emain j'aurai mille ans 

conversations avec un pied de chou

contes et récits paysans

 

Cette page est extraite du livre de Maurice DIGOY et Rémi GUILLAUMEAU
"DEMAIN J’AURAI MILLE ANS - Conversations avec un pied de chou - Contes et récits paysans" - 4e trimestre 2000
Illustrations de Henriette AGNIUS - LES ÉDITIONS DU PAS DE L’ÂNE - Prix du Morvan 2002

Source et lien : http://www.patrimoine-oral-bourgogne.org/GEIDEFile/10227_txt.pdf?Archive=192484691066&File=10227_txt_pdf

 


 

Tout est intéressant, pourvu qu’on le regarde assez longtemps. (Gustave Flaubert)

 


 

oeufs et chevaux - rapporté en avril 1987

 

Mon vieux, j'ai travaillé avec des boeufs, j'ai travaillé avec des chevaux ; le matin on attelait à six heures, dételer à midi, reprendre à une heure et demie, et après t'allais jusqu'à six heures du soir. On s'arrêtait guère pour les laisser souffler.

Il y a un gars qui faisait du bois, là, il était d'Auxy. Avec ses deux boeufs, il descendait au Val-Saint-Benoît, à travers bois. Du Val-Saint-Benoît, il revenait par Sully, Saint-Léger, il revenait avec deux cordes de bois et de là, il remontait à Auxy. Alors il faisait dix, vingt, trente, il faisait presque quarante kilomètres, hein !

 

 

Quand les boeufs arrivaient, ils pouvaient plus marcher. A l'époque, c'était des boeufs, les chevaux étaient encore rares. Les chevaux sont venus à partir de la guerre de 14. C'est pas la même mode. Avec les boeufs, fallait aller doucement, mais avec les boeufs, tu passes partout. Avec les boeufs, tu pouvais passer dans la boue, ils s'en retiraient. Ils appuient sur leurs pattes ; le boeuf quand il tire, il écarte les deux ergots et quand il sort, tu comprends, il referme. Il a une prise, alors que le cheval, c'est tout le sens contraire. Le cheval s'il s'emmanche dedans, il ne peut plus sortir.

Ah ! les boeufs, ils en faisaient du chemin, les pauvres boeufs. T'avais des galvachers, il y en a qui prenaient soin de leurs boeufs. Mais des fois valait mieux un ticket pour la Villette qu'un ticket pour certains charretiers. Il y en a qui conduisaient leurs bêtes rien qu'à la voix. Moi, j'ai conduit rien qu'à la voix. J'avais deux boeufs rouges pendant la guerre, eh bien je labourais tout seul, jamais d'aiguillon ! Encore une fois, c'est un métier. Faut connaître les caractères de tes boeufs, faut leur avoir appris le bon exemple, faut qu'ils aient confiance en toi, faut pas qu'ils aient peur, faut pas qu'ils soient battus. C'est ça, un peu de crainte quand même, sans trop les battre. Tu sais, au bout d'un moment le boeuf connaît son nom plus que toi.

Les boeufs, c'est un métier, c'est comme tout, faut avoir été élevé à côté, faut connaître leur caractère, parce qu'une bête a son caractère, alors ! Chacun dressait ses boeufs. Fallait les prendre à deux ans. Il y en a qui ne bougeaient pas du tout.

Les vaches c'est pareil. Tu leur mettais le joug sur la tête, elles étaient prêtes à partir. Mais il fallait quand même un bon moment pour chercher la cadence. Fallait d'abord les mettre souvent ensemble, les deux, déjà, pour les habituer. Et ensuite, ma foi, il fallait qu'elles te suivent. La première fois fallait pas les rater, parce qu'elles, elles te rataient pas hein ! La première fois fallait leur faire comprendre qu'il fallait qu'elles te suivent. Fallait faire gaffe qu'elles ne te fassent pas faire demi-tour. Si tu n'étais pas derrière, ça tournait raide tu sais, elles effectuaient le pas de valse, et ça repartait de l'autre côté, ho ! ho !

