Pour
autant que ma mémoire me soit fidèle, voici, dans
lordre chronologique, le déroulement des
évènements dont nous parlions
dernièrement.
Comme tu le constateras, cette ferme
et ses environs reviennent souvent au premier plan, cest
quils furent aussi la plaque tournante des 10 années en
question.
Il est difficile, après 60 années, de commenter cela
avec précision, seuls les dires danciens du village et
leurs recoupements pourraient nous y aider.
Hélas, les tombeaux sont muets...
Néanmoins, voici quelques
détails qui pourront, jen suis certain, te rappeler
certains souvenirs, et ainsi taider à recomposer ces 10
années qui ont beaucoup marqué les adolescents que nous
étions.
Terrains d'aviation
alliés - juin 1944 - http://jourji.free.fr/
1938 :
Début des constructions, casernes... avec aussi, certainement,
avis de réquisition des terres cultivées par MM. Marie,
Lebourgeois et bien sûr celles des propriétaires se
trouvant dans ce périmètre.
Ceux ici cités se trouvant complètement
sinistrés durent quitter leurs exploitations un peu plus tard,
ainsi que les familles dAntime Levilain et de
Médéric Roulland, lesquelles furent relogées au
presbytère inhabité depuis très longtemps.
Seuls furent satisfaits quelques salariés qui
trouvèrent là, et du travail et des salaires plus
rémunérateurs que ceux octroyés à
lépoque à la ferme !
B7 Martragny -
Terrain d'aviation allié - http://jourji.free.fr/
il se trouve à la limite du terrain d'aviation sur le bord de
la route D35,
sur la commune de Vaux sur Seulles.
1939
: Vers septembre, arrêt des constructions.
Cest un régiment disciplinaire qui prendra place dans
les bâtiments de la ferme des Marie.
La cour fut divisée par des barbelés afin
déviter la "promiscuité".
A la tête de ces troupes, un colonel corse, je me souviens,
habitait chez les Levilain, maison attenante à la ferme.
La fille de cet officier, Renée, vint à notre
école quelques mois.
Cela profita quelque peu aux bistrots du village qui étaient
remplis chaque soir de ces individus à la mine
patibulaire.
Il nous était fort recommandé de ne pas leur ouvrir nos
maisons.
Cest pour eux, je crois, que furent construits quelques
baraquements dans les prés jouxtant la ferme.
Ils quittèrent Martragny en juin 40, la veille de
larrivée des Allemands, abandonnant tout sur place :
effets personnels, cantine...
Lun deux nous dit quils avaient reçu
lordre de sauver leur peau, et ils partirent en
débâcle.
Condamnés à de lourdes peines, exclus de la
société, ce fut certainement là, pour eux,
loccasion de sauver le temps qui leur était
imparti.
Sur le site
même du terrain B7 se trouve une sorte de petit "menhir" en
pierre brute.
1940
: Cest le 18 ou 19 juin quarrivèrent les B..... ,
cétait bien leur dénomination du moment ; tout a
changé maintenant, et cest tant mieux.
Des avions à croix bien reconnaissables firent la veille
quelques piqués au-dessus de ce casernement, puis disparurent,
et nous nen revîmes plus, à part celui abattu par
la RAF ce même jour, je crois.
Accompagné de R. Fossey, je vis le pilote en descendre ce que
je supposai être un cadavre, quil recouvrit dun
parachute, cela se situait en bout du chemin dit de la rue de Bayeux,
à lendroit appelé le Frêne, parce que cet
arbre, seul de son espèce parmi les magnifiques ormes qui
bordaient ce chemin creux sur près dun kimomètre,
dominait lendroit de sa hauteur.
Un autre se posa bien plus tard, pour plusieurs jours,
derrière le bois du château.
Le bruit courut que son pilote, dont la base était
Caen-Carpiquet, était venu pour une fille du village...!?
Mais, comme disait Fernand Raynaud, "les gens sont
méchants".
Ce furent, je crois bien, les seuls appareils allemands qui se
posèrent sur le terrain daviation de 40 à
44.
