ulia ernard, institutrice à Saint-Léger du entoux (1899-1964)

 

 

composition de Sylvie Duquesne

 

 

lan de la "maison d'école" de aint-éger dressé en 1851 

 

 

 

 

 

 

xtraits du carnet d'inspection de ulia

 

"Petite classe bien blanche et bien éclairée. Les meubles et les cartes sont en ordre. Il y a des fleurs, des gravures et des dessins, et la poussière a été bien enlevée. L’aspect est assez agréable. Les vitres cependant pourraient être plus nettes."
organisation pédagogique – dictée – récitation – calcul – cahiers

"9h35. Il n’y a pas d’élèves dans la classe. Mme Bernard que je vois chez elle m’explique que l’un de ceux qui habitent dans le village est malade et que son frère est resté avec lui. C’est exact. Les deux autres enfants sont éloignés et fréquentent irrégulièrement l’école."

"La petite école de Saint-Léger bien exposée au soleil est aujourd’hui presque jolie. Elle ne comporte pourtant qu’une seule classe donnant sur l’étroite route et un vestiaire. Pas de cour et pas de préau."

Organisation : 1er groupe : les petits ; 2e lecture ; 3e arithmétique – récitation – chant

"1° Lecture et grammaire : cours moyen. Le texte est bien lu dans l’ensemble, quelques erreurs de liaison sont rectifiées. Le vocabulaire est assez fourni et les enfants connaissent le sens général. En grammaire, des connaissances suffisantes, qu’il faut seulement préciser par moments.
cours.élémentaire : Le texte convient bien au cours. La maîtresse lit et lit bien ; l’explication est ainsi rendue plus facile et peut être ramenée à un rapide coup d’œil d’ensemble. Le débit reste un peu heurté et la maîtresse a raison de le surveiller de très près. En grammaire, des connaissances appréciables, mais qu’il faut compléter.
L’élève du cours préparatoire - âgé d’ailleurs de 8 ans - s’exerce à composer avec des lettres mobiles (cubes) des mots tirés de sa leçon de lecture. Employer pour cet exercice un matériel mieux approprié (caractères ordinaires, mots composant une phrase).

2° Calcul : Les éléments du calcul sont bien acquis au c.e. On sait disposer un raisonnement et faire correctement une opération. Au c.m, un problème avec application de la règle de trois et convenant à l’étude des partages proportionnels est résolu assez facilement. On peut ici demander une connaissance plus raisonnée des pratiques du calcul, la justification des diverses opérations qu’on est amenée à faire.

3° Histoire de France. J’interroge sur les dernières leçons. J’obtiens des réponses justes sur des faits importants (bataille de Bouvines, règne de saint Louis, caractère de ce roi) et sur quelques dates. Il conviendrait toutefois de rechercher plus de solidité, plus de coordination dans ces connaissances en insistant sur ce qui fait réellement leur importance historique.

Appréciation générale sur le Maître : Mme Bernard prépare régulièrement et consciencieusement ses leçons. Elle a le soin de faire travailler utilement tous ses élèves et de cultiver l’esprit comme de meubler la mémoire. Cette classe est dans l’ensemble une classe bien tenue et en bonne voie.
L’inspecteur d’académie Pietri"

Déplacement d’office
"Mme Bernard, institutrice à Saint-Léger
J’ai l’honneur de vous informer qu’à la suite de l’enquête dont vous avez été l’objet et sur ma proposition, Mr le Préfet du Vaucluse a décidé de vous déplacer d’office. Il ressort en effet de cette enquête que vous avez négligé, dans votre école, d’exécuter les ordres donnés sur le Salut aux couleurs. Je n’ignore pas que vous avez prétexté, pour excuser votre carence, certaines circonstances d’ordre matériel. Mais les difficultés étaient aisément surmontables : il suffisait d’un peu de bonne volonté pour les résoudre ; et la non-exécution des instructions préfectorales et académiques en une matière d’aussi grande importance que l’éducation civique des enfants qui vous sont confiés engagent entièrement votre responsabilité d’éducatrice. Cette attitude inadmissible que nous aurions sanctionnée plus gravement sans vos bonnes notes antérieures vous a fait perdre autorité à Saint-Léger d’Orange où vous ne pouvez être maintenue. J’aime à croire que dans le nouveau poste qui va vous être confié, vous aurez à cœur d’obéir plus ponctuellement aux ordres de vos chefs et de mieux servir le gouvernement du Maréchal, chef de l’Etat. [...]
"

"J’ai l’honneur de vous faire part des commentaires dont est entourée la nomination comme institutrice à Vaison de Mme Jules Bernard.
On considère que ce poste, qu’elle désirait et qui serait pour elle un avancement certain, n’aurait pas dû lui être attribué. En effet, outre que Mme Bernard est dans une situation délicate pour n’avoir pas fait, pendant un an, le Salut aux couleurs dans son école, son fils, réfractaire au STO, serait caché et ravitaillé par elle [...]
Le sous-préfet
"

"[...] Lecture au c.p : Les deux élèves les plus avancés ont un livre de lecture courante et lisent fort convenablement. C’est fort bien pour leur âge, la plus jeune n’a pas encore six ans. Les deux autres étudient le syllabaire. [...] Genêt"

 

 

 

xtraits du dossier professionnel de ulia

 


 

 

 

 

 

 


 

 

 

ahiers de classe de aoul et vette Bernard

 

 

 

 

 

 

 

 

émoignage : " l fallait rester tranquilles, sinon on était punis" (vette)

 

D'après l’interview d’Yvette Robert, née Bernard, réalisée le 22 octobre 2015 par Josette Bertet, Danielle Tréhin et Jean-Louis Marçot et transcrite par Claude Dufay et Michel Jourdet.

Yvette, née en 1920, est la fille du frère de Jules Bernard, époux de Julia, et donc sa nièce et la cousine de Raoul.

 

 

visite de l’école qui est aujourd'hui la mairie de Saint-Léger :

Gens d’ici – Ça a bien changé ici ?
Yvette – À part qu'il fallait allumer le poêle le matin, une semaine chacun.
Vous êtes rentrée à l'école à quel âge ?
À cinq ans, six ans, je sais plus, à l’âge obligatoire.
Ce sont de bons ou de pas trop bons souvenirs ?
Pourquoi ils ne seraient pas bons ? Il n’y a pas eu de problèmes.

dans la salle du conseil municipal :

C'était la même pièce ?
C'était là, oui. La mairie maintenant, c'était la salle de classe.
Là où est le bureau de Béatrice (la secrétaire), c'était quoi alors ?
C'était la mairie. On entrait par les escaliers qui sont en dehors mais ils ont fermé (l’entrée).
C'étaient deux maisons différentes ?
Oui, bien sûr.
Et la cave en bas ?
(On y stockait le bois), il fallait du bois pour allumer le feu.
Où étaient les W.C. ?
Ils étaient à l'entrée. C'était par terre, qu'est-ce que vous croyez ? Il y avait un trou, c'était comme ça !
Il n’y avait pas de cour ?
Eh bien, non ! La cour de récréation c'était la rue, là où il y avait les tilleuls…
Il n'y a jamais eu d'incidents ?
Il n’y avait pas de voitures à l'époque !!!
Il pouvait y avoir des charrettes, des choses comme ça ?
Oh, les charrettes elles ne s'envolaient pas ! (rires)
On n'a pas d'images de l'école, on en a le plan parce que c'était une école type mais pas de photographie ni rien de l'extérieur.
Il y avait des escaliers, ça, ça n’a pas changé.
Et devant ? avant l'agrandissement de la route ?
Il y avait deux tilleuls, là, au bord de la route, qui ont été enlevés.
Vous y jouiez, sous les tilleuls ?
On avait toute la rue pour jouer…
On dit que le bureau du secrétariat était la chambre de l'instituteur ?
Ah, non ! La mairie, c'était là où il y a la secrétaire. L'instituteur, il avait son appartement au-dessus. Mais Julia ne l’a pas occupé ; elle a habité chez son mari, Jules.
Qu’est-ce qu'ils faisaient du logement de l'instituteur, c'était vide ?
Mais, bien sûr. Les Bernard avaient le restaurant, ils faisaient un peu à manger. Ils se servaient des chambres comme ils voulaient… voilà !
Vous êtes allée à l'école de cinq ans à onze ans, douze ans ?
J’avais treize ans quand j'ai passé mon certificat.
Sept ans donc ?
Voilà ! Sept ans d'école primaire, comme on faisait toujours, comme ça existe encore maintenant.
Mais ça n'existe plus le certificat, ça s'arrête en sixième.
Ah ! bon ? Il n’y a pas longtemps de ça...
Il n'y avait pas de maternelle : vous entriez donc assez tard à l’école ?
Entre 5 et 6 ans, on devait rentrer à l'école.
Vous étiez nombreux à l’époque ?
On était douze la dernière année, on n’a jamais été plus, je crois.
Vous souvenez-vous assez clairement de cette dernière classe-là ? De ce que faisait l'institutrice, de vos devoirs ?
On faisait les devoirs qu'il y avait à faire… et puis c'est tout.
Julia était sur une estrade ?
Bien sûr. Je ne sais pas où elle est passée. Je ne sais pas ce qu'ils en ont fait.
Le bureau et le tableau noir étaient derrière elle ?
Attendez voir, je ne sais plus… Il était là où il y a les marches pour entrer dans le secrétariat, dans le coin.
Et le poêle ?
À l'entrée, là, dans le fond, le poêle.
 

