminuer la
prise au vent et équipée d'un pare-brise. Après
une journée d'observation, le ballon et son équipage
étaient ramenés au sol grâce à un treuil
mécanique monté sur camion, ce qui lui permettait de se
déplacer rapidement. Les ballons dits "saucisses" munis d'une
dérive étaient plus stables et avaient remplacé
les ballons sphériques, incontrôlables dans le
vent. Mais le plus grand danger,
et le plus fréquent, était d'être pris pour cible
par l'artillerie ennemie ou ses avions mitrailleurs. Les parachutes,
bien que moins perfectionnés que maintenant, étaient
pourtant bien au point. Ils ont sauvé la vie à de
nombreux observateurs, malgré le court délai imparti
entre l'attaque et l'incendie de l'hydrogène qui
détruisait le ballon en quelques minutes. Avant de sauter,
l'équipage devait en outre sauver tous ses documents, ses
cartes et son matériel afin qu'il ne tombe pas aux mains de
l'ennemi. L'honneur voulait que
l'observateur qui venait de sauter, s'il n'était pas
blessé ou brûlé, remonte le plus rapidement
possible. C'est ce qui est
arrivé à Joseph Cussonneau à deux reprises au
moins. Pour décrire ces évènements, les deux
citations qui suivent valent toutes les explications : Citation du
général commandant la 1re armée du 16 mars
1918 :
"Observateur en ballon, ayant passé la première
partie de la guerre dans l'infanterie, a toujours fait preuve de
beaucoup d'allant. Le 20 février 1918, a été
attaqué en nacelle par 4 avions ennemis alors qu'il observait
un tir d'artillerie. Atteint d'une balle au bras, n'a sauté en
parachute qu'après avoir fait sauter l'élève
observateur qui était avec lui." Blessé par balle au
bras droit au cours de cette action. Citation
à l'ordre de l'armée n° 141 du 20 septembre 1918
: "Observateur
d'un courage remarquable. Le 20 février, est descendu en
parachute, son ballon ayant été criblé de balles
par un avion ennemi. Ses opérations effectuées, est
remonté pour continuer l'observation et a été
soumis à un tir précis qui a déchiré le
ballon. A fait preuve à l'atterrissage du plus grand
sang-froid et a donné ainsi un bel exemple de courage et
d'énergie. A déjà été
blessé par balle." Décorations
: Croix de
guerre - Insigne d'observation en ballon captif n° 952 - Promu
chevalier de la légion d'honneur par décret du 10
juillet 1938. JO du 17 juillet 1938
La paix revenue, Joseph
Cussonneau est promu Lieutenant à titre temporaire le 27 mai
1919, puis placé en congé illimité de
démobilisation et il déclare se retirer à
Montrevault. Affecté comme réserviste au 18e
dépôt aéronautique de Nantes. Après diverses
affectations dans la réserve, il est nommé Lieutenant
de réserve dans les cadres de l'armée
aéronautique, le 20 juin 1923, et affecté cette fois au
2e régiment d'aérostation à
Angers. Le 15 décembre 1936,
il est affecté à la base de Toulouse Pérignon,
puis rappelé à l'activité le 12 décembre
1939. Il a 57 ans lorsqu'il est
rayé des cadres de l'armée de l'air la 8 janvier
1940. Son activité dans
l'éducation nationale n'a été interrompue que
par les périodes effectuées dans les réserves de
l'armée de l'air où il avait été maintenu
sur sa demande. Un de ses anciens
élèves, Louis Servins, se souvient de l'avoir eu comme
instituteur et directeur de l'école publique de garçons
de Beaufort, au cours de l'année scolaire 1933-1934. C'est
à cette époque, après 10 années dans
cette école, qu'il a quitté Beaufort pour aller occuper
le poste de directeur de l'école des Cordeliers à
Angers.
