Mon
vieux, j'ai travaillé avec des boeufs, j'ai travaillé
avec des chevaux ; le matin on attelait à six heures,
dételer à midi, reprendre à une heure et demie,
et après t'allais jusqu'à six heures du soir. On
s'arrêtait guère pour les laisser souffler.
Il y a un gars qui faisait du bois, là,
il était d'Auxy. Avec ses deux boeufs, il descendait au
Val-Saint-Benoît, à travers bois. Du
Val-Saint-Benoît, il revenait par Sully, Saint-Léger,
il revenait avec deux cordes de bois et de là, il remontait
à Auxy. Alors il faisait dix, vingt, trente, il faisait
presque quarante kilomètres, hein !
Quand les boeufs arrivaient, ils pouvaient plus
marcher. A l'époque, c'était des boeufs, les chevaux
étaient encore rares. Les chevaux sont venus à partir
de la guerre de 14. C'est pas la même mode. Avec les boeufs,
fallait aller doucement, mais avec les boeufs, tu passes partout.
Avec les boeufs, tu pouvais passer dans la boue, ils s'en retiraient.
Ils appuient sur leurs pattes ; le boeuf quand il tire, il
écarte les deux ergots et quand il sort, tu comprends, il
referme. Il a une prise, alors que le cheval, c'est tout le sens
contraire. Le cheval s'il s'emmanche dedans, il ne peut plus sortir.
Ah ! les boeufs, ils en faisaient du chemin,
les pauvres boeufs. T'avais des galvachers, il y en a qui prenaient
soin de leurs boeufs. Mais des fois valait mieux un ticket pour la
Villette qu'un ticket pour certains charretiers. Il y en a qui
conduisaient leurs bêtes rien qu'à la voix. Moi, j'ai
conduit rien qu'à la voix. J'avais deux boeufs rouges pendant
la guerre, eh bien je labourais tout seul, jamais d'aiguillon !
Encore une fois, c'est un métier. Faut connaître les
caractères de tes boeufs, faut leur avoir appris le bon
exemple, faut qu'ils aient confiance en toi, faut pas qu'ils aient
peur, faut pas qu'ils soient battus. C'est ça, un peu de
crainte quand même, sans trop les battre. Tu sais, au bout d'un
moment le boeuf connaît son nom plus que toi.
Les boeufs, c'est un métier, c'est comme
tout, faut avoir été élevé à
côté, faut connaître leur caractère, parce
qu'une bête a son caractère, alors ! Chacun dressait ses
boeufs. Fallait les prendre à deux ans. Il y en a qui ne
bougeaient pas du tout.
Les vaches c'est pareil. Tu leur mettais le
joug sur la tête, elles étaient prêtes à
partir. Mais il fallait quand même un bon moment pour chercher
la cadence. Fallait d'abord les mettre souvent ensemble, les deux,
déjà, pour les habituer. Et ensuite, ma foi, il fallait
qu'elles te suivent. La première fois fallait pas les rater,
parce qu'elles, elles te rataient pas hein ! La première fois
fallait leur faire comprendre qu'il fallait qu'elles te suivent.
Fallait faire gaffe qu'elles ne te fassent pas faire demi-tour. Si tu
n'étais pas derrière, ça tournait raide tu sais,
elles effectuaient le pas de valse, et ça repartait de l'autre
côté, ho ! ho !
Alors pour commencer le dressage fallait les
mettre avec une autre. Tu mets une vieille devant et tu leur apprends
à tirer. Naturellement, la première fois, elle
s'amusait. Mais au bout de deux ou trois fois, elle s'habituait
à tirer. Sûrement, fallait pas les dégoûter
les premiers temps, mais leur montrer petit à petit.
Après, rien que de te mettre devant elles, elles
étaient accrochées à tous les coups. Tes vaches,
tes boeufs, t'en faisais ce que tu voulais, comme des chiens. Si
elles te suivaient, elles te suivaient partout. T'avais pas besoin de
t'en occuper, toi, t'étais devant.
Les juments, c'est encore plus intelligent que
les boeufs.
C'est plus maniable. C'est plus malin, mais c'est plus maniable.
Tu peux faire faire à des chevaux ce que tu ne peux pas faire
faire à des boeufs. Mais attention : faut pas faire une
vacherie à une jument. Ou à un cheval. Parce qu'ils ne
vont pas te rater, tu sais.
