Ce
conte nous emmène aux environs de 1750, un siècle avant
la prise dhabits des religieux Bénédictins du
Monastère de la Pierre-qui-Vire, fondé par le
Révérend Père Muard, à mi-distance de
Saint Léger en Morvan (qui deviendra Saint Léger Vauban
en 1867) et de Quarré les Tombes.
A cette
époque, dans ce coin désert et farouche se dressait un
ancien autel druidique, constitué dénormes
pierres superposées.
En retrait du
village de Saint Léger habitait une femme dont lavarice
opiniâtre était connue de tous. Née pauvre, la
vie de "la Vilaine", car on la surnommait ainsi, avait basculé
le jour où, par une habile tromperie, elle avait
épousé un homme riche. Les mauvaises langues
colportaient que "la Vilaine" avait encore aidé le sort
lorsque, au printemps, son mari était mort en lui laissant
toute sa fortune. Ce brusque changement de condition avait encore
avivé son désir immodéré dargent.
Devenue riche, elle méprisait les pauvres, se montrant
incapable dun geste de bonté.
Restée
veuve, vivant avec son fils Pierre, un gentil garçon
dune douzaine dannées, elle inspirait
néanmoins ce respect que confère largent dans nos
campagnes. Ses journées se passaient en rêveries et elle
se complaisait dans des chimères où son fils
était voué aux plus brillantes destinées, dans
des villes quelle lui dépeignait comme merveilleuses. Le
petit Pierre, lui, ne comprenait pas vraiment les beaux discours de
sa mère, plus occupé à penser à ses
jeux.
En classant
quelques papiers après la disparition de son mari, comme on le
fait naturellement au décès dun proche, elle
avait fait la découverte dun parchemin qui indiquait
clairement la présence dun trésor, à une
lieue à peine de sa maison. Le document, à qui "la
Vilaine" avait immédiatement attribué une
authenticité certaine, faisait état dun
trésor fabuleux, à lendroit précis ou de
grosses pierres étaient superposées. Lune
delles basculait tous les ans pendant la première nuit
de novembre, libérant ainsi un passage qui permettait
laccès à une salle souterraine remplie dor
et de pierres précieuses.
Mais le parchemin
indiquait également lexistence dun gardien du
trésor ; il sagissait, daprès la
description, dun monstre mi-serpent, mi-dragon : la "Vouivre".
Son corps était couvert dépaisses écailles
qui la rendait invulnérable, et son énorme gueule,
dun rouge vif, crachait le feu. Le monstre se
déplaçait en rampant ou en volant avec une
rapidité surprenante et un bruit caractéristique
dû à ses écailles. Le document précisait
que la "Vouivre", animal diabolique veillait jalousement sur son
trésor, et quaucun de ceux qui sétaient
risqués à lintérieur de son antre
nétaient réapparus. Elle sortait de son repaire
une fois par an, pendant la première nuit de novembre
(début de la période où les nuits se
rafraîchissent), certainement pour apaiser le feu
intérieur qui la dévorait. La légende faisait
aussi allusion, pour expliquer cette date, à une ancienne
fête gauloise, le Samain, fête ou les Dieux assuraient la
liaison entre les Vivants et les Morts. La Vouivre, incarnation du
mal, était-elle dérangée par la présence
de quelque esprit ?
© Meilin
Wong
"La Vilaine" qui,
après avoir lu et relu le parchemin, avait dabord
frissonné à chaque évocation du monstre, faisait
maintenant appel à sa raison ; comment une telle "chose"
pouvait elle exister ? Ne sagissait-il pas plutôt
dune légende rapportée ici pour faire peur aux
plus téméraires ? Plus le temps passait, et plus elle
se disait que cette "Vouivre" ne pouvait pas exister, concentrant
toute son attention sur la description qui était faite du
fabuleux trésor.
De sorte que, tout
naturellement, lorsque la fin octobre approcha, la femme avait pris
sa décision : la prochaine nuit de Toussaint, elle irait
à la découverte du trésor tant
convoité.
Bien sûr, il
nétait pas question de laisser le petit Pierre seul.
Aussi, dès que la nuit fut tombée, "la Vilaine",
accompagnée de son fils, prenait la direction opposée
au village, empruntant le chemin qui mène aux vestiges de
lautel druidique. La nuit était claire et froide,
confortant encore la femme dans sa décision.
Le trajet
jusquà lendroit supposé du trésor ne
comportait pas de difficultés, hors la luminosité
réduite de cette nuit étoilée. "La Vilaine"
marchait prestement, tirant son fils par la main, tant sa hâte
et son excitation étaient intenses. Les grosses pierres
superposées apparaissaient déjà,
éclairées par la lune : la vision nocturne de
lendroit saisit la femme, qui pour la première fois
douta de son entreprise. Quelque chose de surnaturel émanait
de ces lieux : était-ce les vestiges de cet autel qui
témoignait des croyances remontant à la nuit des temps,
ou simplement la présence de la "Vouivre" ?
Lendroit
était pourtant désert, pas la moindre trace dun
monstre. La femme et lenfant firent donc le tour de
lédifice. "La Vilaine" était au comble de
lexcitation ; son cur cessa de battre lorsquelle
constata quen pivotant, lune des pierres avait
libéré un passage. La légende du parchemin
savérait exacte !
La femme cacha son
fils dans une niche formée par deux énormes rochers,
à une vingtaine de mètres de là, et, ravivant la
flamme de sa lampe à pétrole, elle se présenta
à lentrée du souterrain : un court raidillon
débouchait dans une caverne. La femme se figea devant un
spectacle inattendu : là, éparpillées à
ses pieds se trouvait une multitude de pièces dor.
