"a grand-mère"
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Le dimanche après-midi
était principalement notre jour de rencontre, le matin
étant réservé à la messe. Nous avons beaucoup reçu de
leçons de vie de cette grand-mère que j'ai
considérée, plus tard, comme la "femme forte de
l'évangile". J'ai l'impression que rien ne la
prenait au dépourvu. Elle aimait nous raconter la vie du
temps passé... Les longues veillées d'hiver
tenaient une place importante. Elle nous parlait de la famille, de
nos ancêtres, de nos liens de parenté avec les uns ou
les autres. Les mariages étaient
préparés avec soin, très longtemps d'avance et
donnaient lieu à des réjouissances durant 48 heures et
suivis huit jours après du relèvement des
bans. Les baptêmes et les communions
prenaient beaucoup d'importance. Nous étions peu curieuses,
trop jeunes pour cela et peu encouragées dans ce sens. Son jardin était un lieu de
visite quasi obligatoire. Tout en montrant et expliquant, elle
arrachait lestement une herbe mauvaise. Nos promenades à travers la
campagne étaient également une leçon de
choses. Nous ramassions la sauge pour faire
la lessive, le serpolet pour les maux de gorge, le sureau pour
l'inflammation (la mammite des vaches), le tilleul aux vertus
sédatives, la menthe aromatique. Là haut, sur ce grenier, dans
une vieiIle armoire, nous découvrions avec une certaine
émotion et curiosité les cahiers d'école de
maman et de ses frères et soeur, tellement bien tenus. Aucune
tache d'encre ne venait les ternir. En l'absence de météo,
grand-mère avait développé son sens de
l'observation. En pleine campagne, loin des routes,
elle nous faisait découvrir ''le timbre", ce bruit de
fond qui, s'il était haut, annonçait le beau temps et,
bas, la pluie. Après une longue promenade,
nous étions quelque peu assoiffées, sirop de citron ou
de grenadine faisaient nos délices et, de ma vie, je n'en ai
bu d'aussi bons... De même, les quatre-heures
(collation de l'après-midi) restent dans ma mémoire :
oeufs frais de ses poules, accompagnés d'une sauce très
goûteuse ; fromage blanc et crème épaisse des
vaches de l'étable ; biscuits de Savoie merveilleusement
réussis, cuits dans le four de la cuisinière
chauffée au bois. Aux nourritures terrestres
succédaient les nourritures d'ordre spirituel ou
intellectuel. Elle nous parlait aussi des
prédictions de Nostradamus qui l'intéressaient
manifestement. D'ailleurs, en cette fin de XXe siècle, ne
fait-on mémoire de cet homme mystérieux et fascinant ?
Ne se pose-t-on pas les mêmes problèmes, avec bien
sûr tous les acquis de la science moderne qui permettent de
juger différemment ? Elle s'intéressait beaucoup
à ce qui se passait dans le monde. Ce qui faisait son délice
était aussi la lecture d'un journal de l'Autunois avec un
éditorial intitulé "Mon grain de sel"
très humoristique, signé par un journaliste de la
région. Etre avec ma grand-mère me
donnait une autre dimension, ce n'était plus l'ordinaire. Tous ces souvenirs évoquant ma
grand-mère me font dire et espérer avec le poète
qu' "au fond des tombeaux les yeux qu'on ferme voient
encore." Extrait
de "Le Chemin de Mémoire"
Ces femmes merveilleuses savaient déjà tant de
choses.
Elles étaient pourtant fort occupées, mais pour leurs
petits-enfants elles savaient se rendre disponibles.
Je n'ai connu que la mère de maman, celle de papa étant
décédée dans ma prime jeunesse.
Elle savait surmonter les épreuves et apprécier les
joies, toujours accompagnées de cette phrase
"c'était écrit", ce qui voulait dire que l'on ne
pouvait inverser le destin, ce que contredirait la
philosophie.
Elle nous parlait des travaux des champs, manuels le plus souvent ou
avec des chevaux, voire des boeufs tirant la charrue, le tombereau et
les quelques outils existant à l'époque. Le repas de
midi était porté sur place aux champs à la
saison des travaux.
