"a grand-mère"

 

 

 

"Heureux qui a connu sa grand-mère.
Ces femmes merveilleuses savaient déjà tant de choses.
Elles étaient pourtant fort occupées, mais pour leurs petits-enfants elles savaient se rendre disponibles.
Je n'ai connu que la mère de maman, celle de papa étant décédée dans ma prime jeunesse.

Le dimanche après-midi était principalement notre jour de rencontre, le matin étant réservé à la messe.

Nous avons beaucoup reçu de leçons de vie de cette grand-mère que j'ai considérée, plus tard, comme la "femme forte de l'évangile".

J'ai l'impression que rien ne la prenait au dépourvu.
Elle savait surmonter les épreuves et apprécier les joies, toujours accompagnées de cette phrase "c'était écrit", ce qui voulait dire que l'on ne pouvait inverser le destin, ce que contredirait la philosophie.

Elle aimait nous raconter la vie du temps passé...
Elle nous parlait des travaux des champs, manuels le plus souvent ou avec des chevaux, voire des boeufs tirant la charrue, le tombereau et les quelques outils existant à l'époque. Le repas de midi était porté sur place aux champs à la saison des travaux.
Tandis que dans les maisons, l'absence de confort rendait la vie difficile, le pain se faisait dans la maison qui possédait un four pour la cuisson.
Le linge se lavait à la main et le blanc bouillait dans une lessiveuse et se rinçait au lavoir.
Le beurre, la crème étaient fabriqués sur place. Une écrémeuse existait déjà, alors que le beurre était descendu dans le puits en l'absence de réfrigérateur.

Les longues veillées d'hiver tenaient une place importante.
Les gens du hameau se recevaient pour jouer aux cartes pendant que la maîtresse de maison faisait les gaufres sur un gros poêle chauffé au bois coupé par leurs soins.

Elle nous parlait de la famille, de nos ancêtres, de nos liens de parenté avec les uns ou les autres.
Notre joie était grande de découvrir, dans les tiroirs d'une commode, des photos, de mariages surtout, qui nous faisaient connaître nos grands-parents ou des cousins décédés.
Nous scrutions leurs visages et étions étonnés par leurs toilettes et leurs chapeaux.

Les mariages étaient préparés avec soin, très longtemps d'avance et donnaient lieu à des réjouissances durant 48 heures et suivis huit jours après du relèvement des bans.

Les baptêmes et les communions prenaient beaucoup d'importance.
A l'autre extrémité de la vie, la mort s'accompagnait de rites. Le défunt était veillé nuit et jour jusqu'aux funérailles.

Nous étions peu curieuses, trop jeunes pour cela et peu encouragées dans ce sens.
Je regrette maintenant de ne pas lui avoir posé plus de questions.
Elle aurait fait un bon généalogiste. Les familles restant dans les alentours le plus souvent, il était facile de retrouver les uns ou les autres.

Son jardin était un lieu de visite quasi obligatoire.
Les légumes voisinaient avec les fleurs d'ornement et les plantes médicinales : la camomille pour les infusions digestives ; le petit chêne qui, macéré dans du vin, était censé donner de l'appétit et entrait alors en concurrence avec la quintonine dont la radio, à l'époque, vantait les mérites comme stimulant ; l'arnica aux belles fleurs orangées donnait, après macération dans l'alcool, une solution très active en cas de coups ; l'arquebuse fournissait aussi un digestif apprécié à l'époque.

Tout en montrant et expliquant, elle arrachait lestement une herbe mauvaise.
L'adverbe employé ici, passait souvent dans la conversation et j'ai entendu maman nous dire qu'avec le grand-père il fallait ainsi travailler "lestement".

Nos promenades à travers la campagne étaient également une leçon de choses.
Nous découvrions les arbres, les oiseaux, les plantes.
Entre autres, le mille-pertuis, le bien nommé, qui me laissait songeuse avec ses multiples orifices dans les feuilles.

