En
1964, en Gaume, non loin de la frontière française, un
paysan illettré tua son épouse autoritaire.
L'arrestation de l'auteur, Roger Champenois, mobilisa
d'impressionnants effectifs policiers mais le corps de la victime ne
fut découvert que treize ans plus tard.
Buzenol se trouve à quelques
kilomètres de Saint Léger
Vous écouterez ici le
"Tango de Champenois"
On y entend :
|
"Il
se plaisait à tchoquèye sur un chêne
A mâchonner des racines et des graines
En r'niflant la brigade de Saint Léger
Qui montait la garde près des terriers."
|
L'affaire Champenois se
déroula autour du village de Buzenol, petite localité
belge perdue au creux de la forêt d'Etalle, non loin de Virton
et de la frontière française.
Le personnage principal, Roger
Champenois, était issu d'une famille peu recommandable. L'un
de ses ancêtres éloignés, du nom de Lambert,
vivait dans une cabane avec 2 femmes et eut une descendance aussi
nombreuse que marginale. L'un des fils, Jean-Jacques Lambert, fit de
nombreux séjours en prison et fut encore
incarcéré à l'âge de 66 ans pour attentat
à la pudeur. L'un des fils de Jean-Jacques fut condamné
en 1890 à 20 ans de prison pour le meurtre de sa femme et
finit guillotiné en France à la suite d'un autre
assassinat. Un autre fils de Jean-Jacques, déserteur en 1916,
fut condamné à mort pour le meurtre d'une
fermière. Une fille de Jean-Jacques, prénommée
Augusta, fut la mère de Roger Champenois, né le 15
janvier 1929. Augusta comparut devant les assises en 1931, aux
côtés de son mari Auguste Champenois, dans une affaire
de meurtre d'une cabaretière, mais ils furent tous deux
acquittés.
N'ayant fréquenté que
l'école primaire, Roger Champenois en sortit
analphabète car souffrant d'alexie, une impossibilité
de comprendre les idées exprimées par
l'écriture.
Quelques petits larcins le conduisirent devant le juge des enfants.
Devenu adolescent, Champenois devint un homme des bois et,
dispensé du service militaire, devint
bûcheron.
La future victime, Elisabeth Danniau,
qui avait été la maîtresse d'un médecin
bruxellois durant la seconde guerre mondiale, connut plusieurs amants
au cours de relations tumultueuses. L'un de ses compagnons lui porta
un coup de couteau dans le dos à la suite d'une dispute, un
autre homme fut le protagoniste de scènes de ménage
aussi nombreuses que violentes.
En 1954, âgée de plus de 50 ans, elle épousa
Roger Champenois, alors âgé de 25 ans. Grâce
à l'argent d'Elisabeth, le couple acheta une ferme et du
matériel agricole à Houdemont ; l'épouse tenta
d'apprendre à lire à son mari mais elle se montra aussi
exigeante et autoritaire.
Au bout de 9 années de
mariage,Champenois était devenu le souffre-douleur de son
épouse. Cette dernière se mit à
disparaître, parfois durant des semaines entières, puis
obligea son mari à aller travailler en France. Alors qu'il
obtenait un salaire de 7 000 francs, Champenois ne recevait le
dimanche qu'une somme de 100 francs.
Les vexations s'accumulèrent.
A ce sujet, le curé d'Houdemont déclara aux
enquêteurs : "Il avait peur d'elle. Un soir qu'il
était allé chercher une vache sortie du pré, il
ne rentra que sur les 11 heures du soir et trouva porte close. Elle
le fit attendre jusqu'à 2 heures du matin. Quand elle se
décida à ouvrir, il voulut protester mais elle lui mit
sur la poitrine le canon d'un fusil".
En juillet 1963, Elisabeth Danniau
dut être opérée aux oreilles. Elle rentra de
clinique le 20 juillet et nul ne l'aperçut plus après
cette date.
Champenois prétendit à
ses voisins que son épouse avait quitté la ferme au
matin du 22 juillet afin de se rendre chez une tante à Wavre.
Au début, vu les absences habituelles d'Elisabeth Danniau, nul
ne s'étonna.