Le cheval est plus rancuneux, plus de
mémoire ! Tu vas battre une jument sans raison valable, deux
fois, trois fois, méfie-toi après, hein, parce qu'elle
attendra pas que tu tapes, hein, elle va te pocher dans un coin ! Si
elle voit arriver le coup, elle vise plus juste que toi. Oh oui, oh
oui ! c'est des fois bien adroit, ça.
Quand t'as été chamboulé une fois ou deux, tu
deviens méfiant.
Une jument qui est vive, elle demande une
certaine compréhension, mais si tu tapes dessus sans savoir le
pourquoi
Ah ! malheureux, une jument que t'avais battue
à faux, si elle pouvait te reprendre, fallait faire attention
: un coup de pied de cheval, tu sais, c'est ferré, ça
casse. Combien il y en a qui se sont fait pocher : des bras
cassés, des jambes cassées
Les boeufs aussi, mais
c'était moins courant. Encore une fois, il y en a qui sont
plus dociles les unes que les autres. Les bêtes ont toutes leur
caractère.
La
seule prière, cest de ne pas oublier.
(Françoise
Lefèvre)
on
grand-père igoy
: l'âne et le violon -
rapporté en décembre 1987
|
Ah
ben le vieux, je crois qu'il les avait toutes faites !
D'abord il était fils unique. Il avait
joué de la musique, il avait acheté un bal. Mais,
étant jeunes mariés, ma grand-mère ne s'y
plaisait pas. Ça non, c'était pas son rayon ; pas du
tout ; différents de caractère.
Alors il a revendu le bal et il s'est fait jardinier.
Comme ça, il allait planter des pieds
d'arbres à droite à gauche, il courait les rues avec
son violon (il ne se plaisait pas dans la maison). Il faisait
quelques melons, quelques choux-fleurs
pas une grosse
production, hein ! Quand il avait deux trois jolis melons, deux trois
beaux légumes, il portait ça aux
B., aux
G.
, à des "Nous-Autes", des fermiers qu'étaient
"bien de chez eux" (aisés). Et il avait un âne. Un petit
âne gris, moi je m'en souviens encore un peu. Alors il partait
avec l'âne.
Et le vieux, il ne lui en fallait pas beaucoup,
alors quand il avait bu deux ou trois canons, tout à coup,
patatrac, il s'endormait.
Et l'âne prenait le chemin qu'elle voulait (chez nous, on dit
"une" âne). Une fois, c'était la nuit, elle
l'emmène, elle le monte là-haut à Noiron,
à la porte de l'écurie, où ils avaient
l'habitude de lui donner de l'avoine. Mais le vieux dormait.
Penses-tu, ça a duré toute la nuit. Depuis Noiron, elle
le ramène à Creusefond, à la porte du
père Fontaine. Là, le vieux se réveille, mais
incapable de savoir où il est. Complètement
égaré. L'âne n'était pas perdue, mais le
vieux était égaré. Il va toquer à la
porte. Le père Fontaine dit :
- Mais qu'est-ce que tu fais là ?
- C'est pas moi qu'es venu, c'est mon âne qui m'a amené
! Adresse-toi à mon âne.
- Ah mais j'en prends soin de ton âne, je lui donne de l'avoine
chaque fois que tu viens chez moi.
Et l'âne s'en était rappelé.
- Oh ben, on va la récompenser. Débride l'âne, on
va lui donner de l'avoine, et on va boire la goutte
ensemble.
Ça fait que le vieux rentrait à
Savigny à trois quatre heures du matin pendant que ma
grand-mère était à Saint-Léger
avec un falot
qu'elle fut obligée d'éteindre en
revenant, sans l'avoir trouvé !
Ah ah, il racontait ça et elle était pas gracieuse
quand il racontait ça. Ah ! la vie a bien changé. Ils
rigolaient ces vieux-là, ah nom de dieu !
A cette époque, ils fauchaient parfois
"à l'entreprise". Un bon faucheur gagnait un peu plus de vingt
sous par jour, mais il devait payer un ramasseur dix à quinze
sous. Ils fauchaient à l'hectare, fallait bien faucher, mais
mon grand-père, lui, y arrivait.
