Entre
le 25 octobre et le 19 novembre 1914, le 77e RI perd 25 officiers et
la moitié de son régiment. Il se retire des lignes dans
la nuit du 19 au 20 novembre.
Après leur
échec de la veille, les Allemands tenteront une
dernière percée sur les lignes françaises
à Broodseinde. Cette fois, ils ont toutes les chances de
réussir :
- depuis 20 jours, les Français occupent les tranchées
sans relève
- les officiers tués ou blessés n'ont pas
été remplacés et les cadres nouveaux qui
arrivent n'ont aucune expérience.
"Un détachement
du dépôt vient d'arriver, commandé par le major
du 135e et quelques autres officiers, dont aucun n'a encore vu le
feu."
Durant les dernières
semaines, commandants ou capitaines ont commandé un
régiment. Ainsi, au 32e RI, se succèdent les
commandants Robillot, Potier et Nacquart.
Le 135e RI connaît les mêmes problèmes :
- Le colonel Maury est tué le 26 octobre.
- Son remplaçant, le commandant de Solminihac, est
blessé le même jour, et remplacé par le
commandant Mariani, du 77e RI.
- Le major Colliard, venu du dépôt, est tué
quelques jours après.
- Le commandant Mariani revient au 135e RI...
Les adjudants remplacent
les sous-lieutenants, et de simples soldats font fonction de
sous-officiers.
- Les effectifs français sont très réduits :
dans les premières lignes, des centaines de mètres sont
inoccupées.
- Au 135e RI, un adjudant, alsacien, est soupçonné
d'espionnage, mais il disparaîtra mystérieusement
pendant la journée.
Au petit matin, les
Allemands attaquent, mais c'est une marche sournoise, l'approche de
reptiles. Peut-être que l'adjudant alsacien les a
guidés
Ils pénètrent dans les lignes entre
le 135e RI et le 32e RI à sa droite. Ainsi ils cueillent les
sentinelles, une à une, sans faire de bruit. En même
temps, leurs mitrailleuses ouvrent un feu terrible, faisant terrer
tous les hommes des compagnies voisines.
Le nombre des prisonniers
est impressionnant : 8 officiers, 44 sous-officiers et 795 soldats du
135e RI, 1 officier et 76 soldats du 32e RI, et une partie de la 7e
compagnie du 77e RI. Parmi eux, le sergent Naudin, qui partira pour
une captivité de 4 années en Allemagne.
Ce n'est qu'au moment
où les 5e et 6e compagnies du 77e RI risquent d'être
encerclées que les Français se rendent compte du
danger, et donnent l'alarme.
Le long de la chaussée de Beselare, les chasseurs-cyclistes
doivent battre en retraite. Ils rejoignent les lignes anglaises plus
au sud, en emmenant quelques prisonniers du 135e RI qu'ils ont
réussi à libérer. Mais leurs perles sont
lourdes. Des chasseurs, qui étaient plus de 500 en août
1914, il ne reste qu'un officier et 72 soldats. Et leur capitaine
Vergnès reste mort sur le champ de bataille. Pendant la nuit,
son corps sera ramené par le chasseur Klein, au milieu des
patrouilles ennemies.
prisonniers
français près d'un état-major
allemand
|
Les Allemands, qui ont
maintenant atteint le carrefour de Broodseinde, descendent vers la
caserne de gendarmerie. Mais les artilleurs du 33e Artillerie se sont
aperçus du danger. Ils règlent leur tir à vue,
car leurs canons sont installés entre la Katte et la
gendarmerie. Mais bien vite, les munitions font
défaut.
Les canonniers prennent
leur fusil pour défendre les pièces. Les caissons de
munitions, dont tous les chevaux sont tués en route, risquent
d'arriver trop tard. Alors, les conducteurs ouvrent les caissons,
prennent les obus et se traînent vers les batteries. Les
artilleurs viennent à leur rencontre, et bientôt les
canons peuvent reprendre le tir.
M.
Biraud, chef d'escadron au 33e Artillerie
(tué
à Craonne en 1917)
"S'est particulièrement distingué pendant le
12 novembre 1914,
en maintenant ses batteries sous un feu violent à la
portée de la première ligne,
a arrêté une attaque de l'ennemi et a
appuyé ensuite la contre-attaque de nos
troupes."
|
Alors, les Allemands se
tournent vers les tranchées du 77e RI, le long de la route de
Passendale, où le capitaine d'Ythurbide tient avec le 3e
bataillon. Parmi les nombreux tués figurent François
Chaillou et Auguste Boutin du 77e, et Marcel Seguin du 32e RI.
