ragique istoire dmour à Saint éger sous euvray
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le drame a eu lieu
dans le paisible village de Saint-Léger-sous-Beuvray
Le crépuscule
tombe sur le Morvan. Image rassurante dune France
éternelle, digne des manuels scolaires dautrefois : une
famille de paysans rentre des champs dans le calme du soir. La
mère, Jeanne, et sa fille, Françoise, cheminent devant,
portant un lourd panier de pommes de terre. Le père, Jean
Lordet, marche derrière. De lil satisfait et un
brin orgueilleux du paysan propriétaire, il contemple ses
arpents. Un petit voisin
arrive en courant et rejoint les deux femmes. Puis, cest au
tour de la cousine Cottet, venue pour rentrer la vache qui passera la
nuit à létable. La cousine se met à
bavarder avec Jeanne. Surgit alors brusquement Henri Lafleur.
Sen est fini désormais de linfinie
douceur. Horreur Françoise, la
vigoureuse jeune fille de 22 ans, est recroquevillée au milieu
du chemin de terre. Sa mère hurle de douleur. Françoise
est en train de vivre ses derniers instants. A six mètres
devant elles : Henri Lafleur. Il vient de sécrouler sur
le sol. Il était debout : il avait placé le canon de
son fusil sous son menton quand il sest affalé. Selon
toute vraisemblance, il voulait se tirer un coup de fusil dans la
poitrine. Mais il navait plus de munitions pour recharger son
arme : sa boîte de capsules est restée à quelques
mètres de lui, là où il est
tombé. Alertés par
les cris de Jeanne Lordet et par ceux de la cousine Cottet, deux
fermiers se sont joints au groupe que la terreur fige ; il
sagit de Jean Lordet, un habitant du hameau de Chevigny, qui a
les mêmes nom et prénom que le père de
Françoise ; il a tôt fait de semparer du fusil de
Lafleur. Avait précédé Jean Lordet : son
beau-frère, Claude Bouthière. Claude a
déjà arraché des mains de Lafleur le couteau
avec lequel il a tenté de se trancher la gorge. En dépit de
lintervention des deux hommes, Françoise a rendu
lâme. Lordet et Bouthière conduisent Lafleur
auprès de M. Grange, ladjoint au maire de
Saint-Léger-sous-Beuvray. Ce dernier dépêche
aussitôt Jean Chapelain, un véloce couvreur : il court
avertir la gendarmerie dAutun et va chercher un
médecin. Mais que
sest-il passé ? Comment en quelques minutes le sort
a-t-il pu basculer ? Retour sur images. Françoise Lordet
était une jeune fille heureuse, choyée par ses parents,
fermiers aisés adorant leur enfant unique qui le leur rendait
bien. Tout a commencé à se gâter quand le regard
de Françoise a, par hasard, croisé celui dHenri
Lafleur. Les deux jeunes sont tombés amoureux lun de
lautre. Mais Henri est un tisserand sans fortune et, qui plus
est, sans famille ; il a été élevé
à Nevers, dans un hospice, car cest un enfant
trouvé. Si les parents Lordet sopposent à une
union entre leur fille et Lafleur, Françoise, elle,
considère Henri comme son fiancé. Durant quatre ans,
les jeunes gens se voient en cachette, et leur amour, secret et
contrarié, ne fait que croître. Le 1 er septembre,
à la foire dAutun, Henri invite Françoise
à boire un verre au cabaret, au vu et au su de tous.
Cest plus que les parents Lordet ne peuvent tolérer :
ils se rendent chez Pauchard, le logeur de Lafleur, et, usant de leur
influence, le convainquent de mettre le tisserand à la porte.
Ils pensent quainsi ils se débarrasseront à
jamais de limportun soupirant de leur fille. Les amoureux ont
compris quils ne pourront jamais vivre ensemble : ils
choisissent donc de mourir ensemble. Cest en tout cas ce
quexpliquera Henri Lafleur à Léger Piolet, le
juge dinstruction chargé de linterroger. Henri
rejoint Françoise dans le chemin creux et il la tue. Puis, il
tente de se donner la mort ; mais il se loupe à deux
reprises. Questions Cependant, cette
affaire demeure étrange. En effet, tous les témoignages
des deux gens sont concordants : jusquau coup de fusil fatal et
apparemment conjointement décidé par le couple. Les
protagonistes étaient insouciants, détendus, voire
gais. Or, quand on prend la décision den finir avec la
vie, une certaine gravité, a minima, est
généralement de mise. Alors Henri Lafleur a-t-il menti
et a-t-il supprimé Françoise par surprise et
organisé toute une mise en scène pour faire croire
quil avait lintention de mourir lui aussi après sa
bien-aimée ? De cette façon, il était certain de
se venger des parents Lordet qui avaient peut-être en vue un
mariage plus avantageux pour leur fille unique
Peut-être
sest-il dit, cyniquement : « perdue pour perdue
» A moins que ce ne soit une vraie histoire romantique dont
celui qui tient le fusil en dernier se loupe
on ne saura plus
jamais la vérité
seule certitude : Henri Lafleur
est condamné à 20 ans de travaux forcés le 3
novembre 1848. Cet article, paru
dans Le Bien Public le 29 janvier 2012, est signé Albine
Novarino-Pothier.
Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a
publié Les Grandes affaires criminelles de
Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du
Rhône aux éditions de Borée.