Au
milieu de l'automne 1974, à Montmorillon, je me rends chez le
marchand de boissons acheter du vin et des jus de fruits. Ce
jour-là, il me dit :
- Ma chienne cocker vient d'avoir huit chiots, leur père
est setter, en veux-tu un ?
- Je vais réfléchir et te donnerai ma
réponse.
Rentré
à la maison, j'en parle à ma femme :
- Que penses-tu d'offrir un petit chien à nos filles ? Et
on pourrait en prendre un deuxième pour mes parents, puisqu'il
y en a huit !
- C'est une bonne idée.
Une heure
après je suis devant le chenil :
- Choisis ceux qui te plaisent.
Quelqu'un m'avait appris une astuce : frapper dans ses mains pour
distinguer les chiots peureux.
Cela a fonctionné. Une petite boule marron s'est
avancée tranquillement vers moi, tandis qu'un de ses
frères, noir et blanc, se jetait dans mes jambes. J'ai
emporté les deux dans une cagette en bois prête à
l'avance.
Arrivé
à la maison, impossible de préparer la surprise pour
les filles. A peine la caisse posée par terre, le noir et
blanc saute en dehors et me fait la fête, tandis que le marron,
les pattes avant sur le rebord de la cagette, appelle à l'aide
par des jappements aigus. Pour les calmer, le plus simple
était de leur mettre un peu de lait dans une soucoupe, qu'ils
ont lappé rapidement, devant les filles ébahies. Nous
les appellerons Maki pour le marron et Miko pour le noir et
blanc.
Le reste de
l'après midi fut joyeux. Nous avions deux chiens de
comportement différent. Maki, petite boule tranquille avec un
ventre rond qui traînait presque par terre, et Miko, plus haut
sur pattes, toujours en mouvement.
Pour dîner
calmement, je remets les chiots dans leur caisse. Maki se couche et
s'endort. Miko saute de la caisse, et vient gambader autour de nous.
Je vais au garage et installe devant la caisse, coincée entre
le mur et le buffet, une planchette pour empêcher Miko de
s'échapper. Après trois essais, il réussit
à sauter par-dessus pour venir nous rejoindre, content de son
exploit, tandis que Maki pleurniche.
Il faut se fâcher pour obtenir un peu de calme. Mais cela ne
dure pas. Une nouvelle soucoupe de lait avec du pain trempé
nous apporte un peu de répit. Pendant ce temps, j'installe une
nouvelle barrière un peu plus haute, et nous finissons de
manger pendant que les chiots digèrent.
La nuit fut pour le
moins mouvementée. A peine étions-nous couchés,
et la lumière éteinte, les chiens se sont mis à
gémir. D'abord doucement, puis de plus en plus fort. Quand on
ne vit pas avec des animaux, on ne comprend pas leur
comportement.
Un chiot naît et reste à côté de sa
mère qui le réchauffe en le gardant contre elle et il
tête son lait, quand il en a besoin, sans tenir compte de
l'heure. Le chiot reconnaît vite sa mère par son odeur
et s'y habitue.
Maki et Miko dans leur boîte ne sentaient plus l'odeur de leur
mère, et ne pouvaient plus la téter.
J'ai dû me lever plusieurs fois pour faire taire les toutous,
car il n'y avait pas d'autre solution.
Pendant les jours qui
ont suivi, il a fallu improviser pour nourrir ces petites gueules
affamées. Avec du lait, du pain, puis un peu de viande et de
légumes hachés.
Heureusement que la cour et le jardin étaient entourés
de murs et de grillage, sinon il aurait fallu courir partout
après les explorateurs à quatre pattes.
Un escalier montait
de la cour au jardin. Dès les premiers jours, Miko
l'escaladait sans problème, Maki voulait le suivre, mais avec
son ventre rond, il avait du mal à prendre son élan
pour sauter une marche. Après quelques jours d'essais patauds
et des retombées sur son derrière en geignant, il a
pris un peu de vigueur.