Les Allemands
semparèrent de la ferme et de la plaine qui
sétend de lOrmelet au chemin de la rue de Bayeux
jusquà Vaux sur Seulles.
Ne restaient aux paysans que les terres allant de l'Ormelet à
la route nationale ; Gustave Marie était parti exploiter
à Juaye-Mondaye, les Lebourgeois à Tilly sur Seulles ;
ceux-ci, propriétaires de leur exploitation, y revinrent la
guerre terminée.
Un technicien-moteur
travaille sur un Napier-Sabre à B7
Martragny.
Létat major allemand se
trouvait à Carpiquet, ce sont deux des leurs qui firent
marcher lexploitation, lun sappelait Georges,
était une peau de v.... capable de tout, lautre toujours
habillé en civil et dun âge avancé
était appelé "patte de pie" parce quil boitait
fortement, cette claudication nétait pas de
naissance...
Ce sont eux qui abattirent les bâtiments séparant le
jardin du reste de la demeure, cela pour combler une grande mare bien
installée dans la cour qui servait aux Marie à
larrosage et faisait la joie des canards et donc bien utile
à cette époque.
Ils employèrent pendant ces 4
années 30 à 40 ouvriers français qui
volontairement sy engageaient pour échapper au travail
obligatoire qui souvent se terminait dans des usines en
Allemagne.
Ces gens venaient des deux ou trois cantons environnants.
Sur ces terres étaient cultivées principalement les
kartofeln dont ils faisaient dimmenses silos de conservation et
doù ils les retiraient souvent pourries.
Leurs soldats pas très gourmets devaient certainement
sen régaler.
Avec cela, ils cultivaient du colza,
de lavoine, de lorge.
Le travail, cela peut surprendre aujourdhui, était fait
avec des moyens assez sommaires, toutes les machines agricoles
étant tractées par quelques chevaux et des attelages de
boeufs, cela explique le nombre demployés occupés
à ces tâches, et qui de surcroît faisaient tout
pour limproductivité de lennemi.
Commandant P. Ezanno
/ B7 Martragny
Des détachements de
régiments de cavalerie occupèrent aussi pendant ce
temps une partie du château.
Cest en 43 quarrivèrent les SS et leurs
blindés qui logèrent, en partie, de force chez
lhabitant.
Ils participèrent à la destruction de ce qui nous
était un décor familier, je veux dire le bois du
château, lieu de nos classes-promenades et pour certains
dapprovisionnement de bois mort qui brûlait si bien dans
nos cheminées durant ces années sans charbon.
Des peupliers et de quelques autres essences, ils firent ce que
lon appela les "asperges de Rommel", ces pieux quils
plantèrent partout où le terrain permettrait
latterrissage des avions alliés.
Ils préparèrent aussi
dans certains carrefours du village, tel celui dit de la Croix,
lemplacement de mines anti-chars quils neurent
heureusement pas le temps de poser.
Ils quittèrent Martragny quelques jours avant le
Débarquement, ils semblaient très soucieux, et
devenaient hargneux.
Il est vrai que les passages de forteresses volantes chaque nuit
au-dessus de nos têtes laissaient bien augurer de la suite qui
les attendait.
B7 Martragny - "Je me
souviens très bien de ce cheval sur la
base."
1944
: Martragny fut libéré le 7 juin au matin.
Le matin du 6, lavenue du château fut "arrosée"
dobus de marine.
Etaient-ils destinés à des troupes allemandes
camouflées sous des pommiers de lherbage de la pointe -
un mouchard tournoyait dans le ciel au-dessus de ces soldats retenant
par la bride leurs chevaux à demi-emballés - ou
visaient-ils la RN 13 ?
De cela je me souviens particulièrement, me trouvant
fortuitement sur les lieux avec Odette que tu connais.
Les Anglais installèrent au
château et dans les herbages environnants des hôpitaux
durgence.
Pendant des semaines, ce fut un convoi continu dambulances
faisant la navette du front jusquici.
