Saint
Point est au 19e siècle un gros bourg agricole du
Mâconnais. Son hôte le plus illustre, Alphonse de
LAMARTINE, réside au château : "Né pendant la
Révolution, écolier sous l'Empire, diplomate de la
Restauration, parlementaire sous Louis Philippe, ministre de la
Seconde République, écarté des affaires sous
Napoléon III", Alphonse de LAMARTINE traverse le siècle
de sa haute stature.
Lamartine et le
château de Saint oint
|
Né à Mâcon le 21
octobre 1790, LAMARTINE passe son enfance à Milly, dans la
maison de son père Pierre, retiré de la carrière
militaire. Aux côtés de sa mère Alix Des Roys, le
futur poète et homme politique partage ses premières
années entre les villages de Bussières et de
Pierreclos.
Emile MAGNIEN explique : "Le
château de Saint Point
est une acquisition de son
père, Pierre de LAMARTINE.
En 1799, à la suite d'un
partage successoral, la seigneurie de Saint Point était
échue à Esprit Boniface Henri DE CASTELLANE qui, en
1800, la vendit à trois acquéreurs.
Mais la propriété étant
hypothéquée, la vente fut annulée à la
requête d'un créancier et l'on procéda à
une adjudication publique qui eut lieu le 10 février 1801.
Pierre de LAMARTINE
put enlever l'adjudication sur
l'enchère de 80 050 francs."
"L'intérêt pour lui de
cet achat était beaucoup plus dans les 70 hectares de terres,
prés et bois, que dans le château lui-même. Il
avait été dévasté par une bande de
paysans révoltés lors de "la Grande Peur" qui, en
Mâconnais, sévit avec violence en juillet 1789
le château de
Saint Point
tableau de 1840
Lors de l'établissement du
contrat de mariage d'Alphonse de LAMARTINE en 1820, Saint Point
constitua l'essentiel de la dot de celui-ci
A son retour de Naples, dès 1821, LAMARTINE décida de
faire de Saint Point sa demeure fixe, et d'y commencer les
aménagements dont la grande bâtisse avait si grand
besoin. Le 1er mai 1823, il peut enfin s'y installer avec femme et
enfant
Notre poète est désormais heureux de pouvoir faire
figure de gentilhomme à part entière, ayant une demeure
personnelle spacieuse et rénovée
"
En effet, Alphonse De LAMARTINE a
épousé le 6 juin 1820, à Chambéry, Mary
Ann Elisa BIRCH, née le 13 mars 1790. Son premier enfant,
Alphonse, naît le 15 février 1821. Julie, sa fille,
naîtra le 14 mai 1822.
Lamartine et les paysans
du âconnais
|
LAMARTINE raconte ses souvenirs
d'enfance dans "Les confidences", souvenirs évocateurs
de la vie paysanne :
"
C'est un jour d'automne,
à la fin de septembre ou au commencement d'octobre. Les
brouillards, un peu tempérés par le soleil encore
tiède, flottent sur les sommets des montagnes. Tantôt
ils s'engorgent en vagues paresseuses dans le lit des vallées
qu'ils remplissent comme un fleuve surgi dans la nuit ; tantôt
ils se déroulent sur les prés à quelques pieds
de terre, blancs et immobiles comme les toiles que les femmes du
village étendent sur l'herbe pour les blanchir à la
rosée ; tantôt de légers coups de vent les
déchirent, les replient des deux côtés d'une
rangée de collines, et laissent apercevoir par moments, entre
eux, de grandes perspectives fantastiques éclairées par
des tramées de lumière horizontales qui ruissellent du
globe à peine levé du soleil.
Il n'est pas bien jour encore dans le
village. Je me lève. Mes habits sont aussi grossiers que ceux
des petits paysans voisins, ni bas ni souliers, un chapeau, un
pantalon de grosse toile écrue, une veste de drap bleu
à longs poils, un bonnet de laine teint en brun, comme celui
que les enfants des montagnes de l'Auvergne portent encore :
voilà mon costume.
Je jette par-dessus un sac de coutil
qui s'entrouvre sur la poitrine comme une besace à grande
poche. Cette poche contient, comme celle de mes camarades, un gros
morceau de pain noir mêlé de seigle, un fromage de
chèvre, gros et dur comme un caillou, et un petit couteau d'un
sou, dont le manche de bois mal dégrossi contient en outre une
fourchette de fer à deux longues branches. Cette fourchette
sert aux paysans, dans mon pays, à puiser le pain, le lard, et
les choux dans l'écuelle où ils mangent la soupe. Ainsi
équipé, je sors et je vais sur la place du village
près du portail de l'église, sous deux gros noyers.