Une autre affaire
délicate était de leur apprendre à être
propres. J'avais délimité un carré de terre
à cet effet dans le fond de la cour. Il fallait attraper le
pisseur sur le fait, et l'emmener rapidement finir son besoin
dehors.
Profitant d'un après midi ensoleillé, Christine jouait
dans la cour dans le tas de sable. Elle arrive dans la cuisine en
courant :
- Maman, Miko a fait pipi dans mon sable.
Il a fallu encore trouver le moyen, par une barrière
provisoire, pour empêcher les chiens de confondre le sable pour
les jeux et la terre qui leur était
destinée.
Les chiots avaient
grandi. Miko était toujours aussi fougueux, Maki perdait son
ventre et ses pattes s'allongeaient, mais il restait plus calme que
son frère.
Puis vint le moment de la séparation. Un dimanche après
midi, nous avons confié Miko à Papy et Mamie.
C'était prévu, les filles avaient reçu les
explications, mais il y a eu des larmes. De retour chez nous, Maki a
compris l'absence, a flairé partout dans la maison et a
cherché davantage notre affection.
Le dimanche suivant,
nous sommes retournés chez les parents pour atténuer
les effets de la séparation. Les deux chiens n'ont pas
arrêté de jouer, se poursuivant dans le grand jardin,
s'attrapant pour se mordiller, roulant ensemble dans
l'herbe.
Maki était
assez chien pour être éduqué. Il m'a
semblé que la première chose à faire
était de lui mettre un collier, pour y attacher ensuite une
laisse. Le collier fut facilement trouvé dans une boutique,
avec un petit cylindre de métal fermé par un bouchon
vissé, à l'intérieur duquel était
roulé un minuscule rouleau de papier où j'avais
écrit "Maki" et notre adresse.
Le soir, j'appelle le chien qui accourt. Je lui boucle le collier
autour du cou et le caresse. Sa joie passée, il se rend compte
de l'élément nouveau et commence à se tortiller
et secouer ses poils pour se débarrasser de ce truc
inconnu.
- Il est toujours là ce bidule qui me chatouille ! Donc je
pose mon derrière par terre et je gratte avec mes
papattes.
- Il est toujours là, ce truc ? Je me secoue encore un peu,
ça va partir. Tiens, je le sens encore, alors je regratte,
d'un côté, ça tient, de l'autre côté
aussi, je secoue un peu plus fort, ça ne part pas. Je secoue
encore plus fort : rien à faire, alors j'aboie, car je ne sais
plus quoi faire.
Pendant ce temps, nous rigolions tous. Il a donc fallu que je
prenne Maki sur mes genoux, que je le caresse et lui parle pour lui
faire oublier l'existence du collier. Il y eut encore quelques
secousses et grattages de plus le soir même, et le lendemain
tout allait bien.
L'étape
suivante consistait à attacher une laisse au collier pour
apprendre au chien à suivre son propriétaire. J'avais
oublié d'en acheter une avec le collier. Qu'à cela ne
tienne, un bout de ficelle ferait provisoirement l'affaire. Je fais
un nud dans l'anneau du collier, prends l'autre bout dans ma
main et j'ouvre la porte donnant sur la rue en invitant Maki à
sortir avec moi. Il hésite, fait quelques pas et
s'arrête :
- Maki, viens, Maki.
Il me regarde d'un air interrogatif :
- Viens, Maki, en me penchant et lui tendant la main. Il me
rejoint et s'arrête encore. Je fais quelques pas en direction
de la rue, la laisse se tend. Je m'arrête et regarde le chien.
Il semble perdu. Il scrute le paysage nouveau pour lui, mais ne bouge
pas. J'agite la laisse pour le faire démarrer, pas de
réaction. Je tends un peu plus la ficelle pour le tirer
doucement vers moi, en l'appelant. Maki ne bouge pas, il regarde par
terre et semble fixé au sol.