Alors pour commencer le dressage fallait les mettre avec une autre. Tu mets une vieille devant et tu leur apprends à tirer. Naturellement, la première fois, elle s'amusait. Mais au bout de deux ou trois fois, elle s'habituait à tirer. Sûrement, fallait pas les dégoûter les premiers temps, mais leur montrer petit à petit. Après, rien que de te mettre devant elles, elles étaient accrochées à tous les coups. Tes vaches, tes boeufs, t'en faisais ce que tu voulais, comme des chiens. Si elles te suivaient, elles te suivaient partout. T'avais pas besoin de t'en occuper, toi, t'étais devant.

Les juments, c'est encore plus intelligent que les boeufs.
C'est plus maniable. C'est plus malin, mais c'est plus maniable.
Tu peux faire faire à des chevaux ce que tu ne peux pas faire faire à des boeufs. Mais attention : faut pas faire une vacherie à une jument. Ou à un cheval. Parce qu'ils ne vont pas te rater, tu sais.

Le cheval est plus rancuneux, plus de mémoire ! Tu vas battre une jument sans raison valable, deux fois, trois fois, méfie-toi après, hein, parce qu'elle attendra pas que tu tapes, hein, elle va te pocher dans un coin ! Si elle voit arriver le coup, elle vise plus juste que toi. Oh oui, oh oui ! c'est des fois bien adroit, ça.
Quand t'as été chamboulé une fois ou deux, tu deviens méfiant.

Une jument qui est vive, elle demande une certaine compréhension, mais si tu tapes dessus sans savoir le pourquoi… Ah ! malheureux, une jument que t'avais battue à faux, si elle pouvait te reprendre, fallait faire attention : un coup de pied de cheval, tu sais, c'est ferré, ça casse. Combien il y en a qui se sont fait pocher : des bras cassés, des jambes cassées… Les boeufs aussi, mais c'était moins courant. Encore une fois, il y en a qui sont plus dociles les unes que les autres. Les bêtes ont toutes leur caractère.

 


 

La seule prière, c’est de ne pas oublier. (Françoise Lefèvre)

 


 

on grand-père igoy : l'âne et le violon - rapporté en décembre 1987

 

Ah ben le vieux, je crois qu'il les avait toutes faites !

D'abord il était fils unique. Il avait joué de la musique, il avait acheté un bal. Mais, étant jeunes mariés, ma grand-mère ne s'y plaisait pas. Ça non, c'était pas son rayon ; pas du tout ; différents de caractère.
Alors il a revendu le bal et il s'est fait jardinier.

Comme ça, il allait planter des pieds d'arbres à droite à gauche, il courait les rues avec son violon (il ne se plaisait pas dans la maison). Il faisait quelques melons, quelques choux-fleurs… pas une grosse production, hein ! Quand il avait deux trois jolis melons, deux trois beaux légumes, il portait ça aux…B., aux… G.…, à des "Nous-Autes", des fermiers qu'étaient "bien de chez eux" (aisés). Et il avait un âne. Un petit âne gris, moi je m'en souviens encore un peu. Alors il partait avec l'âne.

Et le vieux, il ne lui en fallait pas beaucoup, alors quand il avait bu deux ou trois canons, tout à coup, patatrac, il s'endormait.
Et l'âne prenait le chemin qu'elle voulait (chez nous, on dit "une" âne). Une fois, c'était la nuit, elle l'emmène, elle le monte là-haut à Noiron, à la porte de l'écurie, où ils avaient l'habitude de lui donner de l'avoine. Mais le vieux dormait. Penses-tu, ça a duré toute la nuit. Depuis Noiron, elle le ramène à Creusefond, à la porte du père Fontaine. Là, le vieux se réveille, mais incapable de savoir où il est. Complètement égaré. L'âne n'était pas perdue, mais le vieux était égaré. Il va toquer à la porte. Le père Fontaine dit :
- Mais qu'est-ce que tu fais là ?
- C'est pas moi qu'es venu, c'est mon âne qui m'a amené ! Adresse-toi à mon âne.
- Ah mais j'en prends soin de ton âne, je lui donne de l'avoine chaque fois que tu viens chez moi.
Et l'âne s'en était rappelé.
- Oh ben, on va la récompenser. Débride l'âne, on va lui donner de l'avoine, et on va boire la goutte ensemble.

