L'article
qui suit, écrit par Marika Julien, est extrait du mensuel
Sciences
et Avenir n°934, daté
de décembre 2024. Les photos sont de Marika Julien
également. Crédit infographie : Bruno
Bourgeois.
Dans la Vienne, les fouilles menées
sur ce site daté de 3 200 ans avant notre ère apportent
aux archéologues un témoignage rare sur la vie des
premiers agriculteurs de l'humanité et permettent de repenser
nos représentations de cette période.
tessons de céramique et ossements
animaux trouvés dans un fossé d'enceinte du
site
François Renard fouille avec minutie
l'extrémité d'un fossé du site de la Mangeoie,
à Saint-Léger-de-Montbrillais, dans la Vienne.
Bénévole, il accompagne régulièrement les
équipes de Vincent Ard, archéologue chargé de
recherche au CNRS et spécialiste du néolithique.
À l'occasion de ce chantier, François Renard est de
retour sur ses terres natales.
Au début des années 1980, alors
qu'il est encore adolescent, son père fait creuser une petite
mare à proximité. Dans les déblais, il trouve
une pointe de flèche et une hache polie. "Pas grand-chose,
mais pour un enfant, ça fait briller les yeux. J'ai
commencé à élargir un peu la prospection et
à monter sur cette colline juste à côté.
Et là, je me suis aperçu qu'il y avait quand même
beaucoup plus de silex qu'ailleurs
" Riche idée que
d'étendre ses recherches, car sur la petite butte de la
Mangeoie, il y a un peu plus de 5 000 ans, se dressait un village.
Ici ont vécu plusieurs générations d'hommes, de
femmes et d'enfants avec leurs troupeaux, protégés
derrière de grands fossés qui encerclaient leurs
habitations.
Aujourd'hui, signe d'une forme de
continuité entre leur époque et la nôtre, ce sont
des champs de blé et de maïs qui recouvrent l'ancien
habitat de ces populations néolithiques, les premiers
agriculteurs de l'histoire de l'humanité. Des années
après ses découvertes, François Renard parle
fortuitement du site à Vincent Ard, qui conduit des fouilles
sur des dolmens non loin de là. Intrigué, ce dernier
lance une étude géophysique qui confirme la
présence d'une "enceinte à fossés
interrompus".
Tout autour de la butte, il y a environ 2
kilomètres de fossés ; seules quelques parties non
ouvragées permettaient d'entrer dans l'enceinte. Ces
fossés étaient doublés de remparts
érigés avec la terre de creusement. Un travail
colossal, surtout qu'au néolithique, on ne dispose pas de
métal. "Il y a un caractère défensif à
ces sites-là, explique Vincent Ard. Il faut imaginer
l'investissement pour les construire. Finalement, c'est aussi
considérable que de construire un dolmen." Défensif
contre d'autres communautés humaines ? Peut-être,
puisqu'au néolithique, les conflits entre communautés
semblent s'amplifier. Mais ces fossés servaient aussi
certainement à protéger le bétail et les humains
de la faune sauvage.
les archéologues (Vincent Ard, au
centre) explorent un des fossés entourant le site
viennois,
où de grandes quantités d'objets du quotidien ont
été retrouvés - à droite, une petite
hache polie
Des fossés
transformés en un dépotoir riche
d'artefacts
|
Au cours de l'occupation du hameau, environ 3
200 ans avant notre ère, les fossés sont devenus une
sorte de dépotoir. Dès le début de la fouille en
2021, sont découvertes de grandes quantités d'objets du
quotidien : céramiques, outils lithiques, déchets de
boucherie
Ce qui indique un lieu de vie. À l'inverse,
dans les dolmens, on trouve des éléments
sélectionnés pour accompagner les morts, comme des
objets de parure. Après quatre années de fouilles sur
différentes portions de l'enceinte, la quantité de
vestiges permet à Vincent Ard de commencer à saisir
l'histoire de ce lieu.
"La communauté devait être
relativement importante. On peut aussi se demander si ce
n'était pas une place de marché, un lieu où
pouvaient venir d'autres communautés pour des fêtes
particulières, ce qui expliquerait qu'il y a ici davantage
d'animaux qui ont été consommés." Plus
largement, ce type de découvertes permet de repenser certaines
idées que l'on pouvait avoir sur le néolithique avec la
seule étude des sépultures, en particulier que ces
sociétés accorderaient une très grande
importance aux beaux objets et à la parure. "En fait, la
richesse première de ces communautés, explique
Vincent Ard, c'était leurs animaux. Ici, quand on voit la
quantité de bêtes qui ont été
consommées, ça veut dire que la communauté
était suffisamment riche pour pouvoir en abattre
autant."
