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tchi avit
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Aujourd'hui, on parle des
"seventies". Culture moderne ? Peut-être. Dans cette
décennie donc, j'allais souvent rendre visite à des
cousins métayers, chargés d'élever environ six
à huit cents moutons, avec leurs corollaires ! Un dimanche, j'étais
invité à déjeuner en même temps que leurs
enfants et un cousin de mon père, Georges. Quand il se déplaçait
au chef-lieu pour acheter l'indispensable, par exemple du sel, des
allumettes, il croisait toujours un restaurateur qui lui payait un
café + pousse ou un apéro en lui demandant : Quand j'allais lui rendre visite,
pendant la traditionnelle promenade il prenait un malin plaisir
à me désigner du doigt un endroit précis, en me
disant : Mais revenons-en à nos agapes,
avant que ce ne soit trop cuit. Rien de grave toutefois car, entre
nous, hein, que ce soit pas assez cuit, ou si ça doit mijoter
encore, que ce soit trop frais ou pas assez, nous avons dans notre
patrimoine français un truc unique au monde : l'espace-temps
de l'apéro ! Si Einstein avait vécu chez nous, il en
aurait tiré un théorème ! Le cousin Georges est en face de moi,
à côté de ma jolie cousine. Et pourtant, c'est
lui qui mobilise mon attention. Quelque chose a changé dans
son visage depuis son arrivée. Mais quoi ? Ce malin me sourit
avec une gentillesse teintée d'ironie, puis me demande : Nous prîmes le cougna dans la
tasse tiède du café et Georges vint s'asseoir
près de moi. Délicatement il sortit de sa poche un tout
petit sac, cousu dans un morceau de mouchoir déchiré,
l'ouvrit et versa le contenu dans le creux de sa main calleuse. Je
vis un morceau de gros fil brillant et des éclats de bois.
Evidemment, il guettait ma réaction. Ma surprise fut moins
grande qu'il ne l'espérait, car j'avais compris ; mais je lui
laissais la satisfaction de raconter, en patois, ce que je vous
épargnerais. Pour la génération de
Georges, le dentiste était plutôt un arracheur de dents
qui vous faisait payer beaucoup trop cher les souffrances qu'il vous
infligeait. L'un d'entre eux, qui n'était pas doué, et
original, s'était installé dans la rue du chef-lieu,
devant chez lui et dans une caravane (authentique !) Une rallonge
électrique branchée dans son garage et traversant le
trottoir lui fournissait l'énergie et un peu de chauffage. Son
travail n'était pas de la meilleure qualité, mais ses
tarifs imbattables. Un bon repas et quelques fruits de la nature lui
suffisaient quand il se déplaçait avec la caravane pour
aller soigner, dans les fermes, hommes et animaux. Georges avait perdu deux incisives
supérieures et éprouvait des difficultés pour
manger. Il consulta donc le dentiste-caravanier, qui lui fabriqua un
bridge avec deux dents en acier. L'appareil donna satisfaction
pendant quelques mois, puis déclara forfait et chut dans
l'assiette. Après la bordée d'imprécations bien
crues contre le bricoleur de bouches, Georges se demanda ce qu'il
allait faire. Il ne résignait pas à jeter ce bout de
métal qui ne retenait plus ses deux locataires, car il l'avait
quand même payé. Et l'idée lui vint : il avait
deux jours avant remplacé le manche d'un outil, en taillant un
nouveau dans du buis sec. Il avait encore le cur, le morceau le
plus dur. Avec le marteau et un ciseau à
bois, Il en détacha une lamelle épaisse et courte, la
dégrossit à la lime, aiguisa soigneusement la petite
lame du canif qu'il avait toujours dans une poche, et s'inspirant des
modèles sous ses yeux, il tailla avec soin deux nouvelles
dents : Merci,
Jay
J'ai le souvenir des agneaux d'un jour ou deux, placés dans le
tiroir du bas de la gazinière, pour les sauver en les tenant
au chaud et les avoir sous la main pour leur faire boire du lait
toutes les trois ou quatre heures. Car une brebis qui mettait bas
deux agneaux nourrissait celui qu'elle avait choisi et repoussait
l'autre.
Pittoresque célibataire que cet homme. Débonnaire (on
dit "cool" en culture moderne), vivant en pleine campagne, sans
bruits de voisinage ni de circulation, avec une belle vue sur la
météo locale depuis les marches du perron de sa
cuisine-salle à manger-salon-chambre-à-coucher, sachant
vivre simplement en cultivant sous ses pieds, avec des connaissances
acquises jeune et longuement vérifiées sur le terrain,
de bons outils, et en prélevant sans excès quelques
gibiers d'air, d'eau, et de taillis (braconnage en culture
pré-moderne).
- Georges, peux-tu nous trouver un beau brochet ou un beau sandre
pour dimanche ?
La commande évoluait avec la saison : carpes, gardons, lapins
de garenne, lièvres, faisans, cailles, perdrix,
écrevisses, champignons.
Dommage que vous ne l'ayez pas connu, car vous auriez encore, comme
moi, incrusté à jamais dans vos papilles le goût
incomparable de champignons peu communs, comme l'oronge, le coprin,
l'oreille de lièvre, ou l'helvelle ; d'un levraut
graissé au thym, d'une caille sauvage farcie à
l'oseille et au caillé, d'une anguille en matelote, et j'en
passe.
- Que vois-tu ?
Neuf fois sur dix, j'avais beau m'instiller de l'atropine dans les
pupilles, je lui répondais :
- Ben... rien !
ce dont il s'amusait à outrance, et il me montrait où
il posait un piège, un collet, une ligne de fond.
Bon allez, soyons sérieux, pour reposer le coude après
l'épreuve ci-dessus, faisons travailler la fourchette, et ne
mets pas tes coudes sur la table !
- Qui qu'tu m'veux donc, a mi r'garder coume ce !
- Quelque chose de changé depuis que tu as commencé de
manger.
Le bonhomme qui vit seul est content de lui, heureux de faire un peu
d'effet sur les autres. Le sourire s'élargit et je
découvre le détail inhabituel dans sa dentition ! A mes
sourcils qui se froncent pour un regard plus aigu, il comprend que
j'ai trouvé :
- Minghe, cousi, y te dira tot ave lou cougna !
- Vois-tu petit, j'en ai toujours une ou deux d'avance, car la
nourriture et le vin les noircissent, alors je les retire avant de
boire le café, elles durent un peu plus longtemps !
à la page de St Léger La
Pallu