Le
Roc la Tour, site géologique, est très prisé par
les amateurs d'escalade. Il est lié à la légende
du Château du Diable :
Il était une fois un seigneur
qui possédait une femme belle comme l'aurore. Mais comme il
était pauvre, il se désespérait de ne pouvoir
l'abriter que dans une misérable chaumière.
Il rêvait pour elle d'un palais
somptueux. Il ne désirait pas d'autre site que celui où
il vivait et qui était incomparable, au fond d'une gorge
profonde, où coulait la Semois parmi les rochers, les arbres
et les fleurs.
Mais le climat d'Ardenne est rude, l'hiver s'y prolonge parfois
jusqu'en juin, avec son cortège de neiges et de glaces.
Le seigneur voulait pour sa gente dame un abri digne de son port de
déesse, de son corps souple et délicat, de ses yeux
bleus comme le ciel, de ses épaules d'albâtre où
sa chevelure se déroulait en volutes dorées comme des
rayons de soleil.
Pour témoigner de son amour,
il avait entrepris, malgré son titre, d'édifier en
personne le château de ses rêves, en haut de la colline,
d'où la vue est sans rivale.
Mais comme il n'avait pas hérité de ses ancêtres
plus de courage que de fortune, il avait dû abandonner son
téméraire projet, considérant d'ailleurs
sagement qu'une vie entière n'eut pas suffi à son
exécution.
Il déplorait amèrement
de ne pouvoir arriver à ses fins lorsqu'iI reçut la
visite d'un escogriffe qui l'aborda en ces termes : "Haut et noble
seigneur, j'ai appris ton embarras, et que pour l'amour de ta gente
dame tu désirais un château digne de sa
beauté."
Emu et troublé, le seigneur répondit : "Ô
étranger, comment as-tu pu deviner mon tourment, hélas
trop certain ?
- Veux~tu connaître mon secret, répliqua le passant,
ou bien réaliser ton désir ?
Comme j'imagine que ma seconde proposition t'Intéresse plus
que la première, je t'offre de te construire, au sommet le
plus élevé de cette région merveilleuse, une
demeure qui fera mourir d'envie tous les barons des Monts et des
Ardennes. En moins d'une nuit, avant le chant du coq, tu la verras
surgir là-haut, d'où tu domineras toute la
Basse-Semois. En échange de ce service. je te demande ton
âme."
une partie de la
Boucle de la Meuse et une vue du clocher de l'église St
Léger
http://www.montherme.fr/montherme_en_images.htm
Le seigneur sembla
réfléchir un peu, ce qui lui arrivait rarement. En
adoration perpétuelle devant sa dame, il n'avait jamais
médité sur les graves questions de la destinée.
On lui apprenait qu'il avait une âme et le moyen d'en tirer
parti :
"Ô Satan, patron de ma détresse,
s'écria-t-il, voici !"
le Roc la Tour
A la lueur des feux follets qui
tremblent dans la nuit et se raniment à mesure qu'ils
languissent, tout ce que le maître de l'enfer compte de
serviteurs dans les cavernes et les ruisseaux de ces lieux travaille
sans répit sur la haute montagne.
Des grappes de nains déjà sont accrochés aux
flancs du coteau, bavant et suant, qu'il arrive encore de tous les
bois de l'Ardenne d'affreux annequins velus et de vilaines
lumerettes, de chaque grotte sort en pirouettes une ronde de nutons,
et des Hautes Fagnes-mêmes voici les sotets, après le
sabbat.
Les rauquements lugubres des oiseaux nocturnes dont le vol
éperdu se projette en cônes d'ombre sur les lueurs qui
lèchent le sol comme des larves, excitent les lutins et les
farfadets.
