"Nous
publions aujourd'hui les Mémoires manuscrits d'un prêtre
dont le nom doit être cher à ce diocèse, bien
qu'il ne lui ait pas appartenu, qui a raconté, en des pages
émues, les douleurs et les privations de l'exil.
Quand ces Mémoires ne
seraient que l'expression de souffrances et d'aventures
particulières, ils seraient déjà d'un
véritable intérêt. Mais ils ont une tout
autre portée. Ils sont l'histoire même de ces dignes
confesseurs de la foi, chassés de leur pays, traités en
ennemis, dénoncés à la vindicte des lois les
plus sanguinaires et les plus iniques, réduits à
demander à la terre étrangère un abri et du
pain. Ce que le prêtre dont nous relatons les souvenirs
décrit si bien, tous ses compagnons l'ont
éprouvé, et encore ceux-là étaient les
plus favorisés. Sans parler des douze cents prêtres
morts sur les pontons dans d'affreuses tortures, des centaines de
prêtres exécutés sur l'échafaud,
fusillés ou noyés dans les saturnales
révolutionnaires, il en est un grand nombre qui
succombèrent dans l'exil aux privations et à la
douleur. Qu'on juge de leurs souffrances par le récit des plus
favorisés.
acte
de baptême de Sébastien Jean Honoré
Pétel, le 29 octobre 1744, à Tostes
(Eure)
"Du Jeudy
29e octobre au(dit) an (1744) a été
baptisé par nous, pretre curé de Caudebec, un
garçon né dhier, de et en légitime
mariage de Sébastien Petel et de Marie Catherine
Gonelle sa femme, nommé Sébastien Jean
Honoré, par le s(ieur) Jean Petel, curé cy
(dessus) nommé, assisté de Marguerite
Lemetayer, parain et maraine ; laquelle a nommé
l'enfant Sébastien et ont signé.
J. Petel, curé de Caudebec Marguerite Mettaier"
|
M. l'abbé Pétel,
l'auteur des Mémoires que nous donnons à nos lecteurs,
avait cinquante ans, lorsque commença la persécution.
Il était curé de Saint-Léger,
au diocèse d'Evreux, estimé de ses paroissiens,
chéri de sa famille, qui était des plus honorables et
des plus aisées, et dont le souvenir, on le verra, revient
délicieusement et presque à chaque page sous sa plume.
Il avait deux frères, dont l'un, prêtre, partagea
fidèlement ses malheurs. Ce frère, homme d'une grande
piété, d'un commerce agréable et d'une
charité demeurée célèbre dans le pays,
devint, après le Concordat, curé-doyen du
Pont-de-l'Arche. M. l'abbé Pétel, l'écrivain,
fut nommé, après l'exil, comme nous le dirons plus
tard, curé de la Saussaye (
)
M. l'abbé Pétel
commence ses Mémoires par expliquer les motifs qui les lui ont
fait écrire. "Cette relation de plus de 1 800 lieues de
courses" qu'il a faites, "sans en avoir le désir"
et il ose bien dire "contre son gré", ne doit-il pas la
raconter enfin pour "céder au vu de ses parents et de
ses amis ?" Cependant un doute lui vient : écoutez ces
accents qui donnent de suite la mesure du cur de ce digne
prêtre et de ce bon fils : "Vous, mère si
chère à mon cur, vous à qui je dois bien
plus que la vie, ne devrais-je pas craindre de rouvrir des plaies qui
saignent encore, en retraçant à vos yeux nos malheurs ?
Non, votre piété, votre patience, votre
résignation me sont de sûrs garants que le détail
de nos peines passées, loin de vous affliger, excitera dans
votre âme le sentiment de la plus vive reconnaissance envers
Dieu, puisque vous aimez à dire que c'est son bras
tout-puissant qui nous a protégés, qui nous a
conservés et qui a comblé vos vux en nous rendant
à vos prières."