Nouvelle invite en agitant le cordon qui nous relie, les quatre
pattes font deux pas, et nouvel arrêt ! Croyant avoir
gagné la partie, je tire un peu sur la ficelle, erreur, car
Maki se bloque. Et pour résister davantage à une
nouvelle traction de ma part, il se campe en écartant ses
quatre pattes autour de lui d'un air de dire : inutile d'insister,
je ne bouge pas !
Je suis revenu vers lui en détendant la laisse, l'ai
caressé, lui ai parlé, et recommencé à le
solliciter pour me suivre. Toujours ce regard par terre,
éploré, voulant dire : quel tour es-tu encore en
train de me jouer après celui de cette chose autour du cou
dont je n'arrive pas à me défaire ?
Devant cette obstination, j'appelle à l'aide en demandant
d'apporter un sucre pour appâter le têtu. La friandise
avalée sans véritable joie, je tire sur la laisse et
appelle.
Miko reste tendu sur ses pattes ! L'énervement commence
à me gagner. Ma main cramponne fermement la ficelle et je
hâle. Le chien résiste. Je tire encore doucement mais
d'un mouvement continu. Les pattes se mettent à glisser sur
les graviers, Miko s'arc-boute, mais je tire sans en tenir compte. Le
dérapage inscrit ses traces dans les cailloux, mais on arrive
sur le bitume du trottoir. Et là, ça glisse toujours,
mais ça commence à chauffer les coussinets sous les
pattes ! Surpris, le chien piaille, mais il recommence à
marcher. Je ne lui laisse pas de répit, de crainte qu'il ne se
bloque encore. Je l'encourage de la voix :
- C'est bien Maki, continue !
Il trotte enfin ! J'accélère le pas, il me suit, je
ralentis, laissant un peu de mou à la laisse, il ralentit
aussi, j'accélère, la ficelle se tend à nouveau,
il marque un petit arrêt et repart. Cent mètres plus
loin, il semble avoir compris. Je m'arrête et le caresse, il
veut me sauter dans les bras, et ses yeux me disent :
- Ramène-moi à la maison, j'ai rien à faire
ici.
Nouveau départ, hésitation, regard inquiet, mais on
avance. Devant la boulangerie, il y a la queue. Maki s'assoit et se
lèche les coussinets. Nous entrons dans la boutique, deux
autres clients sont devant nous. Il flaire partout et
s'écarterait facilement, si je ne le retenais avec la laisse.
Le retour s'est bien effectué, la confiance était
revenue. Lorsqu'il aura bien admis l'obligation de la laisse, je lui
apprendrai à s'arrêter et à démarrer sur
ordre, car il y a des rues à traverser et des feux de
signalisation à respecter, sous peine de se faire heurter par
les voitures. Comme la majorité des chiens, la laisse
deviendra par la suite le signe visuel de la promenade, et ne sera
plus synonyme d'entrave.
Il n'était pas
question de dresser le chien dans une rue fréquentée.
Où aller ? Une zone industrielle venait de se construire, avec
des voies, croisements, trottoirs, en attente des commerces devant
s'y installer, et très peu fréquentée par les
automobiles. Rentrant un soir de bonne heure, je prends Maki et la
laisse pour un essai. Je marche avec le chien et je m'arrête.
Il me dépasse mais s'arrête aussi et me regarde.
- Maki, assis.
Il remue la queue. Avec la main, j'appuie sur son derrière
pour lui faire fléchir les pattes, en lui
répétant : assis. Il se relève
aussitôt. Je recommence la manuvre et le maintiens assis.
Il se relève, mais après quelques instants.