 

après 1933 - le poêle au centre de la salle et, au fond, un amas de branchages portant des cocons
 

Vous avez poursuivi votre scolarité ?
Non. Mes parents n'avaient pas les moyens de me mettre en pension.
Parce qu'il fallait partir ? Où ? à Vaison-la-Romaine ?
À Orange ! Raoul (son cousin, le fils de Julia) a été le premier à aller en pension à Orange avec (sa sœur) Simone.
Vous vous souvenez de vos jeux d’alors ?
Les jeux ? Il y avait les deux tilleuls sur le bord de la route…
Vous jouiez à quoi ?
À pas grand-chose.
À cache-cache, aux gendarmes et aux voleurs, à la marelle… ?
À colin-maillard.
À quoi encore ? Vous ne vous rappelez pas ?
Pfff !!!
Vous discutiez, il y avait des bagarres ?
Ah, ben, évidemment !
L'institutrice intervenait ?
Oui, ben ! les bagarres, c'est les bagarres ! Ça devait arriver souvent, je ne m'en souviens plus.
Y avait des clans, tel groupe contre tel autre ?
Oh, pensez-vous, le plus qu'on a été, c'est douze.
Vous aviez le droit de jouer filles et garçons ensemble ?
Oui, on n’était pas assez nombreux pour nous séparer.
Même sur les tables, même sur les bancs vous n’étiez pas séparés ?
Oh, là, je me souviens plus…
Ma grand-mère raconte qu'il y avait à l’école de Brantes une rangée de garçons et une rangée de filles et deux portails.
À Brantes, peut-être mais ici, non !
Vous étiez en tablier ?
On était comme on pouvait. À l'époque on n'était pas riches ! (rire) C'est ma mère qui m'habillait.
Le tablier, la blouse, c'était obligatoire à l'époque, on le voit bien sur les photos de toute façon.
Non… je ne me souviens pas que c'était obligatoire.

 

 

Et, pour manger, vous retourniez à la maison ?
Ce n’était pas loin.
Mais ceux qui habitaient loin ?
Il n’y avait que Gaby Bertet qui apportait son dîner. Autrement les autres, chez les Robert (aux Terres Rouges), là-bas, ils allaient manger chez eux, au Plan aussi et ils revenaient après.
À quelle heure vous commenciez le matin ?
À huit heures, je crois.
C'étaient les cloches de l'église qui vous donnaient l'heure ?
Les cloches à l'époque ne sonnaient que pour les grandes occasions. Elles sonnaient le glas ou quand il y avait un incendie, un problème. Il fallait venir avec des seaux pour éteindre le feu. C'était ma grand-mère qui sonnait les cloches.
Donc, c'était le papa et la maman qui vous réveillaient ?
Oui, ce n'était pas évident. Quand c'était le jeudi, on était réveillés le matin, mais quand c'était les autres jours, pour aller à l'école, on n'était jamais réveillés (rires), c’était dur. Je vois que pour tous les enfants, c’est pareil.
Et en hiver, vous aviez froid dans la salle ?
On allumait le poêle à bois le matin à deux, pour une semaine ; je crois qu’on préparait le bois.
Préparer le bois mais pas le couper, quand même ?
Il fallait couper le petit bois, mais pas les bûches.
C'est vous qui ameniez les bûches ?
Non, ils achetaient le bois. On faisait aussi le ménage une semaine chacun, on balayait.

 

 

Vous vous souvenez de ce que vous avez appris ?
Ben, tout ce que tout le monde a appris, jusqu’au certificat… Moi, c'est les dates, c'était ma hantise, l'histoire.
Vous n'étiez pas bonne ?
Je n'étais pas bonne, non…
Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit, des punitions ?
Les punitions, si on bavardait… je n'étais pas trop punie, moi, quand même.
Quelles punitions ?
Il fallait faire des lignes.
Le bonnet d'âne ?
Quand on ne travaillait pas bien… Moi, jamais, mais Paulette (M.), oui, alors elle… !!! Mais si ma tante Julia mettait trois, quatre pommes à cuire dans un petit four sur le poêle, Paulette, elle mangeait les pommes quand elle était punie de récréation (rires).
Elle ne vous tirait pas les oreilles ou elle ne vous frappait pas les doigts avec la règle ?
Non, ça n'existait plus, je ne me souviens pas de ça.
Et vous aviez des classes vertes comme on dit maintenant ?
(Elle rit) On y était toute l'année !
La classe commençait à huit heures…
Oui, jusqu’à onze heures et de quatorze à seize heures et une récréation d'un quart d'heure…
Et il y avait la visite de l'inspecteur ?
Oh ! oui, mais pas souvent, et le médecin scolaire aussi. Je ne sais pas s'il passe toujours.
Comment ça se passait la visite du médecin ?
C'est la maîtresse qui s'occupait discrètement avec lui, elle parlait des problèmes, il nous faisait lire surtout.
Il vous faisait des vaccinations ?
Je ne sais plus… Il nous pesait, mesurait, nous faisait lire surtout. Il passait une fois par an peut-être, c'était le docteur Carrière de Malaucène. Ma mère m'en parlait parce qu'elle s'inquiétait car j'ai marché très tard, à douze, treize mois. Il venait en voiture avec sa femme et son petit garçon qui avait le même âge que moi, ça la rassurait, elle me l'a raconté plus d'une fois.
Et les récompenses ?
Les bons points : on avait le bon point si on avait les mains propres le matin, un ou deux, le reste, je ne sais plus. À cent, on avait une image.
Et les mains sales, c'était une sanction ?
Eh ben, oui, il y avait la fontaine, ben tiens !
Vous souvenez-vous d’une fête, d’un événement particulier ?
Le certificat : on était quatre, on a tous réussi.
Où l’avez-vous passé ?
À Malaucène. La maîtresse, je ne vous dis pas, elle était contente ! C'est elle et (son mari) Jules qui nous ont emmenés avec leur voiture : Raoul, Roger Aubéry, Ida Goirand, moi. On avait des lauriers, tout le monde était content, ce n'était pas souvent, quatre sur quatre qui réussissaient… mais il n'y a plus de certificat !
Une petite fête a suivi ?
Non, rien du tout, juste des lauriers dans la voiture.
Y avait-il une distribution des prix en fin d'année ?
Non, je ne m'en souviens pas, la commune n'était pas assez riche.
Et les vacances commençaient début juillet comme maintenant ?
Peut-être le 14 juillet, je ne sais plus, ou plus tard.
Et les vacances de Noël, la Toussaint ?
Oh, non, Raoul et Simone en pension à Orange venaient juste pour Pâques, il n'y en avait pas beaucoup de vacances à l'époque, je ne sais plus, ça durait deux jours ? Maintenant, les vacances, il y en a… !
Comment s'appelait votre meilleure amie ?
Simone, ma cousine, et puis Ida Goirand.
Qu'est-elle devenue ?
Je ne l'ai pas revue. Ils sont partis à Valréas : son père était facteur.