Entre temps, le colonel
Lestoquoi et le général Lefèvre, qui se trouvent
près de l'église de Zonnebeke, entendent le bruit du
combat, mais ne réussissent pas à avoir des nouvelles
des premières lignes. Les agents de liaison, envoyés
par les commandants de bataillons, sont tous tués,
blessés ou portés disparus. Ainsi Louis Jolivet, du 77e
RI.
Louis Jolivet (77e RI), agent de liaison
disparu
à Zonnebeke le 12 novembre 1914
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Le
téléphoniste Rouault du 77e témoigne : "Le
lieutenant demanda un homme pour prévenir le colonel. Je
m'offris. Le couloir de communication était si encombré
de morts et de blessés que je dus couper par le champ, sous
les balles."
le colonel Lestoquoi
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Du poste de commandement de
Baunard à celui du colonel Lestoquoi, les agents de liaison
Rabouin, Jussiaume, Potiron, Point se succèdent et rivalisent
de courage pour porter les ordres sous les yeux de l'ennemi.
les
agents de liaison du 77e RI à Ypres - décembre
1914
l'équipe de l'estafette du 77e RI
de
gauche à droite : Rabouin, Jussiaume, ?, Samson,
Mercereau, Naudin, Mourin, Houssin
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Le colonel Lestoquoi juge
l'instant favorable à une contre-attaque.
Il rassemble aussitôt quelques 80 hommes du 77e, cuisiniers,
malades en observation au poste de secours, quelques dragons du 14e,
et dirige le tout vers Molenaarelst. Le 135e RI est renforcé
par les 11e et 12e compagnies du 114e RI. A ce moment, le commandant
Mariani du 77e ordonne une attaque.
La 8e compagnie, sous les ordres du lieutenant Génois,
réussit à regagner un peu de terrain, et occupe
à nouveau le bord de la route au nord du carrefour de
Broodseinde. Le lieutenant Génois rapportera un souvenir de
Zonnebeke : sa capote percée de 32 trous par les
obus.
Pendant la nuit, un conseil
de guerre réunit les différents commandants du secteur
: le général Lefèvre, Réquichot,
Laperrine et les colonels Lestoquoi, de Maison-Rouge, et de Tarragon.
Le général Réquichot décide de donner le
commandement unique du secteur au colonel Lestoquoi. En même
temps est ordonné le repli des compagnies trop avancées
du 77e.
Pendant la nuit, les
compagnies du 77e se retirent du secteur avancé, en emportant
tous leurs blessés. Ils se retranchent sur le bord ouest de la
route vers Passendale. Seuls le caporal Marchais avec trois hommes
n'ont pas reçu l'ordre de repli, et restent à
l'extrême droite de la ligne. Ils tiendront jusqu'à
épuisement de leurs munitions, et ne rejoindront les lignes
que le 14 novembre à 2h du matin.
Le haut commandement juge
la situation très critique. Le carrefour de Broodseinde est
défendu par des unités très fatiguées !
La 26e division est envoyée en renfort.
Le 92e RI, qui vient d'arriver à St-Jean, est mis en alerte et
se rend à pas de course à Zonnebeke.
Pour alléger les hommes, les sacs sont transportés en
automobile. Guidée par le sergent Mitrécé du
77e, le 3e bataillon en tête, suivi du 1er bataillon, la troupe
traverse le village sous un feu violent d'artillerie. Le colonel
Knoll prend personnellement la tête des 2 bataillons et part
à l'attaque. Le régiment est aussitôt
renforcé par 2 compagnies du 32e RI et par un bataillon du 77e
(commandant Mariani).
Le 92e s'empare à la
baïonnette du carrefour et des tranchées allemandes
à 100 m à l'est. Une section de mitrailleuses qui prend
place au carrefour, toujours sous un feu violent, perd aussitôt
tout son effectif.
