-
Grand-père ! Grand-père ? Grand-père
.
- Oui
Oui mon petit
- Tu t'étais endormi ? Tu n'étais plus avec moi ?
- Oh que si ! Mais si tu le penses réellement, excuse-moi de
m'être évadé dans un monde qui ne t'appartient
pas encore.
- Quel monde, Grand-père ?
- Le monde du trésor qui est en toi.
- C 'n'est pas possible, on ne peut pas avoir de trésor dans
son ventre, Grand-père.
- Peut-être pas dans ton ventre, peut-être pas à
ton âge, mais je peux t'aider à te constituer une
richesse intérieure.
- Comment ça ! Tu peux m'expliquer, Grand-père ?
- Bien sûr, viens près de moi et écoute bien.
- Tu veux que je pousse ton fauteuil près de la fenêtre
?
- Si tu veux, mais fais le rouler doucement, s'il te
plaît
Pas comme la dernière fois, d'accord ? Ce
n'est pas parce que tu aimes les courses de bolides que je dois
devenir pilote à mon âge !
- O.K., O.K.c'est cool...
- C'est quoi ?...
- Bein... c'est cool !
- C'est quoi ??
- Ah oui, restons français ! Je pousserai ton fauteuil
tranquillement
- Je préfère ! C'est cool, pff ! Alors écoute
bien
Quand je regarde les vieilles choses, mon esprit vagabonde
dans un monde de souvenirs. Je revois les images de ma jeunesse qui,
comme tu peux le voir, est quelque peu défraîchie en ces
grandes chaleurs estivales. Telle une fleur qui manque d'eau, la
jeunesse se fane et perd très vite de ses splendeurs. Arrose
ta vie de mille gouttelettes d'émotion. Alimente la source de
tes passions. Aie une soif insatiable de curiosité et tu
pourras te constituer le plus beau des trésors, celui de la
vie.
- Un trésor ?
- Oui, un trésor magique.
- Comment ça, magique ! Il peut transformer les choses ?
- En quelque sorte, oui, mais pas tout de suite. Tu sais, le chemin
qui te mène vers le bien est encore loin. Sois patient. Tel le
Petit Poucet qui se crée un retour assuré, accumule les
bienfaits de la vie et tu pourras, tout comme moi, revenir sur tes
joies. Tu vois, lorsque tes pas se feront lourds et pesants, lorsque
tu seras seul et loin de tes proches, allonge-toi calmement et laisse
toi glisser, doucettement, vers le coffret de ton adolescence.
Ouvre-le. Laisse-toi émerveiller. Retrouve les histoires de ta
jeunesse et une vitalité intérieure pleine
d'émotions heureuses te ressourcera. Le fleuve de ta vie
deviendra tranquille. Tu pourras vaincre la routine, la solitude,
l'immobilité. Ce coffret, ce trésor, ce jardin secret
illumine ma vieillesse et me permet de gambader dans les prés,
marcher sur la colline et courir sur les tapis de pâquerettes
à l'âge où je ne puis plus.
- Tu racontes n'importe quoi, Grand-père ! Ce n'est pas un
vrai trésor ! Il n'y a pas de pièces
d'or.
- Tu apprendras avec le temps que
chaque homme est doté à sa naissance d'un trésor
qui n'est pas forcément composé de monnaies sonnantes
et trébuchantes. Souvent l'essentiel réside dans
l'illusion et le rêve. Parfois, l'apparence prime sur la
réalité. Alors, pour atteindre cette sagesse d'esprit,
il faut que tu emmagasines dès ton plus jeune âge, au
plus profond de ton âme, toutes les graines de bonheur et
d'amour partagées. Celles-ci germeront très,
très lentement dans ton esprit sous l'impulsion de tes coups
de cur. Mais tu devras laisser passer les ans et
connaître les formules magiques pour accumuler ces richesses.
Le trésor dont je te parle est un ami qui te veut du bien et
qui est en toi. Il stocke tes joies et les libèrera à
ta demande sous forme d'énergies réparatrices.
- C'est compliqué, Grand-père, parle plus simplement.
Tu as dit : les formules magiques. Il y en a plusieurs ?
- Il y a deux clefs pour ouvrir ton cur : l'une pour amasser et
stocker les richesses de l'esprit, et l'autre pour les libérer
et embellir ta vie.
- Donne-moi ces clefs, Grand-père. S'il te plaît.
- Ceci est un secret. Un secret de famille que tu devras
protéger et ne le confier à personne.
- Je serai muet comme une carpe, Grand-père.
