Amélie
Gex est le grand poète patoisant de la Savoie. Elle
écrivit aussi en français.
Elle naquit en 1835,
à la Chapelle-Blanche, dans un milieu de bourgeoisie
éclairée. Son père était médecin.
Sa mère avait une propriété à la
Chapelle. Orpheline de mère à 4 ans, elle est
élevée par sa grand-mère paternelle qui habite
à Chambéry et qui a aussi une maison et un fermier
à Triviers, aujourdhui Challes. Mise en pension au
Sacré-Cur, elle est une élève
médiocre qui ne se plaît quà Challes
pendant les vacances, où elle apprend le patois avec les
enfants de son âge.
en bas à
gauche, La Chapelle Blanche - en haut à droite, Villard
Léger
En 1848, elle perd sa
grand-mère. En mars 1849, elle quitte lécole et
vient vivre avec son père à la Chapelle-Blanche
où Porraz, le fermier de Triviers, les a suivis, car le
docteur Samuel Gex a vendu lhéritage quil a
reçu de sa mère, avec lequel il achète des
vignes et un bâtiment à Villard-Léger
(1854).
Amélie
socupera de la propriété de la Chapelle. Elle a
19 ans. Puis, les Porraz ayant émigré en Argentine,
elle fait valoir ses terres avec des journaliers parmi lesquels un
certain Dieufils, dit Prince, qui a des talents de conteur et de
chanteur, et elle se souviendra de lui dans son uvre
patoise.
En 1857, elle perd
son fiancé, quelle a à peine connu. Elle se livre
à des expériences de spiritisme quotidiennes qui lui
déclenchent des crises de danse de Saint-Guy. Elle dira en
1882 quà partir de 1872 elle na écrit que
sur lordre de sa mère. Soignée à
Divonne-les-Bains, elle y rencontre Mlle de Marcillac, de
Genève, qui lencourage à écrire. Elle
aurait pu tourner au bas-bleu ou à la femme de lettres. Elle
reste fidèle à la terre et à la vie
paysanne.
1860 : respectueuse
dune tradition multiséculaire, elle est dabord
anti-annexionniste, puis se résout, par raison, à
accepter de devenir française : "
nous aurons,
écrit-elle, au moins la chance davoir pour mes pauvres
villageois encore si arriérés, dans un avenir prochain,
quelque progrès à espérer." Ce souci des
humbles et des pauvres explique lattitude politique
dAmélie Gex. Elle nest pas de la gauche des
"partageux" de 1848. Elle travaillera à
lamélioration des couches rurales.
En 1850, son
père sest marié avec une de ses propres amies.
Malgré la naissance dun petit garçon, il
délaisse bientôt son épouse qui vit avec
Amélie à la Chapelle à partir de 1860. A son
décès en 1873, le Dr Gex laisse des dettes. Pour les
éponger, les deux femmes vendent Villard-Léger
et en partie les terres de la Chapelle-Blanche.
Elles
sinstallent à Chambéry où Amélie
monte un atelier de photographie que sa santé ne lui permet
pas dexploiter. En proie à de vives souffrances
physiques et morales, dans une situation financière
délicate, elle trouve un dérivatif dans
lécriture. Elle compose des poèmes en
français. Ils prouvent quelle a beaucoup lu Victor Hugo.
Elle commence bientôt une carrière
décrivain liée étroitement au journalisme.
Ses premiers vers patois furent publiés en 1878 dans
lhebdomadaire Le Père André. La jeune fille de
famille, qui sémouvait en 1860 au souvenir de
Victor-Emmanuel II, soutient de sa plume les républicains, par
ses poèmes en patois destinés à la paysannerie,
cest-à-dire la masse de lélectorat.
Sadressant à des lecteurs peu sensibles au
féminisme, elle signait sous un pseudonyme masculin : Dian de
la Jeânna, Jean fils de Jeanne.
Elle dirigea
elle-même le Père André de mars 1879 à fin
mai 1880. Chaque semaine, elle exposait, en faveur de la paysannerie,
son programme daction sociale, qui prenait le pas sur la
politique, et donnait au journal un ton assez modéré.
Elle désire que le curé soit "pour le travailleur
des champs le guide moral que nul gouvernement ne pourra jamais
remplacer."
