Souvenirs d'Armand Delgrange Le poids de la mémoire historique
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Comment avez-vous
été arrêté? Par la police
française. Devant ma femme et mes
enfants, les policiers ont dit : "Attention, si tu bronches, on te
tire une balle dans les pattes". J'ai fait 17 prisons et
camps de concentration. Ensuite, j'ai
été emmené au bagne de Fontevault, comme un
bandit ! Durant huit jours, nous
avons été condamnés à mort et,
croyez-moi, le bruit des clés dans la serrure devient alors
atroce et insoutenable. Aviez-vous des nouvelles
de votre famille? A Lille, ma femme venait me
voir, mais en prison, je n'avais aucune nouvelle. Après mon
hospitalisation, j'ai été emmené à la
"citadelle de la faim". Ensuite, j'ai
été emmené en Hollande par les SS. Le lendemain, nous sommes
passés à la désinfection avec des lances de
pompiers. Le jour de Noël 1943,
de 6 heures du matin à 6 heures du soir, nous sommes
restés debout dans la neige. Les SS se relevaient toutes les
heures pour nous surveiller.. . Les SS tuaient n'importe
qui, n'importe où, n'importe comment . Ils s'amusaient, comme
on tire un carton à la ducasse. Après la Hollande, je
suis parti pour Dachau, où je travaillais dans un tunnel, sur
un tour. Vous ne pouviez
correspondre avec l'extérieur? Absolument pas. De Dachau, j'ai
été transféré en Bavière, et
là je suis passé à deux doigts de la mort !
J'étais épuisé. Les Soviétiques
étaient là avec des médecins, des ambulances
pour nous ramasser. J'ai été
transféré ensuite à la caserne d'Ulm où
je suis resté peu de temps. Tiré
de "Trith St Léger, notre commune de 1170 à nos
jours"
J'avais deux petites filles qui n'avaient pas deux ans à elles
deux, Louise et Colette.
Un matin, à 7 heures, on a frappé à ma porte. Je
me doutais de ce qui allait arriver.
Les policiers sont entrés, ils ont tout fouillé et
saccagé comme des vandales. Ils ont trouvé de l'argent,
car j'étais chargé de porter des secours aux familles
des camarades arrêtés.
A Douai, je suis passé devant la cour spéciale, et j'ai
été condamné à 5 ans de travaux
forcés.
J'ai été embarqué avec des chaînes aux
pieds, comme un bagnard... la tête rasée...
A la gare de Douai, deux wagons nous étaient
réservés, afin de nous conduire, mes camarades et moi,
à la prison de Fresnes où je suis resté 21
jours.
Là-bas, les fenêtres ne fermaient pas... il neigeait sur
la paillasse...
On nous a fait mettre nus dans la cour, en plein hiver.
J'ai dormi dans une baraque à chien. Je n'ai eu des
vêtements que le lendemain matin. Je suis resté au bagne
7 mois. Puis un matin, à 5 h. on est venu me chercher.
Quinze jours avant, les cheminots de Tours avaient été
fusillés.
Je me suis dit : "ça y est, c'est mon tour..."
Nous étions 19 du Nord-Pas-de-Calais, parmi lesquels un
garçon de 15 ans.
On nous a rassemblés dans une grande salle, mals nous
n'étions plus que 18.
Nous nous sommes mis alors à crier tout ce que nous avions sur
le coeur, pensant que nous allions être fusillés : "Vous
n'êtes pas honteux, vous gardez les Français, pour les
livrer aux Allemands".
Les gardiens de prison nous répondaient en évoquant
leur situation professionnelle, alors que parmi nous, il y avait des
avocats, des architectes, des médecins qui avaient tout
perdu.
Nous avons été emmenés à Loos, et nous
avons appris qu'un soldat avait été poignardé
à Lens, nous servions d'otages.
Vingt-quatre heures avant la date de notre exécution, les
Allemands se sont aperçus que le soldat en question avait
été tué par un autre Allemand, à cause
d'une histoire sentimentale.
Ensuite, nous avons été emmenés au centre
d'otages de Louvin en Belgique où plusieurs d'entre nous
furent fusillés, ils sont partis en chantant...
Un soldat allemand a jeté son fusil et s'est mis à
pleurer... en maudissant la guerre.
Moi, j'étais malade, je faisais une pleurésie. J'ai
donc été emmené à I'hôpital
militaire de Louvin puis celui de Lille.
Je ne reconnaissais même plus mes camarades qui ressemblaient
à de vrais squelet tes.
J'ai partagé les provisions que j'avais gardées de
I'hôpital.
J'étais dans une cellule avec un professeur
d'université catholique.
Là-bas, le jour de l'anniversaire de l'armée rouge,
protégé par trois camarades, j'ai gravé la
faucille et le marteau sur une pierre.
Le lendemain, un Belge m'a dénoncé au commandant qui,
fou furieux, a convoqué la sentinelle concernée.
Ce soldat allemand ne m'a pas reconnu, ce qui m'a
étonné...
J'ai su par la suite qu'avant la guerre il était membre du
DKP, le parti communiste allemand.
Il y a eu 400 morts au moins ce jour-là.
Nos journées, nous les passions à travailler. Nous
mangions de la sciure mélangée avec de la farine.
Nous dormions sur des grillages superposés. Nous travaillions
12 heures par jour plus 2 heures d'appel et le temps passé
à aller chercher de l'eau.
Chaque matin, il y avait 15 ou 20 morts dans un baraquement qui
contenait 300 prisonniers.
J'ai traîné un camarade pendant trois jours avant qu'il
ne meure...
Un outil cassé, c'était la trique, 3 outils
cassés, c'était considéré comme du
sabotage et puni de pendaison.
D'ailleurs, toute ma famille me croyait mort !
Pendant une alerte, je travaillais dans un champ de pommes de terre
et une balle m'a frôlé.
Nous avions ensuite marché pendant 2 jours et 2 nuits, pour
arriver dans une grange où les SS nous ont enfermés.
Les alliés étaient proches.
Les SS ont hissé le drapeau blanc, et nous avons
été libérés.
Je suis resté 5 jours sans être secouru car il fallait
venir en aide aux plus atteints.
J'ai été rapatrié ensuite par camion
jusqu'à Nancy, puis en train jusqu'à la gare de l'Est
à Paris où il y avait foule. J'ai été
dirigé vers l'hôtel Lutécia.
Le lendemain, je suis revenu à Valenciennes.
Je n'ai jamais versé une larme... sauf quand j'ai revu mes
enfants...
Service d'Information de la ville de Trith St Léger /
1988