Il fauchait des fois pour cinquante sous, ou trois francs.
Cette année-là, il travaillait
chez D., au Moussiau. Il fauchait "à l'entreprise", mais il
avait dû abandonner, il s'était mis à la
journée, avec les autres : il avait pris le dard d'un
côté et le violon de l'autre ! Quand ils avaient fini de
faucher, ils dansaient. Ils allaient faire la bringue à
Nanteuil. Tous les soirs, ils dansaient.
Ils dansaient la mazurka, la polka, la valse,
le quadrille
mon grand-père ni mon père n'ont
fait danser la bourrée. Un soir, ils avaient dansé et
le D. s'était levé :
- Vous me cassez la tête, hein ! Toi, tu ferais mieux de jouer
le matin pour les faire lever, plutôt que de les faire danser
le soir. Vous allez voir à quelle heure je vais vous
réveiller moi, vous allez bien vous passer de danser la nuit
prochaine !
Oh, ils étaient une bonne équipe
dans la grange :
- Attends, on va l'avoir, le vieux ! On va se relayer la nuit, on va
dormir chacun deux heures et on va te réveiller une heure
avant le lever, et tu vas aller jouer du violon devant la porte du
père D.
En effet, ils veillent toute la nuit. A quatre
heures du matin, le Claude prend le violon, et ils se mettent juste
sous les fenêtres pour se mettre en batterie, et les
voilà, en sabots, partis à danser le quadrille.
Le vieux entend jouer du violon à sa porte, il se
réveille, il se lève en bonnet de nuit, il dit :
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Mais, ils disent, on danse le quadrille ! Le Claude joue pour nous
faire lever.
- Alors là, vous me tenez bien ! Bande de
Eh bien,
dansez et vous irez faucher le blé puisque vous êtes si
bien réveillés !
Ils ont dansé le quadrille et ils sont
partis faucher. Mais le vieux ne fut pas vache. A dix heures il
venait les voir, à midi il donnait l'ordre d'aller manger.
D'habitude, il leur portait la soupe au milieu du champ, ils
n'allaient pas se mettre à l'ombre.
Ce jour-là, il les appelle et il dit
:
- Ah, on va manger la soupe à l'ombre aujourd'hui. Allez faire
la sieste, je vous réveillerai à trois
heures.
Il leur a donné une heure ou deux de
repos et il a dit :
- Oh, on va lier ce qu'on va pouvoir, et après, vous pourrez
vous en aller. Demain, c'est dimanche. C'est la paulée
!
Ils étaient toujours pas perdants.
C'était la paulée !
Il y avait ceux de Curgy avec lui. Ils n'avaient pas de
vélos.
Alors ils sont revenus à pied. Les
voilà partis. Ils prennent le chemin des Reppes. Ils arrivent
dans la cour des B. :
- Mais qu'est-ce que c'est que cette équipe ?
C'était le dimanche, ils avaient
déjà dansé toute la nuit avant, la nuit du
samedi au dimanche :
- Qu'est-ce que c'est que cette équipe qui court les rues un
dimanche ? Faire la bringue un dimanche !
Ma foi, le père Claude répond et
tous ceux de par ici, et tous ceux de Curgy aussi :
- Oh, on s'en va, on rentre chez nous !
- Et celui qui joue du violon ?
- Ah ah celui qui joue du violon, il remmène les gars de
Curgy. Et s'il reste à Curgy, si on va tous à Curgy,
c'est pour aller à la messe.
Ma foi, les voilà partis, ils montent,
ils passent par la cour du Philibert D., ils montent vers la Croix
S'bile. Les commis de chez B. - je ne sais plus si c'est B. ou D.-
montent avec eux.
Quand ils ont été vers la maison
du milieu, chez L. il y avait le père G. qui était
là. Il les a engueulés ! Ma foi, ils disent merde au
vieux, ils montent dans la cour du Louis D., et là, il y a le
petit chemin qui monte à la Croix S'bile. Là il y avait
une croix.
Ma foi, ils en trouvent encore un ou deux, et
en passant devant la croix, le commis de chez B. dit :
- Ah, vous allez peut-être faire pénitence. On va se
mettre en rang autour de la croix, on va réciter un "je vous
salue Marie" et un "Notre père".
Et le père Claude accompagnait ça au violon
!
