Hommage à Louise Ruet (1913-1997) Paul
Grizard |
"La" ouise, cantatrice et femme de coeur
Du plus loin qu'on se
souvienne, Louise a toujours chanté. Elle tenait cela de son
père épicier. D'ailleurs, toute la famille Ruet
chantait. Devenue cantatrice à Radio Paris, la petite
provinciale n'eut pas la chance de "percer" à Paname, la
guerre et la rudesse de la vie saccageant ses ambitions. Mais
à Lyon, la radio l'accueillit longtemps, pour des concerts que
chacun en beaujolais, écoutait religieusement. Toute sa vie
fut pétrie de musique, en leçons de chant,
accompagnements, mais aussi formations chorales au service de la
cause beaujolaise. La première
fut lancée en 1948 sous l'appellation "les Garçons".
Chemise blanche, pantalon noir, les jeunes du village
rassemblés pour l'occasion travaillaient dur sous la houlette
de Louise qui avait pour ambition d'approcher la qualité
vocale des Compagnons de la Chanson. Albert Collonge n'a
rien oublié du respect "énorme" que les Garçons
trimballaient pour Louise Ruet, même s'ils la chahutaient
allègrement. De cette jolie aventure, reste notamment un
disque en quatre titres, remis aux Garçons, lors de la
soirée de dissolution du groupe au restaurant "le Goutillon".
Une auberge d'excellente réputation, soit dit en passant, dont
Louise et Jeanne tenaient les rênes avec maestria, leurs
talents conjugués ne se limitant pas aux octaves de l'une,
à la peinture (très sensible) de l'autre... Le restaurant servit
aux heures creuses de salle de répèt' pour le second
groupe constitué plus tard, celui des Pomponnettes. J'en ai
fait partie dès l'origine, avec Christiane et Gisèle
Bonnamour, Mireille Lacombe, Gabriel Gennetier. Une sacrée
histoire de plus ! Il faut dire que c'était l'année du
premier pas sur la lune, et une belle époque pour l'AEP
Saint-Lager. On y chantait beaucoup, J'entraînais la troupe et
les jeunes, et... je demandais pas mal de conseils à Louise,
pour ne pas me rater. Elle acceptait d'ailleurs volontiers de nous
aider, mais quand sa visite était annoncée à la
salle Saint Pierre, je préférais prévenir. Mieux
valait se tenir à carreaux et à la partition ! C'est
comme cela qu'un jour, elle me demanda si l'on ne pouvait pas
préparer des chansons beaujolaises. Elle aimait transmettre,
elle avait sans doute envie de revivre l'aventure d'une formation
chorale. Les volontaires de l'AEP ont dit d'accord. C'était
parti. Et ce fut
extrêmement sérieux. Au Goutillon, nous devions
être à l'heure, ne pas manquer un entraînement.
Louise était au piano, et nos voix enregistrées au
magnétophone. Le hic, ce fut le premier nom donné au
groupe. Elle nous avait baptisés "les Cirrhoses", mais
ça n'a pas plu du tout à l'interprofession beaujolaise
qui a envoyé un courrier nous sommant de changer
d'appellation. Louise était furieuse ! "C'est sans doute
qu'ils doivent l'avoir, la cirrhose" ruminait-elle. On a donc
été bombardés "Pomponnettes". Pendant cinq ou
six ans, nous avons travaillé, "exporté" les chansons
du terroir en France, en Belgique et bien entendu dans les animations
du pays. Nos tenues réglementaires, c'était jupe rouge
à liseré blanc et corsage noir pour les filles,
pantalon vert sombre, chemise blanche et gilet rouge pour les hommes.
Espadrilles pour tout le monde, brodées de raisins et de
feuilles de vigne. Le dos et la tête bien droits, on se
redresse, s'il vous plaît ! Inutile de dire que nous ne
bougions pas une oreille ! Attitude, langage,
démarche, présentation...On aura compris que Louise
Ruet ne supportait pas le laisser-aller et l'âge venant n'y a
strictement rien changé. Elle écoutait beaucoup,
corrigeant même à l'occasion les fautes de
français de ses interlocuteurs (je lui dois de savoir qu'une
gloriette n'est pas une tonnelle lambda !) C'était une dame,
quoi ! Une vraie personnalité, mais aussi une vraie
cuisinière. Lors d'une mise en bouteilles, je lui avais
demandé de me préparer un coq au vin et apporté
la bête. J'ai vu Louise revenir, fort sérieuse.