En 2023, l'équipe de Vincent Ard met au
jour plusieurs ossements d'enfants. Cette découverte donne une
nouvelle dimension au site car il est assez rare de retrouver des
squelettes du néolithique sur un site en cours de fouille. En
outre, la présence de certains os donne aux chercheurs
l'espoir d'étudier l'ADN de ces individus. Pour la campagne
2024, Delphine Linard, archéoanthropologue contractuelle au
CNRS, accompagne l'équipe.
Elle dégage délicatement les
petits ossements en notant avec précision leur position dans
le fossé. Une attention particulière est portée
aux parties pétreuses des os temporaux, une portion d'os qui
conserve particulièrement bien l'ADN ancien. Ils sont sortis
de terre méticuleusement et, contrairement aux autres
ossements, ils ne seront pas lavés ni trop manipulés
pour éviter de dégrader l'ADN qu'ils pourraient encore
contenir. À l'issue de la campagne de fouille, quatre
individus sont identifiés : un enfant d'environ 3 ans, un de
5-7 ans, un autre de 8-9 ans et un dernier
décédé entre 11 et 12 ans. Sur site, les
chercheurs commencent à émettre des
hypothèses
"Les corps ne sont pas complets mais
certaines connexions anatomiques ont été globalement
préservées. Ils ont donc pu être jetés ou
déposés dans ce fossé et ensuite ont un peu
bougé, peut-être à cause de ruissellements d'eau
ou du passage d'animaux ", avance Delphine Linard. On ne peut pas
parler de sépulture, car aucun soin ne semble avoir
été apporté au dépôt des
défunts. "Ici, on a des corps qui sont jetés dans
les fossés comme des contenus de poubelles, décrit
Vincent Ard. C'est assez étonnant pour nous, mais il faut
imaginer qu'on n'était pas du tout dans les mêmes
relations à la mort." Ces corps d'enfants retrouvés
dans les fossés contrastent avec les sépultures
grandioses que sont les dolmens.
À quelques kilomètres de la
Mangeoie se dresse le dolmen monumental de Chantebrault IV. La
différence de traitement entre les personnes enterrées
dans un dolmen et ceux jetés dans les fossés est
criante, mais comment l'expliquer ? Une partie de la réponse
se trouve peut-être dans leur patrimoine
génétique. Ces dernières années, les
recherches sur l'ADN ancien se sont multipliées et apportent
des réponses à certaines questions laissées en
suspens par l'archéologie et l'anthropologie. Vincent Ard et
son équipe travaillent main dans la main avec les chercheurs
du laboratoire Pacea à Bordeaux.
Mélanie Pruvost,
paléogénéticienne et chercheuse CNRS, coordonne
le projet Link, un programme d'étude de l'évolution et
de l'organisation sociale des communautés du
néolithique et de l'âge du bronze dans le sud et l'ouest
de la France. Dans le cadre de ce projet, l'ADN de sept individus
retrouvés dans le dolmen de Chantebrault IV est en cours
d'étude. "En analysant l'ADN, on voit qu'ils sont tous du
néolithique. Et ce qui est intéressant, c'est que bien
qu'on n'ait analysé que quelques individus pour l'instant, on
a déjà un lien de parenté de type
père-fils", détaille la chercheuse. Un lien que
l'on a déjà trouvé dans d'autres dolmens.
"Dans les dolmens et sur les sites néolithiques en
général, on retrouve un système de
patrilocalité, c'est-à-dire que les hommes restent sur
place, explique la chercheuse. Et quand il y a des femmes, ce
sont les épouses de ces individus - on le voit parce qu'il y a
des descendants - et en général, elles viennent
d'ailleurs."
le dolmen de Chantebrault IV, à
quelques kilomètres de la Mangeoie
des fouilles y ont révélé des fragments osseux
et du mobilier déposés au
néolithique
Les prémices
d'une hiérarchisation sociale
|
Au début du mégalithisme sur la
façade Atlantique, entre 4 500 et 4 000 ans avant notre
ère, des individus d'une même famille ont souvent
été déposés dans des dolmens sur
plusieurs générations. On a donc des familles
dominantes, même si on ne sait pas encore pourquoi : pouvoir
politique, religieux, économique ou tout ça
mélangé ? "C'est un vrai changement avec le
néolithique. C'est le début d'une forme de
hiérarchisation sociale. Il y a des pauvres et il y a des
riches, c'est quelque chose que l'on perçoit avec les
tombes", explique Vincent Ard.