Et les livres, on vous les donnait ou vous les achetiez ?
Je ne me souviens plus.
Aviez-vous une bibliothèque dans l'école ? Est-ce que vous empruntiez des livres ?
Moi, j'aime lire, mais je ne lisais pas évidemment comme maintenant.
Quel livre vous a marquée ?
"Le bon petit diable"
Quand lisiez-vous ?
On lisait le jeudi, et durant les vacances.
Et le soir, vous aviez de la lumière ?
Oui, même avec la bougie je lisais et deux lampes à pétrole, on n'y voyait rien, oh là là ! et je brodais, je faisais des napperons.
Et vous aviez du travail à la maison ?
J'avais des devoirs, une leçon à apprendre, évidemment.
Qu'est-ce que vous aimiez bien à l'école, quelle matière ?
Ce que je n'aimais pas, c'était les problèmes, les heures de train, les machins, ah, ça, c'était difficile !
Aviez-vous des cours de couture ?
Ah ! oui, bien sûr, au certificat, il y avait la couture.
Et les garçons ?
Du dessin. Les filles, couture, les garçons, dessin.
Et quelle couture ?
Oh, bien, j'ai tout appris, couture simple, couture rabattue, boutonnière, point de croix, surjet…
En primaire ?
Oui, à l'école, tout.
C’est Julia qui faisait le cours ou quelqu'un d’autre qui venait ?
C’est Julia bien sûr. Au certificat, il fallait l'emporter aussi. Je l'ai encore à Lyon (chez elle).
Et les garçons, qu'est-ce qu'ils dessinaient ?
C'était un objet, qu'est-ce que je sais, moi ?
C'était encore Julia qui faisait le cours de dessin ?
Ben, elle faisait tout, évidemment !!!
Vous aimiez bien l'école quand même, vous étiez bonne élève ?
Oh, pfff !!!…
Il y a un de vos cahiers de 1927 aux Archives, un beau cahier, bien appliqué.
On avait un cahier de devoirs mensuels, j'en ai un carton.
Vous auriez aimé continuer ? Vous avez regretté de quitter l’école ?
Oh, je ne sais pas, si j'avais pu… De toute façon il n'en était pas question …
Mais, si vous aviez pu ?
Il n'en était pas question ou même d'apprendre un métier, mes parents n'avaient pas la possibilité de me mettre en pension, pas les moyens.
Ils étaient paysans ?
Oui, et ils tenaient l'agence postale.
Comment était Julia comme institutrice, sévère ?
Oh, ben oui, heureusement, il fallait rester tranquille, sinon on était punis !
Elle criait parfois ?
Pas trop, parce qu'on restait tranquilles, ce n'était pas la foire à l'école ! (rire), il y avait des récréations pour ça.
Elle expliquait bien ?
Oui.
Comment faisait-elle ? Il y avait tous les âges. La classe était séparée ?
Oui, bien sûr, on savait bien à qui elle s'adressait, on n'était que douze, chacun faisait son boulot, ça a toujours fonctionné comme ça.
Les grands aidaient les petits ?
Oh, non ! ils avaient bien assez à faire.
Et si Julia était malade ?
Elle avait une remplaçante. Quand elle a eu ses enfants par exemple…
On ne parlait pas de religion ?
Non, ce n'était pas une école catholique.
Vous faisiez de la morale ?
Une fois par semaine, dès le matin, dès qu'on rentrait.
Au début, vous n'aviez pas l'électricité dans la classe ?
Comment voulez-vous ? On l'a mise en 1939, en mai, juste avant la déclaration de guerre…
Vous vous éclairiez avec quoi alors ?
Avec la lampe à pétrole.
Y avait-il souvent des absents ?
Non, tout le monde y allait, sauf (X) parce que sa mère était souvent malade.
Y a-t-il-eu des épidémies, la rougeole… ?
Non, je ne crois pas.
Y avait-il une fête à la fin de l'année ?
Seulement la dernière année, un voyage à Fontaine de Vaucluse.
En quel honneur ce voyage ?
Je ne sais plus, il y avait deux voitures, Pascalet et un chauffeur.
Les douze enfants sont partis ?
Oui, avec la maîtresse …
Et qu'est-ce que vous avez fait à Fontaine ?
On a visité la fontaine de Vaucluse, c'était un événement d'y aller, c'était ma dernière année de classe.
Vous avez pique-niqué ?
Évidemment, on avait apporté à manger quand même !
C'est un beau souvenir ?
Oui, bien sûr.

 

sortie à Fontaine-de-Vaucluse en 1933
1 Mme Pascalet - 2 Julia Bernard, l'institutrice - 3 Yvette Bernard - 4 M. Pascalet, chauffeur

 

À Noël, y avait-il une petite fête ? Pas de crèche à l'église ?
Non, on n'avait pas de santons à l'époque, on n'était pas assez riches.
Mais vous mangiez à votre faim tout de même ?
Oui, bien sûr, mais pas de la viande tous les jours. [...]
Aucun n'a continué ses études ?
Non, à part Raoul, qui a pu aller en pension car ses parents avaient les moyens. On était des paysans et à l'époque il n'y avait pas d'allocations.
Julia, c'était un personnage respecté dans le village ?
Bien sûr, la maîtresse, on était obligés ! Heureusement, pas vrai ?
Elle s'occupait aussi du secrétariat de la mairie ?
Oui.

 

Julia

Julia et Jules Bernard, nouveaux mariés, en septembre 1920

 

 

1925 - la famille Bernard dans une des premières automobiles de la vallée du Toulourenc
Jules, maire du village, est au volant, Julia à l'arrière avec Raoul sur ses genoux

 

 

 

émoignage : "'était un peu différent, avec ma mère institutrice" (aoul)

 

D'après l’interview de Raoul Bernard (R) et de son épouse Suzanne, dite Suzy (S), réalisée le 25 janvier 2016 par Danielle Tréhin et Jean-Louis Marçot, et transcrite par Claude Dufay et Michel Jourdet.
Raoul, né en 1921, est le fils de Julia, le cousin d’Yvette.

 

Raoul et Julia en 1925

 

Gens d’ici - Pouvez-vous faire le portrait de Julia comme mère, comme femme et comme institutrice ?
Raoul - Elle était petite, 1,55m, 1,56, ronde, boulotte…
Et sa voix ?
R - Normale.
C'était une femme douce ou énergique ou agressive ?
Suzy - Pas du tout agressive mais très énergique pour mener la maison qu'elle menait !
R - Non pas une maison, une caserne. D'abord, c'était un restaurant et surtout il y avait ma grand-mère paternelle et très souvent mon grand-père maternel plus un domestique en permanence à l’année et nous, mes deux sœurs et moi.
Comment était Julia, plutôt gaie de nature ou austère ?
R - Ça dépendait, ça variait terriblement. Parce que le Raoul d'octobre, hum ! et le Raoul de juin, ça allait [...]. Je me rappelle, elle me disait "va voir l'heure à l'école" car elle n'avait pas deux montres et elle était restée à l'école. Je disais : "la grande aiguille, elle est sur… et la petite"… Ça c’était le dessert, je n'en avais pas très souvent …
Elle était très stricte ?
R - Oui.
Et elle était juste ?
R - En principe, oui. C’est drôle d'ailleurs, ma mère était très sévère mais je crois qu'elle ne nous a jamais touchés. Théoriquement, je travaillais mieux mais ma plus jeune sœur, Suzanne, a passé des jours - des heures en tout cas- à côté de la porte d'entrée : elle ne travaillait pas trop bien en classe.
Il y avait une grande différence d'âge entre vos parents…
S - 21 ans.
Formaient-ils un couple uni ?
R - Ça marchait. Mon père, c'était le coq de toute la région. Quand on parlait du "Grand Jules", parce qu'à l'époque, il n'était pas bien grand mais c'était un colosse par rapport aux autres, j'ai vu des femmes après me demander : "T'es le fils du Grand Jules ? J'ai dansé avec lui" et mon père : "C'était par pitié"…
S - … pour leur faire plaisir.
R - À l'époque, on marchait à pied mais il était archi-connu à Montbrun. Il y avait une course, il la gagnait. Bon ! C’était une vedette !
Et Julia, en classe, elle était différente ?
R - En classe, c'était comme ça, (Raoul se raidit sur sa chaise) vous pouviez courir !!!
Sévère ?
R - Toujours, on était douze à ce moment-là et j'étais souvent le premier. J'avais ma table là, le second à côté, les autres derrière, et si je passais second, je changeais de place, c’était radical.
Elle a été votre institutrice de quand à quand ?
R - À cinq ans et jusqu’à ce que j'aille au collège.
C'était en quelle année ?
S - Il était de 21, donc en 1926.
Et vous êtes ressorti en 1932 ?
S - En 33.
R - Oui, là, elle m'a fait perdre un an, il fallait passer le certificat.
S - Tu l'as passé à pas tout à fait douze ans.
R - Je ne saurais pas le dire, on était quatre [...]
Vous étiez combien en moyenne pendant ces six ans ?
R - Douze au maximum, pas moins, toujours assez nombreux, après, il y en a eu moins. Dans notre section, on était quatre.
Dont Yvette ?
R - Oui, qui avait un an et demi de plus que moi, Roger Aubéry et Ida Goirand et tous les quatre, on a été reçus.
S - C'était la gloire de Julia, ce n'était pas souvent.
R - Oui, elle n'a plus eu l'occasion. Après nous, elle en a présenté deux, Simone et Edmée Goirand reçues aussi, mais il y en avait, qu'est-ce que vous voulez, comme Auguste J., il était bien brave, il avait deux ans de plus que moi mais c'était un âne, et puis d'autres qui auraient pu bien travailler mais c'était… des "motis ". [...]
S - Le "moti", c'est le bélier, la tête de mule, des gens loin d'être bêtes, comme Marcel. Il me faisait rire, il cherchait à s'instruire grâce à Radio Vatican qui parlait de tout.
R - [...] Un jour où l'inspecteur était là, à la récréation : plus de Marcel, il était parti chez lui, en criant "lou pétour, lou pétour!. Il ne voulait plus y aller.
S - Il parlait beaucoup plus provençal que français, il était affolé par l'arrivée de "lou pétour", l'inspecteur !
Vous aviez le choix de parler provençal en classe ?
R - Oh, non, sûrement pas !!
Chez vous, alors ?
R - Eh oui, tout le monde.
Dans la cour de récré, peut-être ?
R - Là, c'était un peu différent avec ma mère institutrice, et on faisait bistro, les gens souvent parlaient le patois à "mervieille".
S - La grand-mère de Raoul ne parlait pas français. Ses fils et sa fille lui parlaient provençal…
Et donc, les douze écoliers ? quatre grands…
R - Peut-être cinq ? Paulette, est-ce qu'elle était avec nous ?
S - Mais, elle était de 18 !
R - Elle avait un retard du diable !!! C'était rare, les récréations où il ne fallait pas qu'elle reste en classe parce qu’elle n’avait pas fait son travail comme il fallait.
Alors, il y avait trois niveaux, comment s'organisait la classe, en fonction de l'âge ?
R - Non, pas en fonction de l'âge. La table de devant, le premier et le second et derrière, le troisième et le quatrième, et les autres, ça dépendait, plus ou moins de l'âge.
Les plus grands au premier rang ?
R - Parce qu'on était les plus nombreux, parce qu'on était quatre.
Dans la classe, deux rangées de pupitres ?
R - Ma mère était là où il y a la montée pour aller au secrétariat et on n'a jamais été plus de treize à quatorze.
S - Vous étiez deux par deux ?
R - On avait de beaux pupitres, ils en ont acheté à ce moment-là, au moins deux ou trois neufs, ceux de derrière, non.
Donc, du côté secrétariat, l'estrade, le bureau de l'institutrice et devant elle, deux rangées de doubles pupitres ?
R - Plutôt trois, il y en avait peut-être derrière, il fallait la place pour le bonnet d'âne. Normalement au fond mais il me semble avoir été à côté de la porte pour qu'on le voie bien.
Et le poêle, il était au milieu de la salle ou sur les côtés ?
R - Je me rappelle mal, il faudrait demander à Simone. [...]