M. Pétel explique
ensuite pourquoi il a dû préférer l'exil au
serment constitutionnel, et il trouve à ce sujet de nobles et
fortes paroles que nous recommandons comme l'expression de l'opinion
des prêtres fidèles de ce temps : "En prêtant
serment à la constitution civile du clergé, il fallait
reconnaître la supériorité des
municipalités dans le gouvernement spirituel des
diocèses ; convenir que les évêques seraient en
quelque sorte assujettis à leurs vicaires ; approuver la
destruction des ordres religieux ; que les laïques pouvaient
à leur gré dépouiller un évêque de
son siège (
)"
On voit, pour le dire en
passant, que M. Pétel n'avait pas écrit ses
Mémoires pour la postérité, mais uniquement pour
sa famille, et à un âge assez avancé, dans le
calme et la paix de ses souvenirs. On comprend l'intérêt
qui s'attachait, après la Révolution, autour des
vénérables prêtres revenus de l'exil. On se
plaisait à les interroger, à leur faire raconter leurs
souffrances et leurs voyages, à les entendre parler du
passé ; car entre 1789 et 1802 il s'était
écoulé un siècle et il s'était
creusé un véritable abîme.
Dans les récits de ces
pieux vieillards, on ne trouve jamais d'aigreur ni de
passion. Ils parlent simplement et avec modestie
d'eux-mêmes, et sans fiel de leurs persécuteurs. Ces
Mémoires vont le prouver une fois de plus.
M. Pétel, après
quelques préliminaires, commence en ces termes son
récit : "Vous m'aviez vu jusqu'à cinquante ans aussi
heureux qu'on peut l'être. C'est à cet âge
où l'homme espère et cherche le repos qu'il plut
à la Providence de me priver tout à coup de mon
état, de ma fortune, de ma patrie, de nous arracher des bras
d'une mère tendre et chérie, d'un frère notre
meilleur ami, d'une sur précieuse à notre
cur et à notre chère famille, de vous, chers
enfants, tendres objets de notre complaisance.
"Le dimanche 27 aoust 1792,
j'eus pour la dernière fois la consolation de
célébrer la grand'messe et de chanter les vêpres
à Saint-Léger,
où j'avais repris mes fonctions en vertu d'une lettre que
m'avait adressée le district de Bernay. Six mois après
mon expulsion (1), une attaque de paralysie dont M.
Béhuc, mon successeur constitutionnel, fut frappé, me
valut cette faveur, qui est peut-être unique dans les fastes de
la Révolution. Pendant que mes confrères
gémissaient éloignés de leurs paroisses, je
remplissais mon devoir dans la mienne. Mais les dix mois d'une si
douce jouissance s'écoulèrent trop vite.
"Je partis le lundi 28, sur
les trois heures du matin, pour Saint-Pierre, où je demeurai
jusqu'au 8 de septembre. Ce fut le jour où je fis à ma
bonne et trop sensible mère mes tristes adieux, que je
répétai le lendemain à M. et à Mme de
Saint-Léger. Là, MM. Regnault et Legoux, mes vicaires,
mes frères et moi, prîmes une voiture pour Dieppe.
"Les massacres des
prêtres à Paris (2) et à Gacey, ce qui
s'était passé à Bernay, d'où environ
trente gardes nationaux étaient venus à
Saint-Léger
aussitôt
après mon départ pour se saisir de moi, m'avaient fait
juger qu'il n'était pas prudent de m'adresser au district de
Bernay pour avoir un passeport. Mes frères et moi nous en
avions pris un à Saint-Pierre. Nous le fîmes viser
à Rouen et à Dieppe. Notre voyage fut plus heureux que
ne le comportaient les circonstances. Nous descendîmes de
voiture à Dieppe sur les onze heures du soir. Le lendemain,
à quatre heures du matin, nous nous rendîmes au port
pour nous embarquer dans le paquebot d'un capitaine anglais que nous
avions trouvé à notre auberge. Nous lui donnions 24
livres en argent ou 40 en assignats. Nous entendîmes quelques
propos menaçants, mais l'arrivée d'un officier
municipal qui, par un appel nominal, nous fit passer sur le vaisseau,
nous mit à couvert de toute insulte. Je dois ici rendre
hommage à la loyauté de MM. les officiers municipaux de
Rouen et de Dieppe, qui, par l'honnêteté de leurs
procédés, nous firent sentir l'intérêt que
leur inspirait notre position" (
)
(1) M. l'abbé
Pétel avait été remplacé dans sa cure,
comme ayant refusé le serment, au commencement de 1791.
(2) Il s'agit des affreux
massacres de septembre, où près de 300 prêtres
furent immolés aux Carmes, à l'Abbaye, à
Saint-Firmin, à la Force, avec des raffinements de
cruauté dignes de ce temps.