Ça fait que le vieux rentrait à Savigny à trois quatre heures du matin pendant que ma grand-mère était à Saint-Léger avec un falot… qu'elle fut obligée d'éteindre en revenant, sans l'avoir trouvé !
Ah ah, il racontait ça et elle était pas gracieuse quand il racontait ça. Ah ! la vie a bien changé. Ils rigolaient ces vieux-là, ah nom de dieu !

 

 

A cette époque, ils fauchaient parfois "à l'entreprise". Un bon faucheur gagnait un peu plus de vingt sous par jour, mais il devait payer un ramasseur dix à quinze sous. Ils fauchaient à l'hectare, fallait bien faucher, mais mon grand-père, lui, y arrivait.
Il fauchait des fois pour cinquante sous, ou trois francs.

Cette année-là, il travaillait chez D., au Moussiau. Il fauchait "à l'entreprise", mais il avait dû abandonner, il s'était mis à la journée, avec les autres : il avait pris le dard d'un côté et le violon de l'autre ! Quand ils avaient fini de faucher, ils dansaient. Ils allaient faire la bringue à Nanteuil. Tous les soirs, ils dansaient.

Ils dansaient la mazurka, la polka, la valse, le quadrille… mon grand-père ni mon père n'ont fait danser la bourrée. Un soir, ils avaient dansé et le D. s'était levé :
- Vous me cassez la tête, hein ! Toi, tu ferais mieux de jouer le matin pour les faire lever, plutôt que de les faire danser le soir. Vous allez voir à quelle heure je vais vous réveiller moi, vous allez bien vous passer de danser la nuit prochaine !

Oh, ils étaient une bonne équipe dans la grange :
- Attends, on va l'avoir, le vieux ! On va se relayer la nuit, on va dormir chacun deux heures et on va te réveiller une heure avant le lever, et tu vas aller jouer du violon devant la porte du père D.

En effet, ils veillent toute la nuit. A quatre heures du matin, le Claude prend le violon, et ils se mettent juste sous les fenêtres pour se mettre en batterie, et les voilà, en sabots, partis à danser le quadrille.
Le vieux entend jouer du violon à sa porte, il se réveille, il se lève en bonnet de nuit, il dit :
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Mais, ils disent, on danse le quadrille ! Le Claude joue pour nous faire lever.
- Alors là, vous me tenez bien ! Bande de… Eh bien, dansez et vous irez faucher le blé puisque vous êtes si bien réveillés !

Ils ont dansé le quadrille et ils sont partis faucher. Mais le vieux ne fut pas vache. A dix heures il venait les voir, à midi il donnait l'ordre d'aller manger. D'habitude, il leur portait la soupe au milieu du champ, ils n'allaient pas se mettre à l'ombre.

Ce jour-là, il les appelle et il dit :
- Ah, on va manger la soupe à l'ombre aujourd'hui. Allez faire la sieste, je vous réveillerai à trois heures.

Il leur a donné une heure ou deux de repos et il a dit :
- Oh, on va lier ce qu'on va pouvoir, et après, vous pourrez vous en aller. Demain, c'est dimanche. C'est la paulée !

Ils étaient toujours pas perdants. C'était la paulée !
Il y avait ceux de Curgy avec lui. Ils n'avaient pas de vélos.

Alors ils sont revenus à pied. Les voilà partis. Ils prennent le chemin des Reppes. Ils arrivent dans la cour des B. :
- Mais qu'est-ce que c'est que cette équipe ?

C'était le dimanche, ils avaient déjà dansé toute la nuit avant, la nuit du samedi au dimanche :
- Qu'est-ce que c'est que cette équipe qui court les rues un dimanche ? Faire la bringue un dimanche !

Ma foi, le père Claude répond et tous ceux de par ici, et tous ceux de Curgy aussi :
- Oh, on s'en va, on rentre chez nous !
- Et celui qui joue du violon ?
- Ah ah celui qui joue du violon, il remmène les gars de Curgy. Et s'il reste à Curgy, si on va tous à Curgy, c'est pour aller à la messe.

Ma foi, les voilà partis, ils montent, ils passent par la cour du Philibert D., ils montent vers la Croix S'bile. Les commis de chez B. - je ne sais plus si c'est B. ou D.- montent avec eux.