 

 

 

Quel était le programme de la journée ? Vous arriviez très tôt ?
R - Je ne me rappelle plus si c’était à huit heures ou neuf heures, ce dont je me rappelle, c'est à midi, comme souvent j'étais privé de dessert, ma mère me disait : "Allez, va voir l'heure !" car elle n'avait qu'une montre.
Les cloches ne sonnaient pas ?
R - Non, jamais, jamais !
S - Pour la messe, seulement.
Et les enfants, comment savaient-ils l'heure ?
R - Peut-être chez eux, ils avaient un réveil, je suppose. Il fallait arriver à l'heure. Ce dont je me rappelle c'est que Gaby Bertet, qui a écrit des bouquins, était toujours le premier arrivé, il allait manger chez lui, là-haut et en passant, il arrachait les poireaux de mon grand-père ! (rires)
Là, on est dans les années 1920, 1923. Vous étiez bien habillés, vous aviez des souliers ou des sabots ?
R - Des patins.
S - Des patins ou des galoches, la chaussure montante en cuir et la semelle en bois.
Et vous gardiez vos chaussures en classe ?
R - Oui, mais ça dépendait, les J. du Plan étaient plus que pauvres.
Et chacun apportait à tour de rôle de quoi allumer le poêle ?
R - Je crois qu'on était chargés de le garnir, je ne me rappelle pas si c’était le soir pour que le lendemain matin il n'y ait plus qu'à mettre une allumette. D'ailleurs, à midi, en tout cas, ma mère me disait : "Va voir l'heure et regarde le poêle !"
Le bois était fourni par l'école ?
R - C'était la mairie qui l'apportait, je crois, je n'ai jamais bien su.
Vous arriviez à huit ou neuf heures et vous attendiez que la porte s'ouvre ?
R - La première chose en arrivant : Julia nous épluchait les mains, le cou… elle nous passait tous en revue.
Et après ?
R - Le travail, mais, dame ! il y avait au moins trois séries, c'étaient des choses différentes, vous comprenez ?
Est-ce que les grands aidaient les petits ?
R - Oui, pour monter le bois.
Mais pour l'enseignement ?
R - Oh, non ! Mais j'ai peut-être un peu regardé mes sœurs [...].
Quand Julia faisait la leçon au tableau, tout le monde écoutait ?
R - Ah, oui ! Pendant que nous, la grande série, écoutions, les autres, théoriquement, faisaient leur travail. [...]
Donc, la matinée se terminait à midi. À midi, les enfants rentraient manger chez eux ?
R - Oui, mais si on n'avait pas terminé on rentrait après midi.
Et vous reveniez à quelle heure ?
R - À deux heures, jusqu'à cinq heures.
Avez-vous en mémoire une matinée, un après-midi de classe ?
R - Pas spécialement, c'était toujours comme ça pour la classe principale des grands, on avait nos devoirs et leçons et tout, et tout, il y avait du travail, et en plus il ne fallait pas trop s'amuser à parler parce que…
Et les punitions, c'était quoi ?
R - Elle nous mettait seul au piquet. J’y ai été de belles fois !
Et si c'était plus grave ?
R - Ça dépendait.
Et le bonnet d'âne, alors ?
R - Ah, le bonnet d'âne, ça, c'était un peu exceptionnel, je ne sais pas s'il a existé avant, mais j'en ai toujours voulu à la grand-mère de Gaby, là-bas, parce que c'est elle qui l'avait fait, sûrement sur les injonctions de ma mère.
Alors, le bonnet, c'était plus grave ?
R - Oui, le piquet, c'était secondaire. Le pire, ça a été pour moi le bonnet et ils m'ont trimballé dans St Léger, avec tous les gosses qui me faisaient les cornes derrière, ça a d'ailleurs été la fin du bonnet, je lui ai arraché une corne ! (rires)
Et les récompenses, c'était quoi, des bons points ?
R - Oui, oui, on avait des bons points, et quand on en avait assez, on avait une image. Ça fait que j'avais des images, mais je ne sais pas où elles sont passées [...]. Pour le piquet, c'était courant qu'on aille dehors. Mais dehors, ce n'était pas recommandé, c'était la rue. Et avant, là où on montait quatre escaliers [marches], il y avait une pièce où on mettait nos habits. Quelqu’un de puni, Julia l'enfermait là-dedans. Seulement, un jour, elle a enfermé un des fils du garde, un des Pradier, qui est passé par la fenêtre. Il y a quatre mètres : ça aurait pu être plus grave…
Il était où ce petit réduit ?
S - Dans le bureau de la secrétaire, il y a une petite pièce avec le lavabo. C’est le cabinet maintenant. À l'époque, c'était le vestiaire, et le panneau d'affichage était une porte.
Et les W.C. étaient où ?
S - En bas, là où est maintenant le débarras, c'était une planche avec un trou.
Comment les appelait-on ? les latrines ?
S - Le "cabinet", et du ton où elle le disait, "dépêche-toi !", ça vous en enlevait l'envie !
R - Les filles d'abord et les garçons après.
Et la récréation ?
R - Sur la route, en face, là, il y avait deux tilleuls, il passait… quoi, trois voitures par an.
S - Des charrettes.
R - Non, je parlais de voitures et c'était théoriquement la cour de récréation. Autour de ces deux arbres, on en a fait des tours et des tours, et malheureusement, il y en a un qui s'y est tué, mais ça n'a rien à voir avec l'école.
Quels étaient vos jeux à la récréation, les billes ?
R - Les billes, non. Des fois, on se courait un peu après. Il est arrivé qu'on joue avec des noyaux d'abricots, parce qu'on ne devait pas aller plus loin, on ne serait jamais allés jusqu'à la place, ah ça non, hou là là !!! Il y avait quelque chose dont il fallait tenir compte, il y avait une petite "filiole" qui servait à capter l'eau du bassin de la fontaine et qui remplissait le bassin en bas dans mon jardin, on s'en servait pour s’arroser.
Quoi d'autre, les filles jouaient à la marelle ?
R - Plutôt aux voleurs et aux gendarmes, des trucs comme ça.
Colin-maillard ?
R :… Pas trop. Je vais vous dire, il y avait une récréation d'un quart d'heure et les autres de cinq minutes. On n'avait pas trop le temps de faire grand-chose, juste le temps de descendre les huit, neuf marches mais on jouait à quelque chose de temps en temps, on se mettait à côté des tilleuls en fermant les yeux.
S - À cache-cache ?
À un, deux, trois, soleil ?
R - Qu'es aquo ??? Non, on ne connaissait pas.
S - Jamais entendu parler !?
Au ballon prisonnier ?
S - Non, il fallait un ballon.
R - Je vais vous dire, les deux tiers des impétrants étaient obligés de venir de loin, chez les Bertet, là-haut, du Plan, là, en face et des Terres Rouges, c'étaient les Robert à l'époque.
Est-ce que vous chantiez à l'époque ?
R - Oui, oui, oui !
Avec Julia ? Vous vous rappelez les chansons ?
R - C'est ce que je suis en train de réfléchir…
S - "Où t'en vas-tu soldat de France" ?
R - Ah, ben ça, évidemment, c'est celle que j'ai récitée pour le certificat d'études et qui m'a empêché d'avoir la mention très bien (il récite la chanson, et s'égosille à la fin, "la Prairiiiiie" et il rit avec Suzy).

 

Le soldat français

air d'une ancienne chanson de soldats français (auteur inconnu)

 

- Où t'en vas-tu soldat de France
Tout équipé prêt au combat ?
Plein de courage et d'espérance
Où t'en vas-tu petit soldat ?
- C'est comme il plaît à ma patrie
Je n'ai qu'à suivre les tambours !
Marche toujours, marche toujours !
En traversant bois ou prairies
On peut rêver à ses amours
.

- Oui, mais on perd sa bonne mine
En traversant les vastes flots.
C'est dur aussi lorsqu'on chemine
L'arme à l'épaule et sac au dos.
- Frère, c'est dur, mais La Tulipe
Quand il est las, siffle un refrain.
Point de chagrin ! (bis)
Il a sa gourde, il a sa pipe
C'est un gaillard toujours en train.