Minée par la
souffrance, Amélie séteignit en juin 1883. Elle
navait que 48 ans.
Elle faisait du
dialecte un élément privilégié de
lidentité locale. Elle écrivit ainsi une
protestation éloquente contre Dumaz, le maire de
Chambéry qui, en 1878, avait attaqué les patoisants. Le
texte, inédit, vibre dune belle fierté savoyarde
:
Chéra
Monchu, nên vaut la pêina
De conserva noutron patoué :
Pêndênt quon sêntra diên sa
veîna
Le sang de la villie Savoué
Pêndênt que yeu quon saye ên
France
Diên noutro curs on gârdera
La plus petiouta sovenance
De le bognette et du tara
Monchu, mâgré voutron
mémouére
Magré le pique dlo savants,
Le Savoyârds se faront gloere
De parlâ comme du devant.
Sûrement
Monsieur, il en vaut la peine
De conserver notre patois :
Pendant quon sentira dans sa veine
Le sang de la vieille Savoie
Pendant que, où quon soit en France
Dans nos curs on gardera
Le plus petit souvenir
Des bognettes (pâtisserie frite à lhuile)
et du tara (pichet)
Monsieur, malgré votre mémoire
Malgré les piques des savants,
Les Savoyards se feront gloire
De parler comme ci-devant.
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Voici comment
lauteur exprime avec des images dépouillées le
souvenir dun bonheur irrémédiablement perdu. Elle
sadresse à une alouette. Le dernier vers a une
connotation religieuse connue :
Lâbro
que le vêint a cassâ
Ne dâit plus vardi, Aluetta.
Lâbro que le vêint a cassâ,
La sâva le fâ plus poueussâ.
La fleur que lhiver a zelâ
Tombe et flappit tota soletta.
La fleur que lhiver a zelâ,
Ein pussa on zor daît sêin allâ
!
Larbre
que le vent a cassé
Ne doit plus verdir, Alouette.
Larbre que le vent a cassé,
La sève ne le fait plus pousser.
La fleur que lhiver a gelée
Tombe et flétrit toute seule.
La fleur que lhiver a gelée
En poussière un jour doit sen aller !
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Amélie Gex
laisse une uvre. On y découvre comment à La
Chapelle-Blanche, village sur la hauteur, aux lisières de la
Savoie et du Dauphiné, elle partageait soucis,
méfiances, haines, peurs, joies des gens du lieu.
Elle maudit la
conscription : "Mère, c'est demain que je pars. Il faut
apprêter mon paquet. Pendant huit ans sans votre Claude, vous
fermerez votre loquet..."
Elle ressent la pauvreté des paysans de son temps, leur
farouche courage : "Tu sais ce qu'il en coûte, et les grands
coups qu'il faut frapper pour faire rougir les coteaux..."
Mais un optimisme la soulève : "Le vent et les morts se
tairont quand les primevères refleuriront."
Elle se voulut le pinson (le quinsonnet) des montagnes.
Féminisme, politique, régionalisme... tous ces
problèmes d'aujourd'hui explosent sous sa plume.
Elle croit mais elle prend ses distances :
Je
crois au bon Dieu que ma mère
Priait la nuit, le matin
A ce bon Dieu qui nous regarde
Quoiqu'on ne parle pas latin...
Je crois
au bon Dieu qui fait luire
Le soleil sur notre tonnelle
A ce bon Dieu qui aime voir rire
Filles et garçons qui vont teiller...
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A Chambéry,
elle a adhéré au mouvement républicain, la
gauche de ce temps en Savoie. La 2e chanson qu'elle fait
paraître dans le journal "Nos deux poulets" (Noutro dou
pôlets) fait du vacarme !
Ça se chante sur l'air de "Cadet Roussel" :
Noutro
Françon a dou pôlets
Lon est tot blanc, l'autre rosset.
I chantons chaqueu leu cantique :
Vive le Raï !... la République !...
Mais, mais sein ne tapâ
Noutro pôlets pogeons pas chantâ.
Notre
François a deux poulets
L'un est tout blanc, l'autre rouge.
Ils chantent chacun leur cantique :
Vive le Roi !... la République !...
Mais, mais sans se battre
Jamais poulet ne peut chanter.