Quand ils ont été vers la maison du milieu, chez L. il y avait le père G. qui était là. Il les a engueulés ! Ma foi, ils disent merde au vieux, ils montent dans la cour du Louis D., et là, il y a le petit chemin qui monte à la Croix S'bile. Là il y avait une croix.

Ma foi, ils en trouvent encore un ou deux, et en passant devant la croix, le commis de chez B. dit :
- Ah, vous allez peut-être faire pénitence. On va se mettre en rang autour de la croix, on va réciter un "je vous salue Marie" et un "Notre père".
Et le père Claude accompagnait ça au violon !

Ils prennent la rue de la Merle et ils retombent à la Croix des Fleurs. Arrivés à la Croix des Fleurs, les voilà repartis à jouer du violon :
- Tu vas jouer du violon un dimanche ? Attends, dans un moment on va sonner les cloches, on n'a jamais vu jouer du violon, ou d'autre chose pendant que les cloches sonnent.
Mais il a mis son violon sur l'épaule, et en avant…

 

 

Dans l'équipe, il y avait un gars de la Croix des Fleurs qu'ils appelaient "Margaloup" qui était fiancé avec une fille de la Croix des Fleurs. Et la fille avait dit :
- Si tu bèlouèches (si tu te saoules), jamais j'me marie avec toi !

Il était arcandé (ivre), tu comprends, il avait bèlouèché depuis la veille. Et il avait prévenu les autres :
- Si on passe par là, faut faire attention, il y a ma fiancée. Si elle nous voit, ça va être cassé.
- Mais elle est pas là, elle est à la messe.

Ensuite, ils sont allés à la messe. Ils arrivent à l'église, s'assoient derrière un pilier. Le père Digoy et un autre, de chaque côté du gars ; mais penses-tu ! Tout à coup le gars prend un malaise. Dans l'église. Il tombe. Quoi faire ? Ils se disent ensemble :
- On va le faire passer malade.

En effet, ils le sortent de l'église, l'autre n'était déjà plus évanoui :
- Qu'est-ce que vous faites ? Pour me sauver, il faut monter me coucher et me faire passer pour malade.

Ils le remontent à la Croix des Fleurs, et ils le font coucher.
Ma foi, le Digoy était ressorti et redescendu jouer du violon.

Sous la cour de l'église. Le curé sort, il lui fait :
- Mais j'vous reconnais pas bien, vous. Enfin vous pouvez jouer, la messe est dite. Mais il n'y avait pas un malade parmi vous ? J'ai vu un homme tomber, là.
- Bof…

Le Digoy savait pas quoi dire. Le curé se renseigne, on lui dit c'est le "Margaloup " qui est malade. Ma foi le curé dit :
- S'il est malade, je monte voir ce que je vais pouvoir lui donner.

La fille avait déjà vu. A l'entrée, le curé retrouve la fille qui pleurait. Il dit :
- Je vais monter avec vous. Soyez sans crainte, il n'a toujours pas fait bien du mal, il ira toujours dans le paradis.

L'autre était couché sur le lit. Le Digoy était monté aussi, il voyait bien que le gars faisait le malade. Alors, pas de discussion, le curé se tourne vers l'assistance, il dit :
- Vous allez faire chauffer du vin. Vous allez le mettre dans une poêle sur le fourneau, et on va mettre deux trois lardons dedans, et on va lui en faire boire un verre.

Arrive la Mélote qui dit :
- Il est pas bien, oui, il est vraiment malade. Je vais hacher des oignons, je vais chercher mes chaussons, on va lui mettre les pieds dedans.

Et il y a encore un autre qui dit :
- J'ai du tamus (tamier commun), l'herbe, la fameuse herbe, on va brâment lui en frotter le corps.

Alors, ils retroussent les draps. La Mélote lui enfile les chaussons avec les oignons, le curé lui fait boire deux trois verres de vin avec sa mixture, ils le frottent là-dessous…

L'autre dit :
- Ah, je suis guéri ! je suis guéri !

Tu penses, la fille dit :
- Ah ben j'en veux point ! Je veux pas de lui puisqu'il bèlouèche. J'en veux point, il bèlouèche !

Après ça, le gars a dit au père Digoy :
- Fallait vivre ou mourir ! avec tout ce que j'avais eu, je ne pouvais plus rester. Ah ah, comment faire ?

Vivre ou mourir.

