ETITE HISTOIRE DE LA CONDITION HUMAINE OU... COMMENT MOURIR EN APURANT SES COMPTES (1839)
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Ils doivent, en particulier, tenir un
registre de leur courrier. C'est dans ce cadre que M. L' Hermitte,
Maire de la commune, écrit à son collègue d'une
commune de Haute-Garonne et transcrit ce courrier dont nous vous
donnons copie. Monsieur,
j'ai l'honneur de vous adresser ci-joint l'extrait de l'acte
de décès du nommé Jean Laguefosse,
décédé en cette commune. Voici
quelques détails sur la fin de ce malheureux : il est
arrivé le soir chez le nommé Fayada et il a
demandé à coucher, se disant malade. On l'a
conduit au gîte avec peine et, quand il a
été couché, on s'est
retiré. Le
lendemain, on a été pour lui demander comment
il se trouvait mais il n'existait plus. On est venu me
déclarer le décès et, comme
c'était une mort subite, j'en ai informé le
juge de paix qui m'a envoyé un médecin et deux
gendarmes pour visiter le cadavre, ce qui a
été fait en ma présence. Le
médecin a reconnu qu'il était mort
naturellement d'apoplexie. Je l'ai fait déshabiller
et on n'a trouvé sur lui qu'une petite bourse dans
laquelle il n'y avait que deux petits boutons de gilet et
une petite clé de malle. Il n'avait
aucun autre effet que celui dont il était vêtu
et ils ont été, comme d'usage, pour celui qui
l'a changé et enseveli. Il avait un vieux cheval
qu'on a vendu avec la selle 65F, et une limousine onze
francs et 50 centimes, ce qui fait en tout 76F 50 sur quoi
on a payé : au total 46F
00. Reste 30F et
50 centimes que j'ai déposés à la poste
pour la veuve, sur quoi il y aura le port à
retrancher. Veuillez lui remettre les pièces
justificatives pour qu'elle retire cette somme. D'après
des renseignements qui m'ont été
donnés, il paraît que le défunt a
laissé une malle à St Jean d'Angély
chez Mme Bureau, aubergiste sur la route de
Saintes. Il a
été réclamé par deux femmes de
St Jean près Thouars 14F pour dépense qu'elles
disent qu'il a faite chez elles dans le mois de septembre
qu'il a été malade. J'ai refusé de
payer, vu que cette dette n'était pas suffisamment
prouvée... Un pauvre bougre, sans le sou, avec
son seul cheval et sa voiture, échoue, un soir de
Décembre 1839, à Vrère, chez M. Fayada (un
Monsieur Désiré Fayada habitait Vrère, il y a
encore 25 ans, dans la maison occupée actuellement par M. Le
Strugeon). Il se dit malade. On lui donne le gîte, probablement
une place sur la paille de l'écurie. Le lendemain matin, on le
retrouve mort ! Qu'en advient-il ? On est pratique ! On le
dépouille de ses vêtements, on vend le cheval, on vend
la voiture, et... on se paie ! Les vêtements seront pour celui
qui l'a changé ! Et on y va des 76F 50 ! Personne ne s'oublie
: le menuisier pour le cercueil, celui qui a acheté la chemise
et le bonnet, le prêtre, le sacristain, les huit porteurs,
celui qui a soigné le cheval, le sieur Fayada pour la peine
qu'il s'est donnée... Rien pour les quémandeurs hors
commune ! Ouf : il reste 30F 50. Il est temps de penser à la
veuve : c'est l'objet de la lettre de Monsieur le Maire. extrait du bulletin
municipal de St Léger de Montbrun / année
1995
Les comptes étant apurés, l'âme du défunt
pouvait s'envoler, tranquille !
Autres temps, autres murs !
Mais que de chemin parcouru en 150 ans !