Le colonel Knoll tombe au carrefour, en examinant le terrain pour
procéder à une nouvelle progression
lieutenant-colonel Knoll (92e RI)
"A
été glorieusement tué à la
tête de son régiment en entraînant
lui-même ses compagnies de réserve
à l'assaut des tranchées allemandes sous une
grêle de projectiles."
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Après la mort du
colonel, le 92e, très éprouvé, se retranche
autour du carrefour.
Les pertes sont considérables : 6 officiers tués, 51
soldats tués, 273 blessés, 59 disparus...
Au 32e, les deux compagnies ont 40 tués, dont le lieutenant
Choupaut.
lieutenant Emile Choupaut (32e RI)
"A
été tué en entraînant bravement
sa compagnie à l'assaut des tranchées
ennemies."
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Le général
Lefèvre, qui a suivi les combats de très près,
cite le 92e RI à l'ordre de la 18e division : "A peine
débarqué en Belgique, le 92e RI, désigné
pour prêter main-forte à la 18e DI, a, dans la
journée d'aujourd'hui, 13 novembre 1914, fait preuve de la
plus grande résistance et de la plus belle énergie pour
attaquer les troupes allemandes dans leurs retranchements. L'attaque,
brillamment commencée par l'enlèvement des
premières tranchées, a hélas ! été
brisée dans son élan par la perte successive de deux
commandants de bataillon, dont un blessé, puis par celle de
son valeureux chef de corps, le lieutenant-colonel Knoll.
Le général commandant la 18e DI remercie tous les
braves du 92e et salue respectueusement le colonel Knoll, dont la
mort cause une perte irréparable pour la Patrie, que son
régiment fera certainement payer cher à
l'ennemi."
A la nuit, le
général Lefèvre et le colonel Lestoquoi veulent
être conduits à Broodseinde pour étudier la
situation de plus près. Ils partent, accompagnés du
commandant Baunard et du sergent Rabouin, sur la route
défoncée â tout instant par les obus, entre les
débris de poutres des maisons détruites et les branches
abattues. Sur la route, ils rencontrent le cortège
funèbre du lieutenant-colonel Knoll, rapporté par ses
hommes. Le général s'arrête pour saluer le
corps.
Quand ils arrivent au carrefour, 3 soldats sont tués par un
obus. Le général traverse la chaussée au milieu
des balles, se met au garde-à-vous auprès de chacun
d'eux, et porte la main au képi.
Pierre
Bahuaud, du 77e RI
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l'abbé
Fonteneau, du 77e RI
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une
messe pour le 77e RI, par l'abbé Fonteneau, du 77e
RI
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Pendant la nuit, le
commandant Bastiani prend le commandement du 92e RI.
Durant toute la journée, les Allemands essayent d'attaquer,
mais en vain. Les troupes du 9e corps, qui tiennent depuis maintenant
3 semaines ininterrompues, sont à bout
A nouveau, le
"calme" s'installe.
Mais la vie de tranchée n'a rien de calme !
"Le 14 au matin, un peu
d'accalmie. Mais le tantôt, ça recommence. Nous recevons
l'ordre de résister jusqu'au dernier. Nous restons dans la
tranchée toute démolie par les obus. Les hommes ont de
l'eau jusqu'aux genoux. La neige tombe pendant deux jours de suite.
Le boyau de communication qui va du capitaine aux compagnies est
plein d'une boue noirâtre, faite par le sang des blessés
qui font la queue pour les tranchées arrière. Toute la
journée, nous pataugeons dans cette boue, qui monte aux
genoux, et surtout il faut passer vite car les balles nous sifflent
aux oreilles. Dans un endroit, le boyau était bouché
par deux morts et il fallait absolument passer par dessus et vite
encore. Le commandant réclame absolument à être
relevé. Les compagnies sont diminuées à
moitié et les fusils ne marchent plus à cause de la
terre dans la culasse. Et, surtout, le reste des hommes était
à bout de forces. Ils n'avaient plus fermé l'oeil
depuis 8 jours
"
Ces boyaux autour
d'Ypres
dont nous pouvons nous faire une faible idée
d'après la photo ci-dessous :
d'après
"L'hiver oublié", d'Aleks Deseyne - 1983
complément
: vous lirez ici
l'intégrale de
"Le 77e à Zonnebeke, oct.-nov. 1914" - Elie
Chamard (1927)
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ici,
une page sur tous les Poilus de Cholet
tombés en Belgique
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