Saint Léger Vauban  

 

 

Quand ta belle Morvandelle me dit "Viens", je ne savais pas qu'aux amours espérées se joindrait celui que je te porte.

En ces Ides de Mars 1981 m'émerveillaient ce Morvan inconnu, contrée d'eaux vives, de bois, de prés, de roches, et toi, mon village d'adoption.

Après avoir gagné La Chaume, cheminé en bordure des prairies, aperçu le miroitement de l'étang du Roi, la gorge nouée de bonheur, notre première halte fut le banc de granit.
Adossé aux murs, à la fois rude et réconfortant, je sentais que la maison s'apprêtait à me livrer au moins une partie de ses secrets.

Il en serait de même avec Toi, d'Ides de Mars en Ides de Mars. Ayant dépassé les vingtièmes, mon amour pour Toi embellit encore.

Il affleure partout ; des trois blocs de granit émergeant entre l'église et la mairie au pied de l'arbre de la LIBERTÉ, au hameau abandonné des Baraques.
Comment dévoiler nos amours, les décrire, alors que les vraies, les belles amours secrètes, on les soupçonne, on les imagine ; les amoureux de la vie en rêvent.
Eh bien, par mes chemins, rêverez-vous ?

J'aurais pu ne pas cheminer du tout, me calfeutrer dans la maison de granit, maison familiale bâtie par les anciens. Même les greniers m'attiraient. J'entassais mon désordre, je découvrais des merveilles.

 

 

Coeur du village, point de passage obligé, tout a commencé par le café-tabac d'Anne-Marie, Annie, la bienveillante mémoire du village.
Là j'ai déniché Golden, mon multiraces, mon vrai corniaud morvandiau, chien de bistrot laissé pour compte. Il me choisit en me regardant longuement, patiemment. Je n'ai pas résisté. Empoignant cette peluche aux yeux ronds, je ne savais pas qu'elle me guiderait à ta découverte.

Nous allions à sa fantaisie de bois en prés, de chemins creux aux murs moussus reliant les hameaux. Nous entrouvions ton écrin de verdure.
En ma démarche, il y avait la réserve et le respect du petit paysan que je reste. Je n'allais entrer chez Toi comme l'on entre en ville !
Dans l'ambiance paisible faisant ton charme résident une qualité de vie porteuse de bonheur et un calme apparent où tu as glissé un brin de malice matoise.

En déchiffrant tes énigmes, je me suis pris à t'aimer...
A commencer par ton nom à charnières.
Avec le Foucheret de la nuit des temps et la nouvelle appellation impériale de 1867 figure LÉGER, LEODEGARIUS, ton saint patron, l'aveugle donnant la lumière, celui dont on creva les yeux et coupa les lèvres, qui retrouva, miracle, meilleur usage de la parole.
Alors dis-moi pourquoi, chez Toi, on fête la Saint Rémi ?

Là, j'ai compris que mon coup de coeur, mon coup de foudre, ne suffiraient pas pour t'approcher.
Deux pistes s'offraient : écouter en faisant la part des choses, puis étudier, lire, réfléchir.

 

 

Ton histoire contée par les anciens dans leur style rude et rigolard, quelle merveille !
Rassurés quand ils surent que j'étais parti à la dure à dix-sept ans, ils me considérèrent comme des leurs. Leur parler morvandiau m'échappant, interrompant leurs conciliabules, ils me les traduisaient.
Avec eux, j'ai vécu le bonheur du partage et des confidences. Evoquant les bons pays, toujours en Morvan, ils disaient comment la vie devenait cruelle en s'aventurant vers les riches plaines. Beaucoup d'entre eux avaient été placés, jeunes enfants de l'Assistance. Ce qu'ils avaient reçu et donné, ils savaient en parler.

Dans cette contrée de granit, donc de prairie et de forêt, du temps où l'élevage n'était pas aux normes européennes, on aimait les bêtes. Jadis, j'avais connu cela avec les muletiers de la Haute-Lande. Ici, lorsque la vache faisait veau, on la réconfortait d'un vin chaud !
La forêt était leur domaine. Ils la respectaient et en tiraient rudement le bois des affouages.
Ils ne savaient pas qu'ils étaient les chantres de ta gloire. Ne disant jamais qu'ils t'aimaient, ils rayonnaient de l'amour qu'ils te portaient.

Soudain, ils devenaient taciturnes, muets. C'était après avoir évoqué des moments graves de ton histoire. Le ton changeait, baissait jusqu'au silence pesant ponctué d'un soupir.