A chaque coup de hache tombe un chêne séculaire,
entraînant dans sa chute des bouleaux clairs et rieurs,
fêlant les roches brunes. Tout un pan de forêt
s'écroule. Danse vertigineuse de bois qui s'entrechoquent en
cliquetant comme des squelettes, broyant les nids d'où
s'échappent mille petits cris plaintifs, frêle soupir
sur la formidable agonie, réveillant les vipères
grouillantes et sifflantes, et fracassant les lyres accrochées
qui élèvent d'un ton d'esclave un thrène
mélodieux, dont les rimes vont en roulant comme un rosaire de
sanglots expirer sur les cailloux de l'onde.
Monthermé - le
Roc la Tour
Puis, sur la poussée
décisive des ouvriers infernaux, les durs blocs de schiste
cèdent et craquent, et sont hissés au point culminant,
à grand renfort de cris et de hurlements.
Satan dirige les travaux.
Les gens d'Haulmé et de
Tournavaux, surpris par le vacarme, se lèvent, allument les
couperons, et vont en tapinois d'une porte à l'autre, priant
Dieu et la Vierge.
Mais la sorcière, qui veillait à l'entrée de sa
grotte, bondit dans les rues, puante de pommade et caracolant comme
une vieille haridelle sur son manche à balai rituel. Elle
brandit le livre, aux armes mystérieuses, d'où elle
détient son horrible pouvoir, et de sa voix grinçante
comme les portes de l'enfer, elle vocifère :
"Malédiction ! Malédiction !"
A son odeur, chacun rentre en se signant, pâle d'effroi. La
forme du château déjà s'esquisse, imposante de
lignes et de masse, coiffant toute la montagne, formant avec elle un
seul bloc, poussant sur elle. Satan tient sa promesse. Jamais telle
tour ne s'est vue ni sur la terre ni en Ardenne...
Monthermé - le
Roc la Tour
Satan grandit en même temps que
l'énorme muraille, éclatant d'orgueil et défiant
le ciel, dont les étoiles palissent comme les yeux des
moribonds, ou ceux des enfants qui éclosent en tremblant,
à travers le brouillard épais comme l'ombre.
Satan siffle, éperonnant de son pied fourchu les lutins qui
défaillent.
Satan rayonne et ricane, dans l'attente de l'aube prochaine.
Sa longue silhouette noire se détache sur la masse
géante des roches accumulées, plus grosses que des
maisons, illuminée par les brasiers que les diablotins ont
tirés avec leurs pincettes du feu de l'enfer.
Il reste une pierre à
poser.
Mais le coq de la ferme voisine,
réveillé par le bruit, pousse un joyeux cocorico,
étouffant sous un ergot triomphal la poule noire qui
après de vains gloussements, s'apprêtait à lui
sauter au gosier.
Les manants, saluant le chant glorieux comme un signe de
résurrection, tirent leurs corps fiévreux des gros
édredons rouges.
Sur le pas de leurs portes, les femmes en châles et les hommes
en bonnets de coton sont cloués par le spectacle.
vallée de la
Meuse - Monthermé et Laval-Dieu - vue
générale
D'un coup de toque rageur, le diable,
en une seconde, a brisé l'uvre de la nuit.
Il détale, empestant la vallée de son sillage de
soufre, qui macule à jamais le schiste, et dont les gens
d'Haulmé et de Tournavaux gardèrent longtemps le
souvenir, grâce à un éternuement tenace.
Les blocs d'arkose et de quartz roulent avec un bruit de mille
tonnerres. Le sol d'Ardenne tremble. L'air est sourd. Un
déluge de pierres dévale en trombe dans le
précipice. Tempêtes de blocs et de rocs, nuages pleins,
dur vertige, rugueuse avalanche, cyclone.
Pantelantes et stupides, les assises
du castel demeurant sur le sommet, dans un étrange chaos qui,
aujourd'hui, au siècle vingtième, fait encore
l'émerveillement des touristes et le cauchemar des
géologues.
Source : J.P. Vaillant -
extrait de "Les Légendes Ardennaises"
https://www.stleger.info