- Toi qui t'en vas le rire aux lèvres
Reverras-tu ce doux pays ?
Crains le soleil, la nuit, les fièvres
L'homme embusqué dans les taillis.
- Va, je suis prêt à la souffrance
Même à laisser là-bas ma peau.
Gloire au drapeau ! (bis)
J'aimerais bien revoir la France
Mais bravement mourir est beau.

 

Et de la poésie ? Quoi, par exemple ?
R - Celui qu'on n'aimait pas ? … La Fontaine, "Le loup et l'agneau. On n'était pas en philo !
Vous avez encore en mémoire des fables de La Fontaine ?
R - Oui, il y en a tellement, moi, j'aimais ça, j’apprenais tout seul.
S - Il était terrible avec ses deux sœurs pour la poésie : tous les trois les savaient par cœur.
Et vous saviez aussi les départements, les préfectures, vous les avez gardés en mémoire.
R - Les préfectures, pas toutes, quand même ! mais au moins la région.
Des souvenirs de moments particuliers ?
R - Oui, sûrement… quand venait l'inspecteur, on était tous comme ça. (il se raidit de nouveau)
Vous saviez qu'il allait venir ?
R - Non, il arrivait à l'improviste, bien sûr, et après une demi-heure, trois quarts d'heure, il disait à ma mère : "Envoyez-les en récréation" [...].
S - Oui, je me rappelle, on avait peur de l'inspecteur comme s'il venait pour nous.
R - Oui, mais seulement, suivant ce qu'on disait ou faisait, ça retombait sur elle.
Le "pétour" donnait la pétoche !
Vous aviez un bon copain ou une bonne copine à l'école ?
S - Je crois que c'était Roger Aubéry, mon cousin, ton meilleur copain à l'époque.
R - Oui, mais j'étais copain avec tout le monde. Ça dépendait pour quoi. Avec Auguste J., c'était pour dénicher les nids de pies.
Ça changeait quelque chose que vous soyez le fils de Julia ?
R (riant) - D'être plus mal loti que les autres ! Les autres allaient manger du dessert [...] je n'y avais pas droit.
S - Mon pôvre ami !
Mais on vous fréquentait comme n'importe quel autre enfant, ça ne créait pas de distance ?
R - Non, non, non, moi, j'étais peut-être plus puni que les autres. Au contraire, on faisait bloc avec Roger, Auguste et Ida.
Pensez-vous que ç’aurait été différent pour vous si l'enseignante n'avait pas été votre mère ?
R - Ç’aurait été beaucoup moins sévère et moi, j'aurais eu des desserts ! (rires) Je ne travaillais sûrement pas mal parce que j'ai eu mention bien au certificat, et si j'avais su chanter, j'aurais eu mention très bien.
C'était une épreuve de certificat ?
S - Bien sûr. On apprenait des chants patriotiques et martiaux.
La Marseillaise, vous la chantiez ?
R - Je ne me rappelle pas, je suis en train de calculer ce qu'on chantait.
S - Sous Pétain, certainement, mais Raoul n'était plus là.
R - D'ailleurs, ma mère a été déplacée à ce moment-là.
Justement, que savez-vous de cette affaire ?
R - Ah, bien, mon père était ouvertement anti gouvernement [...]
S - Il ne faisait pas le lever du drapeau sous le prétexte que la cour c'était la route. Son idée n’a pas marché. Sa femme a été déplacée. Et lui a été révoqué.
R - Je n'étais plus là.
S - Non, il était au collège d'Orange, pensionnaire, il revenait quatre fois par an avec le train du Buis.
R - Ma mère a été envoyée à Lagarde-Paréol, et, là-bas, elle a été le messie ! Les gosses faisaient ce qu'ils voulaient, ça a changé, hein !!!
S - Elle les vissait !
Quand ils ont voulu la déplacer, quatre parents de Saint-Léger sur six ont fait une pétition de soutien pour la défendre, pour qu'elle reste. La lettre est aux Archives. Puis sa mutation de Lagarde-Paréol à Vaison en 1943 lui a été refusée à cause de Raoul, réfractaire au S.T.O. Elle était accusée de l’aider à se cacher.
L’école avait-elle sa bibliothèque ?
R - Le village avait sa bibliothèque. Le grand-père de Suzy avait fait déjà acheter pas mal de livres qui étaient à la mairie dans le "cafoutche" (placard). Il y avait un peu de tout. De temps en temps, j'ai eu le plaisir d'y trouver et lire "Les essais" de Montaigne. C’est moi qui ai ouvert des tas de bouquins.
S - Les vieux, ils ne savaient pas lire Jean-Jacques Rousseau, Montaigne, Montesquieu…
Dans les Archives se trouvent des papiers qui prouvent l’existence à Saint-Léger d’une Société de lecture importante, avec beaucoup d'adhérents, qui fonctionnait bien, avec des débats, des discussions, des cours du soir très suivis.
S - Oui, je sais que mon grand-père en donnait.
R - À quelle époque ?
À la fin du XIXe siècle.
R - Ah, oui, évidemment, après, c'était plutôt Brantes.
S - C'est un peu étonnant.
Quelles sont les valeurs qui vous ont été transmises par l'école, par votre mère ? Et parmi les petits, les écoliers, y avait-il des divisions entre blancs et rouges ?
R - Non, absolument pas… Après, un peu. [...]
L’école vous a marqué ?
R - Oh, certainement, d'autant plus que ma mère l'a un peu prolongée à la maison, et qu'elle m'a présenté aux bourses. Chaque soir, j'avais une dictée et deux problèmes jusqu'aux épreuves au mois d'avril ou juin.
Les bourses, c'étaient les bons élèves qui pouvaient les avoir ?
R - Je crois que c'était l'institutrice qui les demandait pour les bons élèves, mais elles étaient acceptées ou refusées.
S - Mais est-ce qu'elle les demandait uniquement pour les bons élèves ?
R - Je suppose qu'elle devait donner des listes de noms et à l'Inspection d'Académie, ils décidaient. Moi, j'avais des bourses ; on me donnait quelque chose mais j'avais des copains à Vaison qui étaient assez riches et à qui on les enlevait.
Mais il existait des aides municipales.
S - Certainement pas à St Léger.
Qu'est-ce qui avait conduit Julia à être institutrice ?
R - Elle travaillait très bien en classe, alors on l'a envoyée à Digne, à l'école d'institutrices, où elle a passé trois ans. Elle a obtenu le Brevet Supérieur et elle a été reçue aux bourses, sur la liste supplémentaire, sûrement, ce qui fait qu'elle aurait pu aller à Digne un an avant mais à ses frais, et comme elle avait une sœur et deux frères et comme mon grand-père était cantonnier sur la route et que ma grand-mère tenait une petite épicerie, cela fait qu'elle a été reçue sur la liste principale sans avoir rien à payer. D'Entrechaux, où elle habitait, il fallait qu'elle aille courir à Digne ; les garçons, c'était Avignon.
Comment allait-elle à Digne ?
R - Je ne me souviens pas très bien, mais ce n'était pas simple, d'Entrechaux à Carpentras, je crois, et de là à Digne. Et moi, quand j'ai été reçu aux bourses, je pleurais, je pleurais… "Il pleure parce qu'il est reçu".
S - Mais ce n’était pas de joie. Il voulait rester à St Léger ! Comme Lionel - leur fils - qui travaillait bien mais qui voulait redoubler ou se cacher pour rester.
Y avait-il des "classes-nature" ?
R - Je calcule… Oui, Fontaine de Vaucluse.
S - À la Martinelle, voir les plantes, les cailloux.
R - Je réfléchis,… peut-être, je ne m'en rappelle pas, on était déjà dans la nature.
Est-ce que vous rapportiez, par exemple, des nids pour la classe ?
R - Des nids de pies !
S - Et Joseph Aubéry, un nid de frelons, pour Raoul.
R - Qui est resté longtemps à l'école.
S - (à Raoul) Parce que tu étais un peu "le génie" du village, et le fils de l'institutrice.
R - Mais deux fois, un de ma série est passé devant…
Et de grandes rigolades, il y en avait ?
R - Vous savez, les plus âgés avaient onze, douze ans et avec ma mère il valait mieux ne pas trop plaisanter ! Je sais qu'après, avec des remplaçantes qui étaient copines avec mes sœurs, c'était la foire d'empoigne.
Quelles étaient vos matières préférées ?
R - Un peu tout, j’aimais beaucoup lire.
Dans les rapports d'inspection de votre maman, il est noté qu’elle avait une grande passion pour les maths. Était-elle douée pour enseigner cette matière ?
R - Oui, j'ai sûrement eu une très bonne note au certificat.
S - C'était l'arithmétique.
Vous vous rappelez un ou deux problèmes ?
R - Non, sauf l'aiguille de la montre quand elle m'envoyait regarder l'heure.
Julia trouvait-elle des méthodes intéressantes pour enseigner aux enfants ?
S - Oui, c'était une excellente éducatrice, malheureusement pour les descendants, si elle avait été là, ç'aurait pu être autre chose.
Jamais de punition physique, les oreilles, la règle sur les doigts… ?
R - Non, elle n'avait pas le droit et ne le faisait pas. Mais le bonnet d'âne…
S - Jamais, jamais, mais elle vous regardait et elle vous glaçait ! "Qu'est-ce que ça signifie ?" et on se fourrait sous la table ! Ah ! si elle avait vécu… Elle est décédée trop tôt pour la famille, à 65 ans …
Et Jules, votre père, il ne punissait pas non plus ?
S - Non, mais il avait un très grave défaut, il était moqueur et j'en ai souffert ; mais sinon un bon vivant, joyeux, rieur, l'antinomie de ta mère. Instituteur, il aurait été moins sévère qu'elle.
R - Lui, c'était la politique, moi, à douze ans, je suis resté trois heures au théâtre antique d'Orange à écouter quelqu'un de son côté, un socialiste. Lui, était socialiste, il n'était pas du tout d'accord avec les communistes.
Et Julia était politisée ?
R - Elle était en plein de gauche.
S - En plein accord avec son mari.
R - Mon père s'est présenté aux élections cantonales, il lui a manqué onze voix contre le maire de Malaucène qui était minotier et pendant la guerre "il nous a enlevé la faim" disait-on.
Votre mère a participé à un syndicat d'instituteurs dans le Vaucluse ?
R - Je n'en ai jamais entendu parler. Probablement, mais il aurait fallu que mon père l'emmène en voiture.
S'est-elle intéressée aux pédagogies alternatives, comme celle de Freinet, etc. ?
R - Non, on ne parlait pas de ça à l'époque, et quand même, elle était institutrice, avait trois zèbres sur le dos, secrétaire de mairie… ça faisait pas mal de choses ! [...]
Quelles étaient les relations entre l'école et l’église, avec le curé ?
R - Pas de souvenir mais ça n’aurait pu qu’être en dehors des heures de cours.
Elle était croyante, Julia ?
R - Elle avait fait sa communion mais ça s'est arrêté là.
Et Jules, était-il libre penseur, anticlérical ?
S - Non, indifférent.