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Féministe,
elle mène joyeusement le combat. Toujours sous son pseudonyme
de Dian de la Jeânna, elle chante sa révolte :
"Bientôt il faudra à la femme se défendre
d'admirer autre chose que les jupons albanais ou les bijoux
russes."
Elle s'insurge contre la sacro-sainte centralisation de Paris et se
bat contre l'exode rural.
Une de ses longues
nouvelles a pour titre "La mort de Lallo". Lallo, c'est en
patois le diminutif de Claude. La voici résumée
:
(...)
"Nous étions bien petits, nous les bambins de
Chaffard ! Nous étions bien petits quand mourut le
pauvre Lallo. Il était l'idole de toutes les
mères et la pensée intime de toutes les jeunes
filles de notre commune. A 19 ans, il résumait en lui
toute la force et bonté que nous pouvions concevoir.
Il avait encore sa chevelure noire bouclée comme
celle des petits anges que l'on voit aux quatre coins de
l'autel de la paroisse... Il savait lire dans tous les
livres... Il allait chercher pous nous les nids de pie
à la cime des grands peupliers...
Celle que
ce jeune homme aimait, c'était sa cousine Marianne
Desait, la plus belle de tout le mandement. Ah ! qu'elle
était jolie, Marianne ! Rieuse, gaie. A 17 ans, elle
était aussi blonde que Lallo était brun. Dans
la paroisse, on lui donnait le surnom de « Quinsonnet
» (petit pinson).
(...) A
la veille de la vogue de Bassens, le pain bénit ne
pouvait être prêt à Chambéry que
le lendemain, Lallo fut chargé de cette commission.
Il devait prendre aussi chez la modiste la coiffe nouvelle
que Marianne avait décidé de porter. Mais la
modiste eut du retard. Lallo ne put pas porter à
temps le pain bénit. Scandale. Mais il revint boitant
et refusa de dire qu'il avait été mordu
à la jambe par un chien....
(...) Un
soir, on frappa violemment à notre porte. Le
père de Lallo entra. Il était ruisselant de
sueur :
- Ah ! pauvre dame, au secours ! Mon garçon est perdu
! Il est enragé. Il déparle. Il écume.
Il est mourant.
Alors ce
fut l'ultime drame. Le curé apporte le sacrement.
Beaucoup de monde dans la chambre. La petite fille voit
Lallo attaché sur le lit par une corde,
délirant. Sa mère vient l'embrasser sur le
front et s'écrie :
- Que le bon Dieu le prenne tout de suite pour qu'il ne
souffre plus..
Lallo
appelle son père :
- Je veux qu'on me tue. Je brûle. Ayez pitié de
moi !
Alors il
se passa une chose dont je frémis encore après
tant d'années. On entendit comme un hurlement de loup
sortir de la poitrine du père... Il se baissa, saisit
un objet que je ne pouvais pas voir. Il revint vers le lit.
Il était horrible et ruisselant de larmes :
- Monsieur le Curé, dit-il en levant sa main
armée d'un marteau de tailleur de pierre sur le front
de son fils... c'est assez comme ça, n'est-ce pas ?
Si le bon Dieu ne veut pas le prendre, moi je vais lui
donner...
- Arrêtez ! dit le prêtre. Vous seriez un
assassin...
On vit
alors le pauvre homme s'écrouler devant le lit
où râlait son enfant. Brisé sans doute
par cette dernière émotion, Lallo avait
fermé les yeux :
- Remerciez Dieu, murmura le curé, votre fils ne
souffre plus.
C'était fini. Lallo était mort.
(...) Et
Marianne ? Peu de personnes, dans la commune où elle
est née, savent ce qu'a été cette
grande fille maigre, pâle et triste qui, chaque matin
maintenant et chaque soir de l'été, passe en
rasant les haies, menant paître deux vaches dans les
marais communaux.
Jamais elle ne rit. Jamais elle ne s'arrête en chemin.
Elle vit seule, toute seule, travaille beaucoup et donne
tout ce qu'elle gagne aux pauvres de Chaffard.
On dit que sa chevelure si blonde est maintenant toute
blanche...
Qui se souvient, là-bas, dans le petit hameau, des
amours de Lallo et du Quinsonnet ?
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Sources et lien
:
https://www.stleger.info