la éfenestration de Saint éger sous euvray
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Quand ils sont
sortis, bras dessus bras dessous, de la mairie de Villapourçon
(Nièvre) où ils venaient de contracter mariage, le 21
avril 1923, François Poignant et Lucie Martin pouvaient
apparaître comme un couple idéal. Il avait 25 ans et
portait beau ; il avait un métier sérieux (il
était caviste à Saint-Léger-sous-Beuvray) ; et
elle était belle et très jeune : 15 ans et demie. Ce
mariage-là avait revêtu les atours du vrai
bonheur. Mais chassez le
naturel, il revient au galop. Si la jeune mariée semblait
douce, la réputation du jeune homme nétait pas
vraiment sans tache. Il avait un peu la bougeotte, ayant
déjà tenu, à 20 ans, trois ou quatre emplois, et
dans des contrées parfois éloignées du Morvan,
avant de revenir à Saint-Léger-sous-Beuvray, la commune
où il était né. Il avait été
manoeuvre chez un charpentier, puis batelier
Il ne semblait pas
se plaire longtemps chez le même patron. Cela, on en
conviendra, nest pas très grave. Ce qui
létait davantage, cest que François
Poignant avait laissé, un peu partout où il
était passé, la réputation dun homme
violent, brutal et, comme on disait à lépoque,
intéressé. Cest-à-dire près de ses
sous. Combien de temps la
lune de miel dura-t-elle ? Quelques semaines ? Quelques mois ? En
tout cas moins de quelques années puisque, 5 ans et 3 mois
après le jour de lunion, François Poignant tuait
Lucie Martin en la défenestrant. Cétait le 16
août 1928. Les époux
vivaient à Saint-Léger-sous-Beuvray. Ce jour-là,
Lucie Martin lavait passé chez elle avec sa soeur
Marie-Louise qui était venue prendre une semaine de vacances
auprès delle. Le 16 août, les deux jeunes femmes
dînèrent ensemble vers 19 heures, avant que
François Poignant ne fût rentré du travail (plus
exactement du bistrot). Puis, comme il faisait beau, Lucie et
Marie-Louise décidèrent daller faire une petite
promenade. Lucie ferma la maison à clé et mit la
clé en un endroit convenu entre elle et son mari.
François Poignant rentra vers 21h30. La maison était
fermée. Il engagea la conversation avec un voisin, M. Thomas,
et, tout en discutant, se mit à chercher la clé.
Lalcool ayant un peu embrumé sa vision des choses, il ne
put mettre la main sur elle. Lirritation, puis la
colère, montèrent en lui. Là-dessus, alors
quil est déjà un peu "chaud", voilà que
son épouse et sa soeur réapparaissent. M. Thomas est
toujours là. Cela nempêche pas Poignant de prendre
sa femme à parti et de linvectiver : En arrivant à
létage, lhomme est de très mauvaise humeur.
Avec lépisode de la clé, il a un peu perdu la
face. En plus, il na pas mangé et il est
déjà 21h30. Cette fois, ça
ne passe pas. Poignant se
précipite dans lescalier. Sans doute est-il en train de
réaliser quil vient de commettre une très grosse
bêtise. Quand il arrive près du corps, celui-ci est
inanimé. Lhomme prend sa femme dans ses bras, remonte
à létage et létend sur le lit. François
Poignant a été arrêté dans la
foulée de son crime, par les gendarmes de
Saint-Léger-sous-Beuvray. Les enquêteurs furent tout de
suite convaincus de ses responsabilités dans cette affaire,
même sil tenta de présenter cette mort violente
comme un accident. Laccusé
sy présenta sous son meilleur jour. "Poignant,
écrira le chroniqueur du "Courrier de Saône-et-Loire",
est très proprement vêtu dun complet de velours
; sa physionomie est plutôt sympathique et, à le voir
entre les gendarmes, on ne dirait certainement pas le brutal et le
violent présenté par laccusation". A la barre, le
président linterroge sur son curriculum vitae, ses
précédents emplois, ses rapports avec ses anciens
employeurs et sur "sa" guerre de 14. Peu avant le drame,
Lucie Martin avait manifesté son intention de se rendre
à Paris. Et puis, il y avait cette confidence, faite par la
victime le jour même du drame à une amie : "Je ne
sais pas ce qui va se passer ce soir ; jai un pressentiment que
mon mari va me tuer." Le mari, lui, il nie sans relâche,
comme il a fait pendant toute lenquête ; il parle de
suicide : "Ma femme sest jetée par la fenêtre,
je nai rien pu faire". Sil ny
avait pas eu de témoin, cette version des faits aurait pu
trouver acheteur, mais la soeur de la victime était là,
qui avait presque tout vu, et son témoignage pesa lourd dans
la balance. Me Menand, du barreau
dAutun, grand avocat sil en fut, "affronta bravement
la lutte" (la formule est du chroniqueur judiciaire du
"Courrier"). Il ne dissimula pas la gravité de lacte
abominable commis par son client. Pour sauver ce qui pouvait
lêtre, il simmisça habilement dans les
interstices dincertitude laissées libres par
laccusation. La messe était
dite. Les jurés se retirèrent et revinrent assez vite
avec un verdict de culpabilité. Sans plus. La Cour condamna
François Poignant à 12 ans de travaux
forcés. pcc :
MICHEL LIMOGES
Cela pour dire que le couple idéal qui sortait de la mairie de
Villapourçon le 21 avril 1923 nétait pas aussi
idéal que ça. Lucie Martin allait très vite
lapprendre à ses dépens.