 


 

On dit heureux comme un roi.
Certes les rois ont des couronnes sur la tête.
Au diable la ferraille, moi j’ai une casquette.

 


 

utant de paye, autant de cuite - rapporté en décembre 1987

 

Ah Ah oui, tous ces vieux-là prenaient des cuites de rouge !
Quand ils étaient de sortie, ils ne rentraient jamais sans leur cuite. Pas des grosses cuites, hein, mais tant soit peu qu'ils sortent, ils buvaient le rouge quoi. Ils n'étaient pas pressés, pas pressés.

A Brèche, il y avait un relais, puisque ça faisait bistrot.
Aux quatre chemins. Tout le monde s'arrêtait à Brèche. Et à ce moment-là, il y avait des équipes de retraités. Alors ils se faisaient des tours. Nom de nom ! Les retraités de Ravelon, la mine, les retraités de
Saint-Léger, Moloy... Ils y montaient tous les jours, ils étaient d'un certain âge, ceux qui travaillaient encore, ceux qui travaillaient à la chauffe, ceux qui faisaient plus grand-chose...

 

 

Ils étaient toujours cinq six retraités qui jouaient aux cartes. Il y en a un qu'ils appelaient M., celui-là c'était le pire de tous. Il y montait le soir. Et ils s'arrangeaient toujours pour qu'il y en ait un qui reste avec lui jusqu'à ce qu'il fasse bien noir. Alors, le premier coup c'était le P. qui lui prêtait son falot (sa lanterne) pour s'en aller. Le lendemain, sitôt qu'il avait marandé (mangé), le vieux remontait le falot. Mais les autres le guettaient. Ils remontaient avec lui et ensuite ils buvaient avec lui. Quand le vieux était pour repartir, il ne faisait plus clair. Ça fait qu'il devait réemprunter un falot. Ils commençaient le 3 décembre, ils lui ont fait traîner le falot jusqu'à la veille de Noël.

Ah il y avait des équipes ! Ils jouaient à la bourre (jeu de cartes), alors là, c'était au plus filou.
Je crois que c'était en 1930. Ils venaient de poser le téléphone.
Et ce vieux-là, je m'en souviens encore un peu, il avait un fils au Creusot. Alors les autres :
- Vieux, téléphone, tu vas téléphoner à ton fils qu'est au Creusot.
- Qu'est-ce qu'on dit ?
- Tu vas dire Allô Allô !

Alors le vieux :
- Allô, Allô ?

Mais c'était étudié. Le gars était dans la combine :
- Ah, tu me dis à l'eau à l'eau, je parie que tu me dis à l'eau parce que t'as bu du vin.
- Oh oh oh, d'abord, je suis en retraite, c'est moi qui le paye. T'as beau qu'à être mon fils !

Ma foi, le lendemain ils redisent encore :
- Téléphone à ton gars.

Il retéléphone à son gars. Le gars répond :
- T'as pas bu aujourd'hui, papa ? Tu sais ce que le médecin t'a dit, il t'a défendu de boire.
- Ah, il dit non, Sylvain (c'est comme ça qu'il s'appelait, son gars). J'ai rien bu du tout. Ça fait quinze jours que j'ai rien bu.
- Eh ben, je vais te dire que t'as bu ! Voilà quinze jours que t'as pas bu ? Tu sens la goutte, je le sens au bout du fil, me raconte pas de menteries.
- Ah bah, dit le vieux, cet engin-là, reprenez-le, jamais je m'en resservirai de votre "potrâ".
Ah, ils s'en faisaient des tours !

Une fois qu'il rentrait de Ravelon : ils avaient été deux jours à jouer à la bourre, à Ravelon. Sur la paye, il leur restait quarante sous. Mettons qu'à l'époque, ils gagnaient trente, quarante francs, il ne lui restait plus que quarante sous. En sortant, il a pris les quarante sous et il les a foutus dans le pian (la haie) pour avoir plus rien du tout.