C'est là que, tous les matins, se rassemblent, autour de leurs
moutons, de leurs chèvres et de quelques vaches maigres, les
huit ou dix petits bergers de Milly, à peu près du
même âge que moi, avant de partir pour les
montagnes.
Nous partons, nous chassons devant
nous le troupeau commun dont la longue file suit à pas
inégaux les sentiers tortueux et arides des premières
collines. Chacun de nous à tour de rôle va ramener les
chèvres à coups de pierres quand elles s'égarent
et franchissent les haies. Après avoir gravi les
premières hauteurs nues qui dominent le village et qu'on
n'atteint pas en moins d'une heure au pas de troupeaux, nous entrons
dans une gorge, haute, très espacée, ou l'on
n'aperçoit plus ni maison, ni fumée, ni
culture.
Les deux flancs de ce bassin
solitaire sont tout couverts de bruyères aux petites fleurs
violettes, de longs genêts jaunes dont on fait des balais ;
çà et là, quelques châtaigniers
gigantesques étendent leurs longues branches à demi
nues. Les feuilles brunies par les premières gelées
pleuvent autour des arbres au moindre souffle de l'air. Quelques
noires corneilles sont perchées sur les rameaux les plus secs
et les plus morts de ces vieux arbres. Elles s'envolent en croassant
à notre approche. De grands aigles ou éperviers,
très élevés dans le firmament, tournent pendant
des heures au-dessus de nos têtes, épiant les alouettes
dans les genêts ou les petits chevreaux qui se rapprochent de
leurs mères. De grandes masses de pierres grises
tachetées et un peu jaunies par les mousses, sortent de terre
par groupes sur les deux pentes escarpées de la
gorge.
Nos troupeaux, devenus libres, se
répandent à leur fantaisie dans les genêts. Quant
à nous, nous choisissons un de ces gros rochers dont le
sommet, un peu recourbé sur lui-même, dessine une
demi-voûte et défend de la pluie quelques pieds de sable
fin à ses pieds.
Lamartine en
Mâconnais
Nous nous établissons
là. Nous allons chercher à brassées des fagots
de bruyères sèches et les branches mortes
tombées des châtaigniers pendant l'été.
Nous battons le briquet. Nous allumons un de ces feux de bergers si
pittoresques à contempler de loin, du pied des collines ou du
pont d'un vaisseau quand on navigue en vue des terres.
Une petite flamme claire et ondoyante
jaillit à travers les vagues noires, grises et bleues de la
fumée du bois vert que le vent fouette comme une
crinière de cheval échappé. Nous ouvrons nos
sacs, nous en tirons le pain, le fromage, quelquefois les oeufs durs,
assaisonnés de gros grains de sel gris. Nous mangeons
lentement, comme le troupeau rumine. Quelquefois l'un d'entre nous
découvre à l'extrémité des branches d'un
châtaignier des gousses de châtaignes oubliées sur
l'arbre après la récolte. Nous nous armons tous de nos
frondes, nous lançons avec adresse une nuée de pierres
qui détachent le fruit de l'écorce entrouverte, et le
font tomber à nos pieds.
Nous le faisons cuire sous la cendre
de notre foyer, et si quelqu'un de nous vient à
déterrer de plus quelques pommes de terre oubliées dans
la glèbe d'un champ retourné, il nous les apporte, nous
les recouvrons de cendres et de charbons, et nous les dévorons
toutes fumantes, assaisonnées de l'orgueil de la
découverte et du charme du larcin.
A midi, on rassemble de nouveau les
chèvres et les vaches, couchées déjà
depuis longtemps au soleil sur la grasse litière des feuilles
mortes et des genêts. A mesure que le soleil, en montant, a
dispersé les brouillards sur ces cimes éclatantes et
tièdes de lumière, ils se sont accumulés dans la
vallée et dans les plaines. Nous voyons seulement surgir
au-dessus les cimes des collines, les clochers de quelques hauts
villages, et à l'extrémité de l'horizon les
neiges rosées et ombrées du mont Blanc, dont on
distingue les ossements gigantesques, les arêtes vives et les
angles rentrants ou sortants, comme si l'on était à une
portée de regard.