Ils prennent la rue de la Merle et ils
retombent à la Croix des Fleurs. Arrivés à la
Croix des Fleurs, les voilà repartis à jouer du violon
:
- Tu vas jouer du violon un dimanche ? Attends, dans un moment on va
sonner les cloches, on n'a jamais vu jouer du violon, ou d'autre
chose pendant que les cloches sonnent.
Mais il a mis son violon sur l'épaule, et en
avant
Dans l'équipe, il y avait un gars de la
Croix des Fleurs qu'ils appelaient "Margaloup" qui était
fiancé avec une fille de la Croix des Fleurs. Et la fille
avait dit :
- Si tu bèlouèches (si tu te saoules), jamais j'me
marie avec toi !
Il était arcandé (ivre), tu
comprends, il avait bèlouèché depuis la veille.
Et il avait prévenu les autres :
- Si on passe par là, faut faire attention, il y a ma
fiancée. Si elle nous voit, ça va être
cassé.
- Mais elle est pas là, elle est à la messe.
Ensuite, ils sont allés à la
messe. Ils arrivent à l'église, s'assoient
derrière un pilier. Le père Digoy et un autre, de
chaque côté du gars ; mais penses-tu ! Tout à
coup le gars prend un malaise. Dans l'église. Il tombe. Quoi
faire ? Ils se disent ensemble :
- On va le faire passer malade.
En effet, ils le sortent de l'église,
l'autre n'était déjà plus évanoui :
- Qu'est-ce que vous faites ? Pour me sauver, il faut monter me
coucher et me faire passer pour malade.
Ils le remontent à la Croix des Fleurs,
et ils le font coucher.
Ma foi, le Digoy était ressorti et redescendu jouer du
violon.
Sous la cour de l'église. Le curé
sort, il lui fait :
- Mais j'vous reconnais pas bien, vous. Enfin vous pouvez jouer, la
messe est dite. Mais il n'y avait pas un malade parmi vous ? J'ai vu
un homme tomber, là.
- Bof
Le Digoy savait pas quoi dire. Le curé
se renseigne, on lui dit c'est le "Margaloup " qui est malade. Ma foi
le curé dit :
- S'il est malade, je monte voir ce que je vais pouvoir lui
donner.
La fille avait déjà vu. A
l'entrée, le curé retrouve la fille qui pleurait. Il
dit :
- Je vais monter avec vous. Soyez sans crainte, il n'a toujours pas
fait bien du mal, il ira toujours dans le paradis.
L'autre était couché sur le lit.
Le Digoy était monté aussi, il voyait bien que le gars
faisait le malade. Alors, pas de discussion, le curé se tourne
vers l'assistance, il dit :
- Vous allez faire chauffer du vin. Vous allez le mettre dans une
poêle sur le fourneau, et on va mettre deux trois lardons
dedans, et on va lui en faire boire un verre.
Arrive la Mélote qui dit :
- Il est pas bien, oui, il est vraiment malade. Je vais hacher des
oignons, je vais chercher mes chaussons, on va lui mettre les pieds
dedans.
Et il y a encore un autre qui dit :
- J'ai du tamus (tamier commun), l'herbe, la fameuse herbe, on va
brâment lui en frotter le corps.
Alors, ils retroussent les draps. La
Mélote lui enfile les chaussons avec les oignons, le
curé lui fait boire deux trois verres de vin avec sa mixture,
ils le frottent là-dessous
L'autre dit :
- Ah, je suis guéri ! je suis guéri !
Tu penses, la fille dit :
- Ah ben j'en veux point ! Je veux pas de lui puisqu'il
bèlouèche. J'en veux point, il bèlouèche
!
Après ça, le gars a dit au
père Digoy :
- Fallait vivre ou mourir ! avec tout ce que j'avais eu, je ne
pouvais plus rester. Ah ah, comment faire ?
Vivre ou mourir.
On
dit heureux comme un roi.
Certes les rois ont des couronnes sur la tête.
Au diable la ferraille, moi jai une casquette.
utant
de paye, autant de cuite -
rapporté en décembre 1987
|
Ah
Ah oui, tous ces vieux-là prenaient des cuites de rouge !
Quand ils étaient de sortie, ils ne rentraient jamais sans
leur cuite. Pas des grosses cuites, hein, mais tant soit peu qu'ils
sortent, ils buvaient le rouge quoi. Ils n'étaient pas
pressés, pas pressés.