MM. Pétel avaient avec
eux un jeune prêtre vraiment admirable, que la
Révolution surprit dans les modestes fonctions de vicaire de
Saint
Léger (district
de Bernay), et qui contribua puissamment à adoucir, puis
à embellir, le séjour des exilés à
l'étranger. Voici le témoignage que lui rend M.
Pétel : "Notre jeune ami nous rend tous les services que
vous voudriez nous rendre ; il veille sur notre petit ménage
avec autant de soin que pourraient le faire la sur ou la
mère la plus attentive. Nos fournisseurs, nos amis,
nous-mêmes l'appelons du nom bien mérité de
Padrone de la casa. Jugez s'il en est digne par l'échantillon
de son savoir-faire. En Angleterre, il parlait anglais ; en Flandre,
flamand ; en Allemagne, allemand ; mais il se surpasse en Italie, il
parle étonnamment la langue italienne. Il achète pain,
viande, fruits, légumes, toile, étoffe, laine, fil,
etc, etc. Il est au courant de tous les marchés. Est-il
question de cuisine ? Sans avoir toutes les ressources d'un cuisinier
français, il nous nourrit très bien. Manquons-nous de
chemises ? Il les taille, il les coud. Nos habits sont-ils
usés ? Il fait mieux que les raccommoder, il en fait des
neufs. Les vestes, les culottes, les bas, jusqu'aux chaussons, tout
est de son ressort. L'aiguille et le tricot lui sont également
familiers. Combien de fois l'avons-nous vu se priver d'une promenade
qui l'aurait amusé, pour avoir le plaisir d'obliger de
malheureux confrères, et cela dans tous les pays où
nous avons vécu ! Il a même habillé plusieurs
évêques" (
)
Cependant les
événements prenaient en France une tournure plus
favorable. Les lettres que les exilés recevaient de la patrie
leur en montraient l'accès possible, et les invitaient au
retour. Pas n'était besoin de beaucoup de sollicitations pour
déterminer MM. Pétel à rentrer en France.
C'était le vu le plus ardent de leur cur. Quinze
mois s'étaient écoulés à Vicenze, quinze
mois de pure et sereine félicité. Mais qu'est-ce que le
bonheur sur la terre étrangère ? La patrie semblait
ouverte aux exilés, ils se décidèrent à y
rentrer. Les préparatifs de départ furent vite faits.
"Nous devions à M. l'Evêque de Langres, dit notre
narrateur, le bonheur dont nous jouissions depuis quinze
mois. Nous nous eûmes obligés, M. Regnault et moi,
de lui faire une visite pour lui adresser nos remerciements et nos
adieux, et prendre ses commissions pour la France où nous
avions l'espoir de rentrer bientôt. Nous nous rendîmes
donc à Padoue, où il demeurait. M. de la Luzerne nous
reçut avec sa bonté ordinaire. Il nous fit entrer seuls
avec lui dans son cabinet, et nous jouîmes pendant plus de deux
heures de la conversation de ce savant et respectable prélat.
Les grands vicaires, nos confrères et amis, nous firent voir
toutes les beautés de la ville. Nous n'y passâmes qu'un
jour et nous retournâmes le lendemain à Vicenze."
C'est ainsi que se terminent
les Mémoires de M. l'abbé Pétel. Nos lecteurs
ont dû les suivre avec intérêt, et admirer avec
nous la bonté, la candeur et la dignité de cette
âme sacerdotale, les qualités les plus aimables de
l'esprit et du cur qui resplendissent à travers toutes
les pages de ce récit. Nous nous en séparons à
regret. Les natures loyales et tendres deviennent de plus en plus
rares. On repose volontiers la vue sur de tels souvenirs.
Ce que devint M. Pétel
après sa rentrée à Saint-Léger,
nous avons cherché à le découvrir, non sans
peine, et nous le dirons en peu de mots.
Il eut d'abord à essuyer
la persécution passagère qu'inaugura le coup d'Etat du
18 fructidor (septembre 1797). On sait, en effet, que les trois
directeurs Barras, la Réveillère-Lépeaux et
Rewbell, après un coup de main heureux, rendirent des
arrêts de proscription contre tous ceux qui leur parurent
suspects, et comprirent le clergé dans leur haine et leur
persécution. On pensa revenir aux jours de la Terreur.
|
Paul
François Jean Nicolas vicomte de Barras
(1755-1829). Député à la
Convention, il vota la mort de Louis XVI. C'est
lun des hommes-clés de la transition
vers le Directoire, dont il devient l'un des
Directeurs.
lien
ICI
|
|
|
Louis-Marie
de La Révellière-Lépeaux
(1753-1824) exerça son activité
pendant la période de la Révolution.