Dans ces coins-là, dans tous les coins où il y avait des mineurs, c'était pas la même mentalité. Pas du tout. Ils s'amusaient, ça faisait la bringue, ça jouait aux cartes. Il y en avait vers chez nous, des C., ... des B..., ah malheureux, "Âtant de paye, âtant de cuite" : Autant de paye, autant de cuite. Chaque fois qu'ils touchaient la pension, ils étaient huit jours sans se priver de rien. C'était pas tous, mais y'en avait une grosse partie. Un qui avait passé sa vie à la mine, dans les usines, il n'avait bu que du rouge. Ils buvaient du rouge ou de la goutte, c'est tout. Ou de la "bleue".

La "bleue", tu sais, moi je les ai vus encore dans le bistrot : ils avaient une cuillère et ils versaient l'absinthe pure sur un bout de sucre, et ils laissaient tomber dans le verre et remplissaient le verre d'eau. C'est ça qu'ils appelaient la "bleue", je crois.

Y'avait un Parisien dans la maison en face chez nous. Il avait pas acheté, c'est sa femme qui était d'ici et qui s'était mariée avec un Parisien. Ils venaient en vacances un mois comme ça. Il était boucher à Paris. Ils avaient un pré ou deux avec la maison. Les premières vacances, ils avaient vendu le pré, et ils avaient mangé les sous du pré avant de repartir. L'année d'après il revient, il a été obligé de vendre la maison avant que les vacances soient finies. Tu sais, lui, la "bleue", au lieu de mettre de l'eau dedans, il mettait du rhum. Ah nom de dieu, alors là, ça décrottait hein ! Il mettait du rhum.

Ah ben, dans ces petits bistrots-là, il s'en est passé.

 


 

Je vous offre ce bouquet
Il n’est ni beau ni bien fait
Il y manque une fleur
Celle de votre coeur
Mettez-y donc la main
Il n’y manquera plus rien.

 


 

es "chalibaris" - rapporté en décembre 1987

 

Et quand ils faisaient les "chalibaris", dis donc !
Alors à cette époque-là, les "chalibaris", tu comprends, c'était quand une veuve se remariait. Si c'était deux veufs ensemble, je crois bien qu'il n'y avait pas de ça, mais si c'était un qui n'était pas veuf qui reprenait une veuve...

Par exemple à Nanteuil : Nanteuil, ça fait bande avec les gars de Dracy, et principalement avec les gars d'Igornay, et même de Saint-Léger. Curgy et Igornay, tu vois, ils traversaient la montagne, ils allaient bien encore les uns vers les autres ; quand ils ne se battaient pas ! Mais quand il y avait un tour à faire comme ça, tous les jeunes y seraient allés, aussi bien pour un " chalibari " que pour une fête quelconque. Du temps de mon père, ils seraient allés aussi bien à Curgy, à Dracy, et même à Viévy ou Igornay parce que de chez nous il y avait des sentiers qui y allaient tout droit. Ça faisait pas bien loin. Alors quand ils faisaient les " chalibaris ", il y avait des gars de Dracy qui venaient, il y avait des gars d'Igornay qui venaient, ils trouvaient bien moyen de venir à pied le samedi soir.

 

 

J'ai entendu dire à mon père qu'ils étaient des fois cent, cent cinquante, les chalibaris ! Et ma foi, ils venaient avec tout ce qui pouvait faire du bruit : les uns avec des coquelles, les autres avec des fouets, les autres avec... Une fois que c'était déchaîné, t'aurais dit que le pays se cassait.

Là où celui qui était visé était un bon garçon, le jour où ça se déclenchait, il achetait un quarteau de vin et il donnait à boire à tout le monde, c'était fini. Mais si jamais le gars se fâchait, ça durait des fois deux trois mois. Tous les samedis, une fois qu'il se croyait tranquille, ça se mettait à résonner. Tous les voisins et les chiens heulaient à Nanteuil. Et ils se contentaient pas de ça : il y avait un petit pâquis (une pâture) un peu plus loin, ils faisaient des feux de joie la nuit et ils dansaient à l'entour des feux, et de temps en temps, il y avait une délégation qui allait à la porte dire deux trois conneries à l'autre. L'autre, tu sais à Nanteuil, il y a un grand mur, c'est là qu'ils l'avaient fait.

L'autre, lui, quand il les entendait chanter, il faisait chauffer de l'eau, il avait une casserole derrière la fenêtre, et il leur foutait sur la tête. Alors tu penses bien que ça ne les gênait pas, à quatre heures du matin, quand l'autre était couché, de revenir beugler sous ses fenêtres. Ah celui-là, ils lui en ont fait chier ! Et ils mettaient tout le monde en jeu. Tout le long du chemin :
- "Qui qu'tinré l'pot d'chambre, qui qu'tinré l'pot d'chambre ?"