Après quatre ou cinq répétitions, il suffit que
mon doigt touche son dos pour obtenir la réaction
souhaitée. Il se révèle docile. Pendant
plusieurs jours, nous sommes retournés à
l'entraînement. Après l'avoir dressé à
s'asseoir sur ordre, je lui ai appris à se relever en lui
disant "debout". Ensuite le mot "stop" pour qu'il
s'arrête en même temps que moi. Puis "allez" pour
repartir. A chaque fois qu'il obéissait, il avait droit
à des caresses, mais sans friandise. Voyant sa bonne
volonté, j'ai enlevé la laisse et recommencé les
divers ordres. Cela a si bien marché qu'une fois assis, je
traversais la rue sans qu'il bouge, j'attendais un peu, et lui disait
"allez". Il se relevait et me rejoignait. Par la suite, j'ai
recommencé, avec Maki tenu en laisse, les mêmes
exercices, lors des promenades en ville. Et un jour, allant chercher
le pain avec lui, je n'ai pas mis la laisse. Maki avait bien pris les
réflexes et obtempérait à chaque ordre. Par la
suite, je lui ai aussi appris à saisir la nourriture sur
l'ordre "prends".
Pour vérifier le réflexe, je mettais un bout de viande
ou un os juste devant mon pied, il se posait à un mètre
et ne bougeait qu'au commandement "prends".
La cagette où
dormait Maki dans la cuisine devenait trop petite pour lui, et il ne
pouvait pas sortir la nuit pour satisfaire un besoin. Pour
remédier à cela, j'ai fabriqué une niche en
bois, que j'ai installée dans la cour derrière la porte
de la chaufferie.
Pour que Maki comprenne que c'était pour lui, avant de fixer
le toit de sa niche, je l'ai placé dedans, avec la petite
couverture sur laquelle il dormait dans sa caisse, de manière
à ce qu'il sente une odeur familière.
Mais le chien n'avait
pas l'habitude de dormir dehors. Le soir, j'ouvre la porte de la
cour, et sors avec lui. Il fait un rapide tour et revient vers la
porte. Je l'accompagne à sa niche, mais il n'y rentre pas, et
revient à la porte. Je le prends dans mes bras et le rentre
dans la niche. Il tourne sur lui-même, mais ne se couche pas et
veut ressortir. Lorsque Maki était un peu trop turbulent, il
suffisait que je lui dise "sage, Maki" et il se calmait. J'ai
élevé un peu la voix, et réussi à le
faire coucher. Je retourne à la maison. Arrivé
à la porte de la cuisine, Maki était derrière
moi. Il a fallu que je me fâche, en lui montrant la niche d'un
doigt autoritaire. Mais à peine couché, nous avons
entendu le chien aboyer et gratter à la porte. Il ne fallait
pas céder. Au bout d'une heure sans doute, il a cessé.
Le lendemain matin, Maki était derrière la porte. Il
est entré comme une fusée dans la maison, et
très excité, nous a montré combien il
était content de nous retrouver.
Avec mes parents,
nous avions projeté une promenade. J'avais choisi d'aller
à Châteauroux, car il y avait un bon restaurant. Le
dimanche matin de bonne heure, Papy et Mamie arrivent avec Miko.
Immédiatement, les deux chiens se lancent dans une farandole
formidable. Difficile de les calmer dans leur joie de se
retrouver.
Nous avions déjà emmené les deux chiens ensemble
dans le coffre de la voiture, et ils y avaient mis un désordre
monumental. Prévoyant la récidive, j'avais prévu
la parade : une planche pour séparer le coffre en deux cases.
Arrivés au
restaurant, nous nous concertons et décidons de ne prendre
qu'un chien avec nous dans la salle, pour éviter les ennuis.
Nous prenons Miko avec sa laisse que j'attache à ma chaise. Il
se montre raisonnable. Le serveur, qui me connaissait, vient prendre
la commande, et remarque le chien :
- Qu'il est mignon !
Et il lui apporte une soucoupe avec de l'eau. Nous prenons
l'apéritif, puis l'entrée. A chaque fois que le serveur
passe, Miko se lève, remue la queue en attente d'une caresse,
bientôt récompensée par une autre soucoupe avec
un reste de viande.
En attendant le plat principal, entrecôtes de buf
grillées avec frites, je propose d'échanger les chiens.