Etalant son manteau par terre, "la Vilaine" commença à
y entasser lor, raclant le sol de ses mains avec
avidité. Toute à son travail, elle se félicitait
de sa hardiesse. Comme elle avait bien fait de ne pas croire à
cette histoire de monstre ! Le trésor était là,
à ses pieds, et elle navait quà se baisser
pour faire une véritable moisson de pièces dor.
Ses rêves les plus merveilleux lui revenaient en mémoire
: une existence bourgeoise pour elle et son fils, dans des maisons
luxueuses et des villes illuminées
Cest
à ce moment quun vrombissement la tira de sa
rêverie ; le bruit, que la femme ne parvenait pas à
identifier, semblait samplifier et se rapprocher.
Effrayée, elle rassembla les quatre coins de son manteau,
formant ainsi un baluchon contenant son trésor, prit sa lampe
et se précipita vers le passage par lequel elle était
entrée. La lune était masquée par un nuage et
"la Vilaine", scrutant lobscurité, ne put distinguer des
alentours que les quelques mètres éclairés par
le halo de sa lampe. Pressentant un danger, elle décida de
retrouver son fils dans sa cachette et entreprit donc de contourner
lédifice. Le bruit, qui devenait oppressant et lui
semblait maintenant provenir des entrailles de la terre, cessa
brusquement en même temps que retentissait un vacarme
assourdissant. La femme comprit à ce moment que la pierre
venait à nouveau de pivoter et que le passage
sétait refermé. Elle courut jusquà
la cachette où elle pensait retrouver son fils, mais celle-ci
était vide. Appelant son enfant, elle chercha à la
lueur de sa lampe un autre rocher : tout sétait
passé si vite ! Elle aurait pu confondre. Non, elle en
était maintenant certaine, cétait bien là
quelle lavait caché ; elle lui avait pourtant
recommandé de lattendre et de ne pas
bouger...
Il aura eu peur de
"ce bruit", pensa-t-elle, et sera rentré seul à la
maison. Se raccrochant à cette idée, essayant de se
rassurer, elle commença le chemin du retour. Son manteau en
forme de baluchon lui pesait lourdement et elle prit peu à peu
conscience du froid glacial qui régnait. Aussi sa progression
ne fut-elle pas aussi rapide quelle laurait
souhaité. Arrivée chez elle, son premier mouvement fut
de se ruer dans la chambre de son fils, quelle trouva vide.
Hélas, après avoir fouillé la maison et
appelé plusieurs fois, elle dut se rendre à
lévidence : son enfant avait bel et bien
disparu.
Folle
dinquiétude, elle résolut dattendre le jour
pour retourner à lendroit de la découverte du
trésor et retrouver la trace de son fils. Pour tromper son
angoisse, elle décida de mettre son or en
sécurité. Elle avait posé son baluchon à
terre en rentrant et elle le retrouva près de la porte. Il lui
sembla quelle allait défaillir quand elle constata que
les pièces dor sétait transformé en
pierres et elle pressentit aussitôt quelque
diablerie.
La suite des
évènements ne fit que confirmer ses doutes car,
malgré ses recherches et ses appels, une semaine plus tard
lenfant demeurait introuvable. Chaque jour, pendant un mois,
elle retourna à lendroit où son fils lui avait
été enlevé et implora le ciel de lui rendre son
enfant. Puis, terrassée de douleur et réalisant alors
avec peine ce qui lui arrivait, elle resta cloîtrée chez
elle et, pendant de longues semaines, on ne la vit pas au
village.
Enfin, un jour,
elle se résolut à rendre visite à une vieille
femme quon disait un peu sorcière. Celle ci
laccueillit froidement en lui disant connaître le motif
de sa visite. "Tu as été punie, lui dit-elle. La
Vouivre ta pris ton enfant. Il te sera rendu dans un an, jour
pour jour, à lendroit même où il a disparu,
mais il te faudra devenir différente, si tu veux le
revoir".
Le message
était clair et la femme prit peu à peu conscience de
laveuglement auquel sa cupidité lavait conduit.
Petit à petit, on la vit de nouveau au village venir aider les
plus démunis et soutenir ceux que le malheur avait durement
éprouvés. Mieux, elle nhésita pas à
faire preuve de générosité et son visage perdit
bientôt lair hautain et méprisant quon lui
connaissait auparavant.
Aussi, un an plus
tard, lorsque la nuit fut tombée, la femme était-elle
au rendez-vous, le cur serré de contrition.
Arrivée face à lautel druidique, elle appela le
prénom de son fils, espérant au plus profond
delle-même que le miracle allait se produire. Elle
constata que cette fois encore le passage était
dégagé, permettant laccès au
trésor, et elle ne put retenir un cri lorsque son enfant
apparut à lentrée de la caverne. Elle le prit
dans ses bras, réalisant à cet instant quelle
tenait là son véritable trésor.
Le petit Pierre,
lui, ne semblait pas avoir été affecté par cette
séparation et il parla à sa mère comme sil
venait juste de la quitter. Il semblait néanmoins avoir
légèrement grandi.
La femme et son
fils reprirent une existence paisible, allant tout deux au devant des
plus nécessiteux pour les aider
et "la Vilaine" perdit
peu à peu ce surnom qui désormais lui convenait si
mal.
Claude
Richard
Ce conte
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