Les troupeaux réunis, on
s'achemine vers la vraie montagne. Nous laissons loin derrière
nous cette première gorge alpestre, où nous avions
passé la matinée. Les châtaigniers disparaissent,
de petites broussailles leur succèdent ; les pentes deviennent
plus rudes ; de hautes fougères les tapissent ;
çà et là, les grosses campanules bleues et les
digitales pourprées les drapent de leurs fleurs. Bientôt
tout cela disparaît encore. Il n'y a plus que de la mousse et
des pierres roulantes sur les flancs des montagnes.
Les troupeaux s'arrêtent
là avec un ou deux bergers. Les autres, et moi avec eux, nous
avons aperçu depuis plusieurs jours, au dernier sommet. de la
plus haute de ces cimes, à côté d'une plaque de
neige qui fait une tache blanche au nord, et qui ne fond que tard
dans les étés froids, une ouverture dans le rocher qui
doit donner entrée à quelque caverne
"
"Mes jours de berger se passaient
ainsi, avec quelques variations suivant les saisons. Tantôt
c'était la montagne avec ses cavernes, tantôt les
prairies avec leurs eaux sous les saules ; les écluses des
moulins, dans lesquelles nous nous exercions à nager ; les
jeunes poulains montés à cru et domptés par la
course ; tantôt la vendange avec ses chars remplis de raisins,
dont je conduisais les bufs avec l'aiguillon du bouvier, et les
cuves écumantes que je foulais tout nu avec mes camarades ;
tantôt la moisson, et le seuil de terre où je battais le
blé en cadence avec le fléau proportionné
à mes bras d'enfant. Jamais homme ne fut élevé
plus près de la nature et ne suça plus jeune l'amour
des choses rustiques, l'habitude de ce peuple heureux qui les exerce,
et le goût de ces métiers simples, mais variés
comme les cultures, les sites, les saisons, qui ne font pas de
l'homme une machine à dix doigts sans âme, comme les
monotones travaux des autres industries, mais un être sentant,
pensant et aimant, en communication perpétuelle avec la nature
qu'il respire par tous les pores, et avec Dieu qu'il sent par tous
ses bienfaits."
LAMARTINE est très
attaché à Saint Point : "Ma vie date de ce manoir"
dit-il.
Il quitte Saint Point le 15 septembre 1823 pour rejoindre un poste
à l'ambassade de France à Florence jusqu'à la
fin de l'été 1828, date où il revient à
Saint Point.
"Il y est déjà
unanimement vénéré, car dès sa prise de
possession du château, il s'est révélé
généreux, très proche des paysans de la
vallée, attentif à leurs problèmes et toujours
disposé à leur venir en aide
Il était
toujours de plain-pied avec toutes les petites gens des hameaux
voisins. C'est parmi ces familles paysannes qu'il recrutait une bonne
partie de son personnel de maison" (E. MAGNIEN op.cit)
LAMARTINE décrit dans
"Geneviève" une maison au bord d'une ravine,
peuplée d'arbres où se trouve une petite cour avec une
galerie de bois et un escalier de pierres brutes qui mène
à la chambre. Il décrit le sort des pauvres gens qui,
n'ayant aucun bien à eux, "viennent défricher un coin
de sable, bâtir une grange et une maison. Les hommes vont, les
étés, moissonner dans la plaine, l'automne vendanger
pour les vignerons, l'hiver pour battre le blé en grange."
L'auteur parle des femmes qui ont
toutes un "nourrisson de l'hospice" parce que cela les aide à
vivre et qu'on dit que "l'air est sain dans les bruyères et
les genêts."
"Nous trouvons curieusement dans le
récit du petit Bastien et dans la dernière partie du
roman une autre de ces descriptions : alors que l'enfant est
prétendument élevé dans les environs de Voiron,
Lamartine décrit exactement le Haut Mâconnais pour
situer le cadre dans lequel il grandit et il va jusqu'à donner
au hameau de ses parents nourriciers celui du lieu-dit le plus
reculé du Mâconnais, entre Pierreclos et Tramayes : le
Gros Soyer."
nourrice
morvandelle
Dans cette zone pauvre et
montagneuse, "l'élevage" des enfants de l'Assistance
était une véritable industrie au 19e siècle.
