Tradition
de la campagne, la mise à mort du cochon nest plus aussi
fréquente quil y a encore 20 ans.
En général, cétait un cochon assez gros et
gras, au moins 150 kg vifs, de 7 à 8 mois, gardé
spécialement pour la salaison qui pouvait se faire de la
Toussaint à Mardi-Gras : cest lépoque de
lannée où la charcuterie se conserve le
mieux.
Le veille au soir, tout était
prêt. Demain, on tuait le cochon.
La masse pour lassommer, la barre pour lattacher,
léchelle et la paille sèche étaient
rentrées.
Le matin de la mort du cochon, le
tueur arrivait avec ses outils bien aiguisés, il se rendait
sur les lieux, déposait avec ses outils des cordes assez loin
car, quand le cochon était mort, il fallait le griller.
Ensuite, avec une boîte de sardine vide trouée, il
fallait enlever les poils.
Là, tous pouvaient y assister, car il fallait une
quantité deau pour verser sur les mains et la
boîte de sardines.
Quand le travail était fini, le tueur faisait une incision
dans les jarrets arrières, dau moins 15 cm.
Il y sortait le nerf de chaque patte pour y glisser un manche qui le
maintiendrait sur léchelle pour pouvoir
louvrir.
Pauvre défunt, il était bien sage !
Puis à force dhomme, il fallait mettre
léchelle debout contre un mur.
Le tueur continuait son travail et il ne manquait pas de chandelles
pour léclairer car la pauvre bête avait
alerté tout le village par ses cris.
Avec un certain doigté, sans CAP, il faisait son travail
proprement.
Quand le travail était fini, on revenait à la maison
pour le détailler et chacun de mesurer sur ses épaules
sil avait été bien soigné, car il fallait
au moins trois bons doigts de lard.
Quels estomacs nous avions !...
Le lendemain cétait
presque la fête : la cuisine du cochon.
Les hommes frictionnaient au gros sel les gros jambons en
sapprovisionnant dans le coffre de la salière, au coin
de la cheminée.
Les boudins et les chapelets de saucisses étaient alors pendus
aux clous de la poutre entre la cheminée et les rideaux du lit
tout proche.
Avec beaucoup de fierté, on regardait ces provisions mises
bien en évidence.
Plus tard, un beau jambon viendrait aussi compléter les
reliques du défunt cochon.
Mais le gros morceau,
cétait bien la cuisine de la fressure.
Travail des femmes, il ne fallait surtout pas la rater.
Il fallait se lever tôt, mettre 150 à 200 litres
deau dans le chaudron et allumer le feu de bois qui allait
faire mijoter tous les ingrédients qui allaient être
déposés dans ce grand récipient tout au long de
la journée.
On mettait la viande (la viande, cest beaucoup dire), les os
où lon avait retiré la viande pour faire
pâtés, rillettes et rôtis, on mettait la
tête, les pattes et une grosse pochée qui contenait des
oignons, du thym, du laurier, du serpolet, deux grosses
poignées de gros sel.
Trois ou quatre heures après, la viande était
cuite.
Nous la retirions et passions le bouillon à la passoire pour
quil ne reste pas de petits os.
Puis la viande, dépecée et passée au moulin
à pâté, était remise dans le chaudron.
Quand tout recommençait à bouillir, on y introduisait
le pain que lon avait coupé en fines tranches (3 pains
de 4 livres).
Arrivé midi, chacun mangeait
à son tour, car il ne fallait surtout pas arrêter de
brasser avec un baraton.
A 13 heures, là, moment
très grave.
Nous mettions le sang que lon avait gardé du cochon.
Lun brassait, lautre versait le sang tout doucement pour
quil ne se coagule pas.
Et lon continuait à brasser tout
laprès-midi.
Il fallait bien compter 4 heures après que le sang soit mis
pour commencer à goûter notre fressure.
Peut-être un petit rayon de sel, de poivre ou de cannelle.
Puis nous en déposions de temps en temps dans une assiette et,
quand elle glissait de lassiette sans la salir, cest
quelle était cuite.
Et cétait la grande joie !
Les voisines arrivaient avec leur pot de fressure et elles aidaient
à la puiser.
Le chaudron étant vide, les enfants et même les grands
étaient là pour ramasser le fond du chaudron, "les
rimettes ou ragettes", selon la région.
Et le soir, on invitait tout le
voisinage, les copains, les copines des grands enfants, et il
nétait pas rare de voir 25 à 30 personnes
à goûter au pâté, rillettes et
fressure.
Après, au son de
laccordéon ou de lharmonica, on dansait et les
parents jouaient aux cartes.
Voilà ce quétait une journée de
fressure.
Aujourdhui, dans les fermes, on
a moins envie ou, peut-être, moins le temps dengraisser
le cochon pour lexécuter.
Dailleurs, mis à part les bouchers professionnels, qui
voudrait se charger dune telle tâche actuellement
?
QUE DIT LA LOI ?
Selon la législation en
vigueur, une exception à labattage danimaux en
abattoir "permet aux personnes qui ont élevé ou
entretenu des animaux des espèces caprine, ovine ou porcine de
les abattre si elles en réservent la totalité à
la consommation de leur famille. Par famille, on entend : les membres
de la famille habitant sur lexploitation".
Réponse du ministre de lAgriculture parue au Journal
Officiel : AN, du 27septembre 1993 rappelant le décret du 2
juin 1977
Louis Vigneron, de St
Christophe du Bois, octobre 1996
Un cur de
paysan
Un
cur de paysan, c'est fait comme les autres
Ça se loge à c'que disent nos instituteurs
Entre les poumons, dans l'mitan des côtes.
Un cur de paysan, ça ressemble aux autres
curs
Ce n'est ni plus ni moins qu'un cur de ministre
C'est gai par moment, par moment c'est triste.
C'est fait comme les autres, un cur de
paysan.
Un cur de paysan,
ça regarde, ça écoute
Et puis quand il le faut ça devient causant
Ça s'donne d'amitié une bonne fois pour
toutes
Mais jamais aux gens qui sont malfaisants.
Ça n'a l'air de songer qu'à manger et à
boire
C'est dur au travail, ah ça, parlons-en.
Mais quand l'soleil rouge se couche sur la Loire
Ça r'garde, ça écoute, un cur de
paysan.
Un cur de paysan, Bon
Diou, quand c'est jeune
Ça vole sur d'autres curs comme un papillon
Et par faim d'amour on dirait qu'ça jeûne
Sitôt qu'par les chemins passe un cotillon.
Puis quand vient l'moment ça choisit tout
d'même
Et quand le temps arrive où qu'tombe la raison
A mesure qu'on vieillit d'plus en plus on s'aime
Ça reste toujours jeune, un cur de
paysan.
Un cur de paysan au
fond d'un village
C'est guère conséquent et peu d'cas, pas vrai
?
Mais on s'rend mieux compte à mesure qu'on prend
d'l'âge
Que c'est plus utile et plus grand qu'on ne croit.
Vous qu'êtes au-dessus de nous, Dieu des gârs de
la terre
Gardez sans l'changer mon cur d'à
présent
Pour que jusqu'au soir où il faudra se taire
Il chante dans l'village un cur de paysan.
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Emile
Joulain, écrivain,
poète patoisant angevin,
sacré prince des poètes de
l'Anjou
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