A Brèche, il y avait un relais, puisque
ça faisait bistrot.
Aux quatre chemins. Tout le monde s'arrêtait à
Brèche. Et à ce moment-là, il y avait des
équipes de retraités. Alors ils se faisaient des tours.
Nom de nom ! Les retraités de Ravelon, la mine, les
retraités de Saint-Léger,
Moloy... Ils y montaient tous les jours, ils étaient d'un
certain âge, ceux qui travaillaient encore, ceux qui
travaillaient à la chauffe, ceux qui faisaient plus
grand-chose...
Ils étaient toujours cinq six
retraités qui jouaient aux cartes. Il y en a un qu'ils
appelaient M., celui-là c'était le pire de tous. Il y
montait le soir. Et ils s'arrangeaient toujours pour qu'il y en ait
un qui reste avec lui jusqu'à ce qu'il fasse bien noir. Alors,
le premier coup c'était le P. qui lui prêtait son falot
(sa lanterne) pour s'en aller. Le lendemain, sitôt qu'il avait
marandé (mangé), le vieux remontait le falot. Mais les
autres le guettaient. Ils remontaient avec lui et ensuite ils
buvaient avec lui. Quand le vieux était pour repartir, il ne
faisait plus clair. Ça fait qu'il devait réemprunter un
falot. Ils commençaient le 3 décembre, ils lui ont fait
traîner le falot jusqu'à la veille de
Noël.
Ah il y avait des équipes ! Ils jouaient
à la bourre (jeu de cartes), alors là, c'était
au plus filou.
Je crois que c'était en 1930. Ils venaient de poser le
téléphone.
Et ce vieux-là, je m'en souviens encore un peu, il avait un
fils au Creusot. Alors les autres :
- Vieux, téléphone, tu vas téléphoner
à ton fils qu'est au Creusot.
- Qu'est-ce qu'on dit ?
- Tu vas dire Allô Allô !
Alors le vieux :
- Allô, Allô ?
Mais c'était étudié. Le
gars était dans la combine :
- Ah, tu me dis à l'eau à l'eau, je parie que tu me dis
à l'eau parce que t'as bu du vin.
- Oh oh oh, d'abord, je suis en retraite, c'est moi qui le paye. T'as
beau qu'à être mon fils !
Ma foi, le lendemain ils redisent encore :
- Téléphone à ton gars.
Il retéléphone à son gars.
Le gars répond :
- T'as pas bu aujourd'hui, papa ? Tu sais ce que le médecin
t'a dit, il t'a défendu de boire.
- Ah, il dit non, Sylvain (c'est comme ça qu'il s'appelait,
son gars). J'ai rien bu du tout. Ça fait quinze jours que j'ai
rien bu.
- Eh ben, je vais te dire que t'as bu ! Voilà quinze jours que
t'as pas bu ? Tu sens la goutte, je le sens au bout du fil, me
raconte pas de menteries.
- Ah bah, dit le vieux, cet engin-là, reprenez-le, jamais je
m'en resservirai de votre "potrâ".
Ah, ils s'en faisaient des tours !
Une fois qu'il rentrait de Ravelon : ils
avaient été deux jours à jouer à la
bourre, à Ravelon. Sur la paye, il leur restait quarante sous.
Mettons qu'à l'époque, ils gagnaient trente, quarante
francs, il ne lui restait plus que quarante sous. En sortant, il a
pris les quarante sous et il les a foutus dans le pian (la haie) pour
avoir plus rien du tout.
Dans ces coins-là, dans tous les coins
où il y avait des mineurs, c'était pas la même
mentalité. Pas du tout. Ils s'amusaient, ça faisait la
bringue, ça jouait aux cartes. Il y en avait vers chez nous,
des C., ... des B..., ah malheureux, "Âtant de paye,
âtant de cuite" : Autant de paye, autant de cuite. Chaque fois
qu'ils touchaient la pension, ils étaient huit jours sans se
priver de rien. C'était pas tous, mais y'en avait une grosse
partie. Un qui avait passé sa vie à la mine, dans les
usines, il n'avait bu que du rouge. Ils buvaient du rouge ou de la
goutte, c'est tout. Ou de la "bleue".