Mais les semaines
s'écoulèrent et Champenois changea étrangement
de comportement. Il se mit à vendre du bétail, des
meubles et, surtout, des effets personnels de son épouse.
Petit à petit, les suspicions grandirent. Champenois signala
la disparition de sa femme à la gendarmerie, précisant
l'avoir aperçue pour la dernière fois le 22 juillet
1963. Sa déclaration fut contredite par le boucher du village
qui déclara avoir aperçu Mme Danniau à la ferme
le 23 juillet.
Le 20 octobre, sous l'influence de
l'alcool, Champenois déclara avoir reçu des lettres de
son épouse et détailla les projets de cette
dernière. Il s'agissait là d'une chose anormale,
Champenois ne sachant pas lire.
Le 19 mars 1964, dans
l'impossibilité de localiser Mme Danniau et n'ayant plus
constaté de mouvements sur les comptes bancaires de cette
dernière, la Justice plaça Champenois sous mandat
d'arrêt.
Les enquêteurs fouillèrent la ferme ainsi que les bois
et les étangs environnants mais en pure perte. Le 15 juin
1964, en l'absence de preuves, Champenois fut
libéré.
Cette libération ne calma pas la rumeur publique.
tentative de
meurtre et traque
|
Champenois se lia alors avec un
handicapé mental du nom de Roger Darge, dont les experts
diront ultérieurement qu'il avait l'âge mental d'un
enfant de 7 ans.
Champenois et Darge se construisirent une hutte en forêt de
Buzenol et s'y installèrent.
Sous l'influence de l'alcool,
Champenois se laissa aller à menacer des villageois. Un jour,
il s'attaqua au boucher qui avait prétendu avoir aperçu
Elisabeth Danniau le 23 juillet 1963 et le menaça d'un fusil.
Puis il décida de se venger d'une épicière de
Buzenol qui l'avait accusé de lui voler des fruits.
A l'aube du 23 août 1964,
Champenois et Darge utilisèrent une échelle pour
s'introduire dans l'épicerie du village. Armé d'une
hache, Champenois frappa la tenancière, Mme Gonry, et sa fille
à la tête, les blessant gravement. Puis, après
avoir dérobé des victuailles dans le commerce, ils
prirent la fuite en emmenant avec eux la fille aînée de
Mme Gonry, Claudine, âgée de 14 ans.
Darge, conscient de ce qui venait de
se commettre, regretta et abandonna Champenois. Il prévint
ensuite le garde-champêtre local, ce qui permit de sauver Mme
Gonry et sa fille.
Alertés, les gendarmes locaux retrouvèrent en
forêt le véhicule utilisé par Champenois avec,
à l'intérieur, la jeune Claudine saine et
sauve.
L'affaire prit alors des proportions
étonnantes. Pour traquer Champenois dans les bois, les
gendarmes reçurent des renforts des grandes villes :
Charleroi, Liège et Bruxelles. Le commandant en chef de la
gendarmerie, le lieutenant-général Thiel, se
déplaça sur place.
Plus de 400 hommes furent ainsi envoyés ratisser les bois
avant de recevoir le renfort de gendarmes français.
Escalade encore, on engagea un hélicoptère et un avion
équipé d'un système de vision à
infrarouges afin de localiser le fuyard que l'on espérait pas
capturer avant l'hiver.
La presse se déplaça en masse vers le petit village qui
était peu avant encore ignoré de tous. Aux
actualités télévisées, on parla de
Champenois quotidiennement.
Plusieurs jours durant, Champenois
parcourut des dizaines de kilomètres en forêt,
surgissant là et ailleurs, se nourrissant de baies, de
champignons et d'eau de source.
Dix jours après la tentative
de meurtre contre l'épicière, Champenois fut
repéré en forêt d'Etalle et cerné. Il se
rendit sans opposer de résistance.
Le procès de Roger Champenois
s'ouvrit à Arlon le 25 octobre 1965. Champenois y joua les
idiots et nia avoir tué Elisabeth Danniau.
Un voyant français vint témoigner que, selon lui, la
disparue était toujours vivante et se trouvait en Suisse.