"Maurice, je ne sais quel âge a votre volatile, mais il
risque d'être immangeable ! Je dois le faire recuire. J'ai
encore besoin de vin..." C'est ainsi que nous avons eu un coq
à 8 bouteilles et une sauce particulièrement capiteuse,
mais excellente ! Si le coq vaut pour
l'anecdote, il est un souvenir beaucoup plus touchant de Louise et
c'est à Nicole Rayé que nous le devons. Durant
l'été 1943, cette dernière, qui n'était
encore qu'une gamine, avait quitté Marseille pour Saint-Lager.
C'était la guerre, avec son cortège de violences.
"Mais chaque fois qu'elle apprenait qu'un maquisard, un
résistant, avait été fusillé, Louise
chantait le chant des partisans sur le pas de sa porte." raconte
Nicole. "C'est avec elle que je l'ai entendu pour la
première fois, et j'en ai encore froid dans le
dos." Intransigeante dans
le travail, Louise avait la dignité et la fierté
chevillées au corps. Pour son pays, pour elle-même, pour
les autres. Et si l'on disait "la" Louise, c'est bien parce qu'elle
était unique. Chapeau bas, Madame. Maurice
Bonnetain
Ce 15 juillet, donc, les bans avaient été
publiés. Dans les chapelles à anisette plus que dans
celle du bon dieu, et dans les boîtes aux lettres des copains !
Un faire-part en bonne et due forme circulait dans le village,
invitant à nos noces. Découvrant la chose, j'ai d'abord
ri aux larmes, puis pâli... Comment Louise allait-elle prendre
cette farce digne de notre théâtre de l'AEP ?
Louise le prit bien, malgré son état de santé :
ma délicieuse voisine de 80 printemps était ce week-end
là en perm' d'un séjour à l'hôpital de
Beaujeu, mais elle était revenue pour fêter aux Ravatys
mon demi-siècle, programmé... le 15 juillet justement !
Comme j'étais allé, tête basse, lui montrer le
bristol commis par les effrontés de Saint-Lager, elle lut, et
répondit sans sourciller : "Oh, mais c'est trop bien ! Je
peux en faire des photocopies ? Je serai là..."
Et Louise joua le jeu. Vêtue de noir comme toujours,
maquillée comme pour un lever de rideau à
l'opéra, elle ouvrit le cortège dont elle était
la vedette, se plia à la cérémonie fictive
célébrée par un Bobosse en soutane, nous offrit
une séance de photos mémorable, et ouvrit le bal
à mon bras. L'émotion et la tendresse étaient au
rendez-vous, au moins autant que le rire. Mais une fois de plus, elle
se montra perfectionniste jusqu'au bout du jeu : "On aurait
dû répéter, Maurice", me souffla-t-elle aux
premières notes de valse. Je n'en suis toujours pas revenu
!
Albert Collonge s'en souvient comme si c'était hier : "J'ai
rallié le groupe en 1949, au retour du régiment. Louise
devait avoir une trentaine d'années à l'époque.
On répétait chez elle, une fois par semaine, mais on
n'avait pas notre mot à dire sur le choix des chansons !
C'était elle qui commandait ! Nous, on faisait les andouilles
mais on obéissait. Louise était stricte, elle se
mettait en colère si on en faisait trop ou pas assez. Elle
savait exactement ce qu'elle voulait. Mais quand on s'était
bien fait disputer, on riait de bons coups et Jeanne, sa sur,
nous faisait les crêpes..."
"Rapidement, Louise nous a aussi proposé du
théâtre pour monter des spectacles complets comme "Le
mariage 1900". A l'époque, elle avait des élèves
qui jouaient également. Nous avons disputé la
demi-finale à Annonay pour la Coupe de la Joie. Ce
jour-là, nous avons chanté "Maître Pierre"
plutôt qu'une chanson du terroir... Dommage. Nous ne sommes pas
montés à Paris."
photo Guy Bourgier -
Louise Ruet au centre
in "Paroles de St-Lageois / En
Beaujolais de 1940 à 1970"