La "bleue", tu sais, moi je les ai vus encore
dans le bistrot : ils avaient une cuillère et ils versaient
l'absinthe pure sur un bout de sucre, et ils laissaient tomber dans
le verre et remplissaient le verre d'eau. C'est ça qu'ils
appelaient la "bleue", je crois.
Y'avait un Parisien dans la maison en face chez
nous. Il avait pas acheté, c'est sa femme qui était
d'ici et qui s'était mariée avec un Parisien. Ils
venaient en vacances un mois comme ça. Il était boucher
à Paris. Ils avaient un pré ou deux avec la maison. Les
premières vacances, ils avaient vendu le pré, et ils
avaient mangé les sous du pré avant de repartir.
L'année d'après il revient, il a été
obligé de vendre la maison avant que les vacances soient
finies. Tu sais, lui, la "bleue", au lieu de mettre de l'eau dedans,
il mettait du rhum. Ah nom de dieu, alors là, ça
décrottait hein ! Il mettait du rhum.
Ah ben, dans ces petits bistrots-là, il
s'en est passé.
Je
vous offre ce bouquet
Il nest ni beau ni bien fait
Il y manque une fleur
Celle de votre coeur
Mettez-y donc la main
Il ny manquera plus rien.
es
"chalibaris" -
rapporté en décembre 1987
|
Et
quand ils faisaient les "chalibaris", dis donc !
Alors à cette époque-là, les "chalibaris", tu
comprends, c'était quand une veuve se remariait. Si
c'était deux veufs ensemble, je crois bien qu'il n'y avait pas
de ça, mais si c'était un qui n'était pas veuf
qui reprenait une veuve...
Par exemple à Nanteuil : Nanteuil,
ça fait bande avec les gars de Dracy, et principalement avec
les gars d'Igornay, et même de Saint-Léger.
Curgy et Igornay, tu vois, ils traversaient la montagne, ils allaient
bien encore les uns vers les autres ; quand ils ne se battaient pas !
Mais quand il y avait un tour à faire comme ça, tous
les jeunes y seraient allés, aussi bien pour un " chalibari "
que pour une fête quelconque. Du temps de mon père, ils
seraient allés aussi bien à Curgy, à Dracy, et
même à Viévy ou Igornay parce que de chez nous il
y avait des sentiers qui y allaient tout droit. Ça faisait pas
bien loin. Alors quand ils faisaient les " chalibaris ", il y avait
des gars de Dracy qui venaient, il y avait des gars d'Igornay qui
venaient, ils trouvaient bien moyen de venir à pied le samedi
soir.
J'ai entendu dire à mon père
qu'ils étaient des fois cent, cent cinquante, les chalibaris !
Et ma foi, ils venaient avec tout ce qui pouvait faire du bruit : les
uns avec des coquelles, les autres avec des fouets, les autres
avec... Une fois que c'était déchaîné,
t'aurais dit que le pays se cassait.
Là où celui qui était
visé était un bon garçon, le jour où
ça se déclenchait, il achetait un quarteau de vin et il
donnait à boire à tout le monde, c'était fini.
Mais si jamais le gars se fâchait, ça durait des fois
deux trois mois. Tous les samedis, une fois qu'il se croyait
tranquille, ça se mettait à résonner. Tous les
voisins et les chiens heulaient à Nanteuil. Et ils se
contentaient pas de ça : il y avait un petit pâquis (une
pâture) un peu plus loin, ils faisaient des feux de joie la
nuit et ils dansaient à l'entour des feux, et de temps en
temps, il y avait une délégation qui allait à la
porte dire deux trois conneries à l'autre. L'autre, tu sais
à Nanteuil, il y a un grand mur, c'est là qu'ils
l'avaient fait.
L'autre, lui, quand il les entendait chanter,
il faisait chauffer de l'eau, il avait une casserole derrière
la fenêtre, et il leur foutait sur la tête. Alors tu
penses bien que ça ne les gênait pas, à quatre
heures du matin, quand l'autre était couché, de revenir
beugler sous ses fenêtres. Ah celui-là, ils lui en ont
fait chier ! Et ils mettaient tout le monde en jeu. Tout le long du
chemin :
- "Qui qu'tinré l'pot d'chambre, qui qu'tinré l'pot
d'chambre ?"
