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En préambule, cette fable de Jean de La Fontaine (1621-1695).
Elle provient d’une ancienne tradition médiévale. La Fontaine ajoute toutefois une trouvaille de son cru : le tribunal des animaux. Beaucoup verront dans le Lion un portrait du roi Louis XIV. On trouve dans cette fable une moquerie subtile du manichéisme politique et des artifices des juristes du temps.

 

 

Les Animaux malades de la Peste

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.

Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.

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- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.

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L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

 


 

Un siècle plus tard, voici l'édifiante histoire de la famille Desbureaux, de Sus-Saint-Léger. On notera le courage de la veuve, à resituer dans le contexte de l'époque et qui n'avait sans doute pas lu La Fontaine...

Ce document est tiré de "Causes célèbres, curieuses et intéressantes de toutes les cours souveraines du royaume, avec les jugements qui les ont décidées" - Tome XXXV - A Paris, chez Lacombe - 1777
in "L'Esprit des Journaux François et Etrangers - dédié à son A.R. Mgr le Duc Charles de Lorraine et de Bar par une Société de gens de lettres" - Tome IV - avril 1778
http://books.google.fr/books?id=_gQTAAAAYAAJ pages 186 et suivantes

Il s'intitule :

 

XCIIe cause : Le suicide est-il une preuve de démence ?

"Jean Desbureaux, laboureur à Sus-Saint-Léger dans l'Artois, ayant marié François-Marie Desbureaux son fils aîné, lui vendit ses biens, à la charge d'acquitter les dettes qu'il avoit contractées dans différents procès que lui avoit suscités le sieur Duveillez son gendre.
Celui-ci intenta un procès à l'acquéreur qui, par une sentence du conseil d'Artois du 10 mars 1744, se trouva obligé de payer une seconde fois, en principal et en frais, les biens qu'il avoit déjà légitimement achetés.

Dans cet intervalle, l'esprit de Desbureaux se dérange tout à fait, il tombe dans une démence absolue. Tantôt furieux, il poursuit quiconque se présente devant lui ; tantôt au contraire il se croit poursuivi à son tour, se sauve nu de sa maison, va se cacher dans ses granges, dans les bois, veut se jeter dans des mares d'eau, menace de se tuer. Sa femme est réduite à le garder presque continuellement ; enfin, le 5 novembre 1744, il échappe à ses surveillants, monte dans son grenier et se pend. Quelques instants d'absence donnent à sa malheureuse femme les plus vives alarmes ; on le cherche, on le trouve encore assez à temps pour conserver ses jours…

La folie de Desbureaux étoit trop connue pour que l'ordre public fût intéressé à punir en lui un crime qui n'en étoit pas un de sa part. Malgré cela, le sieur Duveillez, lieutenant de la justice de Saint-Léger, excita, à ce qu'on prétend, le seigneur de cette terre, par l'appât des gains que la confiscation alloit lui acquérir.

Une procédure criminelle s'instruisit contre le malheureux Desbureaux. On la suivit avec assez de chaleur pour acquérir bientôt la preuve d'un accident que le désir de faire prononcer l'interdiction avoit engagé sa femme à rendre public, et dès le 22 décembre 1744 intervint sentence, par laquelle la justice de Sus-Saint-Léger "déclaroit François-Marie Desbureaux atteint et convaincu de s'être pendu par le col le 5 novembre précédent, pour réparation de quoi on le condamnoit aux galères à perpétuité, et en outre en une amende de 10 livres envers le seigneur, aux frais et mises de justice, et le surplus de ses biens confisqué au profit de qui il appartiendroit."

L'appel en fut porté devant le conseil d'Artois, souverain en matière criminelle. Alors la femme Desbureaux intervint, demandant que l'appellation et la sentence fussent mises au néant, son mari déchargé des condamnations et remis entre ses mains et à sa garde.
Ce tribunal mit l'appellation et la sentence dont étoit appel au néant ; émendant, sans s'arrêter à la requête de la femme Desbureaux, sur l'accusation, mit les parties hors de cour.
L'interdiction ne fut pas prononcée contre François Desbureaux ; sa femme, obligée de recourir au sieur Duveillez pour les formalités nécessaires en pareil cas, en éprouva toujours des refus.