Ils enterrèrent leurs morts dans lavenue près du
bosquet avec aussi quelques Allemands. Ils furent tous exhumés
quelques mois plus tard.
Les troupes de génie se mirent
à installer le terrain daviation, cela leur demanda
environ 2 semaines.
Ainsi, ce que nous appelions depuis 6 ans le terrain daviation
le devint-il réellement en quinze jours.
Les premiers appareils, des Mustang, sy posèrent dans la
nuit du 24 juin, la base était donc
opérationnelle.
Sherman tank of 24th
Lancers, 8th Armoured Brigade, near St Léger - 11 June
1944
http://commons.wikimedia.org/wiki/Operation_Overlord
Divers escadrons du même type
se succédèrent jusquà
larrivée des Typhoon chasseurs de chars, le 19
juillet.
Cest le 3 septembre 44 que ceux-ci quittèrent ce qui
était devenu depuis 70 jours la base n° 7.
Ce fut ensuite un bataillon
dAfrique du Nord qui prit possession des lieux et y resta
quelques mois.
Ils arrivaient dAllemagne, la victoire allait sonner, leur
travail était terminé.
Il nous fut expliqué que jusqualors on leur avait
toléré beaucoup dincartades (des pires que
lon puisse imaginer), cela en compensation du travail le plus
ingrat qu'était le leur durant ces campagnes dAfrique,
dItalie et autres.
Ainsi, ils étaient devenus indésirables dans un pays
vaincu, et dans lequel régnait le plus grand désordre
et, comme ils nétaient pas des anges...
Une anecdote tout de même les concernant : en cette
période 44-45, il y avait tant de lièvres sur le
terrain daviation et ses alentours quils passaient leur
temps à les chasser.
Je les vois encore, toujours en grand nombre, vêtus de leur
cape de toile cirée, armés de gourdins,
décrivant un grand cercle au-delà des pistes, et des
parcelles restées incultes, hurlant dans leur jargon.
Resserrant ce cercle, il ne leur restait plus quà
assommer ces lièvres apeurés qui fuyaient ; ils en
manquaient sûrement mais ils sy montraient très
adroits.
Ils furent les derniers
éléments à caractère militaire à
occuper ces lieux réquisitionnés depuis 1938.
Puis vint la remise en létat dexploitations
agricoles de cette plaine par lentreprise ANTAC, directeur
Malaval.
les rouleaux de
treillage
Il fallut arracher environ 2000
rouleaux de treillage Sommerfeldt plaqué au sol par 250 000
piquets, reliés entre eux par autant de clips, dans lequel
lherbe avait repris ses droits, puis aussi ressortir de terre
des kilomètres de pipelines.
Cela demanda quelques mois de travail, alors que les
spécialistes du génie lavaient construit en 15
jours.
On peut ainsi juger de cette mise au point inimaginable, pour tout ce
qui devait contribuer à la réussite du
Débarquement.
Les terres furent remises aux
agriculteurs peut-être vers 46-47.
Voilà, mon cher Raymond, une
partie de mes souvenirs sur cette période.
Peut-être parce que placé plus près que toi de
ces endroits étais-je mieux à même den
remarquer le déroulement et ainsi de les mieux
mémoriser.
Jai volontairement
extrapolé sur certains de ces faits, cela en pensant à
vos enfants, nés dans le village, lhabitant, et qui,
après nous, nauront plus personne pour obtenir des
renseignements sur une période vécue par leurs
parents.
Bien des détails pourraient et mériteraient sy
ajouter mais enfin...
Daniel, le 2
juillet 1999
A ce sujet, article de
Ouest-France en date du 17 juin 2019
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Stèle
située à Martragny
"Site OF ALG B7
Ici était l'aérodrome B7
aménagé par la RAF
en service
du 19 juillet au 3 septembre 1944"
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témoignage
de M. l'abbé Prod'Homme
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carte-photo
rare
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vue
aérienne de Carcagny, du hameau
Saint-Léger
et de Martragny prise par un avion de reconnaissance
américain le 12 juin 1944
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https://www.stleger.info