Le substitut du procureur du roi Mergeai réclama la
détention à perpétuité.
Roger Champenois lors de son
procès,
devant la cour d'assises, à Arlon en 1965
Les jurés, très
partagés, se consultèrent durant près de 4
heures avant de condamner Champenois à la prison à vie
par 7 voix contre 5.
Roger Champenois fut incarcéré à Louvain et sa
ferme vendue.
Détenu modèle, il finit
par obtenir des congés pénitentiaires. Lors de son
cinquième congé, en 1977, il ne réintégra
pas la prison. Il fut toutefois très vite et très
facilement repris, n'ayant pas vraiment cherché à fuir.
Champenois se justifia : "Dans la cellule à
côté de moi, il y avait un détenu flamand qui
avait tué trois infirmières. Il a été
libéré avant moi. J'étais
furieux."
Champenois fut
transféré à la prison d'Arlon et y noua une
relation amicale avec un gendarme chargé de l'escorter. Ce
gendarme devint son confident et Champenois lui avoua qu'après
une nouvelle dispute, il avait étranglé Elisabeth
Danniau. Champenois se déclara également prêt
à dévoiler où se trouvait le corps.
Demandant à être conduit dans son ancienne ferme
d'Houdemont, il désigna une dalle de béton dans une
étable. Les ossements de la victime se trouvaient
effectivement en-dessous.
Roger Champenois fut
libéré conditionnellement en 1978 et trouva un travail
dans un atelier protégé, puis redevint
bûcheron.
On le retrouva encore à deux
reprises devant les cours de Justice : une fois comme suspect pour un
vol de mouton, il fut acquitté ; une autre fois comme victime,
s'étant fait escroquer de 40 000 francs.
Roger Champenois à Mussy la
Ville en 1989, avec Jean Mergeai,
le magistrat qui, lors du procès de 1965,
avait requis contre lui la détention
perpétuelle
En 1989, Champenois prit sa retraite
et s'installa en forêt dans une caravane
délabrée. On lui consacra des émissions
télévisées et on envisagea de tourner un film
sur sa vie, avec les comédiens Rufus et Ronny Coutteure. Le
film ne se fit pas mais deux tomes d'une bande dessinée,
inspirés de sa vie, parurent sous le titre "La hache et le
fusil". Une pièce de théâtre fut
également créée sous le titre "Le verdict de
la peur".
Dans les années 2000,
Champenois connut des soucis de santé et sa caravane
brûla. Il finit par accepter une aide sociale et intégra
une maison de repos.
Il décéda en mai 2005,
laissant le souvenir d'un personnage haut en couleur, à la
fois craint et sympathique.
Décès
: épilogue de l'une des plus célèbres affaires
criminelles du pays
En 1964, le bûcheron gaumais avait nargué les forces de
l'ordre pendant 20 jours. Il fut condamné à
perpétuité pour un meurtre sans cadavre.
récit
par
Jean-Luc Bodeux et Eric Burgraff
|
Roger Champenois. Ce nom fut, au
milieu des années 60, lié à une des affaires
criminelles les plus palpitantes du siècle. Elle tint tout le
pays en haleine, mobilisant des centaines de gendarmes.
Roger Champenois est mort ce
mercredi, dans une maison de repos de la région de Verviers.
Mais pas sa légende. Car le meurtrier qu'il fut - il a
été condamné à la
perpétuité en 1965 - est entré de plain-pied
dans l'imaginaire populaire gaumais. Roger Champenois a
inspiré des livres, une BD, un projet de film et même un
tango !
Son image a évolué au
cours des années : craint comme le loup dans les années
60, il est devenu par la suite une sorte de Robin des Bois qui
excellait dans l'art de faire la nique aux forces de l'ordre...
C'est dans le village de Houdemont
(Habay) qu'éclate le premier volet de "l'affaire Champenois".
Ce bûcheron trentenaire était tombé amoureux
d'Elisabeth Danniau, la "dame en noir", qu'il épouse en 1953.
Elle avait 25 ans de plus que lui et venait de la ville : l'exact
contraire de son jeune époux, grand coureur de bois.