Je sors avec Miko, de couleur noire et blanche, et rentre dans la
salle avec Maki, de couleur chocolat, juste au moment où notre
serveur apporte un grand plat avec viande et légumes. Il me
voit avec le nouveau chien, et de saisissement, laisse tomber le plat
garni !
Pensant que le serveur a glissé ou heurté quelque
chose, je l'aide à se relever, pendant que Maki profite du
plat répandu.
Une fois debout, le serveur me regarde d'un air
désorienté :
- De quelle couleur était le chien tout à l'heure
?
- Noir et blanc, pourquoi ?
Et d'un seul coup je réalise :
- Nous avons deux chiens de couleurs différentes.
- Ah bon, j'ai cru que j'avais la berlue ! Et je n'ai pas bu !
Tout le restaurant a bien rigolé, au fur et à
mesure que l'anecdote a fait son chemin de table en table. Nous avons
dû attendre un peu la préparation du nouveau plat, et
quand le serveur est venu nous l'apporter :
- La prochaine fois, prévenez avant de changer d'animal !
Maki s'était
affiné, il avait l'allure générale de son
père, de race setter. Et il aimait avoir de l'espace et
courir. Je m'en étais rendu compte lors des balades dans la
campagne environnante. Dès qu'un chemin débouchait sur
des prés ou champs, le chien devenait plus nerveux et tirait
sur la laisse. Une fois libéré de celle-ci, il se
mettait à galoper, revenait essoufflé, la langue
pendante, mais repartait de plus belle.
Un jour, Maki est
rentré plein de boue et de bouse. Un bain s'imposait.
Nouveauté inconnue pour lui. La baignoire vue de
l'intérieur lui a paru bizarre. Le bruit de l'eau l'a
inquiété. Une fois mouillé, il essaie de se
secouer. D'une main, je le maintiens assis pour l'en
empêcher, de l'autre je le savonne. Il n'apprécie pas et
tente de quitter la baignoire. Je le retiens en l'attrapant par le
museau. Maki n'avait pas de méchanceté, il a
laissé faire, mais n'avait pas l'air bien fier. Tout en le
rinçant, je lui parle doucement, mais ne le lâche pas,
car je le sens prêt à bondir.
Après l'avoir essuyé sommairement, je l'installe sur
une serviette devant le radiateur, et lui ordonne de se coucher. Il
obéit mais se met à trembler comme un condamné,
il est pitoyable. Un quart d'heure après, il est sec et, pour
lui faire oublier la péripétie, je m'assois sur le
canapé et l'invite à monter sur mes genoux, ce qu'il
affectionne particulièrement. Il ne vient pas, ce qui
m'étonne. Je me lève pour aller le chercher, il se
dirige vers la porte de la cour. Je lui ouvre, il fonce dans sa
niche, et nous ne le verrons plus jusqu'au lendemain
matin.
Appel
téléphonique des parents. Nous savions
déjà que Miko était difficile à garder.
Ils nous apprennent qu'ils l'ont confié à un
cultivateur du voisinage, qui s'en occupe bien et le dresse pour la
chasse.
A la place, ils ont adopté une chatte, qu'ils ont
appelé Chouquette :
- Venez dimanche, vous verrez comme elle est
mignonne.
Maki n'est pas
méchant, mais ne connaît pas de chat, nous nous
demandons comment il va réagir, et Chouquette aussi.
Il fait beau ce dimanche, et nous rentrons par la véranda,
derrière la maison, sans sonner, mais je tiens Maki par sa
laisse.
Chouquette était tranquillement assise sur une chaise et se
léchait une patte.
A la vue du chien, plus vite qu'un facteur glisse une lettre dans la
boîte, elle dresse ses poils et feule méchamment. Maki
ne semble pas impressionné et reste calme. La chatte bondit de
la chaise et va se percher sur le plus haut meuble, toujours les
poils debout sur l'échine, dents et griffes dehors !