Le 16 août 1873, on relève dans les registres de Saint
Point cet acte de décès :
Né à Mâcon "le 18 février dernier, fils de
père inconnu et de DARGAUD Claudine, domiciliée
à Trambly
placé en nourrice
et
élevé par le premier déclarant, BENAS
Jean-Marie, propriétaire cultivateur, trente-deux ans,
demeurant au Prost, hameau de Saint Point, et par la nommée
Marie LAROCHETTE, son épouse ménagère,
trente-quatre ans
"
Louis DARGAUD est "décédé aujourd'hui au
domicile de ses père et mère nourriciers, à huit
heures du matin."
Effectivement, "le domaine du Gros
Soyer est bien haut, bien haut, et bien loin de toute paroisse."
"La description que donne Lamartine des lieux au chapitre CLV est
frappante de précision et de vérité - si l'on en
retire la mention des contrebandiers qui vont entre France et Savoie
et ne sont ici que pour ramener le lecteur vers Voiron ! "
Voici, décrite par "Le
tailleur de pierres de Saint Point", la vie des paysans les plus
pauvres dans les premières années du 19e siècle
:
"Le creux de la gorge, la pente de la montagne, les bruyères,
les genêts et l'enclos où nous sommes, étaient
toujours restés indivis entre les trois maisons de proches
parents. Chacun prenait un champ ou l'autre pour avoir le seigle et
les pommes de terre de l'année. Les bêtes paissaient
où elles voulaient, en commun. Quand venait la saison de
battre les châtaigniers, les hommes et les garçons
montaient sur les arbres, les femmes et les jeunes filles se tenaient
dessous pour les ramasser.
On faisait trois sacs de la récolte, plus ou moins
égaux selon le nombre des enfants de chaque maison, et chacun
prenait le sien."
Emile MAGNIEN commente : "Telle était bien, vers 1850 encore,
la condition des plus humbles paysans du Haut Mâconnais entre
Milly et la vallée de Saint Point."
LAMARTINE meurt à Paris le 28
février 1869.
Son souhait est d'être inhumé dans le petit
cimetière de Saint Point.
Ses obsèques, après un
dernier voyage au milieu d'une haie presque continue de paysans,
révèlent l'estime dans laquelle le tenait le
Mâconnais tout entier :
"Son cercueil, amené par le
train, partit de Paris le 3 mars à trois heures de
l'après-midi pour arriver en gare de Mâcon le lendemain
à sept heures. Un service funèbre eut lieu en
l'église Saint-Vincent, où le corps fut apporté,
depuis le fourgon mortuaire, par un groupe d'ouvriers typographes.
Une foule immense remplissait l'église et garnissait la place
d'Armes, parmi laquelle des représentants de l'Académie
française et des écrivains parisiens...
le tombeau de
Lamartine, à Saint Point
Vers neuf heures, le service
funèbre terminé, un long cortège se mit en route
vers Saint Point. Il avait neigé dans la nuit, mais le soleil
brillait. Les cloches de Prissé, de Saint Sorlin, de Milly, de
Bussières, sonnaient le glas au passage tandis qu'à
l'embranchement de tous les chemins, des groupes compacts de paysans
mâconnais venaient rendre un dernier hommage à leur
illustre compatriote. Les femmes pleuraient. Les hommes
étaient graves. Les compagnies de sapeurs-pompiers formaient
la haie d'honneur. On fit une halte devant Monceau, puis à La
Roche-Vineuse où s'étaient rassemblés ceux de
Milly et de Bussières et où le curé donna
l'absoute.
Enfin, vers midi et demi, on atteignit Saint Point. Le cercueil fut
déposé devant l'entrée du château avant
d'être porté à l'église où le
curé célébra l'office des morts tandis que la
cloche sonnait le glas. La foule remplissait le vieux
cimetière et le parc du château. Dans la chapelle du
tombeau familial, on avait tendu un drap noir sur lequel on lisait
l'inscription : "Ses bienfaits ne sortiront pas de nos
curs."
Dans le recueillement général, LAMARTINE venait
rejoindre dans "l'argile aimée du coteau natal" sa
mère, sa fille et sa femme."
e
Mâconnais de Lamartine
|
De nombreux passages de l'uvre
de LAMARTINE se rattachent à Saint Point ou à une
localité voisine.
Ainsi dans "Les confidences" :
vue de Saint Point
vers 1840
"Le village obscur où le Ciel
m'avait fait naître, et où la Révolution et la
pauvreté avaient confiné mon père et ma
mère, n'avait rien qui pût marquer ni décorer la
place de l'humble berceau d'un peintre ou d'un contemplateur de
l'uvre de Dieu.