Séparée d'un
médecin bruxellois, elle avait hérité d'une
belle fortune. Mais le mariage entre l'homme des bois et la
châtelaine tourne à l'orage. En 1963, celle-ci
disparaît sans laisser de trace. Roger Champenois racontera
l'avoir conduite à la gare d'Arlon, pour un séjour chez
une tante à Wavre. On ne la reverra jamais.
Faute de preuve et de cadavre,
l'affaire est classée. Mais rebondira un an plus tard,
à la suite des déclarations d'un
déséquilibré dont Champenois avait gagné
l'amitié. Champenois est placé sous mandat
d'arrêt. Remis en liberté trois mois plus tard, il s'en
prend à l'épicière du village dont il n'avait
pas apprécié les ragots, et s'enfuit dans les bois avec
une des filles de la commerçante - il la libère le soir
même.
Ce fut le début d'une
incroyable chasse à l'homme. Pendant près de 20 jours,
des centaines de gendarmes et de militaires vont ratisser les bois de
Buzenol, où l'on croyait l'homme caché. Le
déploiement d'hommes se doublera d'un
hélicoptère, de dizaines de jeep... Du jamais vu dans
la région. Région qui attirera ensuite des centaines de
curieux venus des quatre coins du pays.
C'est le 10 septembre 64 que
Champenois sera arrêté. Le gendarme Gilbert Mathu, de
Saint-Léger, s'en rappelle : "On nous avait avertis qu'un
jambon avait été volé lors d'un mariage à
Villers-sur-Semois. Je me suis dit que c'était Champenois. En
arrivant sur les lieux, je l'ai vu, un sac sur le dos, rentrer dans
le bois de Rastad. Un coup de chance !" Haut perché dans
la couronne d'un arbre, l'homme était cette fois coincé
! Son procès fut, après celui Dutroux, le plus
médiatisé de l'histoire de la cour d'assises d'Arlon.
Verdict : la perpétuité. Mais toujours sans cadavre.
Mais l'affaire Champenois n'allait
pas en rester là. En 1977, lors d'une libération
conditionnelle, "l'homme des bois" ne rentre pas en prison. L'appel
de la forêt était trop fort. C'est le même
gendarme Mathu qui intercepte le fugitif près du hameau de
Gévimont (Virton). Il me connaissait, on a parlé. Puis
je l'ai revu à la prison d'Arlon et là, après 3
heures de discussion, il m'a dit : "On va chez le procureur".
C'est là qu'il a dit où se trouvait le corps de son
épouse. Mais jamais il n'a parlé d'assassinat. "Elle
est tombée dans l'escalier, un fusil en main". On
retrouvera le squelette de "la dame en noir" dans la ferme de
Houdemont, sous une dalle de béton.
"La mémoire
des arbres" et le héros
entretien
Eric Burgraff
|
L'affaire Champenois... Les
éditions Dupuis ne pouvaient rêver meilleure histoire
pour lancer, en 1994, leur collection "La mémoire des arbres".
Avec, en tête de casting, le dessinateur Jean-Claude Servais.
Dessiner l'affaire Champenois, un
rêve de Gaumais ?
Il faut d'abord préciser que
le scénario n'est pas de moi. Il a été
écrit par deux élèves de l'IAD, Gérard
Frippiat et Jean-Claude Bissot. Ils rêvaient d'en faire un
film. Les moyens n'ont pas suivi. Avant de me mettre au dessin, je me
suis bien entendu plongé dans les archives de l'époque.
Il faut savoir qu'en Gaume, l'affaire Champenois, c'est une braise
qui couve, un sujet tabou. Personne dans la région n'avait
osé écrire sur le sujet. Il faut dire aussi que
l'écrivain Jean Mergeai avait été avocat
général lors des assises d'octobre 1965. Et puis, le
sujet est très délicat. Ainsi, le rôle du
châtelain pendant la guerre n'est pas clair. A Buzenol,
certains étaient proches des nazis, d'autres étaient
résistants. Ajoutez-y le fait que la famille de
l'épicière agressée par Champenois vit toujours
: je peux vous assurer que pour elle, il n'a rien d'un héros.