La défaite de la
France et l'occupation du pays par les Allemands lui sont
insupportables. Son honneur de soldat lui commande d'agir. Connu
pour ses idéaux de liberté, il est
révoqué par Vichy. Dès 1941, il entre en
résistance dans le réseau Honneur et Patrie
fondé par Victor Chatenay, lui-même officier ancien
combattant de la guerre 14/18. Ce sera un des premiers réseaux
en Anjou, fondé en 1941. Son effectif atteindra 300 agents,
dont 150 pour la ville d'Angers. La première action sera la
diffusion d'un journal, puis viendront rapidement la recherche du
renseignement et sa transmission vers l'Angleterre, l'aide aux
aviateurs alliés abattus, la réception des armes et des
agents et les sabotages. Ces activités ont
bien sûr attiré l'attention de l'ennemi, aidé en
cela par la milice, les dénonciations et les agents
infiltrés, amenant une série d'arrestations. En 1944,
107 agents du réseau sont arrêtés, dont 68 sur
Angers. 49 seront déportés, 25 ne reviendront pas des
camps.
Joseph Cussonneau, qui
travaillait également pour le réseau Libération
Nord a été arrêté par la Gestapo, à
son domicile, le 2 février 1944. C'est dans la nuit, vers 3
heures du matin, que cinq membres de la Gestapo, armés de
mitraillettes, ont pénétré dans l'appartement et
l'ont arrêté avec son épouse. Ils ont
aussitôt été conduits rue de la Préfecture
pour interrogatoire, puis enfermés à la prison
d'Angers. Des témoins habitant l'immeuble ont assisté
à l'arrestation où sont également
impliqués le directeur de l'école Victor Hugo,
l'inspecteur d'académie et les colonels Fournaize et Canard.
Madame Cussonneau semble avoir été
libérée peu de temps après. Joseph Cussonneau a
quitté la prison d'Angers le 18 mars 1944 pour
Compiègne, puis de là le 6 avril pour le camp de
concentration de Mauthausen. Il sera affecté ensuite aux
commandos de Melk et d'Ebensée. Le camp d'Ebensée,
un des plus durs, dépendant de Mauthausen, était
placé sous la direction de SS sadiques. Il était
destiné à fournir de la main d'uvre pour la
construction dans la montagne d'énormes tunnels
destinés à abriter des usines d'armement et de
recherches balistiques. Les prisonniers effectuaient 14 heures de
travail par jour dans des conditions inhumaines et sans nourriture,
d'où leur état d'épuisement total. En deux ans,
20 000 victimes y auraient perdu la vie. Il est situé à
l'extrémité sud du lac Traun, au sud-ouest de Linz
(Autriche). Ce camp a été libéré par les
Américains le 9 mai 1945. Les tunnels d'Ebensée
existent toujours, ils abritent un musée et peuvent être
visités. survivants à
la libération du camp Les témoignages
poignants de deux de ses camarades de captivité nous
décrivent les dernières heures de Joseph Cossonneau,
alors qu'il se traînait dans les tunnels. Il est mort
d'épuisement et de fatigue à l'infirmerie du camp le 2
mars 1945, deux mois avant la libération du camp. Ses derniers
mots ont été pour sa femme et ses enfants, Jacques et
Michel. C'est avec beaucoup
d'émotion que par ces quelques lignes nous avons voulu
retracer le parcours de ce grand soldat et ainsi avoir voulu rendre
hommage à sa mémoire et à son sacrifice pour la
France et la Liberté. prisonniers
affamés du camp de concentration d'Ebensee (7 mai 1945) -
http://fr.wikipedia.org Citations
et décorations Réseaux de la
Résistance Honneur et Patrie (Angers HP) et Libération
Nord des Forces Françaises Combattantes
Camp libre d'Ebensée
Ebensée, le 15 mai 1945 Oberdonau Je soussigné
LAFFITTE Jean, chef de camp de l'ex-camp de concentration
d'Ebensée, certifie que : Le chef du camp libre
d'Ebensée
Décision n°
1406 Le Général DE
GAULLE, Président du Gouvernement Provisoire de la
République Française, chef des armées Paris le
10/12/45 Le
Général DE GAULLE, Président du Gouvernement
Provisoire de la République Française,
France combattante Angers,
le 21 février 1947 Réseau Honneur et
Patrie ATTESTATION
France combattante Angers,
le 24 avril 1950 Réseau Honneur et
Patrie ATTESTATION
Extrait d'une lettre
adressée par M. T
.., instituteur à Monguyon
(Charente Maritime) à Madame Cussonneau : "(...) amaigri à
l'extrême, incapable de se mouvoir, nous le ramenâmes au
bloc. Nous essayâmes de le faire entrer au "revire".