Et quand ils passaient devant chez un bon vieux
tout à fait sage qui se tenait à l'écart de tout
ça, ils prenaient son nom (c'était un Clément)
:
"Qui qu'tinré l'pot d'chambre ?
Ma y'ost l'père Clément, ma y'ost l'père
Clément !" (Qui tiendra le pot de chambre ? Mais c'est le
père Clément).
Alors le vieux dans sa maison, il se foutait en
colère, ça fait qu'il ramassait sa part. C'était
un vrai "chalibari" quoi, c'était tout les pattes en l'air. Et
tous les chiens qu'ils attrapaient, ils leur attachaient encore des
casseroles à la queue. Ça c'était un
remue-ménage ! J'ai entendu dire à mon père, mon
père avait quinze... dix-huit ans, eh bien c'était
en... 1895 ou... 1900, enfin... il disait que ça a fait un tel
bruit à Nanteuil, il y a des coups que les gendarmes et le
maire ont été obligés d'intervenir.
Le maire était obligé de prendre
un arrêté et ça suffisait pas, les gendarmes
étaient obligés de venir le samedi et de verbaliser
pour les empêcher de continuer. Quand ça
débranlait à Nanteuil, ils croyaient que c'était
un tremblement de terre. Les ch'tits, tout le monde, les chiens
jappaient, il y avait les gosses, les vieux, tout remontait vers la
maison. Ils y allaient bien trois quatre fois par nuit. Et donner des
coups de fouet, et tout ce que tu peux imaginer, et toujours des
ch'tits tours de faits.
Ceux d'Igornay venaient faire le jacques par
ici, ils venaient à pied par la route, par la montagne de
Champsigny, tout droit, tu vois là. Ah ils marchaient en ce
temps-là. J'en ai entendu un, moi, quand j'étais gosse.
C'était à Dracy, c'était le père G., les
G. qui taient boulangers. Eh bien quand c'était le vent
d'ouest, on les entendait jusque chez nous. Ça a duré
un mois. Ah mais à Dracy c'était des peuts (vilains)
aussi, et il y avait du monde, hein.
Quest-ce que cest, maman ?
Un morceau de brontosaure.
(Bruce Chatwin)
es
toucheurs -
rapporté en février 1988
|
Et
dans le temps, il y avait les toucheurs. Ah, ils marchaient bien ces
gars-là ! Quand les marchands achetaient des bêtes au
printemps, ils embauchaient un toucheur, un gars à qui ils
disaient :
- Voilà quarante bêtes sur la route, il faut les mener
à tel ou tel endroit.
Il y en a qui ne faisaient que ça.
Une fois, quand on était encore à
Auxy, mon grand-père devait livrer quatre cinq bêtes au
D., le marchand de bêtes. Le D. dit :
- J'ai fait venir un gars de La Drée, j'ai embauché un
toucheur, tu vas lui aider à sortir des chemins, tu vas les
mettre sur la route de Saint-Emiland, et lui, il va bien les emmener.
Un toucheur.
Un gars qui avait des bottes, une allure de nomade, des cheveux
jusque-là, un bâton avec une courroie dans la main, et
des jambes si grandes que ça, nom de dieu !
Ma foi, en arrivant à Auxy, on le
retrouve avec ses bêtes, il avait déjà vingt ou
trente bêtes sur la route, des jeunesses, au printemps, qu'il
devait emmener sur la route jusqu'au Pont d'Argent. Le gars nous dit
:
- Le jeune homme qui est là va marcher devant, moi je reste
derrière.
On les a mis sur la grande route. Une fois que
les bêtes ont été un peu plus loin, un peu en bas
de Saint-Emiland, arrivés au Pont d'Argent, on en retrouve un
pareil que lui qui avait encore sept huit bêtes. C'est
là qu'il m'a dit :
- Oh maintenant, tu peux t'en aller !
Je me suis dit, quarante bêtes sur le dos
! Ils sont passés un devant et un derrière, et ils ne
les perdaient pas de vue, tu sais, autant des chiens. Je te garantis,
quand les bêtes se sauvaient, ils couraient aussi vite
qu'elles, ils avaient une paire de bottines, ils couraient aussi vite
qu'elles. Ah mon ami de dieu ! Et ils avaient l'oeil, tu sais.