Jean Desbureaux père mourut, et son fils signa une renonciation à sa succession. Cet acte fut la source des divisions qui ont depuis consommé en frais la plus grande partie de la succession commune et troublé la paix de la famille. Desbureaux signa encore plusieurs actes jusqu'en juin 1767, dont l'effet étoit un dépouillement absolu, la perte entière et irréparable de toute sa fortune. Enfin, le 13 juillet 1768, la femme Desbureaux obtint l'interdiction de son mari. Le premier usage qu'elle fit de sa qualité de curatrice fut de demander, en la cour, à être reçue tierce-opposante à des arrêts de 1758 à 1763, rendus contre Desbureaux en démence, sans assistance de curateur, et que ces arrêts, ainsi que les actes qu'il avoit souscrits depuis le 1er octobre 1744, fussent déclarés nuls. Elle fit assigner, en la cour, le sieur Duveillez et Boucher son procureur, au lieu de qui l'instance a été depuis reprise par les sieurs Boucher, Bricaire et autres, ses héritiers ou légataires.

Mais les choses en cet état, les révolutions publiques vinrent encore ajouter de nouvelles entraves à la réclamation de la femme Desbureaux. Lui-même étant mort dans l'intervalle, les contestations ont été reprises par sa veuve en son propre nom, et par sa fille et son gendre.
M. Barré, défenseur de la veuve et des autres demandeurs en tierce-opposition, soutenoit :
1. que dès 1744 Desbureaux étoit dans une incapacité absolue de contracter, résultant de son suicide et des termes du jugement public qui avoit statué définitivement sur ce délit
2. que quand on n'accorderoit pas, aux termes de l'arrêt du conseil d'Artois, l'effet d'une interdiction, l'incapacité résulteroit des faits particuliers de la vie de Desbureaux, parce que ces faits sont de nature à ne pas laisser douter de sa démence, et que la certitude physique de la démence suffit pour emporter la nullité des actes
3. que, dans tous les cas, cette interdiction de Desbureaux, lors des actes, ne peut plus aujourd'hui faire de difficulté, parce qu'elle est prononcée par une sentence dont la disposition et les termes la font nécessairement remonter à un temps antérieur à ces actes.

On regrette que le parlement n'ait pas eu lieu de prononcer sur la question élevée dans cette affaire ; savoir si une interdiction, provoquée et prononcée 24 ans après le suicide contre celui qui l'a commis, doit avoir un effet rétroactif jusqu'au crime et annuler tous les actes, jugements et arrêts souscrits par le suicide ou obtenus contre lui.

L'arrêt qui fut rendu le 5 février 1777, sur les conclusions de M. Joly de Fleury, débouta la veuve Desbureaux et consorts de leur tierce-opposition, sauf à eux de se pourvoir par lettres, tant de rescision contre les actes que de requête civile contre les arrêts, fins de non-recevoir et défenses réservées au contraire. Il mit hors de cours sur le surplus des demandes.
Cet arrêt, comme on voit, ne juge rien sur la validité des actes consentis par Desbureaux ; il indique seulement à la veuve les voies qu'elle auroit dû prendre, au lieu de la tierce-opposition."

 

Vous pouvez consulter un document beaucoup plus complet en cliquant ici :
http://books.google.fr/books?id=nzvi-xpVq2UC (jusqu'à la page 94)

 

Robespierre (1758 - 1794)

 

Encore quelques années, et ce sera en France la Révolution.
Il est intéressant de savoir que Maximilien de Robespierre est né à Arras en 1758. A l'âge de 6 ans, il perd sa mère, emportée par la tuberculose, et est rapidement délaissé par son père, François de Robespierre, avocat au conseil d'Artois et plus tard 1er avocat au conseil supérieur d'Arras.

Aujourd'hui, nous sommes au XXIe siècle. Faut-il encore lire La Fontaine ?

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

 

 

 

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