- Alors écoute bien. Pour récupérer la
première clef, pense très fort au partage, car l'ami
qui est en toi aime la générosité et saura te le
rendre. Ferme les yeux, respire longuement et chuchote à ton
nouvel ami ces quelques mots griffonnés sur un papier qui
devra rester cacher au fond de ta poche :
Ô mon cur,
reçois cette graine d'émotion
Amasse et stocke la beauté de cet instant
Pour que demain et plus encore au fil des ans
Tu me donnes la lumière dans mes actions.
N'oublie pas de le remercier !
- Et la deuxième clef, Grand-père ?
- Oh, pour la deuxième clef, tu as encore le temps car c'est
celle des grands.
- Je suis grand. Regarde !
- Bien sûr, mais pas suffisamment pour interpeller ton ami avec
cette deuxième clef.
- Quel ami, Grand-père ?
- Mais celui qui est en toi. Il est tout petit mais sa voix est celle
de la conscience qui t'éclairera sur la réalité
pure. Tu peux l'entendre. Fais-lui confiance. Il t'aide en
éliminant le doute qui est en toi et ne laisse filtrer que
l'amour. Il travaille énormément à
sélectionner toutes les belles images de ta vie qu'il te
restituera quand tu en auras besoin. Tu sais quand on est jeune on
dit : "Quand je serai grand
" Mais quand on est vieux on dit :
"Si j'étais jeune
" Alors cette deuxième clef te
permet de recouvrer ta jeunesse d'antan. N'est-ce pas formidable de
se retrouver avec ses copains d'enfance, ses amours, ses joies, ses
enfants... Tu vois, la solitude n'existe pas, enfin je crois.
- Tu parles comme Gilbert Bécaud, Grand-père.
- Ah bon ! Ah oui, c'est vrai ! La solitude ça n'existe pas !
C'est ça ? Mais comment tu connais Gilbert Bécaud, toi
?
- Moi, je ne le connais pas très bien, mais à la maison
il est numéro un au hit parade ! C'est de la folie grave avec
Bécaud.
- C'est bien, Bécaud. J'ai d'ailleurs quelques disques de lui
près de l'électrophone. Si tu veux
- Ah non, non merci ! Tu ne vas pas t'y mettre aussi !
- L'essentiel est de trouver de l'énergie dans ce qu'on
aime.
- Bein moi, c'est la techno, et je peux te dire que ça move
!
- En français, s'il te plaît ?
- Heu, ça remue, quoi !
- J'aime mieux ça
Pff
! Ça move ! Tu vois,
c'est surtout de ton âge et une question de mode. Mais tu as
raison, vis ta vie intensément pour ne rien
regretter
Une voix, forte mais
attentionnée, volant dans les airs d'un couloir se fit
entendre. C'était le papa de Thomas :
- Thomas, tu embrasses papi. On va rentrer.
Thomas s'accroche au cou de son grand-père, l'embrasse
très fort et, s'approchant de son oreille, lui chuchote :
- Dis, tu me présenteras à ton ami de
l'intérieur, Grand-père ?
- Oh ! Il te connaît déjà et souvent il me fait
passer des instants merveilleux avec toi.
- C'est vrai ?
- C'est vrai.
- Tu me raconteras ? Juré ?
- Juré. Oh ! En partant, laisse la porte entrouverte, s'il te
plaît.
- O.K. A dimanche prochain, Grand-père.
Thomas courut vers son père
qui revenait du jardin et ne put s'empêcher de dire :
- Tu sais, Grand-père connaît Gilbert Bécaud
et va courir sur la colline aux pâquerettes avec ses copains
d'enfance.
- Bien sûr
Bien sûr
- Oh ! J'ai oublié mes cartes de jeu "Deus" et ma casquette
dans la chambre de Grand-père. Je reviens tout de
suite.
Toutes les fins de semaine, quand le
temps le permettait, le père de Thomas binait et
râtissait la terre du potager. Il aimait jardiner cette terre
qu'il connaissait si bien. Son enfance, bien sûr. Les fruits et
légumes frais. Les odeurs. Les parfums des fleurs. Il portait
toujours la même vieille veste de toile bleue aux manches trop
courtes et délavée par des années et des
années de lessivage. Elle restait au hit parade de son
cur mais je pense qu'aux yeux des voisins, il voulait montrer
son antériorité dans le jardinage. Il faisait
même des jeux de mots sur le potager
Tenez, celui-ci par
exemple :
Si tu cultives longtemps
l'amitié
Tu récolteras un bon pote âgé.
Pendant que son père entrait
dans la salle de bains, Thomas s'avança vers la porte
entrouverte et, dans le calme des lieux, il entendit clairement une
voix suave qui murmurait :
Ô mon doux ami
Les événements anciens me rajeunissent
Mais les événements nouveaux me vieillissent
Alors laisse-moi, pour que je puisse vivre
Voir les instants de mon passé qui m'enivrent.