Maki ne cherche pas la bagarre, mais il est méfiant.
j'enlève la laisse pour voir sa réaction. Pas
d'agressivité. Nous décidons de laisser faire les
choses. Pendant que nous prenons l'apéritif, Maki court dans
le jardin, sans doute cherchant les odeurs de Miko. Depuis son
mirador, Chouquette observe attentivement.
Maki vient nous rejoindre au cours du repas, et comme à son
habitude, se couche à environ un mètre de la table,
dans l'espoir de recevoir à manger. La chatte est toujours sur
le qui-vive, et ne perd pas le chien du regard.
Mais l'envie de nourriture devient trop forte. Elle sait qu'une
gamelle l'attend dans la cuisine. Profitant que Maki ne la regarde
pas, elle saute à terre, mais fait un détour par le
salon. Maki a entendu et se lève, je guette sa
réaction. Il surveille sans s'agiter, puis rien ne venant se
recouche. Plus tard, nous reverrons passer Chouquette, avec
précaution, rasant les murs, devant un Maki paisible.
Après le
café, visite du potager de Papa, et nous ne nous occupons plus
des animaux. Maki a eu droit à quelques restes de viande, mais
il a reniflé la gamelle de la chatte. De son
côté, Chouquette s'enhardit et s'approche avec prudence.
Profitant d'une incursion du chien dans le jardin, elle sent
l'assiette de Maki.
L'après midi, tentative d'approche mais aussi d'intimidation
de la part de la chatte. Maki ne se laisse pas faire, mais n'est pas
agressif, plutôt joueur.
Un moment dans le
jardin, Chouquette se met à courir autour de Maki, qui se
lève pour participer à la course. Volte face de
Chouquette et affrontement. Nous pensons que cela va mal tourner,
mais il n'en est rien. Le calme revient, puis le jeu recommence. Car
c'est bien un jeu, la suite le prouvera. En effet, le soir venu nous
soupons dans la salle à manger, Chouquette est dans son panier
près de Maman, Maki à mes pieds. La discussion entre
nous va bon train. Maman se lève pour emporter un plat
à la cuisine, et s'exclame :
- Regardez les tous les deux !
Maki et Chouquette sont dans le panier et jouent à qui
mettra la patte sur le museau de l'autre. Et je te mordille, et je te
jette la patte, et j'esquive mais je te lance l'autre, tu
l'attraperas pas. Comme quoi certains proverbes ne se
vérifient pas toujours.
Quelques semaines
plus tard, il faut aller au ravitaillement dans un grand magasin
à Poitiers, et nous ne pouvons emmener Maki. Pensant que
pendant une absence le chien pouvait sauter la barrière du
jardin pour aller dans la rue, j'avais fabriqué une porte
assez haute, solide et grillagée, pour le maintenir dans la
petite cour où se trouvait sa niche. Nous l'enfermons en
partant.
Au retour, je vais pour délivrer Maki, mais surprise ! Il nous
attend à la porte de la cuisine :
- Que fais-tu ici, Maki ?
Devant le ton dur de ma voix, le chien adopte un profil bas et
prend la direction de sa niche. Je le suis et découvre un trou
dans le grillage de sa porte. Au même moment, le voisin de
l'autre côté de la rue m'appelle :
- Monsieur, j'ai récupéré votre chien dans la
rue, je l'ai remis dans la cour, mais il a peut-être
été heurté par une voiture, car il boitait.
Je remercie rapidement et me précipite
récupérer Maki. Il ne résiste pas, je le couche
sur le tapis du salon pour l'examiner. Il a un air de victime.
Doucement je le palpe, la tête, rien, le dos, pas plus, le
ventre, non plus, un cri aigu, voici la patte qui souffre, je
vérifie les autres, rien. Je reprends la patte malade, encore
plus doucement, j'essaie de me rendre compte si elle est
enflée ou cassée. Apparemment pas grand'chose. Je fais
marcher le chien, en effet il pose sa patte au sol, mais la retire
aussitôt. Il est trop tard pour consulter un
vétérinaire, nous verrons demain. Comme à chaque
fois que nous lui imposons un bain ou qu'il se sent fautif, Maki
préfère retourner à sa niche. En l'accompagnant,
j'ai pu constater quelle opiniâtreté le chien avait
développé pour s'échapper et nous retrouver.