Pourquoi ce mythe ?
Parce qu'il a échappé
à des centaines de gendarmes concentrés sur un petit
territoire, il se moquait des forces de l'ordre. Vous savez, en 1964,
c'est la première fois qu'on a vu un hélicoptère
en Gaume ! C'était une espèce de Robin des Bois, un
sauvage qui a réagi d'instinct. Lors de sa cavale en 1977,
toute la région a eu peur.
une des dernières photos de
Roger Champenois
rétroactes
- 1929. Naissance de Roger
Champenois
- 22 juillet 1954 -
bûcheron, il épouse Elisabeth Danniau, une
Bruxelloise de 50 ans
- 22 juillet 1963 - Roger
Champenois déclare avoir conduit son épouse
à la gare d'Arlon
- 13 février 1964 -
l'enquête sur la disparition d'Elisabeth Danniau
démarre réellement
- 19 mars 1964 -
Champenois est placé sous mandat
d'arrêt
- 15 juin 64 - remise en
liberté
- 23 août 1964 -
Champenois et Darge pénètrent de nuit dans
l'épicerie de Houdemont - Champenois frappe la
propriétaire et enlève la fille
- 10 septembre 1964 -
arrestation dans le bois de Mortinsart
- 25 octobre 1965 -
début des assises à Arlon
- 1977 - libération
conditionnelle non respectée -
réarrestation et aveux
- 1978 - mise en
liberté définitive
- mai 2005 -
décès
|
Vous trouverez ici un
complément très intéressant, sous le titre
"Le dernier farceur de
Buzenol",
tiré de "Les grands dossiers criminels en Belgique - volume
1", de René Haquin et Pierre Stéphany (2005), aux
éditions Racine 52 rue Defacqz B-1050 Bruxelles
Fin
août 1964, Roger Champenois, un bûcheron suspecté
davoir tué sa femme, prend la clé des champs.
Retour sur une affaire devenue légendaire.
Élisabeth a disparu.
Élisabeth, Danniau de son nom de jeune fille, c'est cette dame
de la capitale qui a marié le Roger. Le Roger, c'est Roger
Champenois, un bûcheron de 34 ans qui habite Houdemont,
près de Habay. L'homme n'est pas instruit, solitaire, somme
toute déjà "l'homme des bois" qu'imposera la
légende, et tous se demandent quelle mouche a pu piquer le
Roger pour qu'il passe la bague au doigt à une bourgeoise qui,
de surcroît, est de 25 ans son aînée.
Les mauvaises langues ont dit qu'elle
avait eu plusieurs amants, là-bas, qu'elle en avait
gardé de la fortune et que, si cette presque
sexagénaire cherchait un dernier compagnon, elle gagnait par
la même occasion un homme à tout faire. Quitte à
s'installer dans la cambrousse. Et la Gaume, au milieu des
années 60, permettez, c'est un peu ça quand on a
vécu à Bruxelles !
Après tout, c'est
peut-être pour ça qu'elle a disparu, Élisabeth.
C'est d'ailleurs ce que Roger a dit aux gendarmes qui, finalement,
sont venus aux nouvelles. Sa femme avait le temps long, alors elle
s'en est retournée d'où elle venait. Sept mois plus
tôt. A-t-elle donné des nouvelles depuis ? Non, aucune.
Roger a repris sa hache et est retourné au bois, comme il le
faisait du temps d'avant Élisabeth. Comme si de rien
n'était, et c'est bien ça qui est louche.
Quand les pandores le cuisinent un
peu, Champenois s'emmêle les pinceaux. Au juge d'instruction
Plumier qui, à son tour, interroge le bûcheron gaumais,
en février 1964, Roger tient des propos décousus. Quand
il veut bien dire quelque chose. Alors, pensant qu'il y a anguille
sous roche, on fouille, on creuse, on sonde, on retourne. Sans
succès. Élisabeth, ou plutôt le cadavre
d'Élisabeth - car l'idée est bien qu'elle est morte, et
pas de sa belle mort ! - reste introuvable.
Désespérément introuvable.
