ETITE HISTOIRE DE LA CONDITION HUMAINE

OU...

COMMENT MOURIR EN APURANT SES COMPTES

(1839)

 

 

E CADRE

Nous sommes en décembre 1839. Louis-Philippe, dernier roi de France, en est au milieu de son règne (1830 / 1848). Les structures créées par la Révolution de 1789 sont restées en place, en particulier les départements avec à leur tête un Préfet. Les Maires sont soumis à l'étroite tutelle de ces derniers.

Ils doivent, en particulier, tenir un registre de leur courrier. C'est dans ce cadre que M. L' Hermitte, Maire de la commune, écrit à son collègue d'une commune de Haute-Garonne et transcrit ce courrier dont nous vous donnons copie.

 

A M. le Maire de Labouret (Haute-Garonne)

Monsieur, j'ai l'honneur de vous adresser ci-joint l'extrait de l'acte de décès du nommé Jean Laguefosse, décédé en cette commune.

Voici quelques détails sur la fin de ce malheureux : il est arrivé le soir chez le nommé Fayada et il a demandé à coucher, se disant malade. On l'a conduit au gîte avec peine et, quand il a été couché, on s'est retiré.

Le lendemain, on a été pour lui demander comment il se trouvait mais il n'existait plus. On est venu me déclarer le décès et, comme c'était une mort subite, j'en ai informé le juge de paix qui m'a envoyé un médecin et deux gendarmes pour visiter le cadavre, ce qui a été fait en ma présence. Le médecin a reconnu qu'il était mort naturellement d'apoplexie. Je l'ai fait déshabiller et on n'a trouvé sur lui qu'une petite bourse dans laquelle il n'y avait que deux petits boutons de gilet et une petite clé de malle.

Il n'avait aucun autre effet que celui dont il était vêtu et ils ont été, comme d'usage, pour celui qui l'a changé et enseveli. Il avait un vieux cheval qu'on a vendu avec la selle 65F, et une limousine onze francs et 50 centimes, ce qui fait en tout 76F 50 sur quoi on a payé :

  • une chemise et un bonnet qui ont servi à l'ensevelir 4F
  • le cercueil 9F
  • pour le temps et la peine qu'a eue Fayalda chez lequel il est décédé 4F
  • pour le prêtre et le sacristain 9F
  • pour le paiement de huit hommes qui l'ont porté en terre 8F
  • pour 12 journées d'affenage du cheval 12F

au total 46F 00.

Reste 30F et 50 centimes que j'ai déposés à la poste pour la veuve, sur quoi il y aura le port à retrancher. Veuillez lui remettre les pièces justificatives pour qu'elle retire cette somme.

D'après des renseignements qui m'ont été donnés, il paraît que le défunt a laissé une malle à St Jean d'Angély chez Mme Bureau, aubergiste sur la route de Saintes.

Il a été réclamé par deux femmes de St Jean près Thouars 14F pour dépense qu'elles disent qu'il a faite chez elles dans le mois de septembre qu'il a été malade. J'ai refusé de payer, vu que cette dette n'était pas suffisamment prouvée...

 

ES FAITS

Un pauvre bougre, sans le sou, avec son seul cheval et sa voiture, échoue, un soir de Décembre 1839, à Vrère, chez M. Fayada (un Monsieur Désiré Fayada habitait Vrère, il y a encore 25 ans, dans la maison occupée actuellement par M. Le Strugeon). Il se dit malade. On lui donne le gîte, probablement une place sur la paille de l'écurie. Le lendemain matin, on le retrouve mort ! Qu'en advient-il ?

 

N L'ENTERRE ET C'EST LA CUREE !

On est pratique ! On le dépouille de ses vêtements, on vend le cheval, on vend la voiture, et... on se paie ! Les vêtements seront pour celui qui l'a changé ! Et on y va des 76F 50 ! Personne ne s'oublie : le menuisier pour le cercueil, celui qui a acheté la chemise et le bonnet, le prêtre, le sacristain, les huit porteurs, celui qui a soigné le cheval, le sieur Fayada pour la peine qu'il s'est donnée... Rien pour les quémandeurs hors commune ! Ouf : il reste 30F 50. Il est temps de penser à la veuve : c'est l'objet de la lettre de Monsieur le Maire.
Les comptes étant apurés, l'âme du défunt pouvait s'envoler, tranquille !
Autres temps, autres mœurs !
Mais que de chemin parcouru en 150 ans !

 

extrait du bulletin municipal de St Léger de Montbrun / année 1995

 

 

 

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