Il fut l'un des cinq premiers Directeurs du
Directoire, ainsi que député de
Maine-et-Loire.
lien
ICI
|
|
|
Jean-François
Rewbell (1747-1807) combattit les
Royalistes. Il fut lui aussi élu
Directeur du Directoire. Il fit entre autres
annexer à la France la Belgique et la rive
gauche du Rhin, et initia l'invasion de la
Suisse.
lien
ICI
|
|
Le 18 brumaire (novembre 1799)
rendit la paix en mettant fin à l'anarchie. M. Pétel ne
resta pas à la cure de Saint-Léger
après le Concordat.
Il se retira à la Saussaye, avec son frère M. Amable
Pétel, dont il a été question dans les
Mémoires, et qui fut pourvu en 1802 de cette cure. M.
Honoré Pétel, l'auteur des Mémoires, aidait
humblement son plus jeune frère dans les travaux du
ministère, lorsque celui-ci fut appelé en juillet 1812
à la cure de Pont-de-l'Arche, vacante par le
décès de M. Marie-Joseph-Alexandre le Visse de
Montigny, licencié en théologie, prêtre
distingué autant que vénérable. M. Amable
Pétel administra la paroisse de Pont-de-l'Arche pendant cinq
ans avec zèle, prudence et douceur, et s'endormit dans le
Seigneur le 28 novembre 1817, à l'âge de soixante-sept
ans.
Le troisième
frère de M. Pétel était en 1812 curé de
la succursale de Fouqueville. Quant à notre auteur, M.
Honoré Pétel, il remplaça son frère dans
la cure de la Saussaye, où il continua d'édifier les
fidèles par la sainteté de sa vie et la sagesse de sa
doctrine, jusqu'au 22 décembre 1816.
Il avait alors soixante-douze
ans. Appelé en toute hâte auprès d'un malade
à Thuit-Anger par un temps affreux, il y courut et y gagna la
mort. Au retour, il se coucha pour ne plus se relever. Il
était réservé à ce confesseur de la foi
de mourir dans l'accomplissement de son ministère et dans
l'exercice de la charité : digne fin d'une telle vie. M.
Honoré Pétel fut enterré, ainsi que presque tous
les membres de sa famille, à Saint-Pierre-des-Cercueils. C'est
là que repose ce bon et fidèle serviteur que le
Maître sans doute a depuis longtemps appelé à
partager sa félicité."
acte
de décès de Sébastien Jean
Honoré Pétel, le 29 octobre 1744, à
Tostes (Eure)
"Aujourd'hui
lundi vingt-trois décembre mil huit cent seize, par
devant nous soussigné, adjoint à la mairie de
Saint Martin la Corneille, canton de Tourville (1),
arrondissement de Louviers, département de l'Eure,
chargé par délégation des fonctions
d'officier de l'état-civil, quatre heures
après midi ; sont comparus les sieurs
- Jean Sébastien Félix Pétel,
âgé de trente-cinq ans, cultivateur
domicilié en la commune de Saint Pierre des
Cercueils, de ce canton, et
- Louis Mouchard, tondeur de draps en la manufacture
d'Elbeuf sur Seine, âgé de quarante-sept ans,
demeurant en cette commune ;
lesquels nous ont déclaré que le jour d'hier,
neuf heures & demie du soir, M. Sébastien Jean
Honoré Pétel, oncle du comparant, prêtre
desservant l'église succursale de La Saussaye,
dépendant de cette dite commune, fils de feu
Sébastien Pétel & de feue Catherine Bonel,
âgé de soixante-douze ans, né en la
commune de Tôte (2), près Louviers,
était décédé en sa maison
presbitérale.
Après nous être assuré du
décès dudit Sieur Sébastien Jean
Honoré Pétel, nous en avons dressé le
présent acte signé des dits comparants et de
nous après lecture faite.
Louis Mouchard S . Pétel J.A Jorre,
adjoint"
(1)
aujourd'hui Tourville la Rivière
(2) c'est la commune de Tostes
|
Merci
à Michel Guironnet pour son aide précieuse
http://www.histoire-genealogie.com/spip.php?auteur20
cahier des
plaintes et doléances - 1789
|
|
les
bruyères de Saint Léger
|
|
erci
de fermer l'grandissement
sinon.
https://www.stleger.info