En quittant le lit de la Saône,
creusé au milieu de vertes prairies et sous les fertiles
coteaux de Mâcon, et en se dirigeant vers la petite ville et
vers les ruines de l'antique abbaye de Cluny, où mourut
Abailard, on suit une route montueuse à travers les
ondulations d'un sol qui commence à s'enfler à
l'il comme les premières vagues d'une mer montante.
A droite et à gauche
blanchissent des hameaux au milieu des vignes. Au-dessus de ces
hameaux, des montagnes nues et sans culture étendent en pentes
rapides et rocailleuses des pelouses grises, où l'on distingue
comme des points blancs de rares troupeaux. Toutes ces montagnes sont
couronnées de quelques masses de rochers qui sortent de terre,
et dont les dents usées par le temps et par les vents
présentent à l'il les formes et les
déchirures de vieux châteaux démantelés.
En suivant la route qui circule
autour de la base de ces collines, à environ deux heures de
marche de la ville, on trouve, à gauche, un petit chemin
étroit voilé de saules, qui descend dans les
prés vers un ruisseau où l'on entend
perpétuellement battre la roue d'un moulin.
Ce chemin serpente un moment sous les
aunes, à côté du ruisseau, qui le prend aussi
pour lit quand les eaux courantes sont un peu grossies par les pluies
; puis on traverse l'eau sur un petit pont, et l'on
s'élève par une pente tournoyante, mais rapide, vers
des masures couvertes de tuiles rouges, qu'on voit groupées
au-dessus de soi, sur un petit plateau. C'est notre village. Un
clocher de pierres grises, en forme de pyramide, y surmonte sept ou
huit maisons de paysans. Le chemin pierreux s'y glisse de porte en
porte entre ces chaumières."
l'église de
Saint Point
LAMARTINE évoque souvent
des lieux du Mâconnais dans ses uvres.
Emile MAGNIEN est certainement
l'homme qui connaît le mieux ce sujet.
Il nous explique que, à partir de 1850, quand LAMARTINE
entreprend ses romans destinés, très ouvertement,
à constituer une "littérature du peuple", c'est
toujours au pays de l'enfance et à son expérience
personnelle qu'il demande les éléments de ses
récits.
Le titre même du "Tailleur
de pierres de Saint Point" rend compte de ce parti pris. Et si le
cadre géographique de "Geneviève" semble
s'éloigner du Mâconnais, en fait bien des détails
topographiques et maints détails de caractère social
s'y rapportent. La transposition dans l'espace y est souvent
contredite par tel ou tel terme local du Mâconnais.
LAMARTINE décrit "les maisons
écartées les unes des autres, qui ont chacune un verger
et un pré avec des noyers et des sorbiers", il dit ce qu'est
un soyer : "un arbre qui a de la moelle dans le bois et avec lequel
les enfants font des sifflets."
C'est un sureau.
Cette vallée de Saint Point,
LAMARTINE la décrit dans les premières pages du
"Tailleur de pierres" en partant du col du Bois Clair;
à Bourgvilain. Il dessine, de sa plume lyrique, un moulin :
"La nature est une grande artiste quand on la laisse conformer
elle-même ses moyens à son but. Ce moulin en est la
preuve. Je ne passe jamais par ce village sans admirer cette
combinaison irréfléchie qui fait de cette construction
du hameau, un modèle de pittoresque raisonné."
Ce qui est surprenant, c'est qu'aucun
des hameaux de Saint Point, si chargés de poésie, ne
soit nommément désigné dans les descriptions
lamartiniennes.
MAGNIEN a glané dans le
"Tailleur de pierres" des termes locaux, très
spécifiques qui sont employés par LAMARTINE
:
la "mérende" pour le repas, le
verbe "hucher" pour lancer un appel, l'expression "se parler" pour
signifier que deux amoureux officialisent leur penchant l'un pour
l'autre, le "coquetier" pour le commerçant récolteur et
vendeur des produits de la ferme, les "feux des bordes", la
"gorgère" pour désigner le petit plastron brodé
au costume des femmes, le verbe "ravaler" pour transporter vers le
bas, descendre, "l'orne" pour le rang de terre bêchée,
le "nourrin" pour le porc engraissé prêt à
être sacrifié.
