mort le 12 novembre 1914, comme Auguste |
mobilisation
[départ
de Toulouse] "Qui comprendra jamais,
à moins de l'avoir ressentie, l'émotion qui
étreint le coeur d'un père de famille qui quitte les
siens peut-être pour toujours, quelle angoisse et quel
serrement de coeur pour ce soldat que le devoir appelle. Lorsque
arrive la minute de la séparation... un instant des sanglots,
qui malgré les apparences, me serraient à la gorge
quand je vous ai quittés après vous avoir
embrassés tous les trois et quand je suis passé devant
chez mes parents que je n'ai pas voulu réveiller,
malgré mon vif désir de les embrasser aussi une
dernière fois. samedi 5
septembre 1914
[dernière page du carnet d'Antoine] "Au réveil, revue du
capitaine en tenue de départ pour les hommes
désignés. On me remet une lettre bien mignonne de Reine
avec une carte arrivée hier de toi, me demandant à
quand une lettre ?
Il avait 31 ans et laissait sa femme, qu'il appelle Titine dans le
carnet, et deux enfants, Marcelle et Pierre, surnommé
tantôt Pierrot, tantôt Yo-Yo, qui avait 5 ans à
l'époque.
Enfin la réaction s'est produite en arrivant à la gare
où j'ai rejoint celui qui m'avait appelé et combien
j'aurais voulu, comme j'en voyais d'autres, pouvoir vous embrasser
une dernière fois avant de m'embarquer.
Nous voilà en route à 6h 43.
Sur tous ces ponts que nous traversons, on voit des mouchoirs
s'agiter et du train qui nous emporte s'élève un
immense cri de haine invincible de "A Berlin ! Mort à
Guillaume !"
Nous marchons à raison de 20 kilomètres à
l'heure, nous prenons des mobilisés dans toutes les gares du
parcours et partout nous revoyons le même air résolu
chez ceux qui vont nous accompagner et le même regard
attristé quand les yeux ne sont pas encore rouges des larmes
versées de femmes qui sont venues jusqu'au train pour ne les
quitter qu'au dernier moment.
Voilà 10h du matin, nous rentrons à Carcassonne, nous
en repartons à 10h ¼, nous admirons un moment la vieille
cité avec ses tours et ses créneaux historiques, puis
cela disparaît et nous n'apercevrons plus rien de bien
intéressant jusqu'à ce que nous traversions que des
vignes sur tout le parcours. Comme j'ai été
déçu, je m'attendais à voir des vignobles bien
entretenus et je n'ai vu que d'immenses champs de vigne au ras de
terre sans être comme dans la Haute-Garonne montés sur
fil de fer et puis pleines d'herbe.
Ah quel changement complet, nous longeons les salins, nous voyons
rangés au bord de la voie dans les champs de la banlieue
(
) les chasseurs d'Afrique (
)
Nous voici à la caserne, ici tout est sans dessus dessous,
à cause du départ du régiment de deuxième
ligne, néanmoins je donne mon livret et me voilà
incorporé. Je ressors pour chercher de quoi coucher car il n'y
a, paraît-il, pas de quoi loger tous ceux qui arrivent.
Malgré mes demandes, je ne trouve pas de chambre et me dirige
vers la caserne, prêt à coucher à la belle
étoile, dans la cour, comme font beaucoup de mes
collègues. Heureusement un soldat de la 27e Cie m'indique son
lit ..., étant de garde au poste et son lit étant libre
; tant bien que mal sur une paillasse de paille, je passe ma
première nuit."
Tu deviens d'une exigence, il est vrai que tu n'avais pas encore
reçu les deux que j'ai données à Mme Ramond,
mais depuis vendredi, je t'en ai adressé 5, et 4 ou 5 cartes.
Je crois que tu ne te fâcheras pas et, sans me flatter, les
pages sont garnies, je crois que tu ne me traiteras pas de
flemmard.
10 heures, je vais comme hier manger 2 oeufs en omelette à la
cantine, tu vois que nous nous soignons !
Qui sait si Firmin a voulu dire ce samedi, il n'est pas encore venu
et Reine, dans sa lettre, ne m'en parle pas du tout. Comme il se
confirme que nous ne partirons pas avant cette nuit, j'espère
encore.
J'étais en train de déjeuner et je terminais quand je
vois Firmin qui vient me relancer à la cantine, tu peux
t'imaginer si je suis content ! J'ai eu de vos nouvelles par lui.
Comme on l'attend à midi moins le ¼ pour déjeuner,
je l'accompagne, mais auparavant, je lui ai fait voir ma chambre et
j'en ai profité pour lui faire soupeser mon sac et mon
fourniment, il pourra te dire comme c'est léger.
J'ai rendez-vous avec lui à 6 heures moins le ¼, si nous
sommes encore là, imagine-toi un peu ce que je ne donnerais
pas pour ne pas partir avant la nuit prochaine, enfin, attendre,
à ce soir ?
Je lui donnerai ce carnet, tu pourras, si cela ne t'ennuie pas trop,
t'amuser à le lire. Dans tous les cas, je compte que tu me le
plieras pour que je le retrouve à mon retour."