Impossible. Deux jours de repos, avait prescrit le docteur. Ce
jour-là, nous partîmes au travail sans notre vieil ami.
En rentrant, nous le trouvâmes si faible que nous lui
enjoignîmes de se représenter à la visite le
lendemain. Mais déjà il parlait avec difficulté,
sentant approcher l'irrémédiable. Ses pensées,
madame, allaient toutes vers vous à cet instant
suprême
"Ma femme !" C'est un des seuls mots qu'il put
prononcer vers le soir. Auparavant, nous faisant appeler tous les
deux, Manceau et moi, il nous demanda d'aller chez lui, quand il ne
serait plus, consoler sa femme et expliquer à ses enfants ses
souffrances.
Extrait d'une lettre
adressée par M. B
, député maire de Creil,
à Madame Cussonneau : "(...) La tentative pour
entrer à l'infirmerie a été infructueuse, car il
ne présentait aucune maladie organique et on refusait
d'hospitaliser les détenus qui n'avaient à faire valoir
que leur faiblesse extrême. Jusqu'à la veille de sa
mort, il s'est péniblement traîné à
travers les tunnels et, quand on l'a transporté à
l'infirmerie le 2 mars, ce fut pour y expirer quelques heures
après son admission. Réalisé
en commun par Jean Maugeais et Yves Meignan - 2014 là une page sur
Jeanne Héon-Canonne, Résistante saint-légeoise
là encore,
une
page sur Noëlla Rouget, la déportée qui a fait
gracier son bourreau
là, une page sur les
Saint-Légeois prisonniers de guerre 1940
Service historique de la défense, château de Vincennes,
avenue de Paris, 94306 Vincennes cédex.
http://www.jewishgen.org/forgottencamps/Camps/EbenseeFr.html
CUSSONNEAU Joseph, n° 62.220, né le 7.4.89 à
Mazières
est décédé à l'infirmerie du camp
d'Ebensée le 2 mars 1945 et que sa mort a été
enregistrée sous le numéro :
Son corps a été incinéré.
Signé Laffitte
CITE A L'ORDRE DU CORPS D'ARMEE
CUSSONNEAU Joseph - D.G.E.R.
agent d'un réseau en territoire occupé par l'ennemi,
ardent patriote, n'a cessé jusqu'à son arrestation de
servir la France - déporté en Allemagne.
CETTE CITATION COMPORTE L'ATTRIBUTION DE LA CROIX DE GUERRE 1939
AVEC ETOILE DE VERMEIL
Chef des Armées
PO le Général JUIN, Chef d'Etat-major
général de la Défense Nationale
Angers HP
Nous soussigné Victor CHATENAY, officier de la Légion
d'Honneur, Croix de guerre 1914-18 et 1939-45, Chef du réseau
Honneur et Patrie (Angers HP), certifions que M. CUSSONNEAU Joseph a
appartenu à notre réseau depuis décembre 1940
sous l'indicatif HP 83 en qualité de P1, P2 en février
1944.
Arrêté le 2 février 1944, déporté
le 6 avril 1944 à Mauthausen.
PO le Colonel Cottrelle
Angers HP
Nous soussigné, Colonel COTTRELLE, commandeur de la
Légion d'Honneur, croix de guerre 14-18, TOE et 1939-45,
médaille de la Résistance Française, liquidateur
du réseau "Honneur et Patrie" (Angers HP), certifions sur
l'honneur que l'arrestation par la Gestapo et la déportation
de M. CUSSONNEAU Joseph (HP 83), né le 7 avril 1889 à
Mazières-sous-Cholet (Maine et Loire), sont le fait de son
appartenance au réseau Honneur et Patrie.
Le 2 mars, lorsque nous rentrâmes du travail, son lit
était vide. Incapable de se lever pour aller à l'appel
à 5 heures du soir, il était mort quelques heures
après (...)"
Tels sont, chère madame, les tristes renseignements que je
peux vous donner sur votre cher disparu (...)"