 

 

la classe de Julia en 1918

 

 

 

Julia

 

 

 

émoignage : "'était une très bonne institutrice, très sévère mais bonne" (uzanne)
 

 

D'après l’interview de Suzanne Bonzi, née Bertet, réalisée le 20 février 2016 par Danielle Tréhin, Josette Bertet, Jean-Louis Marçot et transcrite par Claude Dufay et Michel Jourdet.

 

Pierre et Suzanne Bertet

 

Gens d’ici - De quand à quand avez-vous connu Julia ?
Suzanne - Jusqu’au certificat à douze ans, en 1943, l'année où on a passé le certificat en deux fois, le français d'abord et les maths après.
Combien étiez-vous dans la classe ?
Douze dont deux pour le certificat qu'on a eu toutes les deux.
Le maximum que vous avez été ?
On a été jusqu'à quatorze, quinze en 40, 42. Il y avait des réfugiés polonais, les Pelletier avec quatre enfants. Les Polonais venaient comme fermiers chez nous. La maman était française.
Vous rappelez-vous les différentes classes ?
A ce moment-là, je faisais Préparatoire – on ne prenait qu'à partir de Préparatoire – puis tous les cours. Elle faisait tout de cinq à quatorze ans.
Tous les élèves étaient assis ?
Oui, il y avait des bancs. Certains se soulevaient : des pupitres.
Et le poêle ?
Au milieu de la classe.
Pouvez-vous décrire Julia comme institutrice ?
C’était une très bonne institutrice, très sévère mais bonne.
Avez-vous été punie ?
Comme les autres. (rires)
Le piquet ?
Oui, mais surtout les lignes et la règle sur les doigts, ça, ça y allait ! (rires)
Sur le cahier de classe, il y a marqué : "bonne élève".
Moi, je n'ai pas à me plaindre car, quand ma mère était malade, elle me faisait porter les devoirs par mes frères. Si j'ai eu le certificat, c'est grâce à elle. J'allais à l’école une fois par semaine, tant que ma grand-mère était là, qui soignait ma mère. Ça a duré au moins deux ou trois ans comme ça, jusqu'en 45. Mais après le certificat, j'ai quitté l'enseignement. [...]
Pouvez-vous dire l'emploi du temps de la classe ?
On commençait à 9 heures, et on portait le dîner. Elle nous faisait manger dans la classe car elle était très gentille [...]. Le matin, on nettoyait le poêle en arrivant, et chacun allait chercher le bois dans la cave de l’école, quand il fallait, à tour de rôle. Je ne me rappelle pas bien si on apportait le bois ou qui le fournissait.
La mairie sûrement. Et la cour de récréation ?
C’était les deux tilleuls sur la route, mais pas de voiture à l’époque pour nous écraser.
Vous souvenez-vous des jeux à la récréation ?
Oh ! la marelle, car c’était goudronné devant l’école, et on se courait après mais sans dépasser la limite entre les deux tilleuls. Elle nous surveillait car on était nombreux : rien que nous, les Bertet, on était quatre : Pierre, Claude, Paulette et moi, plus les quatre petits Pelletier, les quatre ou cinq S. … oh ! là, là, le père S., c'était quelqu'un aussi !
Avez-vous gardé des souvenirs très marquants ?
Quand il fallait faire le drapeau. Julia ne nous le faisait pas faire.
C'est pour ça qu’elle a été déplacée…
Oui, mais elle est revenue après.
Ça jasait qu'elle ne le fasse pas ?
Là, moi j’étais un peu petite : ça me passait au-dessus de la tête.
Un autre événement marquant ?
Je ne vois pas, c’était la routine.
Et quand venait l'inspecteur ?
On était toujours avertis, il regardait les cahiers, ce qu'on faisait, mais comme elle nous faisait bien travaillé, on était tranquilles.
Faisiez-vous des "classes vertes" comme on dit ?
Non, non, juste quelques sorties en promenade. On n'allait pas loin, pas plus que le pont. Elle avait du mal à marcher : elle était costaud.
Était-elle souvent absente ?
Non, non !
Elle veillait aussi beaucoup à la propreté ?
Oh ! oui, les doigts, les mains, les ongles, ça ! (rires)
Et si on essayait de reconstituer le rituel d'une journée ?
On arrivait à neuf heures, à l'heure car on avait des réveils chez les parents, quand même. On attendait dehors qu'elle arrive. Elle nous faisait mettre en rang en bas des escaliers et on montait deux par deux.
Aviez-vous toujours les mêmes places ?
Oui, on ne changeait pas de place.
C’était en rapport avec les résultats ?
Non, avec l'âge. Après, elle nous changeait si on blaguait trop.
Les meilleurs élèves étaient devant ou derrière ?
Moi, toujours derrière au fond à droite. Je n'aimais pas être devant. À l’époque, son bureau était devant le mur de la mairie [...]
Faisiez-vous de la couture ?
Oui, toutes les semaines. Tout ce que je sais faire, c'est elle qui me l'a appris.
Et les garçons ?
Ils avaient dessin ou travail manuel.
Elle ne vous apprenait pas la cuisine ?
Non. Ça, non.
Elle tenait l'auberge et faisait la classe ?
Chez elle, on n'y allait pas, nous, ses élèves. Mais il y avait quelqu'un du Cercle Républicain qui l'aidait à cette époque, et son mari ne faisait que ça.
Avez-vous souvenir d'un de ses cours ?
Non, pas trop… Ah ! si, une fois : nous, on était à pied et le car de Mollans qui passait nous a klaxonnés et on lui a tiré la langue. Alors, il est allé se plaindre à elle et on a eu droit à une grande punition !
Et le cours de morale ?
Oui, tous les matins.
Elle écrivait une phrase au tableau noir ?
Oui, on parlait de tout, de la politesse…
Et vous apportiez des exemples personnels ?
Non, on écoutait.
Et après ?
Les maths, surtout le matin.
Elle appelait des élèves au tableau pour les leçons ?
Oui, pour des récitations aussi, les fables de La Fontaine et tout ça, dont je me rappelle encore.
Elle vous faisait chanter aussi ?
Oui. C’est là que j'ai su que je chantais faux. (rires) Mais pas souvent. Réciter surtout.
Et la propreté de la classe ?
Elle, en partie, mais après, nous aussi les plus grands, faisions le ménage : la poussière par terre à tour de rôle, et la serpillière quand il pleuvait.
Et sur le pupitre, vous aviez l'encrier ?
Oui, et le porte-plume, et tous les lundis, elle chargeait les encriers. Elle ne nous faisait pas confiance.
Et les livres de classe ?
Ils étaient prêtés par l’école. Quand on en partait, plus de livres. On rapportait certains à la maison pour la leçon, mais il fallait y faire attention. Il fallait les recouvrir.
Les parents étaient-ils parfois convoqués ?
Non, non !
Y avait-il une fête de fin d’année ?
Non, je ne me rappelle pas, non. C’était sobre, et pas grand-chose pour Noël non plus, juste quand on quittait l’école. Après avoir passé le certificat, on lui offrait un bouquet de fleurs.
Et les visites médicales ?
Plus tard. Après les P. qui avaient amené des poux, on avait l'inspection des poux. Marie-Rose et tout ! Elle inspectait tout. Elle n'avait pas peur.
Et au niveau humain ?
Elle était costaud, sévère.
Avec une voix forte ?
Non, pas tellement. Elle ne criait pas.
Elle faisait bien apprendre ? Elle était claire ?
Oui, très bien.
Ses rapports d'inspection sont effectivement très bons. Vous souvenez-vous encore de ce qu'elle vous a appris ?
Oui, un peu, mais j'en ai oublié.
Et comment étaient les élèves, calmes ?
Bien, les garçons, pas toujours. [...] Mais Julia avait de la "pogne". Tout le monde la respectait. C’était la "Dame".
Vous disiez Maîtresse ou Madame ?
Madame !
Et elle ?
Elle nous appelait toujours par nos prénoms en nous tutoyant. Ça, elle n'a jamais fait autrement.
Y avait-il autant de garçons que de filles ?
Plus de garçons.
Ils étaient plus turbulents ?
Oui, mais ils ne nous embêtaient pas trop.
Vous aviez le droit de jouer ensemble ?
Oui, oui. On était obligés de se mélanger. Il n'y avait pas de cour.
Y avait-il des rapports entre l’Église et l'école ?
Non, aucun.
Et vous aimiez aller à l'école ?
Oh, oui ! Moi, j'aimais l'école.
Qu'est-ce que vous aimiez ?
Eh bien ! à l'école, j'étais tranquille ! (rires) À la maison, j'étais l'aînée de neuf enfants. Je plains les aînés ! Surtout que j'étais parmi les bonnes avec elle. J’étais gâtée. Elle ne faisait pas de différence, mais j’étais un peu dans ses favorites.
Vous vous entraidiez en classe ?