Sitôt qu'une bête quittait les autres, c'était
pire qu'un chien. Ils les menaient jusqu'à Maison Rouge vers
un autre gars qui les emmenait peut-être dans un autre coin. Et
ils revenaient, ils allaient mener d'autres bêtes ailleurs. Ces
gars-là, c'était des nomades.
Il y en avait un qui faisait encore le
toucheur, je l'ai vu passer quelquefois chez nous quand
j'étais petit. Ils l'appelaient... j'ai oublié. Il
habitait à la Maison des Biques, là en haut d'Autun. Il
passait avec sa femme qui avait des grands cheveux sur le cou. Je ne
l'ai pas vu passer bien des fois, mais ils m'en ont assez
parlé ! Ils avaient un chien, un petit chien "Barbouille",
tout frisé. C'était un chien berger, des chiens qui
étaient toujours sur la route, attention. Mais ils
étaient vieux. Lui ne pouvait plus courir et la vieille ne
valait guère mieux. Le vieux se mettait devant et la vieille
derrière. Ah, j'ai entendu raconter ça combien de fois
à ma grand-mère ! Comme voilà les jours de foire
à Autun, ils rôdaient avec leur bâton et leur
chien. Et les marchands de bêtes, quand ils avaient un petit
lot, les appelaient pour sortir les bêtes. Quand ça
n'était pas trop loin, pas plus de dix quinze
kilomètres à faire. Ils le savaient. Ils connaissaient
tous les chemins, ils menaient les bêtes, et ils se faisaient
bien payer. Ils ne faisaient qu'une saison de deux trois mois au
printemps : ils commençaient au 1er mars (foire d'Autun) et
finissaient à la Saint-Jean. Ils travaillaient pour les foires
et pour les marchands qui achetaient dans les fermes. Bien souvent
les marchands les emmenaient avec eux ou les envoyaient chercher les
bêtes pour les acheminer.
A ce moment-là, des marchands de vaches,
il y en avait autant que tu en voulais. Des gars qui achetaient
quatre ou cinq bêtes au printemps pour faire de l'embouche.
J'en ai vu à Autun, j'avais quinze ans. Ils les appelaient "La
Bande Noire". Il y avait le R., il y avait le C., le L., le P... Ils
achetaient en commun, cinq six bêtes par-ci, sept huit
bêtes par-là. Alors fallait mener les bêtes
d'où elles avaient été achetées. Mais
c'était jamais loin, quatre cinq kilomètres. Et bien
souvent, ils se les revendaient entre eux. La "Bande Noire", oui.
C'était des braconniers, ils n'avaient pas bonne
renommée.
Des gars qui faisaient peut-être quinze
vingt bêtes d'embouche.
Ils en achetaient cinq six à la foire du 1er mars ; au 15
avril, si elles avaient amendé, ils les menaient vendre sur
une autre foire où ils en rachetaient toujours cinq ou six.
Toute l'année c'était un va-et-vient, de quelques
bêtes à la fois. Ils étaient à Autun, ils
étaient à Saint-Léger...
Quand ils tombaient sur un gars dont les bêtes se vendaient
plus ou moins bien, s'ils prenaient idée de passer leur temps
sur ce gars-là, ils passaient chacun leur tour et ils lui en
donnaient de moins en moins. Ça n'en finissait
plus.
Les marchands, à cette époque,
sur les foires, il y en avait presque autant que de bêtes. Des
gars qui venaient acheter de loin. Il en venait du Jura. J'en
connaissais un qui venait de Lons-le-Saunier, avec son père.
Ils louaient des wagons et ils embarquaient pour Lons-le-Saunier.
C'était pour faire de l'embouche.
Ils embarquaient des jeunes taures qui
étaient encore légères pour les engraisser dans
les herbes du Jura. Tout comme tu voyais des Normands qui achetaient
tous les gros châtrons parce qu'en Normandie, l'herbe
était tellement bonne qu'une bête bien
charpentée, au bout de six mois, c'était
déjà presque un boeuf.
A
quoi sert à lhomme de gagner lunivers, sil
vient à perdre son âne ?
Source et lien à visiter
! http://www.patrimoine-oral-bourgogne.org/GEIDEFile/10227_txt.pdf?Archive=192484691066&File=10227_txt_pdf
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