Pourtant, Plumier est un coriace. Le
cheveu blanc, la clope coincée entre l'index et le majeur, il
en a vu d'autres. Champenois, qui ne pipe mot, regarde sans broncher
les militaires éventrer son jardin, vidanger le puits et
mettre le fumier à bas. C'est un fameux branle-bas de combat,
presque la guerre revenue dans le petit village: pas moins de deux
cents hommes ont été réquisitionnés, mais
nada. Pas de corps donc, mais un mandat d'arrêt. Faute de
preuves, Roger Champenois est relâché trois mois plus
tard, alors qu'arrive l'été. Fin du premier
acte.
Que lui passe-t-il par la tête,
le soir du 22 août, pour qu'avec un copain d'un village voisin,
Roger décide de s'en prendre à l'épicerie de
Houdemont, mais aussi à l'épicière, sa fille de
13 ans et une petite cousine ? On a parlé de médisance
sur son compte, d'une bisbrouille qu'il n'aurait pas
digérée. Toujours est-il qu'une fois dans la place, il
monte à l'étage, frappe l'épicière avec
une hachette et la blesse grièvement. Il enlève sa
fille, l'embarque dans une jeep et la séquestre en
forêt. Quant au copain, pas fier de la tournure des
événements, il prend la tangente.
Son coup fait, Champenois, qui
s'était préparé une cache, n'en est pas moins
désorienté. Désormais seul avec la petite, il
est soudain pris de remords. S'en file à pattes au village
où il se confesse au curé. Qui informe le
champêtre. Qui à son tour alerte la police. Roger s'en
va libérer la gamine et se met à couvert. La chasse
à l'homme peut débuter. Elle durera onze
jours.
S'il ne l'était
déjà, Roger Champenois est désormais
officiellement, pour l'opinion publique, les médias et plus
tard pour la postérité, "l'homme des bois".
Traqué par les gendarmes, l'armée, même les
hélicos, il est à la fois le loup, le renard et la
belette. Et accessoirement le daru. Forcément, le fugitif
connaît les bois de la région comme sa poche.
Les facéties de Champenois, un
analphabète qui déjoue les efforts conjugués de
la maréchaussée et des militaires, finissent même
par lui attirer la sympathie de ceux qui voient en lui, bien
qu'à tort, un nouveau Robin des bois.
Toutes les choses ont une fin : le 2
septembre 1964 dans l'après-midi, le maréchal de logis
Nathalis aperçoit le Roger juché dans les ramures d'un
grand chêne. On avait dit le fuyard armé. La petite
histoire prétend, et c'est sans doute vrai, que le bon
gendarme lui aurait crié: "Champenois, j'ai une femme et
des enfants. Ne tire pas et rends-toi." Et Champenois, qui au
fond n'était pas un mauvais bougre, est descendu de son arbre.
Fin du deuxième acte.
C'était il y a tout juste
cinquante ans.
témoignage
de Philippe
St Léger en Gaume - septembre
2016
"Le
Roger a travaillé au bois pour mes parents et je me
souviens, jeune ado, au début des années 90,
avoir travaillé avec lui aux sapins à Bleid,
avec mon frère David.
Je me rappelle de cette anecdote :
Nous
étions tous les trois à ébrancher les
grumes quand tout à coup Roger nous fait une grand
signe : "Chut", puis un autre, d'un coup de main, pour nous
dire d'arrêter nos machines... ce que nous faisons,
craignant un souci.
Ensuite le Roger nous chuchote "Vous sentez ?"
Là, on s'est regardés,
hébétés, à se demander ce qui se
passait...
Il nous lance : "Vous ne sentez pas, il y a du chevreuil
!"
Bien sûr que nous n'avions rien senti !
Quelques instants plus tard, à environ 50 m de nous,
on voit traverser un chevreuil et son
petit...
Un vrai
homme des bois, dans le bon sens du terme, très
proche de sa nature. Respect à cet homme.
Roger habitait dans une sapinière, le long de la
route Mussy-Bleid, juste dans le tournant au-dessus de
Mussy, avant de redescendre sur Bleid.