Au laboratoire Pacea à Bordeaux, Ana
Arzelier, post-doctorante en anthropologie biologique,
s'apprête à forer la partie pétreuse d'un os
temporal vieux de plus de 5 000 ans. Équipée de gants,
masque et charlotte, elle effectue ce prélèvement en
conditions stériles afin de limiter les contaminations. Pour
retrouver la poudre d'os blanche qui contient l'ADN ancien, il faut
percer assez profondément dans cet os dense. Il a
été retrouvé sur un site néolithique non
loin de Béziers, dans l'Hérault.
Comme celui des enfants de la Mangeoie, le
patrimoine génétique de cet individu sera
intégré au programme Link, pour mieux comprendre les
échanges entre communautés au néolithique et
à l'âge du bronze. Car si l'étude de l'ADN ancien
permet de mieux connaître le mode de vie des populations
d'autrefois, elle est aussi devenue l'un des principaux outils
d'analyse des migrations humaines à grande échelle et
sur le temps long. À la Mangeoie, à l'extrême
ouest de l'Europe, Vincent Ard estime que le néolithique
débute environ 5 000 ans avant notre ère. Ce nouveau
mode de vie, parfois qualifié de "révolution", voit le
début de l'agriculture, de l'élevage et le passage
d'Homo sapiens d'un mode de vie de chasseur-cueilleur à une
vie plus sédentaire et au début d'une économie
de production. "Ces sociétés n'étaient pas
très différentes des sociétés
préindustrielles qu'on avait encore dans nos régions il
n'y a pas si longtemps
", évoque Vincent
Ard.
forage de la partie pétreuse de l'os
temporal d'un individu du néolithique afin d'en extraire
de l'ADN ancien, et la mandibule d'un enfant de 11-12 ans
retrouvée dans un fossé d'enceinte
Un changement de
population décelé par la
paléogénétique
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Le néolithique débute au
Proche-Orient et "avance" vers l'ouest de l'Europe sur environ cinq
millénaires. Avec la seule archéologie, il est
difficile de comprendre comment s'est passée cette
transmission : transfert de compétence ou migrations ? La
paléogénétique apporte un nouvel
éclairage et permet de répondre à cette
question. En effet, les populations mésolithiques d'Europe de
l'Ouest (les chasseurs-cueilleurs prénéolithiques) sont
bien distinctes génétiquement des populations
suivantes. "On a constaté que les populations
néolithiques d'Europe étaient très, très
proches des populations des premiers agriculteurs du Proche-Orient,
explique Mélanie Pruvost. Et c'est comme ça
qu'on a vraiment pu indiquer que c'était un courant de
migration qui venait du Proche-Orient, et non pas une diffusion
culturelle qui avait apporté ce savoir-faire : une agriculture
et la domestication jusqu'en Europe."
De même, environ 2 500 ans avant notre
ère, une nouvelle population va arriver en Europe de l'Ouest,
se métisser avec la population locale et laisser son empreinte
dans les gènes de leurs descendants. "Entre la fin du
néolithique et le début de l'âge du bronze, on
distingue vraiment un apport au niveau génétique de
populations qui viennent des steppes avec un remplacement presque
complet du chromosome Y, ce qui indique qu'une nouvelle lignée
paternelle devient majoritaire." L'impact de ce mouvement n'est
pas prononcé de la même façon entre le nord et le
sud de la France, mais on ne sait pas encore pourquoi.
Mélanie Pruvost, Vincent Ard et leurs
collègues vont désormais essayer de comprendre ces
interactions entre groupes de migrants et populations locales en
s'appuyant sur les indices archéologiques, anthropologiques et
génétiques.
Un changement de
population décelé par la
paléogénétique
La
période néolithique débute au
Proche-Orient aux alentours de 10 000 ans avant notre
ère. Dans l'ouest de la France, cette période
commence presque 5 millénaires plus tard, vers - 5
000. Grâce à l'étude des
céramiques, les archéologues ont
déterminé que cette révolution se
diffuse par deux courants. En effet, les techniques et
décors se copient et permettent de tracer des routes
de diffusion de cette économie
néolithique.
Le courant méditerranéen
ou "cardial" (appelé ainsi car les poteries sont
décorées avec un coquillage, le "cardium")
passe par la Méditerranée et arrive dans le
sud-est de la France vers - 6 200, avant de continuer vers
l'Atlantique. Le courant danubien ou "rubané"
(à cause des décors en ruban des
céramiques) suit le Danube et arrive par le Bassin
parisien. Les populations néolithiques
proche-orientales se déplacent au cours des
siècles le long de ces routes. Elles
s'arrêtent, repartent et rencontrent les populations
de chasseurs-cueilleurs mésolithiques
(antérieures au néolithique) avec lesquelles
elles se métissent, mêlant ainsi les
patrimoines génétiques.
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Sciences et
Avenir n°934 de décembre
2024
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l'article du bulletin municipal de janvier 2025
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