Laissons, pour terminer, la parole
au poète :
"Quelquefois dès
l'aurore, après le sacrifice,
Ma bible sous mon bras, quand le ciel est propice,
Je quitte mon église et mes murs jusqu'au soir,
Et je vais par les champs m'égarer ou m'asseoir,
Sans guide, sans chemin, marchant à l'aventure,
Comme un livre au hasard feuilletant la nature
Déjà, tout
près de moi, j'entendais par moments
Monter des pas, des voix et des mugissements ;
C'était le paysan de la haute chaumine
Qui venait labourer son morceau de colline,
Avec son soc plaintif traîné par ses bufs
blancs,
Et son mulet portant sa femme et ses enfants
Laissant souffler ses
bufs, le jeune homme s'appuie
Debout, au tronc d'un chêne, et de sa main essuie
La sueur du sentier sur son front mâle et doux,
La femme et les enfants tout petits, à genoux,
Devant les bufs privés baissant leur corne
à terre,
Leur cassent des rejets de frêne et de
fougère
Et jettent devant eux en verdoyants monceaux
Les feuilles que leurs mains émondent des rameaux
;
Ils ruminent en paix, pendant que l'ombre obscure,
Sous le soleil montant, se replie à mesure,
Et, laissant de la glèbe attiédir la
froideur,
Vient mourir et border les pieds du laboureur.
Il rattache le joug, sous la forte courroie,
Aux cornes qu'en pesant sa main robuste ploie ;
Les enfants vont cueillir des rameaux
découpés,
Des gouttes de rosée encore tout trempés,
Au joug avec la feuille en verts festons les nouent
Que sur leurs fronts voilés les fiers taureaux
secouent
Pour que leur flanc qui bat et leur poitrail poudreux
Portent sous le soleil un peu d'ombre avec eux.
Au joug de bois poli le timon s'équilibre,
Sous l'essieu gémissant le soc se dresse et vibre
L'homme saisit le manche, et sous le coin tranchant
Pour ouvrir le sillon le guide au bout du champ
La terre, qui se fend
sous le soc qu'elle aiguise,
En tronçons palpitants s'amoncelle et se brise.
Et tout en s'entrouvrant fume comme une chair
Qui se fend et palpite et fume sous le fer.
En deux monceaux poudreux les ailes la renversent.
Ses racines à nu, ses herbes se dispersent ;
Ses reptiles, ses vers, par le soc
déterrés,
Se tordent sur son sein en tronçons
torturés.
L'homme les foule aux pieds et, secouant le manche,
Enfonce plus avant le glaive qui les tranche ;
Le timon plonge et tremble et déchire ses doigts
;
La femme parle aux bufs du geste et de la voix ;
Les animaux, courbés sur leur jarret qui plie,
Pèsent de tout leur front sur le joug qui les
lie,
Comme un cur généreux leurs flancs
battent d'ardeur,
Ils font bondir le sol jusqu'en sa profondeur.
L'homme presse ses pas, la femme suit à peine ;
Tous au bout du sillon arrivent hors d'haleine,
Ils s'arrêtent ; le buf rumine, et les
enfants
Chassent avec la main les mouches de leurs flancs
.
Un moment suspendu, les
voilà qui reprennent
Un sillon parallèle, et sans fin vont et viennent
D'un bout du champ à l'autre, ainsi qu'un
tisserand
Dont la main, tout le jour sur son métier
courant,
Jette et retire à soi le lin qui se
dévide,
Et joint le fil au fil sur sa trame rapide,
La sonore vallée est pleine de leurs voix ;
Le merle bleu s'enfuit en sifflant dans les bois,
Et du chêne à ce bruit les feuilles
ébranlées
Laissent tomber sur eux les gouttes distillées.
Cependant le soleil darde à nu, le grillon
Semble crier de feu sur le dos du sillon.
Je vois flotter, courir sur la glèbe
embrasée
L'atmosphère palpable où nage la
rosée
Qui rejaillit du sol et qui bout dans le jour,
Comme une haleine en feu de la gueule d'un four ;
Des bufs vers le sillon le joug plus lourd s'affaisse
;
L'homme passe la main sur son front, sa voix baisse ;
Le soc glissant vacille entre ses doigts nerveux ;
La sueur, de la femme imbibe les cheveux ;
Ils arrêtent le char à moitié de sa
course ;
Sur les flancs d'une roche ils vont lécher la
source,
Et, la lèvre collée au granit
humecté,
Savourent sa fraîcheur et son
humidité."
LAMARTINE
"Jocelyn, les laboureurs"
|
https://www.stleger.info