ouise, le chant du terroir

Hommage à Louise Ruet (1913-1997)

Au pied de cette colline, au beau milieu des vignes
De temps en temps comme ça, le destin fait un signe
Il pose discrètement dans le creux d'un foyer
Une graine d'artiste qui lentement va pousser
Cette belle plante très tôt donna fort de la voix
Caractère tenace, elle y trouva la foi
Guidée par son talent, c'est le chant qu'elle choisit
Non pas une comédie mais l'amour de sa vie
Il lui fallut du cran pour suivre ce chemin
Ingrat et saugrenu, parce que hors du commun
Heureusement Jeanne veillait comme une sœur jumelle
Et dans l'ombre apaisait les doutes, les querelles
Le tandem marcha bien, toujours signe du destin
Fut connu par ici et même un peu plus loin
Elle possédait un don, qu'elle fit une passion
Posant ses perles de voix sur toute la région
Dans ce milieu de siècle sur les scènes elle chante
Portée au firmament même les villes elle enchante
Poussant ses refrains presque sur toutes les ondes
Elle ne fut pas loin de faire le tour du monde
Mais la chape ennemie s'abattit sur notre sol
Et plus question de clef de Si, ni de clef de Sol
Le quotidien devint une priorité
Il fallut bien vivre et parfois même composer
Mais la musique revint comme une grande victoire
Des rythmes nouveaux résonnaient dans la gloire
Les temps modernes étaient en train de naître
Et pour des années allaient régner en maître
Temps plus dur, il fallut composer de nouveau
Le cercle se restreint, demeura le noyau
Elle reprit son chemin et revint à Brouilly
Fit école et forma les enfants du pays
Ambassadrice du cru, elle l'est devenue
A chanter Brouilly autant qu'elle le put
Heureuse comme l'artiste qui fit un beau voyage
Et revenue chanter le reste de son âge
Les chants de son terroir entre tous ses amis
Amoureuse qu'elle était de ce sacré pays.

Paul Grizard

 

"La" ouise, cantatrice et femme de coeur

J'ai épousé "la" Louise le 15 juillet 1995. Un mariage d'opérette, peut-être, mais l'opérette, en partition comme au figuré, elle aimait ça. Et claquer le bec des garnements aussi, qu'ils soient jeunes ou déjà quinqua ; mais en toute élégance !
Ce 15 juillet, donc, les bans avaient été publiés. Dans les chapelles à anisette plus que dans celle du bon dieu, et dans les boîtes aux lettres des copains ! Un faire-part en bonne et due forme circulait dans le village, invitant à nos noces. Découvrant la chose, j'ai d'abord ri aux larmes, puis pâli... Comment Louise allait-elle prendre cette farce digne de notre théâtre de l'AEP ?
Louise le prit bien, malgré son état de santé : ma délicieuse voisine de 80 printemps était ce week-end là en perm' d'un séjour à l'hôpital de Beaujeu, mais elle était revenue pour fêter aux Ravatys mon demi-siècle, programmé... le 15 juillet justement ! Comme j'étais allé, tête basse, lui montrer le bristol commis par les effrontés de Saint-Lager, elle lut, et répondit sans sourciller : "Oh, mais c'est trop bien ! Je peux en faire des photocopies ? Je serai là..."
Et Louise joua le jeu. Vêtue de noir comme toujours, maquillée comme pour un lever de rideau à l'opéra, elle ouvrit le cortège dont elle était la vedette, se plia à la cérémonie fictive célébrée par un Bobosse en soutane, nous offrit une séance de photos mémorable, et ouvrit le bal à mon bras. L'émotion et la tendresse étaient au rendez-vous, au moins autant que le rire. Mais une fois de plus, elle se montra perfectionniste jusqu'au bout du jeu : "On aurait dû répéter, Maurice", me souffla-t-elle aux premières notes de valse. Je n'en suis toujours pas revenu !

Du plus loin qu'on se souvienne, Louise a toujours chanté. Elle tenait cela de son père épicier. D'ailleurs, toute la famille Ruet chantait. Devenue cantatrice à Radio Paris, la petite provinciale n'eut pas la chance de "percer" à Paname, la guerre et la rudesse de la vie saccageant ses ambitions. Mais à Lyon, la radio l'accueillit longtemps, pour des concerts que chacun en beaujolais, écoutait religieusement. Toute sa vie fut pétrie de musique, en leçons de chant, accompagnements, mais aussi formations chorales au service de la cause beaujolaise.

 

 

La première fut lancée en 1948 sous l'appellation "les Garçons". Chemise blanche, pantalon noir, les jeunes du village rassemblés pour l'occasion travaillaient dur sous la houlette de Louise qui avait pour ambition d'approcher la qualité vocale des Compagnons de la Chanson.
Albert Collonge s'en souvient comme si c'était hier : "J'ai rallié le groupe en 1949, au retour du régiment. Louise devait avoir une trentaine d'années à l'époque. On répétait chez elle, une fois par semaine, mais on n'avait pas notre mot à dire sur le choix des chansons ! C'était elle qui commandait ! Nous, on faisait les andouilles mais on obéissait. Louise était stricte, elle se mettait en colère si on en faisait trop ou pas assez. Elle savait exactement ce qu'elle voulait. Mais quand on s'était bien fait disputer, on riait de bons coups et Jeanne, sa sœur, nous faisait les crêpes..."
"Rapidement, Louise nous a aussi proposé du théâtre pour monter des spectacles complets comme "Le mariage 1900". A l'époque, elle avait des élèves qui jouaient également. Nous avons disputé la demi-finale à Annonay pour la Coupe de la Joie. Ce jour-là, nous avons chanté "Maître Pierre" plutôt qu'une chanson du terroir... Dommage. Nous ne sommes pas montés à Paris."