Chez Toi, il faut avoir entendu l'appel aux morts du 11 novembre pour savoir que tes morts ne sont pas morts ; on leur parle encore.
Ce jour-là, les enfants des écoles suivent le porte-drapeau et fleurissent les 29 tombes de ceux qui ont pu être ramenés au village.

 

 

Autres évocations graves : 39-45 et l'occupation. La municipalité et l'abbaye furent un réconfort pour la population qui partagea les mêmes épreuves, les mêmes peines. Elles culminèrent en Février 1944 et Janvier 1945 marqué par la mort en déportation de René Rimbert.
L'un de tes enfants, Armand Simonnot, THÉO, chef du Maquis Vauban, fut un personnage de légende. Un espace sportif, symbole de LIBERTÉ, le combat de toute sa vie, fut inauguré le 18 juin 2002.

[le parcours d'Armand Simonnot ici]

Autre nom que l'on retrouve ici, VAUBAN. Si tu ne minimises pas sa gloire, là aussi tu as été à la traîne pour lui rendre hommage en Septembre 1905 avec l'inauguration de la statue d'Anatole Guillot. Avallon en 1873, Bazoches en 1900, te devancèrent.
Pourtant, Sébastien Le Prestre, baptisé en ton église le 16 mai 1633, vécut à Saint Léger de Foucheret jusqu'à ses 17 ans et n'oublia jamais cette période de sa vie partagée avec ses amis d'enfance, petits paysans comme lui.

Pour Vauban, j'ai sérieusement complété mes méconnaissances d'ignorantin grâce aux travaux des "Amis de la Maison Vauban", allant même jusqu'à découvrir un personnage à l'échelle humaine, amoureux de la vie et d'une belle Angélique de dix-huit ans alors qu'il atteignait la soixantaine...
Ce qui n'enlève rien aux forteresses de mots, aux forteresses de pierre.

 

 

Continuant d'aller à ta découverte d'énigme en énigme et de plus en plus passionné, que dévoiler maintenant ?

L'église du XVIe siècle, l'abbaye bénédictine Sainte Marie de la Pierre Qui Vire, le chêne majestueux, classé parmi les cent arbres remarquables de France, et, pourquoi pas, le hameau abandonné des Baraques. Il me tient tellement à coeur. Pour lui, j'ai écrit une amoureuse ballade.

Dans ta seule église, la céramique du choeur, la plaque de marbre noir aux lettres d'or, me guidèrent vers Marc Hénard et le Père Muard.

Marc Hénard, École des Beaux Arts, peintre, sculpteur, conférencier, émule d'Albert Gleizes. Ta rue principale porte son nom, ce qui est très remarquable, son décès remontant seulement à 1992.
De lui et toujours sur ton territoire, la porterie de l'abbaye.
Il eut le bonheur d'y réunir peinture, sculpture, architecture.
A gauche, l'agneau sur l'épaule du pasteur ; à droite, le loup. Un loup "qui n'avançait guère" comme il le grommelait. Au centre, Saint Benoît. Il bénit de la main gauche. Ses pieds reposent sur un corbeau. Est-ce encore une malice et laquelle ?

 

 

Le chapitre au grand complet, à l'automne 2000, vint chanter vêpres en ton église pour honorer son fondateur, le Père MUARD. En 1850, cheminant avec ses compagnons vers les terres que les sires de Chastellux lui avaient offertes, il créa l'abbaye bénédictine Sainte Marie de la Pierre Qui Vire. Avant les premières modestes constructions, ton église fut leur refuge.
En cent cinquante ans, au fil de l'histoire, que d'événements avant d'accéder à la plénitude actuelle.
Avec leur sagesse, les anciens évoquent encore certaines périodes, en louant tant les mérites du Père Abbé de l'époque que ceux du maire républicain qui lui tint tête de 1920 à 1929.

Les moines, de retour de Belgique pour les plus âgés et les plus jeunes, ou du front où ils avaient servi, pouvaient-ils ou non être inscrits sur les listes électorales ? Vaste débat ponctué de manoeuvres, obstructions, radiations, recours, chacun étant dans son bon droit !

 

 

A lire ces histoires léodégariennes, on pourrait croire le village s'intéressant seulement à son passé.