Nous ramassions la sauge pour faire la lessive, le serpolet pour les maux de gorge, le sureau pour l'inflammation (la mammite des vaches), le tilleul aux vertus sédatives, la menthe aromatique.
Le grenier en était empli, étendues sur des chaises, une cinquantaine de plantes séchaient.
Elle en connaissait les vertus particulières qu'elle avait découvert dans un gros livre d'herboristerie.
Elle aurait aimé Henri Vincenot, ma grand-mère...

Là haut, sur ce grenier, dans une vieiIle armoire, nous découvrions avec une certaine émotion et curiosité les cahiers d'école de maman et de ses frères et soeur, tellement bien tenus. Aucune tache d'encre ne venait les ternir.

En l'absence de météo, grand-mère avait développé son sens de l'observation.
Il soufflait certains jours. la '' morvange'', ce vent d'ouest venant du Morvan et annonçant la pluie, ce qui n'est pas étonnant, puisque de ce Morvan, il ne vient, d'après le proverbe, "ni bons vents, ni bonnes gens".
Si bien que les limites du Morvan reculaient toujours et ses montagnes étaient si basses...
Lorsqu'on nous demandait où il commençait, c'était toujours après Autun, du côté de St Léger sous Beuvray ou de Saulieu... Nous étions dans la vallée de la Drée et de l'Arroux. Aujourd'hui, nous nous sentons, depuis FR3, davantage Bourguignons, et le Morvan a trouvé ses lettres de noblesse. Il était temps !
Allions-nous avoir de l'orage ?
En scrutant I'horizon au sud, des nuages rouges-orangés qu'elle appelait ''les canards de la Saône'' en étaient le présage pour les 48 heures suivantes.

En pleine campagne, loin des routes, elle nous faisait découvrir ''le timbre", ce bruit de fond qui, s'il était haut, annonçait le beau temps et, bas, la pluie.
Toutes ces remarques étaient intéressantes pour les travaux des champs et permettaient de prévoir rentrer à temps les foins ou les moissons.

Après une longue promenade, nous étions quelque peu assoiffées, sirop de citron ou de grenadine faisaient nos délices et, de ma vie, je n'en ai bu d'aussi bons...

 

paysanne morvandelle

 

De même, les quatre-heures (collation de l'après-midi) restent dans ma mémoire : oeufs frais de ses poules, accompagnés d'une sauce très goûteuse ; fromage blanc et crème épaisse des vaches de l'étable ; biscuits de Savoie merveilleusement réussis, cuits dans le four de la cuisinière chauffée au bois.
Nous nous régalions comme de jeunes loups affamés.

Aux nourritures terrestres succédaient les nourritures d'ordre spirituel ou intellectuel.
Nos visites étaient émaillées par le récit de la vie des saints où le curé d'Ars tenait une grande place, de même que Sainte Thérèse et bien d'autres encore.

Elle nous parlait aussi des prédictions de Nostradamus qui l'intéressaient manifestement. D'ailleurs, en cette fin de XXe siècle, ne fait-on mémoire de cet homme mystérieux et fascinant ? Ne se pose-t-on pas les mêmes problèmes, avec bien sûr tous les acquis de la science moderne qui permettent de juger différemment ?

Elle s'intéressait beaucoup à ce qui se passait dans le monde.
Mes grands-parents étaient abonnés à un quotidien, lyonnais à l'époque.
De ce journal, je garde le souvenir d'articles écrits pendant la guerre civile espagnole.
J'étais alors frappée de stupeur devant le récit des cruautés existantes ; j'étais aussi très jeune.
Aujourd'hui, avec la guerre du Kosovo et tant d'autres qui l'ont précédées, le genre humain a t-il changé ?

Ce qui faisait son délice était aussi la lecture d'un journal de l'Autunois avec un éditorial intitulé "Mon grain de sel" très humoristique, signé par un journaliste de la région.

Etre avec ma grand-mère me donnait une autre dimension, ce n'était plus l'ordinaire.
Le monde qu'elle présentait me paraissait un peu magique.

Tous ces souvenirs évoquant ma grand-mère me font dire et espérer avec le poète qu' "au fond des tombeaux les yeux qu'on ferme voient encore." 

Extrait de "Le Chemin de Mémoire"