L'arrivée
d'un médecin roumain à Saint-Léger-Magnazeix
redonne un peu d'espoir à un village menacé de
disparition.
Mardi à l'aube, le docteur
Constantin Stroescu a abrégé ses vacances pour
parcourir en voiture les 2 500 kilomètres qui séparent
sa ville natale Constanza (Roumanie) de Saint-Léger-Magnazeix,
village fantôme de Haute-Vienne où il s'est
installé en août 2009.
Malgré l'annonce de ses congés placardée aux
quatre coins du bourg de 500 habitants, le téléphone de
son cabinet n'a jamais cessé de sonner, l'obligeant à
anticiper son retour.
Après quatre décennies sans docteur, l'arrivée
inespérée de cet ancien médecin colonel a
réveillé ce bourg que l'on disait mort et qui avait
fini par accepter son déclin. « Aujourd'hui on ne
parle plus que de Saint-Léger-Magnazeix dans le canton
», s'étonne Michel, cultivateur à la retraite,
habitant de la commune voisine de
Saint-Hilaire-la-Treille.
« L'après-midi, le
bourg semble suspendu »
|
Mais c'est surtout le silence qui se
montre pesant. Accoudée à son balcon, Jeanne, 76 ans,
ne supporte plus cette ambiance et « meur[t] »
d'ennui : « Le matin, on croise parfois du monde qui va
acheter son pain. Mais l'après-midi, la vie
s'arrête. »
Le temps semble suspendu. Bien
sûr, il y a de la vie à Saint-Léger-Magnazeix,
mais elle semble se dérober au regard des étrangers.
Les maisons austères, de plain-pied, aux volets clos, laissent
à peine échapper quelques bruits de
télévision.
La distance nourrit le sentiment de solitude. « Nous devons
faire 15 kilomètres [jusqu'à Magnac-Laval,
ndlr] pour faire nos courses ou nos démarches
administratives (sécurité sociale, mutuelle) »
explique Claudette, jeune retraitée. Si la plupart des
services se trouvent dans un rayon de 20 kilomètres, «
pour tout achat qui sort de l'ordinaire, il faut se rendre à
Limoges, à 60 kilomètres ».
Internet permet de rompre
l'isolement, pour ceux qui pratiquent. David, jeune enseignant en
maternelle, communique par Skype avec ses amis. Mais il regrette de
devoir « faire soixante kilomètres pour faire du sport
».
Dans une région désertée par les jeunes
médecins, « c'est une vraie fierté pour
Saint-Léger-Magnazeix d'avoir réussi à faire
venir un docteur » se félicite Marie-José,
habitante de la commune et institutrice dans une ville voisine.
A plusieurs reprises, les hôpitaux environnants dont le CHU de
Limoges ont tenté de débaucher le docteur Stroescu.
« Nous avons même reçu des propositions venant
de Poitou-Charentes, mais nous ne souhaitons pas partir »,
confie sa femme Manuela. Un pacte lie le docteur roumain à
Josiane Demousseau, la maire de Saint-Léger, qui s'est
démenée pour organiser son arrivée.
Aujourd'hui, faire venir un
médecin dans une zone rurale aussi isolée, c'est un peu
essayer de recruter Lionel Messi, l'attaquant vedette de Barcelone,
pour jouer au Football Club de Bourg-Péronnas.
Elue en mars 2008, Josiane Demousseau (divers droite) a fait jouer
son réseau pour recruter un médecin en Roumanie,
puisqu'elle n'en trouvait pas en France. « Comme beaucoup
d'intellectuels de son pays, il parlait très bien le
français », raconte la maire qui lui a fourni
logement et cabinet.
Revitaliser la commune, un
challenge impossible ?
|
L'ancienne directrice d'usine s'est
installée à Saint-Léger-Magnazeix pour s'occuper
de sa mère malade. Elle était première adjointe
d'une ville de 8 000 habitants (Brioude) en Haute-Loire : «
Là-bas, j'avais tous les services sous la main (
)
C'est certain qu'ici pour acquérir ne serait-ce que des
vêtements, c'est plus difficile. »
Une fois installée dans sa
mairie un ancien château elle se lance dans un
« vaste plan de revitalisation de la commune ». Dans
ce village où la nature sembait avoir repris le dessus sur les
tentatives de modernisation, ce n'était pas gagné.
Jeanne confie : « L'été ça va encore,
nous pouvons jardiner ou nous retrouver au sein des associations,
mais à partir de l'hiver, les routes deviennent impraticables
et l'isolement est total. Le village tombe en hibernation.
»
Jusqu'à 2 000 habitants et
une trentaine de commerces
|
Saint-Léger, c'est 5 500
hectares, 53 hameaux, et au début du XXe siècle, une
population de presque 2 000 habitants. Certains n'ont pas
oublié cet « âge d'or ». Jean, ancien
forgeron, 86 ans et autant passés au village, fait le compte
avec tristesse : « Il y a cinquante ans, il y avait une
trentaine de commerces ici. »
L'index pointé vers la fenêtre, il énumère
les différentes boutiques qui se disputaient le chaland : les
bistrots, coiffeurs, menuisiers, vêtements
Ne subsiste
qu'un demi-bistrot.
Après avoir sauvé la
Poste en la transformant en agence postale communale, Josiane
Demousseau a dû faire face à la menace de suppression
d'une classe de l'école du bourg. « Nous devrions
pouvoir la conserver grâce au regroupement communal »,
rassure-t-elle cependant.