Non, non. Elle ne faisait pas ça.
Y avait-il des rencontres avec d'autres écoles ?
Non, rien de commun.
Et quelle était votre matière préférée ?
La couture et celle que je détestais le plus, le français.
Vous parliez provençal ?
Non, pas trop. Elle n'aimait pas. Elle nous reprenait. Pierre, elle le faisait lire en suivant les lignes avec une règle et quand est arrivée la pie, il a dit "agasso" et paf ! coup de règle. Il le faisait pour la contrarier mais il en avait peur quand même.
Vous n'aviez pas de relation avec Jules, son mari ?
Non. Même pas avec ses enfants comme Simone. Elle séparait bien l’école et sa famille. On n'est jamais allés chez elle…
Et quand vous avez quitté l’école pour vous occuper de votre maman, comment faisiez-vous les devoirs ?
Le soir, en rentrant, ou l'après-midi, et ma sœur Paulette les rapportait le lendemain.
C'était difficile, non ?
Je voulais tellement y aller ! Ma mère me laissait toujours un temps pour les devoirs.
Vous avez été triste de laisser l'école ?
Non. J'en avais marre à ce moment-là.
Et le certificat à Malaucène ?
À Malaucène, c'est Jules qui nous a menées dans sa voiture, Henriette et moi.
Et après, ce fut la fête à la maison ?
Non, même pas (rires), même pas
Les parents ne s'intéressaient pas trop ?
Si. Pour les devoirs, ma mère faisait attention.
Les récompenses, c’était quoi ?
Des images. Au bout de dix bons points on recevait une petite image et au bout de cent, une grande image.
Elles représentaient quoi ?
Je ne me souviens pas.
Elle vous prêtait des livres ?
Non, pas trop.
Vous aimiez lire ?
Oui. J'ai toujours aimé, mais moins maintenant : j'ai les yeux fatigués. Il y avait des lectures à haute voix. À tous les cours, on lisait au même moment – sauf les petits qui ne savaient pas lire – Alexandre Dumas, Robinson Crusoé…
Et les dictées ?
Oh ! si, ne m'en parlez pas ! Je le dis, moi, le français… Les analyses de mots, c'était terrible ! Même maintenant, c'est terrible pour moi d'écrire une lettre.
Et vous aviez une bonne copine ?
Oui, Henriette Vidal. On a trois jours de différence. Elle est du 26 avril et moi du 23… Elle est décédée maintenant.
Vous jacassiez pendant les cours ?
Oh, non, on était tranquilles.
Vous aviez des leçons de choses, de science ?
Oui, on faisait des herbiers.
Les nids, les ruches ?
Non. Parfois au printemps, on apportait des bourgeons.
Et les rédactions ?
Oui, mais ça ne me plaisait pas !
Et les photos de classe ?
Non, aucune. On n'en faisait pas à ce moment-là.
Et pour le repas ?
Que nous deux, avec Gaby, à le prendre sur place : du pain et du fromage, de la charcuterie aussi.
Avez-vous gardé un petit objet de cette époque ?
Non, j'ai tout laissé à St Léger [Suzanne habite Vaison].
Encore une anecdote ? Le premier jour d'école ?
Oui, j'ai pleuré tout ce que j'ai su, et personne pour vous calmer !
Vous portiez un tablier ?
Non, une blouse noire achetée, pas fournie, et les garçons tous en short, même l'hiver. Pas de bas, pas de collant, de grosses chaussettes en laine…
Les souliers ?
Des sabots, qu'on appelait patins, en cuir avec du bois dessous.
Vous étiez responsable de vos frères et sœurs ?
De Pierre qui faisait tout le temps des bêtises, et de Claude qui était feignant et que j'ai porté longtemps sur les épaules.
Même quand il y avait de la neige ?
On n'y allait pas. Le plus, ça a été en hiver 42. On avait de gros cache-nez. On n'avait pas chaud. Elle nous faisait chauffer les mains en arrivant et quitter les chaussures.
Et pour faire pipi ?
On levait le doigt mais sans abuser. Et, elle, elle allait chez elle.
Vous avez été souvent absente ?
Ce n’était pas tellement pour le travail : pas de grosses moissons à St Léger. Moi, c'était surtout pour aider ma mère.
Et le cartable, le plumier ?
Oui, les garçons, le cartable sur le dos. Le plumier fourni par l’école et des crayons de couleur. Mais quand on cassait les plumes, Julia n’était pas contente, hein !!!
Vous aimiez écrire ?
Oui. Ça ne me faisait rien.
Vous aviez des ardoises ?
Oui, pour le calcul mental.
Y avait-il une pendule à l'école ?
Je ne m'en souviens pas… Non, il n'y en avait pas. Julia avait une montre.
Et des cartes ?
Oui, des cartes de géographie affichées au mur à droite ... En fait, tout en étant sévère, Julia était humaine Elle ne s'occupait pas de ce qu'on faisait chez nous… Elle a dû mal vivre son déplacement, même si elle n'est pas restée longtemps absente.
Julia Bernard est restée trois ans à Lagarde-Paréol avant de revenir à Saint-Léger à la rentrée 1944 avant d’être nommée à Avignon-Monclar en octobre 1947 pour y finir sa carrière 5 ans plus tard.
Aucun souvenir de sa remplaçante ?
Ah ! si. C’étaient des suppléantes. Il y en a eu trois. Elles étaient souvent changées. Je crois bien qu'il y a eu des protestations. C’est là qu'ils l'ont fait revenir… [...]

 

 

 

Julia, vers 1960

 

 

 

émoignage : "'était une super grand-mère" (anièle)

 

D'après l’interview de Danièle Didier, fille de Suzanne Didier, fille de Julia, réalisée le 28 janvier 2016 par Danielle Tréhin et Jean-Louis Marçot et transcrite par Claude Dufay et Michel Jourdet.

 

 

Gens d’ici - Peux-tu nous brosser un portrait de Julia, l'institutrice, la femme…?
Danielle - C'était une super grand-mère.
Tu avais quel âge ?
Elle est morte en 1964. Elle avait donc 65 ans et moi, quatre ou cinq. Je venais souvent passer la journée chez elle pendant les vacances ou les jours de congé. Elle me faisait souvent faire des devoirs, de français, des petites rédactions, des petites récitations. J’avais une panoplie de livres à lire et elle s'occupait beaucoup de moi. On partait promener avec son petit panier, ramasser des salades sauvages, des pissenlits, à la Martinelle, aux Prayaux et au Pont Vieux mais il ne fallait pas la déranger lorsqu'elle lisait son journal !
Quel journal ?
Je ne sais plus, "le Provençal" ? avec des mots croisés qu'elle faisait systématiquement. Elle cuisinait très bien. Elle était patiente. Avec le recul, je la trouve en avance sur son temps. Elle n'a pas beaucoup profité de sa retraite car elle est morte jeune mais elle prévoyait toujours des voyages, par exemple à Bruxelles à l'expo universelle pour voir l'Atomium ou en Italie, qu'elle aimait beaucoup, et chaque fois, elle nous rapportait des petits cadeaux, comme des petits bracelets de Murano quand elle était allée à Venise.
Elle racontait des histoires ?
Oui, oui… Les repas étaient animés car Raoul était tout le temps avec nous, il s'occupait beaucoup de moi aussi. Je parle de souvenirs entre quatre, cinq ans et dix ans car après, j'étais interne au collège de Buis les Baronnies – donc, il y a eu une coupure – où elle m'avait accompagnée car elle était très fière que j'entre au collège à dix ans.
Elle lisait beaucoup ?
Oui, elle avait une très grande bibliothèque, avec des livres qui m'étaient interdits mais qui m'intéressaient évidemment le plus ! Parmi ceux qui m'étaient autorisés, je me souviens de "Croc blanc", de "Raboliot"… Je me souviens aussi de Noël à la maison, à Brantes, c'était une fête parce qu'elle venait : elle allait faire ses petites courses à Vaison chez ses commerçants habituels. Elle prenait le car Borel entre Vaison et Montbrun et elle arrivait en bas de Brantes où tous les enfants qui savaient marcher allaient l'accueillir pour porter tous les paquets, la veille de Noël, avec les cadeaux cachés dans ses sacs. Elle arrivait et c'était la fête. J'ai fait semblant pendant longtemps de croire au Père Noël parce que mon frère et ma sœur y croyaient et donc, j'avais souvent des livres : "Le Petit Chose" d'Alphonse Daudet par exemple et puis toute la collection des livres d'Heidi avec une jolie reliure ; et quand j'étais plus petite, j'ai retrouvé un titre de livre qui m'avait fait beaucoup pleurer, "Michka, le petit ours". J’avais encore les larmes aux yeux en le relisant. C'est Mamie qui me l'avait offert…