J'avais cloué le grillage sur le bois avec des clous cavaliers
tous les cinq centimètres environ. Maki avait réussi
à saisir un angle avec ses dents, il avait tiré
fortement pour créer un trou par lequel il est passé en
se griffant, puis il a sauté la barrière donnant sur la
rue, ce qu'il n'avait jamais réalisé, et dont je ne le
croyais pas capable non plus.
Il y a d'autres exemples plus extraordinaires d'attachement d'un
animal à ses maîtres, celui-ci nous a suffi pour
comprendre que Maki détestait rester seul.
Nous ne donnions pas
beaucoup de sucre à Maki, mais de temps à autre les
filles avaient des bonbons. Un samedi matin, nous partons faire des
courses. Christine veut tenir Maki en laisse. En attendant de monter
dans la voiture, elle sort avec le chien qui est heureux de prendre
l'air.
Elle sort une friandise de sa poche, déplie le papier et veut
le mettre dans sa bouche. A ce moment là, Maki tire
involontairement sur la bride, qui entraîne la main de
Christine. Le bonbon tombe sur le trottoir, bonne aubaine pour le
chien qui le gobe sans hésiter. Christine est surprise par la
rapidité du chien :
- Eh ! Maki, mon bonbon !
Puis sans attendre elle attrape Maki par le museau, et sans aucune
peur lui ouvre la gueule à deux mains, récupère
le bonbon, et le met dans sa bouche en s'adressant au chien :
- Non mais, sans blague, c'est mon bonbon.
La maison dont nous
étions locataires était maintenant trop petite. Nous
avons trouvé un terrain et fait construire un pavillon avec
trois chambres et deux salles de bains. Le changement a
été important et positif pour nous, beaucoup moins pour
Maki. Parce qu'il restait beaucoup de travaux d'aménagements
à réaliser, nous n'avons pas eu le temps de nous
occuper de lui, et de l'intégrer dans le nouveau milieu. Le
plus souvent, nous le cantonnions dans le jardin pour travailler
tranquillement à l'intérieur. Il s'est senti mis
à l'écart, et son comportement a changé.
Pour compenser cette indifférence de notre part, il essayait
avec ses moyens de se faire remarquer, mais nous l'avons compris trop
tard.
Je me souviens de quelques-unes de ses bêtises. Un blouson de
toile séchait au jardin, pendant une courte absence, Maki l'a
saisi avec ses crocs par une manche, et déchiré. Si
nous plantions un nouvel arbuste, le lendemain nous le retrouvions
déterré. Il creusait des trous dans la terre devant sa
niche, je les rebouchais, mais il creusait à
nouveau.
Il a fallu admettre
l'évidence, Maki n'était plus heureux dans ces
conditions, et il ne servait plus à rien de se fâcher
contre lui, il persistait à trouver une nouvelle façon
d'exprimer son désarroi. J'en ai parlé à celui
qui me l'avait donné :
- J'ai vendu mon commerce et je me réinstalle en
Vendée, avec un grand terrain, je peux m'occuper de
Maki.Avec beaucoup de regret, j'ai installé la niche dans
le camion, j'ai pris Maki dans mes bras, il s'est mis à
trembler, car il sentait ce qui se passait, je l'ai
déposé dans la niche, l'ai caressé une
dernière fois en lui parlant doucement, et le camion est
parti, emmenant Maki vers une nouvelle vie. Plusieurs mois
après, j'ai su par mon ami que Maki se portait bien, et qu'il
devenait un honnête chien de chasse.
Je crois que Maki n'a jamais mordu quelqu'un dans sa vie. Il n'a
jamais été agressif, et n'aurait jamais
été un chien de garde, mais quel formidable animal de
compagnie !
Merci,
Jay
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