a consacré sa vie à la formation des jeunes |
À 80 ans,
Fernand Boidevezy entraîne encore lEspérance
Saint-Léger-des-Vignes athlétisme. Avec une
énergie et un humanisme puisés dans une enfance
effarante. Fernand Boidevezy
est un infatigable détecteur de talents La tuyauterie part en
quenouille, une neuropathie le tracasse, mais il est encore au Centre
Fresneau, chaque soir, pour entraîner ses jeunes
élèves de l'Espérance Saint-Léger (ESL)
athlétisme. Qu'est-ce qui fait
encore courir Fernand Boidevezy à 80 ans ? "Le jour
où Boidevezy passe l'arme à gauche, l'ESL
athlétisme est mort", résume le
président-entraîneur d'un club auquel il consacre une
bonne partie de sa vie depuis plus de 40 ans. "Je ne suis plus
parti en vacances depuis 1982 ou 1983. Je ne dépense rien pour
mon plaisir personnel. Tout est pour les
jeunes." Fernand Boidevezy
détecte, forme, entraîne, inlassablement, des enfants et
adolescents de tout le sud de la Nièvre, de Nevers à
Luzy. De tous milieux sociaux. Mais avec un souci tout particulier
pour les défavorisés, les sans-grade, les malheureux,
les mal partis, qu'il a parfois logés, nourris,
dépannés, détournés de la "perdition".
Pas un hasard : "Si je suis devenu celui que je suis, c'est
à cause de toute la misère que j'ai
vécue". Le récit de
son enfance à Charrin, pendant et après la guerre, est
glaçant. Hérissé de malheurs, de douleurs, de
morts. À faire passer Zola pour un auteur de boulevard.
Fernand Boidevezy raconte la faim, le froid, les chagrins, les deuils
d'une voix douce, grave et égale, légèrement
zézayante. Ses yeux, deux saphirs enfoncés dans un
visage brun cuit, luisent un peu plus intensément aux passages
les plus sombres. Le "P'tit Nanand" a
survécu, miracle de résilience : "J'ai tout le temps
eu de la chance". Un incroyable appétit de vivre, surtout.
Il quitte l'école à 14 ans, travaille à la
ferme, dans les bois jusqu'à son départ pour le service
militaire, à 20 ans : "Je me croyais petit, bête et
vilain. Les tests physiques et psychotechniques ont montré que
j'étais très bon". Ses années à la
dure ont fait de lui une force de la nature, malgré son 1,69
m. L'armée révèle le "super éducateur"
qui s'ignorait en lui : "J'étais instructeur en Allemagne,
pour ceux qui partaient en Algérie. J'étais aussi au
contrôle aérien'. Les polydiplômés sous
ses ordres se proposent de lui donner des cours du soir pour
rattraper les années perdues. Je ne
fais pas des athlètes, je fais des hommes
d'aplomb Au retour, il entre
chez Kléber, à Clichy puis à Decize, où
il fera toute sa carrière jusqu'à la retraite, en 1993.
Son intelligence pratique et sa rigueur font de l'autodidacte un
responsable d'atelier, "technicien hautement qualifié" qui en
remontre aux ingénieurs sur la science du caoutchouc.
Jusqu'à concevoir les défenses d'accostage du port du
Havre et monter à Paris pour le grand oral face aux cadres de
la concurrence - son plus grand fait d'armes
professionnel. En athlétisme,
sa "méthode" est la même, empirique et basée sur
le bon sens : "Je ne fais rien comme les autres. Ce n'est ni de
l'intermittent ni du fractionné. C'est du Boidevezy. J'ai fait
des formations mais je n'ai rien appris. Juste ce qu'il ne fallait
pas faire". Sa prédilection va naturellement au demi-fond,
école de la souffrance et de la persévérance,
où ses élèves brillent depuis des
décennies, de Nacer Aatilah et Arnaud Pivry aux cadets actuels
Corentin Péron et Perceval Plet, en passant par
Angélique Périn, Daniel Baumgartner, les frères
Akardjouje ou Coline Dautraix. Les titres, les
records, Fernand Boidevezy ne s'en rengorge pas : "Je ne fais pas
des athlètes, je fais des hommes d'aplomb". Ce qu'il leur
inculque ? "Seul le travail compte. Rien n'est gagné
d'avance. Et l'honnêteté." Ses résultats sont
admirés, controversés [voir notre édition du
22 janvier 2017] mais il s'en moque. La jalousie glisse sur son
cuir épais, mais pas la méchanceté ni le racisme
: "À une époque, j'avais pas mal de Marocains,
d'Algériens, très doués, qui gagnaient beaucoup
de courses. Des entraîneurs m'ont dit : "Tu gagnes tout parce
que t'as que des bougnoules". Pour leur prouver leur
bêtise, il dénichera "un petit blond", Arnaud Pivry,
collégien et footballeur, lors d'un cross à La Machine,
et en fera une terreur des chronos. Avec Maryse, son
double plus que sa moitié depuis plus d'un demi-siècle
(*), il porte à bout de bras et à fonds perdus la
section athlé de l'ESL : "Mon regret, c'est que je vais
décéder sans avoir pu passer mon savoir sur le
caoutchouc et sur l'athlétisme". (*)
Ébranlé par un accident de bûcheronnage qui
faillit lui être fatal, Fernand Boidevezy a officialisé
leur union : ils se sont mariés l'an dernier.
quil entraîne, tous les soirs, au Centre Fresneau
© photo
Sébastien Chabard