 

 

Et les livres interdits ?
(riant) Oh bien ! je ne devrais pas en parler mais Raoul avait un troupeau de chèvres et de brebis, en bas, que je gardais et j'avais piqué dans sa bibliothèque "L'amant de Lady Chatterley", un bouquin que j'aime beaucoup (rires), lorsque j'ai été réveillée de ma lecture par un hurlement de mon oncle qui avait vu les brebis et les chèvres dans le jardin de Charles en train de manger les salades ! Le drame ! C'était une femme tellement ouverte sur les choses, sur la vie ! Elle s’intéressait à beaucoup de sujets, elle lisait énormément, elle avait des doigts de fée, elle faisait de la broderie, des trucs incroyables. J'ai appris qu'elle jouait de la mandoline, qu'elle avait appris à Digne lorsqu'elle était normalienne ; elle cuisinait très bien ; elle faisait toujours des super petits plats…
Tu l'appelais comment ?
"Mamie Julia" ou "mémé Julia". À l'époque, "mamie", ce n'était pas trop courant ; plutôt "mémé". Elle m'emmenait aussi à Avignon où elle avait un pied-à-terre qu'elle louait du côté de la rue des Teinturiers, impasse Putarasque.
Et vous y faisiez quoi ?
Elle avait sa sœur, tante Irène, qui habitait à Montfavet ; elles se voyaient assez souvent. Tante Irène venait passer la journée avec nous et on allait se promener partout.
Est-ce qu'elle t'a parlé de son métier ?
Non. Je n'en ai pas souvenir, du tout, parce qu'en fait, elle ne se comportait pas avec moi comme avec ses élèves.
Elle était aussi sévère qu’on le dit ?
Disons qu’elle avait une autorité naturelle. Moi, j'étais sa petite fille, donc, si je faisais une faute, elle me reprenait. Par exemple, quand j'étais en pension au Buis, je lui écrivais, et à Raoul aussi, et elle me répondait toujours très gentiment, avec ma lettre et mes fautes soulignées. Elle avait cette rigueur-là et j'avais intérêt à parler correctement le français sinon je me faisais gronder. Elle était toujours très persuasive mais tout en douceur. Il paraît qu'elle était assez piquante, qu'elle avait la dent dure…
Raoul et Yvette ont la réputation d’en avoir hérité.
Je n'ai pas le souvenir de quelqu'un d'acerbe mais de quelqu'un de droit dans ses… (rire) chaussures, dans ses convictions. Ça, c'est sûr, à tous les niveaux, religieux, politique, et dans la vie quotidienne. Il y avait des choses sur lesquelles elle n'acceptait pas de transiger, on devait faire des devoirs de telle heure à telle heure, o.k., et après tu allais jouer, mais pas avant… Mais, par contre, cette autorité ne me pesait pas du tout. Peut-être pesait-elle à certains, à mon frère Bernard ou à ma sœur Mireille ? Je me souviens qu’elle dormait dans la grande chambre, qu'on appelle toujours "la chambre de Mamie", où j'avais un petit lit à côté du sien et puis, après, on m'a installé dans la petite chambre, pas loin de la sienne. Le soir, quand je me couchais dans la maison très froide, elle mettait une brique chauffée dans le poêle dans mon lit. C’était tout un cérémonial. Elle venait avec sa lampe, ses lunettes, elle lisait et moi aussi avec mon petit livre, et je m'endormais…
Elle ne dormait pas avec Jules ?
Je n'ai pas connu Jules. Il est décédé en mai 1950 et moi, je suis née en juin 50. Non, elle était veuve.
Elle t'en parlait ?
Non.
Évoquait-elle l'affaire de son éviction de l'école (en octobre 1941) ?
Avec moi, non, j'étais trop petite. J'en ai entendu parler bien après. Ce n'était pas évident… En 1960, je n'avais que dix ans ; j'avais beaucoup moins de contacts avec elle et il n'y avait pas le téléphone à l'époque. C'est difficile avec des yeux d'enfant de voir les choses. Je me souviens, une fois, l'archevêque était venu ici, je ne sais plus pourquoi. Elle était assise sur le banc près de la maison des David et il y avait Mme Aubéry, la grand-mère de Chantal. L'archevêque passe, Mme Aubéry se lève pour aller baiser son améthyste mais pas ma grand-mère, qui ne se serait même pas levée pour De Gaulle. Alors l'archevêque dit : "Cette dame doit être très fatiguée ?" Et j'entends encore ma grand-mère dire : "Oui, oui, très fatiguée !", avec un ton qui coupait court (rires)… Elle n'avait pas de convictions religieuses. Elle était athée, franchement, on ne peut pas dire le contraire. Je pense qu’elle devait avoir parfois la dent dure, peut-être, mais je n'ai pas souvenir d’éclats, de colères… J'ai, au contraire, le souvenir de quelqu'un qui aimait bien rire, qui était hyper gentil, franchement, pas aussi incisive que Raoul, Yvette ou maman. En fait, pour moi, c'était la grand-mère idéale. Je venais avec plaisir : c'était une joie de venir à St Léger passer du temps avec elle. Personne ne m'y obligeait. Je ne faisais rien de spécial.
Et quand vous vous promeniez, faisait-elle « l'institutrice » ? Nommait-elle les plantes, les arbres… en chemin ?
Oui, oui, oui. Mais ça, pour moi, ce n'était pas l'institutrice. On ramassait des doucettes, la petite mâche. Elle me montrait comment ne pas se tromper. Elle expliquait les choses et, pour moi, je ne l'ai jamais vue autrement que comme ma grand-mère et ça faisait déjà quelques années qu'elle avait quitté l'école.
Elle a quitté l’éducation nationale le 1er octobre 1952.
Oui, j'avais deux ans.
Comment as-tu appris ses déboires sous Vichy ?
Quand j'étais déjà adolescente et que je faisais des études. Je posais des questions chez moi sur la deuxième guerre mondiale, et c'est là que j'ai appris, par Raoul et par maman, que le frère de mon grand-père était pour Pétain, et mon grand-père complètement à l'opposé, il était S.F.I.O., socialiste, et que mamie, quand elle était institutrice, avait eu un jour la visite de l'inspecteur, par dénonciation je suppose. Elle n'a pas fait faire le salut aux couleurs, le lever du drapeau. Et à la question de l'inspecteur "Pour quelle raison ?", elle a répondu "Je préfère faire une rédaction ou un devoir à mes élèves plutôt que ça, et je ne le ferai pas, voilà." Et elle a été cassée de son poste d'enseignante à St Léger. Elle est partie alors à Lagarde-Paréol.
… où elle est restée jusqu'au 1er octobre 1943.
D'autres anecdotes ?
Elle avait des cadeaux de ses élèves à la fin de chaque année. À ce moment-là, elle donnait aussi des cours du soir, car il y avait des grands qui ne savaient ni lire ni écrire. Tous ces gens-là ont été reconnaissants. Ça devait être une institutrice très rigoureuse, à mon avis, dans son travail.
Oui, surtout en arithmétique, en calcul, avec de bons rapports d'inspection.
Elle était très fière d'avoir bravé le régime de Pétain. C’était sa Résistance à elle. Je me souviens de l'avoir entendue en parler avec des gens, des parents. Elle était d'ailleurs bien proche, très liée avec Jules qui avait vingt-et-un ans de plus qu'elle… C'était un grand coquin, mon grand-père. Il a bien vécu avant de se marier… Et même après
(rire) Je l'ai entendu dire par maman que ça mettait en colère !

 

Cette page a pu voir le jour grâce aux documents collectés dans le cadre du projet d’exposition de Gens d’ici pour l’été 2016 « La classe de Julia, Saint-Léger, 1918-1942 » par Danielle Tréhin, Josette Bertet, Odile Roux, Suzanne Bernard, Jean-Louis Marçot, Michel Journet, Claude Dufay. Que tous ces contributeurs soient ici chaleureusement remerciés.

 

  

la Gloire des leuets - correspondance entre René et Germaine

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