Tandis que dans les maisons, l'absence de confort rendait la vie
difficile, le pain se faisait dans la maison qui possédait un
four pour la cuisson.
Le linge se lavait à la main et le blanc bouillait dans une
lessiveuse et se rinçait au lavoir.
Le beurre, la crème étaient fabriqués sur place.
Une écrémeuse existait déjà, alors que le
beurre était descendu dans le puits en l'absence de
réfrigérateur.
Les gens du hameau se recevaient pour jouer aux cartes pendant que la
maîtresse de maison faisait les gaufres sur un gros poêle
chauffé au bois coupé par leurs soins.
Notre joie était grande de découvrir, dans les tiroirs
d'une commode, des photos, de mariages surtout, qui nous faisaient
connaître nos grands-parents ou des cousins
décédés.
Nous scrutions leurs visages et étions étonnés
par leurs toilettes et leurs chapeaux.
A l'autre extrémité de la vie, la mort s'accompagnait
de rites. Le défunt était veillé nuit et jour
jusqu'aux funérailles.
Je regrette maintenant de ne pas lui avoir posé plus de
questions.
Elle aurait fait un bon généalogiste. Les familles
restant dans les alentours le plus souvent, il était facile de
retrouver les uns ou les autres.
Les légumes voisinaient avec les fleurs d'ornement et les
plantes médicinales : la camomille pour les infusions
digestives ; le petit chêne qui, macéré dans du
vin, était censé donner de l'appétit et entrait
alors en concurrence avec la quintonine dont la radio, à
l'époque, vantait les mérites comme stimulant ;
l'arnica aux belles fleurs orangées donnait, après
macération dans l'alcool, une solution très active en
cas de coups ; l'arquebuse fournissait aussi un digestif
apprécié à l'époque.
L'adverbe employé ici, passait souvent dans la conversation et
j'ai entendu maman nous dire qu'avec le grand-père il fallait
ainsi travailler "lestement".
Nous découvrions les arbres, les oiseaux, les plantes.
Entre autres, le mille-pertuis, le bien nommé, qui me laissait
songeuse avec ses multiples orifices dans les feuilles.
Le grenier en était empli, étendues sur des chaises,
une cinquantaine de plantes séchaient.
Elle en connaissait les vertus particulières qu'elle avait
découvert dans un gros livre d'herboristerie.
Elle aurait aimé Henri Vincenot, ma
grand-mère...
Il soufflait certains jours. la '' morvange'', ce vent d'ouest
venant du Morvan et annonçant la pluie, ce qui n'est pas
étonnant, puisque de ce Morvan, il ne vient, d'après le
proverbe, "ni bons vents, ni bonnes gens".
Si bien que les limites du Morvan reculaient toujours et ses
montagnes étaient si basses...
Lorsqu'on nous demandait où il commençait,
c'était toujours après Autun, du côté de
St Léger sous Beuvray ou de Saulieu... Nous étions dans
la vallée de la Drée et de l'Arroux. Aujourd'hui, nous
nous sentons, depuis FR3, davantage Bourguignons, et le Morvan a
trouvé ses lettres de noblesse. Il était temps !
Allions-nous avoir de l'orage ?
En scrutant I'horizon au sud, des nuages rouges-orangés
qu'elle appelait ''les canards de la Saône'' en
étaient le présage pour les 48 heures
suivantes.
Toutes ces remarques étaient intéressantes pour les
travaux des champs et permettaient de prévoir rentrer à
temps les foins ou les moissons.
paysanne
morvandelle
Nous nous régalions comme de jeunes loups
affamés.
Nos visites étaient émaillées par le
récit de la vie des saints où le curé d'Ars
tenait une grande place, de même que Sainte
Thérèse et bien d'autres encore.
Mes grands-parents étaient abonnés à un
quotidien, lyonnais à l'époque.
De ce journal, je garde le souvenir d'articles écrits pendant
la guerre civile espagnole.
J'étais alors frappée de stupeur devant le récit
des cruautés existantes ; j'étais aussi très
jeune.
Aujourd'hui, avec la guerre du Kosovo et tant d'autres qui l'ont
précédées, le genre humain a t-il changé
?
Le monde qu'elle présentait me paraissait un peu
magique.