Albert Collonge n'a rien oublié du respect "énorme" que les Garçons trimballaient pour Louise Ruet, même s'ils la chahutaient allègrement. De cette jolie aventure, reste notamment un disque en quatre titres, remis aux Garçons, lors de la soirée de dissolution du groupe au restaurant "le Goutillon". Une auberge d'excellente réputation, soit dit en passant, dont Louise et Jeanne tenaient les rênes avec maestria, leurs talents conjugués ne se limitant pas aux octaves de l'une, à la peinture (très sensible) de l'autre...

 

 

Le restaurant servit aux heures creuses de salle de répèt' pour le second groupe constitué plus tard, celui des Pomponnettes. J'en ai fait partie dès l'origine, avec Christiane et Gisèle Bonnamour, Mireille Lacombe, Gabriel Gennetier. Une sacrée histoire de plus ! Il faut dire que c'était l'année du premier pas sur la lune, et une belle époque pour l'AEP Saint-Lager. On y chantait beaucoup, J'entraînais la troupe et les jeunes, et... je demandais pas mal de conseils à Louise, pour ne pas me rater. Elle acceptait d'ailleurs volontiers de nous aider, mais quand sa visite était annoncée à la salle Saint Pierre, je préférais prévenir. Mieux valait se tenir à carreaux et à la partition ! C'est comme cela qu'un jour, elle me demanda si l'on ne pouvait pas préparer des chansons beaujolaises. Elle aimait transmettre, elle avait sans doute envie de revivre l'aventure d'une formation chorale. Les volontaires de l'AEP ont dit d'accord. C'était parti.

Et ce fut extrêmement sérieux. Au Goutillon, nous devions être à l'heure, ne pas manquer un entraînement. Louise était au piano, et nos voix enregistrées au magnétophone. Le hic, ce fut le premier nom donné au groupe. Elle nous avait baptisés "les Cirrhoses", mais ça n'a pas plu du tout à l'interprofession beaujolaise qui a envoyé un courrier nous sommant de changer d'appellation. Louise était furieuse ! "C'est sans doute qu'ils doivent l'avoir, la cirrhose" ruminait-elle. On a donc été bombardés "Pomponnettes". Pendant cinq ou six ans, nous avons travaillé, "exporté" les chansons du terroir en France, en Belgique et bien entendu dans les animations du pays. Nos tenues réglementaires, c'était jupe rouge à liseré blanc et corsage noir pour les filles, pantalon vert sombre, chemise blanche et gilet rouge pour les hommes. Espadrilles pour tout le monde, brodées de raisins et de feuilles de vigne. Le dos et la tête bien droits, on se redresse, s'il vous plaît ! Inutile de dire que nous ne bougions pas une oreille !

 


photo Guy Bourgier - Louise Ruet au centre

 

Attitude, langage, démarche, présentation...On aura compris que Louise Ruet ne supportait pas le laisser-aller et l'âge venant n'y a strictement rien changé. Elle écoutait beaucoup, corrigeant même à l'occasion les fautes de français de ses interlocuteurs (je lui dois de savoir qu'une gloriette n'est pas une tonnelle lambda !) C'était une dame, quoi ! Une vraie personnalité, mais aussi une vraie cuisinière. Lors d'une mise en bouteilles, je lui avais demandé de me préparer un coq au vin et apporté la bête. J'ai vu Louise revenir, fort sérieuse. "Maurice, je ne sais quel âge a votre volatile, mais il risque d'être immangeable ! Je dois le faire recuire. J'ai encore besoin de vin..." C'est ainsi que nous avons eu un coq à 8 bouteilles et une sauce particulièrement capiteuse, mais excellente !

Si le coq vaut pour l'anecdote, il est un souvenir beaucoup plus touchant de Louise et c'est à Nicole Rayé que nous le devons. Durant l'été 1943, cette dernière, qui n'était encore qu'une gamine, avait quitté Marseille pour Saint-Lager. C'était la guerre, avec son cortège de violences. "Mais chaque fois qu'elle apprenait qu'un maquisard, un résistant, avait été fusillé, Louise chantait le chant des partisans sur le pas de sa porte." raconte Nicole. "C'est avec elle que je l'ai entendu pour la première fois, et j'en ai encore froid dans le dos."

Intransigeante dans le travail, Louise avait la dignité et la fierté chevillées au corps. Pour son pays, pour elle-même, pour les autres. Et si l'on disait "la" Louise, c'est bien parce qu'elle était unique. Chapeau bas, Madame.

Maurice Bonnetain
in "Paroles de St-Lageois / En Beaujolais de 1940 à 1970"

 

 

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