Je te remercie.
Après les embrassades et les
au revoir dominicaux, Thomas et ses parents rejoignirent la voiture
sans avoir oublié les incontournables pots de confiture
préparés amoureusement par Grand-mère. Ah ! sa
grand-mère !
La grand-mère de Thomas
remplaçait inlassablement les pots de confiture car les
papiers sulfurisés étaient bien souvent percés.
Elle savait que Thomas était passé par là et
jamais elle ne le gronda. Bien au contraire car les trous lui
apprenait secrètement ce qu'il aimait. Elle avait ce doux
sourire de connivence qui brouillait ses yeux de perles d'amour.
Alors quand il se blottissait dans le nid douillet de ses bras
protecteurs, il lui chuchotait ses confidences de complicité
gustative : " La rouge
Au milieu
Elle était
très, très, très bonne. Rien à voir avec
celles de la cantine de l'école ! Tu devrais leur donner des
conseils ! ". Il n'y avait rien pour elle au-dessus du très,
très, très et il le savait. Dans ces instants les yeux
de la vieille dame se brouillaient aussi et ses lèvres, d'une
douceur extrême, se posaient sur le front de Thomas comme un
remerciement duveté. Le secret des confitures ! Ils
étaient complices ! Elle était fière de sa
gourmandise qui lui donnait une notoriété
insoupçonnée sur la préparation de ces nectars
de fruits. Il était le dégustateur
privilégié ! Oui privilégié et
incontesté à ses yeux, car la bouche d'un enfant n'est
pas encore altérée. Souvent, elle testait d'autres
recettes et attendait avec impatience la visite du petit au
garde-manger dans la cave mansardée à l'ancienne. Elle
constatait alors la grandeur des trous dans les papiers glacés
et sulfurisés. Plus les trous étaient
évasés, meilleure était à son goût
la confiture ! Meilleure était la recette et elle le savait.
En quelque sorte, Thomas était le maître absolu dans le
choix des confitures à préparer ou à renouveler.
C'est un peu grâce à lui, grâce à ses
dégustations clandestines que grand-mère était
considérée par toute la famille comme la reine de la
confiserie.
Enfin
On lui laissait croire.
Le papa jardinier enclencha une
cassette de Monsieur 100 000 volts et machinalement Thomas se
retourna pour regarder par la lunette arrière la maison de
Grand-père et de Grand-mère. La voiture, une belle DS
des années soixante, s'éloignait quand il vit
derrière la grande fenêtre ouverte du
rez-de-chaussée, son Grand-père, une main levée
dans la brise vespérale qui gonflait les voilages. Alors qu'il
caressait le vent de sa main fragilisée par les ans et lui
souffla ce message : "N'oublie pas, je suis toujours avec toi ".
Alors, pour ne pas oublier cette image pleine de tendresse et de
douceur, il tira du fond de sa poche les mots secrets de son
grand-père. Il ferma les yeux, respira profondément, et
dans le parfum des confitures, il interpella son nouvel ami
:
Ô mon cur,
reçois cette graine d'émotion
Amasse et stocke la beauté de cet
instant
Mais comme un écho venant
à contre-courant, porté par les rayons d'un soleil
couchant, il entendit la voix de
de
de son père
! Il disait :
Pour que demain et plus encore
au fil des ans
Tu me donnes la lumière dans mes actions.
Bien des années se sont
écoulées. Thomas pense encore et toujours à son
grand-père et à sa grand-mère d'amour, quand sur
un vieux papier froissé, il dessine la beauté du jour,
relit les instants aimés de son passé et regarde en
souriant ses enfants sucer leurs doigts devenus sucrés.
Aujourd'hui, il sait que nos chers aînés à la
chevelure blanche sont des traits d'union entre la vie et l'autre
monde. S'ils voyagent parfois dans les nuages c'est pour mieux
percevoir le chant mélodieux des messages
édulcorés de nos Dieux Alors, si un jour vous les
apercevez, là-haut sur la colline, ébouriffés et
marchant sur les verts tapis fleuris, sachez qu'ils cueillent dans le
vent des bouquets de mots aux douces pensées de paix. Nos
chers aînés aimés restent éternels dans
nos mémoires et nous emmènent encore et toujours dans
les jardins secrets des délices de l'imaginaire pour apaiser
nos angoisses et nos colères passagères.
Un jour, peut-être, le ciel
sera mon ami, mon épouse fera des confitures et j'irai
là-haut sur la colline cueillir des mots aux mille senteurs de
paix.
Jean-François
Grégoire
Grand-père
ch'ti d'esprit
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Une belle
rencontre à Trith-Saint-Léger
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