Je me
souviens de ce panneau : "défense d'entré !",
avec un "é"...
|
version
originale
|
version
"française"
|
II n'a jamais mis les pieds
à l'école
Mais il connaît les coins à carricoles
Il n'a jamais mis les pieds à La Baule
Mais il connaît par cur les bois de
Buzenol
Il ne sait pas où
coule le Pactole
Ni le nom d'l'inventeur d'la boussole
La différence entre Albert et Léopole
Entre une asymptote et une hyperbole
Il s'est choisi un chemin
forestier
A chacun sa manière de dériver
Un prof de math ça ne peut pas rêver
C'est l'tango de
Champenois
Qu'on ira danser dans les bois
Du Bonlieu de Gévimont
De Guéville de Bicaumont
C'est l'tango dè
l'houme des bos
Des roudges rinârds des djargôgôs
C'est l'tngo dè l'houme qu'est bin
A la coupette des sapins
Il se plaisait à
djoquer sur un chêne
A mâchonner des racines et des graines
En r'niflant la brigade de Saint Léger
Qui montait la garde près des terriers
Adieu les galipettes adieu
bricoles
Aujourd'hui il camousse dans une gaïole
A s'inventer des histoires de braconne
A chevaucher une quelconque baronne
On lui a choisi une belle
petite cage
Pour réprimer ses instincts de sauvage
Comme l'écrit René Thill dans
Ses belles pages.
La dame en noir, la belle
Elizabette
On croyait bien qu'elle était voûÿe au
train
Qu'elle avait pris la poudre d'escampette
Avec un de ses amants par la main
Mais on la f'ra la belle petite fête
Qu'on mijotait pour sa sortie d'prison
Avec de la touffâÿe èt d'la galette
Au beau milieu de la place d'Houdemont
On l'f'ra quand même
le p'tit 45 tours
Que vous trouv'rez pour cent francs au Carrefour
Et dans le juke-box du Château de Latour.
J.C.
Watrin
|
Il n'a jamais mis les pieds
à l'école
Mais il connaît les coins à escargots
Il n'a jamais mis les pieds à La Baule
Mais il connaît par cur les bois de
Buzenol
Il ne sait pas où
coule le Pactole
Ni le nom d'l'inventeur de la boussole
La différence entre Albert et Léopole
Entre une asymptote et une hyperbole
Il s'est choisi un chemin
forestier
A chacun sa manière de dériver
Un prof de math ça ne peut pas rêver
C'est l'tango de
Champenois
Qu'on ira danser dans les bois
Du Bonlieu de Gévimont
De Guéville de Bicaumont
C'est l'tango de l'homme des
bois
Des rouges renards des jars, niais
C'est l'tango de l'homme qui est bien
A la cime des sapins
Il se plaisait à se
percher sur un chêne
A mâchonner des racines et des graines
En reniflant la brigade de Saint Léger
Qui montait la garde près des terriers
Adieu les galipettes adieu
pièges
Aujourd'hui il pourrit dans une prison
A s'inventer des histoires de braconne
A chevaucher une quelconque baronne
On lui a choisi une belle
petite cage
Pour réprimer ses instincts de sauvage
Comme l'écrit René Thill dans
Ses belles pages.
La dame en noir, la belle
Elizabette
On croyait bien qu'elle était partie au train
Qu'elle avait pris la poudre d'escampette
Avec un de ses amants par la main
Mais on la f'ra la belle petite fête
Qu'on mijotait pour sa sortie d'prison
Avec de la touffâÿe èt d'la tarte
Au beau milieu de la place d'Houdemont
On l'f'ra quand même
le p'tit 45 tours
Que vous trouv'rez pour cent francs au Carrefour
Et dans le juke-box du Château de Latour.
J.C.
Watrin
|
"le Tango de Champenois",
de Jean-Claude Watrin -
1978
|
Ici
2 autres documents précieux sur ce personnage hors
normes
|
Roger
Champenois - une légende ?
Le Gletton de janvier-février 2010
un must !
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La
saga de Champenois
par Frédéric Kiesel - 1989
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Jean-Claude
Bouvy
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Michel
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