Et quand ils passaient devant chez un bon vieux tout à fait sage qui se tenait à l'écart de tout ça, ils prenaient son nom (c'était un Clément) :
"Qui qu'tinré l'pot d'chambre ?
Ma y'ost l'père Clément, ma y'ost l'père Clément !" (Qui tiendra le pot de chambre ? Mais c'est le père Clément).

Alors le vieux dans sa maison, il se foutait en colère, ça fait qu'il ramassait sa part. C'était un vrai "chalibari" quoi, c'était tout les pattes en l'air. Et tous les chiens qu'ils attrapaient, ils leur attachaient encore des casseroles à la queue. Ça c'était un remue-ménage ! J'ai entendu dire à mon père, mon père avait quinze... dix-huit ans, eh bien c'était en... 1895 ou... 1900, enfin... il disait que ça a fait un tel bruit à Nanteuil, il y a des coups que les gendarmes et le maire ont été obligés d'intervenir.

Le maire était obligé de prendre un arrêté et ça suffisait pas, les gendarmes étaient obligés de venir le samedi et de verbaliser pour les empêcher de continuer. Quand ça débranlait à Nanteuil, ils croyaient que c'était un tremblement de terre. Les ch'tits, tout le monde, les chiens jappaient, il y avait les gosses, les vieux, tout remontait vers la maison. Ils y allaient bien trois quatre fois par nuit. Et donner des coups de fouet, et tout ce que tu peux imaginer, et toujours des ch'tits tours de faits.

Ceux d'Igornay venaient faire le jacques par ici, ils venaient à pied par la route, par la montagne de Champsigny, tout droit, tu vois là. Ah ils marchaient en ce temps-là. J'en ai entendu un, moi, quand j'étais gosse. C'était à Dracy, c'était le père G., les G. qui taient boulangers. Eh bien quand c'était le vent d'ouest, on les entendait jusque chez nous. Ça a duré un mois. Ah mais à Dracy c'était des peuts (vilains) aussi, et il y avait du monde, hein.

 


 

– Qu’est-ce que c’est, maman ?
– Un morceau de brontosaure.
(Bruce Chatwin)

 


 

es toucheurs - rapporté en février 1988

 

Et dans le temps, il y avait les toucheurs. Ah, ils marchaient bien ces gars-là ! Quand les marchands achetaient des bêtes au printemps, ils embauchaient un toucheur, un gars à qui ils disaient :
- Voilà quarante bêtes sur la route, il faut les mener à tel ou tel endroit.
Il y en a qui ne faisaient que ça.

 

 

Une fois, quand on était encore à Auxy, mon grand-père devait livrer quatre cinq bêtes au D., le marchand de bêtes. Le D. dit :
- J'ai fait venir un gars de La Drée, j'ai embauché un toucheur, tu vas lui aider à sortir des chemins, tu vas les mettre sur la route de Saint-Emiland, et lui, il va bien les emmener.

Un toucheur.
Un gars qui avait des bottes, une allure de nomade, des cheveux jusque-là, un bâton avec une courroie dans la main, et des jambes si grandes que ça, nom de dieu !

Ma foi, en arrivant à Auxy, on le retrouve avec ses bêtes, il avait déjà vingt ou trente bêtes sur la route, des jeunesses, au printemps, qu'il devait emmener sur la route jusqu'au Pont d'Argent. Le gars nous dit :
- Le jeune homme qui est là va marcher devant, moi je reste derrière.

On les a mis sur la grande route. Une fois que les bêtes ont été un peu plus loin, un peu en bas de Saint-Emiland, arrivés au Pont d'Argent, on en retrouve un pareil que lui qui avait encore sept huit bêtes. C'est là qu'il m'a dit :
- Oh maintenant, tu peux t'en aller !

