Prisonnier
de guerre en Allemagne, il est rapatrié pour cause de maladie.
Réfugié à Vaussieux, hameau de Vaux sur Seulles,
au moment du débarquement, il nous rapporte les faits suivants
:
Quelques souvenirs de juin-juillet
1944
"Je venais de recevoir une
ordination, première étape vers le sacerdoce, et
à cette occasion ma soeur Madeleine, que je n'avais pas vue
depuis 22 ans, était venue me rejoindre à
Bayeux.
Après l'ordination, le
supérieur nous dit : "Mes petits, les Allemands veulent
nous réquisitionner pour creuser des tranchées, alors
partez chez vous." N'ayant pas de "chez nous", nous
pensâmes demander l'hospitalité à Mme Alaperrine
et nous vînmes à Vaussieux.
Pour fêter nos retrouvailles,
Mme Levavasseur, sa voisine, nous invita à un somptueux repas.
Le 6 au matin, la vaisselle étant restée sur la table,
une rafale de mitrailleuse entra par la fenêtre de la rue et
ressortit par le jardin, balayant tout sur son passage. Nous
étions tous les trois dans la pièce. En même
temps, nous entendîmes une avalanche de bombes et de torpilles
qui tua plusieurs veaux et vaches peu éloignés de nous.
Les aviateurs visaient sans doute un grand herbage où ils
savaient qu'était entreposé du
matériel.
Le débarquement
commençait dans l'Apocalypse Now.
Je vois encore les soldats mongols
enrolés dans la Wehrmacht poussant devant eux à coups
de triques de pauvres mulets ruisselant de sang. La petite maison de
bois entre Vaussieux et Esquay servit bientôt d'infirmerie car
j'essayais de soigner un Caucasien et un Tartare
écorchés vifs. Un officier allemand apparut. Il vida
prestement les tiroirs, ne laissant qu'un peu de pharmacie et de quoi
faire du pansement : débrouille-toi !
Le lendemain, de bonne heure, les
Anglais étaient là.
La joie de la délivrance fut
un peu tempérée par les ordres qu'ils nous
donnèrent immédiatement :
1) enterrer les bestiaux
2) arracher le champ de patates de M. Costil pour faire une
route.
La petite route tortillante du hameau ne suffisait pas pour le
convoi. Mais là ne devait pas se réduire l'occupation
du territoire par nos libérateurs.
La plaine de Vaux sur Seulles, toute
plate, sans un arbre, leur parut l'endroit rêvé pour le
"landing strip" de leur Typhoons qui allaient faire tant de mal aux
chars allemands. J'entends encore l'officier supérieur qui
commandait les travaux : "Quel dommage de faucher ces belles orges
encore toute vertes, mais c'est la guerre."
Elle commençait durement pour
tout le monde, surtout pour les cultivateurs.
Nous avons le souvenir des
lamentations de quelques-uns parmi eux qui voyaient leurs beaux plans
de pommiers abîmés par les boys de la R.A.F.
Ils étaient de moins bons
clients que les Allemands parce que les troupes britanniques avaient,
comme ils nous disaient, "plenty food". Nous qui avions
été tant privés durant l'occupation, on les
voyait avec stupéfaction jeter dans les poubelles de pleines
rations de boeuf et de haricots. Cependant ils étaient
généreux avec la population et nos rapports
étaient empreints de cordialité.
Plusieurs fréquentaient nos
maisons. Il y avait notamment un certain Tom qui me semblait avoir un
goût tout particulier pour l'hydromel de notre hôtesse.
C'était notre seule boisson car Mme Alaperrine, ancienne
Parisienne, n'aimait pas le cidre et était trop pauvre pour
acheter du vin.
Il y avait aussi un fringant jeune
pasteur qui dans ses sermons disait non pas "mes frères" mais
"old fellows" (mes vieux lascars).
Quand quelques mois plus tard
l'aérodrome de Vaux sur Seulles fut abandonné, il ne
resta plus que des caillebotis et l'abbé Paris, fameux
curé du secteur, put se rendre à cheval à sa
desserte de Martragny en empruntant le raccourci de la plaine, suivi
du seul houzard qu'il aimait entre tous !
"Le hussard" c'était moi, qui
le suivais péniblement, le nez sur le guidon d'un vieux
clou.
Un matin de ces messes à
Martragny, j'étais venu le rejoindre au presbytère. Il
était là, dans la cour, en culotte militaire, les
leggins aux mollets ; il étrillait son beau cheval
poméranien que lui avaient laissé les Allemands dans
leur retraite : "Ecoute celle-là, elle est bien bonne :
j'ai rencontré hier le Général De Gaulle
!"
D'après ce qu'il me dit et que
je crois avoir retenu, l'abbé Paris aurait
décidé d'aller voir comment se déroulait le
débarquement à Arromanches, le pays de ses
ancêtres. Il avait emmené avec lui M. Saint-Martin,
secrétaire de mairie, comme moi cycliste amateur, et de
surcroît gros et poussif.
Aux premières maisons
d'Arromanches, l'abbé Paris s'écrie :
"Dépêchez-vous, Saint-Martin ! Voilà un convoi
de casquettes galonnées !"
C'était De Gaulle et sa suite,
qui, débarqués à Courseulles, venaient sans
doute de Bayeux voir le débarquement au port artificiel.
Tout à coup un ordre bref : "Stop."
Le
Général De Gaulle salue l'Abbé Paris,
curé de Vaux sur Seulles,
entre Courseulles et Bayeux
Le convoi s'immobilise et, sous les
yeux écarquillés de l'abbé, le
Général De Gaulle extrait ses grandes guiboles de la
jeep.
En un clin d'oeil, le cavalier Paris est descendu de cheval et la
bride à saignée du bras se raidit dans un
garde-à-vous le plus réglementaire.
Il se présente :
"Roger Paris, ancien maréchal des logis au 7e Chasseur
d'Evreux, curé dans le civil, pour vous servir, mon
Général !
- Repos ! Ah ! quelle joie, vous êtes le premier curé
que je rencontre sur la terre de France !
- Pourtant il y a longtemps qu'on travaille pour vous !
- Que faites-vous au juste ?
- Oh, pas grand chose, mais on a tout de même risqué sa
vie en planquant quelques petits mecs pour les soustraire au
S.T.O..."
lire à ce sujet
l'article de Ouest-France daté du 4 janvier
2021
"L'article
de Ouest-France comporte une petite erreur. Sur cette photo
de famille,
- en haut à gauche : Roger, l'aîné, dont
il est question sur cette page
- à droite : Charles
- en bas à droite : Henri (mon père)
- en bas à gauche : Jean, le dernier des
garçons
Il naîtra ensuite une fille prénommée
Geneviève, comme sa maman.
Roger, Charles et Henri
ont été des hommes de l'ombre qui ont
participé à la libération de la France
par des actions d'espionnage au péril de leur vie,
sans en tirer la moindre gloire ni la moindre
médaille.
Ce désintéressement fait toute la
beauté de leur engagement."
Michel Paris -
13 janvier 2021
photo de famille
agrandie ici
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cimetière de
Martragny - fauteuil offert à la commune par un compagnon du
devoir
ayant travaillé chez M. Couraud, tailleur de pierre
à Martragny
témoignage
de M. l'abbé Prod'Homme
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carte-photo
rare
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vue
aérienne de Carcagny, du hameau
Saint-Léger
et de Martragny prise par un avion de reconnaissance
américain le 12 juin 1944
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https://www.stleger.info