Après le transfert réussi du medecin roumain, la mairie
s'est lancée dans une opération séduction d'un
cuisinier. « La mairie a construit le bâtiment. Dans
deux ans, nous reprendrons à notre compte ce crédit
», explique Brigitte, hôtesse trilingue, l'épouse
du restaurateur, qui devrait bientôt embaucher deux
personnes.
Les habitants n'en reviennent toujours pas. Ça marche. Le
secret ? 60% de la clientèle est anglo-saxonne.
« Les Anglais adorent
s'installer en Limousin »
|
Depuis une dizaine d'années,
les Anglais repeuplent le Limousin. Ils ont racheté à
bas prix des vieilles masures, qu'ils ont retapées avec
goût ce qui leur a attiré la reconnaissance puis
la sympathie des autochtones. Aujourd'hui, un tiers de la population
de Saint-Léger-Magnazeix est anglaise. « Le bourg
n'aurait pas survécu sans eux », reconnaît
Josiane Demousseau.
Première anglaise à s'être installée
à Saint-Léger en 2003, Shelly tente d'expliquer
l'engouement de ses compatriotes : « Ils adorent le Limousin
parce que c'est vert et accessible économiquement. ».
Et puis « nous sommes moins taxés qu'en Angleterre
».
Mais depuis la crise
financière qui a fortement touché le Royaume-Uni,
beaucoup ont rebroussé chemin. Face à cette nouvelle
menace, la mairie de Saint-Léger a (encore) tout fait pour
retenir les siens.
Un corps de ferme a été réaménagé
en bibliothèque franco-anglaise, deux Anglais ont
été nommés conseillers municipaux.
Désormais lors des réunions publiques, les discours de
la maire sont même traduits. « Il ne nous manque pas
grand chose pour que le bourg redémarre à nouveau
», soupire la maire, qui veut y croire.
"Pas
besoin de vous dire que je me suis mise fort en
colère quand j'ai vu tout le travail que mon Conseil
Municipal et moi même avons fait pendant ces trois ans
mis par terre d'un seul coup.
Se permettre de nous comparer à Oradour sur Glane, un
peu de dignité et de respect pour ce village martyr !
J'ai averti le journaliste, il a enlevé Oradour sur
Glane.
J'ai fait un démenti sur une radio locale RMJ, car
beaucoup d'habitants du canton m'appelaient.
Je pense que maintenant, il faut laisser dormir et
oublier."
le maire,
Josiane Demousseau - mai 2011
|
"Saint
Léger somnole mais d'un oeil : oui nous sommes à la
campagne, oui cinq cents habitants, c'est peu oui les
commerces et artisans ont fermé depuis des années, oui
il y a des logements vacants, mais tous les Saint Léginauds ne
sont pas derrière leurs rideaux à guetter le boulanger,
le facteur ou les clients du tavernier !
Si des volets clos ne s'ouvrent que
pendant la belle saison, il y a toute l'année des points
vitaux dans le bourg : la population s'éparpille dans le
village vers le Cabinet du Docteur, vers la Poste Communale, vers la
Mairie, vers la Salle des Fêtes, vers le Restaurant qui ne
désemplit pas, chez le coiffeur, vers la jardinerie en saison,
quitte à boire un thé chaud en hiver, chez le grossiste
en vin, boisson et graines pour animaux, vers tous les petits
artisans dispersés dans les villages (listés dans le
bulletin municipal).
Bien sûr la population vieillit
mais des individualités ou des associations d'aide à la
personne visitent les anciens, le taxi-car remplace les transports en
commun de jadis, l'école a deux classes : les enseignants et
élus se mobilisent pour les conserver, le carnaval des petits
animent le rues, les mini-cars assurent le transport entre villages
et collège du canton : il y a donc des jeunes.
La Municipalité et la dizaine
d'associations font feu de tout bois pour animer la Commune :
marché de Noël, l'orgue de barbarie, marchés
d'été et du terroir, expositions ciblées,
animations et activités sportives (vélo
gymnastique) - occupations ludiques et cérébrales
(belote : 72 équipes au dernier concours scrabble :
entrainement le Mardi en Mairie) sorties musicales
(théâtre de Limoges mandragore musicorde
banda chorale cors de chasse les gueules
sèches la fanfare de Schleithal) repas des
anciens, des chasseurs, le repas italien avec ses 120 convives, le
bal masqué, les ostensions, les baptêmes de quad, la
journée du Patrimoine à l'église ou au
prieuré des Bronzeaux, le bal du 14 juillet, le repas des
anciens élèves, le feu de la Saint Jean et son omelette
traditionnelle, toutes ces Fêtes regroupant les Saint
Léginauds autour d'un verre ou d'un mijot.
Les kilomètres de chemins
municipaux permettent aux randonneurs de redécouvrir leur
patrimoine, par exemple avec la réhabilitation de la
« Procession de la lieue » et ses 70
pélerins, les sorties à l'observatoire ornithologique
de l'étang de Murat, les balades contées, la
découverte des libellules.
Que dire de la bibliothèque franco-anglaise et ses
kilomètres de rayons bien garnis, et la maison des jeunes.
Le prieuré des Bronzeaux a lui
aussi attiré plus de 800 visiteurs en 2010 grâce
à du sang neuf, sans oublier l'intégration des familles
anglaises qui suivent des cours franco-anglais
assidûment.
Alors oui, il se passe toujours
quelque chose à Saint Léger Magnazeix.
Le rédacteur,
Xavier Tingry - juin 2011
https://www.stleger.info