Je me suis dit, quarante bêtes sur le dos ! Ils sont passés un devant et un derrière, et ils ne les perdaient pas de vue, tu sais, autant des chiens. Je te garantis, quand les bêtes se sauvaient, ils couraient aussi vite qu'elles, ils avaient une paire de bottines, ils couraient aussi vite qu'elles. Ah mon ami de dieu ! Et ils avaient l'oeil, tu sais. Sitôt qu'une bête quittait les autres, c'était pire qu'un chien. Ils les menaient jusqu'à Maison Rouge vers un autre gars qui les emmenait peut-être dans un autre coin. Et ils revenaient, ils allaient mener d'autres bêtes ailleurs. Ces gars-là, c'était des nomades.

Il y en avait un qui faisait encore le toucheur, je l'ai vu passer quelquefois chez nous quand j'étais petit. Ils l'appelaient... j'ai oublié. Il habitait à la Maison des Biques, là en haut d'Autun. Il passait avec sa femme qui avait des grands cheveux sur le cou. Je ne l'ai pas vu passer bien des fois, mais ils m'en ont assez parlé ! Ils avaient un chien, un petit chien "Barbouille", tout frisé. C'était un chien berger, des chiens qui étaient toujours sur la route, attention. Mais ils étaient vieux. Lui ne pouvait plus courir et la vieille ne valait guère mieux. Le vieux se mettait devant et la vieille derrière. Ah, j'ai entendu raconter ça combien de fois à ma grand-mère ! Comme voilà les jours de foire à Autun, ils rôdaient avec leur bâton et leur chien. Et les marchands de bêtes, quand ils avaient un petit lot, les appelaient pour sortir les bêtes. Quand ça n'était pas trop loin, pas plus de dix quinze kilomètres à faire. Ils le savaient. Ils connaissaient tous les chemins, ils menaient les bêtes, et ils se faisaient bien payer. Ils ne faisaient qu'une saison de deux trois mois au printemps : ils commençaient au 1er mars (foire d'Autun) et finissaient à la Saint-Jean. Ils travaillaient pour les foires et pour les marchands qui achetaient dans les fermes. Bien souvent les marchands les emmenaient avec eux ou les envoyaient chercher les bêtes pour les acheminer.

A ce moment-là, des marchands de vaches, il y en avait autant que tu en voulais. Des gars qui achetaient quatre ou cinq bêtes au printemps pour faire de l'embouche. J'en ai vu à Autun, j'avais quinze ans. Ils les appelaient "La Bande Noire". Il y avait le R., il y avait le C., le L., le P... Ils achetaient en commun, cinq six bêtes par-ci, sept huit bêtes par-là. Alors fallait mener les bêtes d'où elles avaient été achetées. Mais c'était jamais loin, quatre cinq kilomètres. Et bien souvent, ils se les revendaient entre eux. La "Bande Noire", oui. C'était des braconniers, ils n'avaient pas bonne renommée.

Des gars qui faisaient peut-être quinze vingt bêtes d'embouche.
Ils en achetaient cinq six à la foire du 1er mars ; au 15 avril, si elles avaient amendé, ils les menaient vendre sur une autre foire où ils en rachetaient toujours cinq ou six. Toute l'année c'était un va-et-vient, de quelques bêtes à la fois. Ils étaient à Autun, ils étaient à
Saint-Léger... Quand ils tombaient sur un gars dont les bêtes se vendaient plus ou moins bien, s'ils prenaient idée de passer leur temps sur ce gars-là, ils passaient chacun leur tour et ils lui en donnaient de moins en moins. Ça n'en finissait plus.

Les marchands, à cette époque, sur les foires, il y en avait presque autant que de bêtes. Des gars qui venaient acheter de loin. Il en venait du Jura. J'en connaissais un qui venait de Lons-le-Saunier, avec son père. Ils louaient des wagons et ils embarquaient pour Lons-le-Saunier. C'était pour faire de l'embouche.

Ils embarquaient des jeunes taures qui étaient encore légères pour les engraisser dans les herbes du Jura. Tout comme tu voyais des Normands qui achetaient tous les gros châtrons parce qu'en Normandie, l'herbe était tellement bonne qu'une bête bien charpentée, au bout de six mois, c'était déjà presque un boeuf. 

 


 

A quoi sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âne ?

 


 

Source et lien à visiter ! http://www.patrimoine-oral-bourgogne.org/GEIDEFile/10227_txt.pdf?Archive=192484691066&File=10227_txt_pdf

 

 

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