' HOUM' TCHI AVIT IN' ENT EN UIS
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Un dimanche,
j'étais invité à déjeuner en même
temps que leurs enfants, et d'un cousin de mon père,
Georges. Pittoresque
célibataire que cet homme ! Débonnaire, vivant en
pleine campagne, sans bruits de voisinage ni de circulation, avec une
belle vue sur la météo locale depuis les marches du
perron de sa cuisine-salle à manger-salon-chambre à
coucher, sachant vivre simplement en cultivant sous ses pieds, avec
des connaissances acquises jeune et longuement
vérifiées sur le terrain, de bons outils, et en
prélevant sans excès, mais tout de même sans en
avertir la maréchaussée, quelques gibier d'air, d'eau,
et de taillis. Quand on lui rendait
visite, il ne fallait pas partir les mains vides. Un jour, il demanda
ainsi à ma petite fille si elle voulait manger de bons
ufs frais. Ayant enregistré un oui timide, il se leva et
se dirigea vers la haie devant sa maison, plongea plusieurs fois un
bras dans cette haie, à divers endroits, et rapporta six
ufs de poules vivant en totale liberté de nidifier et
pondre où elles voulaient. Quand il se
déplaçait au chef-lieu pour acheter l'indispensable,
par exemple du sel, du café, des allumettes, un paquet de
tabac gris, il croisait toujours un restaurateur qui lui payait un
café ou un apéro en lui demandant : La commande
évoluait avec la saison : carpes, brochets, lapins de garenne,
lièvres, faisans, cailles, perdrix, écrevisses. Quand j'allai lui
rendre visite, pendant la traditionnelle promenade, il prenait un
malin plaisir à me désigner du doigt un endroit
précis, en me disant : Mais revenons-en
à nos agapes, avant que ce ne soit trop cuit. Rien de grave,
car, entre nous, hein, que ce soit pas assez cuit, ou si ça
doit mijoter encore, que ce soit trop frais ou pas assez, nous avons
dans notre patrimoine français, un "truc" unique :
l'espace-temps de l'apéro ! Einstein a dû passer chez
nous, avant d'écrire son théorème. Georges est en face
de moi, à côté de ma jolie cousine. Et pourtant,
c'est lui qui mobilise mon attention. Quelque chose a changé
dans son visage depuis que nous sommes à table. Mais quoi ? Ce
malin me sourit avec une gentillesse teintée d'ironie, puis me
demande : Le bonhomme, qui vit
seul, est content de lui, heureux de faire un peu d'effet sur les
autres. Le sourire s'élargit et je découvre le
détail inhabituel dans sa dentition. A mes sourcils qui se
froncent pour un regard plus aigu, il comprend que j'ai trouvé
: Nous prîmes le
cougna dans la tasse tiède du café et Georges vint
s'asseoir près de moi. Délicatement, il sortit de sa
poche un tout petit sac cousu dans un morceau de mouchoir
déchiré, l'ouvrit et versa le contenu dans le creux de
sa main calleuse. Je vis un morceau de gros fil brillant et des
éclats de bois. Evidemment, il guettait ma réaction. Ma
surprise fut moins grande qu'il ne l'espérait, car j'avais
compris mais lui laisserais la satisfaction de raconter, en patois,
ce que je vous épargnerais. Pour la
génération de Georges, le dentiste était
plutôt un arracheur de dents qui vous faisait payer beaucoup
trop cher les souffrances qu'il vous infligeait. L'un d'entre eux,
qui n'était pas doué, et original, s'était
installé au chef-lieu, dans la rue devant chez lui, et dans
une caravane ! Une rallonge électrique branchée dans
son garage et traversant le trottoir sur deux perches, lui
fournissait l'énergie et un peu de chauffage. Son travail
n'était pas de la meilleure qualité, mais ses tarifs
imbattables, et quand il se déplaçait avec la caravane
pour aller soigner dans les fermes hommes et animaux, un bon repas et
quelques fruits de la nature lui suffisaient. Georges avait perdu
deux incisives supérieures, cela le gênait pour manger.
Il consulta donc le dentiste-caravanier, qui lui fabriqua un bridge
avec deux dents en acier. L'appareil donna satisfaction pendant
quelques mois, puis déclara forfait et chut dans le civet !
Après la bordée d'imprécations bien crues contre
le bricoleur de bouches, Georges se demanda ce qu'il allait faire. Il
ne résignait pas à jeter ce bout de métal, qui
ne retenait plus ses deux locataires, car il l'avait quand même
payé. Et l'idée lui vint : il avait une semaine avant
remplacé le manche d'un outil, en en taillant un nouveau dans
du buis. Il avait encore le cur, le morceau le plus dur. Avec
le marteau et un ciseau à bois, il en détacha une
lamelle épaisse et courte, la dégrossit à la
lime, aiguisa soigneusement la petite lame du canif qu'il avait
toujours dans une poche et, s'inspirant des modèles sous ses
yeux, il tailla avec soin deux nouvelles dents. - Vois-tu, petit,
j'en ai toujours une ou deux d'avance, car les aliments, le vin, le
tabac, les noircissent, alors je les retire avant de boire le
café, elles durent un peu plus longtemps..." Merci,
Jay
J'ai le souvenir des agneaux d'un jour ou deux placés dans le
tiroir du bas de la gazinière, pour les sauver en les tenant
au chaud et les avoir sous la main pour leur faire téter un
biberon de lait toutes les trois ou quatre heures car une brebis qui
mettait bas deux agneaux nourrissait celui qu'elle avait choisi et
repoussait l'autre.
- Georges, peux-tu nous trouver un beau poisson ou un gibier pour
dimanche ?
Dommage que vous ne l'ayez pas connu, car vous auriez encore, comme
moi, incrusté à jamais dans vos papilles, le goût
incomparable de champignons peu communs, comme l'oronge, le coprin,
l'oreille de lièvre, ou l'helvelle, d'un levraut
graissé au thym, d'une caille sauvage farcie aux herbes et au
caillé, d'une carpe à l'oseille, d'une anguille en
matelote, et j'arrête pour ne pas baver sur la page.
- Que vois-tu ?
Neuf fois sur dix, j'avais beau me concentrer sur l'ouverture de mes
pupilles, je lui répondais :
- Ben... rien !
Il s'en amusait à outrance, et me montrait où il posait
un appât, un piège, un collet, une ligne de
fond.
Allez, soyons sérieux, reposons le coude après
l'épreuve ci-dessus, et faisons travailler la fourchette.
- Qui qu'tu m'veux don', a mi r'garder coume ce !
- Quelque chose de changé depuis que tu as commencé de
manger.
- Minge cousi, y te dira tot ave lou cougna !