Encore une apparence trompeuse. Souvenons-nous de cette Saint Rémi païenne. Dans le temps, on travaillait dur, on peinait, mais l'on avait le sens de l'accueil, le plaisir de la fête. Ces farouches individualistes se donnaient la main pour certains travaux et se retrouvaient dans la vie associative.

A l'automne 2002, regardez la photo de groupe de la Saint Rémi renaissante. Au pied de la statue, les enfants sont à l'honneur. Ils prennent la pose au même endroit que les jeunes filles du village, dans leurs plus beaux atours, en 1933, pour les fêtes du tricentenaire de la naissance de Vauban. Quel trait d'union !

 

 

Maintenant l'immigré que je suis, coupé de Breton et de Girondine, né dans le Sud-Ouest, a pris une allure tellement acceptable que l'on ne me remarque plus.

Parfois, je parle et j'écris. C'est admis, on le supporte car je ne me laisse plus aller au plaisir des joutes oratoires de Gascogne.

Et si je parle encore avec mon accent du Sud-Ouest qui étonne, c'est pour chanter tes mérites et ceux du Morvan. Mais je ne me hasarde pas à pratiquer le morvandiau que j'arrive à peine à lire dans le texte.

Avec l'écriture, mon domaine, on ne dérange personne.
Qui se souviendrait à Saint Léger Vauban de mon article de 1995 lorsque l'Office National des Forêts détermina que le chêne, en allant vers Moulin-Colas, était antérieur à la naissance de Vauban ?
Sur l'arbre Liberté de 1989, je n'ai rien écrit.
Cela aurait pu être de colère quand des vandales le cisaillèrent, d'espérance quand il fut replanté à la Sainte Catherine.

 

 

Mes parties de colin-maillard avec ta belle Morvandelle, mes escapades avec mon corniaud au hameau abandonné des Baraques, les voici :

 

A l'automne doré, allant par la forêt,
Sauras-tu retrouver le puits abandonné
La route du chemin, les maisons écroulées
Tous ces blocs de granit entre eux enchevêtrés ?

Les trois châtaigniers roux ne sont pas loin de là
Et la cave entrouverte encore te dira
Si au mur sont gravés nos prénoms enlacés
Du temps où j'écrivais et avec toi riais.

Ne va pas t'attrister des beaux jours de jadis.
Vois comme forêt vit et sans cesse verdit,
Comme la ronce est folle et, comme elle, la vie.

C'est dans cette folie que se mêlaient nos joies.
Allons, ne pleure pas, je reste auprès de toi
Et je chante et je ris par la magie des bois. 


sculpture de Marc Hénard

 

Après cette ballade amoureuse qui me ferait prendre ici pour un "cabolo" ou un "beurdin", le "pec" du pays d'où je viens avant que tu m'adoptes, je ne dirai rien d'autre.
Et cette lettre d'amour, je ne sais pas si je te l'enverrai.
Peut-être, déchirée, rejoindra-t-elle celles que j'écrivais jadis aux belles qui ne surent jamais combien j'avais rêvé d'elles.
Et Toi, pourquoi t'écrire que je t'aime ?
Tu le sais bien.

 

Saint Léger Vauban, le 20 décembre 2002
Camille Lebossé

 

 

coupure de l'Yonne Républicaine - été 2006

  

Les images qui jalonnent cette ode à Saint Léger Vauban et aux Morvandiaux sont tirées du site d'une amoureuse de l'Yonne, native de Cheny http://www.cheny.net/st_leger.html
Vous trouverez, à l'adresse
http://www.cheny.net dont nous vous conseillons la visite, plus de 1200 cartes postales et photos.

 

 

On le sait bien, pourtant, que personne n'est éternel, que ce sont toujours les meilleurs qui s'en vont, qu'on ne dit pas assez aux gens qu'on aime qu'on les aime, et toute cette sorte de choses... Oui mais voilà, la vie passe (glisse ?) et le temps nous rattrape et parfois nous cloue.
L'ami Camille, que je tutoyais éhontément, s'en est allé. Mes pensées sont pour sa famille, pour ses amis, pour sa Fanette, pour son Golden. Ce sont, à ma grande surprise, des pensées assez joyeuses finalement, après le choc reçu. Peut-être parce que Camille l'aurait voulu ainsi. Des pensées qui vont durer aussi longtemps que moi, des pensées de pierre.

Christophe, le 28 septembre 2017 - St Léger sous Cholet

 

 

Vents du Morvan - décembre 2017

 

 

erci de fermer l'agrandissement.

 

 

 

 

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