Et dun : son bel homme buvait. Chez lui et au bistrot.
De deux : il était autoritaire.
De trois : il se révéla pingre à
lexcès avec sa jeune femme.
Et de quatre, il était brutal. Brutal en paroles et brutal en
gestes.
Et cest cet homme-là quavait épousé
un jour du printemps 1923 Lucie Martin.
- Où as-tu mis la clé ?
- Là où on la met dhabitude.
- Eh bien ! elle ny est pas !
- Ah bon ?
Lucie se rend à la cachette et... trouve la clé.
Elle ouvre la porte et rentre dans la maison avec sa soeur, tandis
que Poignant fait encore deux minutes de conversation au voisin. Puis
il entre à son tour. Et il monte.
Il monte, car le domicile des époux Poignant est une maison
haute. La pièce où ils vivent et où ils
mangent,et même où ils dorment, surplombe la cour de 7
mètres environ.
Il bouillonne à lintérieur et un peu à
lextérieur ; il commence à transpirer ; il va
donc ouvrir la fenêtre. Pendant ce temps-là, sa jeune
épouse vaque à ses occupations. Ou fait semblant de
vaquer. Latmosphère est lourde ; Lucie sattend
à des violences.
Passent quelques minutes. Devant le mutisme de son mari, Lucie
décide de se déshabiller pour se mettre au lit.
Cest alors quintervient Poignant :
- Apporte-moi du vin ! ordonne-t-il.
Lucie répond calmement que
le litre de vin est sur la
table et quil na quà se servir.
Poignant se lève, avance vers Lucie, lui administre deux
maîtresses gifles, lui donne des coups de poing, la prend
à bras-le-corps, la renverse sur le lit en continuant à
la frapper, lui déchire sa chemise
Lucie parvient à se dégager, saute en bas du lit, se
met à courir dans la pièce, cherche à se sauver,
mais Poignant réussit à fermer la porte à
clé avant quelle ne lait atteinte.
Puis il attrape sa femme, continue à la rouer de coups,
lapproche de la fenêtre, quil avait ouverte
quelques instants auparavant et, attrapant Lucie par la taille, il la
soulève et la précipite par la fenêtre.
Sept mètres plus bas, la tête de la jeune femme heurte
le sol.
Lucie ne donne plus signe de vie. Poignant tente tout de même
de la ranimer. Mais cest peine perdue. Lucie Poignant,
née Martin, ne revient pas à elle.
Lenquête établira que la jeune femme est morte
environ une demi-heure après avoir été
défenestrée, des suites de multiples lésions
occasionnées par cette chute, notamment dans la région
du crâne.
François Poignant fut donc mis en accusation et
incarcéré en préventive. Il arriva devant les
Assises queque huit mois après les faits, le 23 janvier
1929.
Né en 1897, François Poignant a été
mobilisé au début de lannée 1917, mais il
na jamais été envoyé au front. Cest
curieux, mais cest comme ça.
Puis viennent les questions, plus intéressantes, de ses
rapports avec la victime.
Sur la façon dont ils se sont connus, on napprendra
rien, mais sur leur cohabitation, beaucoup. Plusieurs témoins
évoqueront les scènes de ménage, les cris, les
coups même que recevait Lucie. On entendra dire que le mari
violent refusait jusquau pain à sa femme. Il sera aussi
question de divorce.
Aussi M. Pépin, procureur de la République,
neut-il pas besoin dêtre très long pour
expliquer aux jurés ce quil pensait de la
culpabilité de laccusé : "Le 16 août,
Lucie Martin sentait la mort rôder autour delle,
tonna-t-il ; lhomme le plus sanguinaire, le plus
féroce, a toujours un moment de regret. Vous, accusé
Poignant, votre crime accompli, vous néprouvez pas un
sentiment de remords... Par votre indifférence, par votre
cynisme, vous avez scandalisé tout le monde, même les
gendarmes." Et de requérir les travaux forcés
à perpétuité.
Dabord, il dégagea le sceptre noir de la
préméditation, puis il montra ce que pouvait avoir
daccidentel, dans une certaine mesure, le geste mortel de
Poignant.
le Journal de Saône et Loire - 21 mars 2010