Le grand iver de 1709
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Texte écrit par M.
Jean Dartigolles 1997 (
) Le mois de décembre
1708 avait été particulièrement doux, puis, peu
avant Noël, le 22, il avait neigé de façon
très abondante. Les jours suivants, la température
s'était de nouveau radoucie. Puis il avait de nouveau
neigé : " d'une façon extraordinaire.... la
nège a esté jusqu'au genouil d'un homme et en bien des
endroits jusques à la cinture..." D'autres témoignages nous
rapportent des hauteurs de deux pieds (environ 65
centimètres). Or voici qu'après un vent violent, dans
la nuit du 6 au 7 janvier 1709, la température tomba
brusquement à - 15°. Ce n'était qu'un début
: jusqu'au 23 janvier, le thermomètre oscilla sans
désemparer entre - 19,2° et - 23,6°. L'encre gelait
dans les encriers, le vin dans les bouteilles. Dans les églises, le vin de
messe attendait l'Offertoire sur de petits réchauds à
charbons. Tout le pays était comme tétanisé. Le
registre de la Jurade de BORDEAUX note que : "sur la Garonne,
devant CADILLAC, BARSAC, PREIGNAC et d'autres endroits
circunvoisins... l'on marchait sur la glace à pied, à
cheval, et avec d'autres voitures." Les témoignages, tous
concordants, sont légion : le curé de SAUTERNES
rapporte dans son registre paroissial que : "la GARONNE et le
SIRON estaient tellement gelés qu'ils estaient comme solides,
si bien qu'on les passoient à pied sans
danger." La disette ne tarda pas à se
manifester. On fit du pain avec des fèves, des pois, de
l'avoine, et bientôt des glands. Pour contourner le monopole
des boulangeries sur lesquelles se concentrait la pression populaire,
les jurats de BORDEAUX, en toute hâte, firent construire des
fours accessibles à tous ceux qui étaient à
même de pétrir une pâte quelconque. En campagne, les arbres explosent
littéralement "avec des bruits d'artillerie", les plus
jeunes comme les plus âgés. Le 23 janvier, un léger redoux
se manifesta. Les températures remontèrent, ici et
là, jusqu'à - 2°, tout en restant partout
négatives, mais ce n'était qu'un répit. Le froid
reprit tout aussitôt pour une longue période aux
alentours de - 15°, et il fallut attendre les derniers jours de
février, vers le 25, pour retrouver les premières
températures positives. Les dégâts furent
immenses. Le curé de SAUTERNES, toujours lui, les
résume assez bien : "lequel froid a gelé toutes les
vignes jusqu'à la terre, tous les arbres fruitiers, tous les
pins, bois, taillis..." Plus d'arbres fruitiers, et pour plus
de 10 ans ; plus de châtaigniers, plus de châtaignes et
pour longtemps, plus de vignes bien sûr, mais aussi plus de
miel ni de cire, toutes les abeilles étant mortes. Plus de
bois non plus après que l'exploitation des arbres morts fut
achevée. L'Intendant LAMOIGNON a bien vu le problème
lorsqu'il écrit à VERSAILLES : "Les jeunes plans ne
donneront de cinquante ans d'ici aucun revenu, et il n'y a que ceux
qui sont au bord de la mer, à deux lieues dans les terres, qui
soient conservés." Encore restait-il à venir les
grands incendies de 1713 dans la forêt de LA TESTE... Il n'est
donc pas étonnant que notre contrée ait
singulièrement manqué de bois d'oeuvre pendant toute la
première moitié du XVIIIe siècle et même
bien au-delà. Un pin qui se vendait normalement 3
sols au début du siècle valait encore 15 sols en 1742
pour revenir aux environs de 10 à 11 sols vers 1780, ce qui,
compte tenu de l'inflation et de l'évolution des conditions
économiques locales, peut être considéré,
au bout de 70 ans, comme un retour approximatif à la
normale. Ainsi donc plus de pins, mais plus de
résine non plus. Le prix d'une barrique de résine passe
de 8 livres 8 sols en fin de siècle à 54 livres en
1714. La rareté a fait flamber les prix et l'on devinera sans
peine le désarroi d'une paroisse comme BALIZAC ou SAINT LEGER
qui a perdu là, en l'espace d'un mois et demi, le plus clair
de ses revenus pour plus d'une génération. On n'en
finirait pas de relater les conséquences de cette catastrophe.
La misère du petit peuple rural fut immense.
"Marsau - Histoire d'une famille de laboureurs
au quartier de Triscos, commune de Balizac (33)
Deux siècles de vie quotidienne 1610-1829"