"Il a laissé la
France plus petite qu'il ne l'avait trouvée, soit. Mais une
nation ne se définit pas ainsi. Pour la France il devait
exister... Ne marchandons pas la grandeur."
De Gaulle, cité
par André Malraux,
"Les Chênes qu'on abat"
(...) Il navait
pas encore dix ans, lenfant qui entrait, le 15 mai 1779, dans
le parloir de lÉcole Royale Militaire de Brienne,
puisquil était né le 15 août 1769 à
Ajaccio, de Charles Marie Bonaparte et de Letizia
Ramolino.
Il se tenait les
mains dans le dos, très droit, le visage maigre au menton en
galoche, figé, le corps malingre, serré dans un
vêtement bleu foncé, les cheveux châtains
coupés très court, le regard gris.
Il semblait
insensible, indifférent presque, à la grande salle
froide dans laquelle il se trouvait, attendant que le principal de
lécole, le père Lelue, qui appartenait à
l'ordre des Minimes, dont l'école dépendait, le
reçoive.
Lenfant savait
pourtant quil resterait dans cette école plusieurs
années sans pouvoir la quitter même un seul jour, et
quil serait ainsi seul dans ce pays dont il venait seulement
dapprendre les rudiments de la langue. (...)
|
Bonaparte
à Brienne
gravure
de Job
Ph. D.R.
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(
) Le
père Lelue s'efforce de répéter ce nom si
curieux : "Napoleone de Buonaparte, c'est cela ?"
L'enfant se tait. Il sent le regard qui l'examine. Il se sait petit,
avec des épaules larges. Il rentre ses lèvres,
jusqu'à les faire disparaître pour que son visage,
où l'on voit d'abord le grand front et les veux vifs,
n'exprime rien. Mais il sait aussi qu'on s'étonne, ici, dans
ce pays de grisaille, cette France où on l'a laissé, de
son teint olivâtre.
Au collège d'Autun, on s'est moqué de cette peau jaune.
Il n'a pas compris exactement le sens des questions, mais il a
deviné l'ironie, le sarcasme. Avec quoi a-t-il
été nourri, pour être si jaune ? De lait de
chèvre et d'huile ?
Dans ce pays de crème et de beurre, que connaît-on de la
saveur onctueuse de l'olive, des fromages qui sèchent sur la
pierre ? (
)
(...) Le
père Lelue énonce les articles du règlement de
l'école : "ployer le caractère, étouffer
l'orgueil". Durant les six années d'études à
l'école, pas de congé. Il faudra "s'habiller
soi-même, tenir ses effets en ordre et se passer de toute
espèce de service domestique. Jusqu'à douze ans, les
cheveux coupés ras. Au-delà de cet âge, les
laisser croître et les arranger en queue et non en bourse, et
les poudrer seulement les dimanches et fêtes."
Mais l'enfant n'a pas dix ans. Cheveux ras, donc. (
)
Napoléon
à Brienne
photo Archives
Magellan
"Bonaparte
rêvait de mers et de navires. D'autres nobles corses servaient
les bâtiments de Sa Majesté. Pourquoi pas lui ? Il
pourrait revoir le ciel méditerranéen, croiser des
côtes de Provence à la Corse."
(
) La cellule
où il va dormir a moins de 2 mètres carrés. Elle
ne dispose pour tout ameublement que d'un lit de sangle, d'un pot
à eau et d'une cuvette. Le père Lelue, resté sur
le seuil, explique que, selon le règlement, "même
dans la saison la plus rigoureuse, l'élève n'aura droit
qu'à une seule couverture, à moins qu'il ne soit de
constitution délicate."
Napoléon affronte le regard du principal.
Le père Lelue montre la sonnette placée à
côté du lit. Les cellules sont en effet fermées
au verrou de l'extérieur. En cas de besoin,
l'élève doit appeler un domestique qui veille dans le
corridor.
L'enfant écoute, refoule cette envie de hurler, de
s'enfuir.
Chez lui, dans sa maison, on l'appelait Rabulione, celui qui
touche à tout, qui se mêle de tout.
Ici, le règlement et la discipline l'enchaînent.
L'élève doit quitter sa cellule dès qu'il est
levé et ne rentrer que pour dormir. Il passe sa journée
en salle d'étude ou à façonner son corps. Il
faut que "les élèves cultivent les jeux et surtout
ceux qui sont propres à augmenter la force et
l'agilité". (
)
(...) "Les écoliers
changent de linge deux fois par semaine", ajoute ie principal.
Lentant le suit à nouveau dans le corridor. Il entre
après lui dans le réfectoire. Cest là que
la centaine délèves quaccueille
lécole va se réunir par grandes tables, sous des
voûtées austères, en présence des
maîtres. Pain, eau et fruits à déjeuner et
à goûter. Viande aux deux repas.
Lenfant s'assied au milieu des autres. On le regarde. On
chuchote. Doù vient-il ? Quel nom ? Napoleone ?
Quelquun sesclaffe, rit. "Paille-au-Nez !"
Voilà ce quils ont entendu.
Je les hais. (...)
Napoléon
à Brienne, ordonnateur d'un jeu
photo Archives
Magellan
"Il est devenu aigre,
puissant. Il ordonne plutôt qu'il se plie.
Il juge, il condamne."
(...) Il est
létranger.
Ses maîtres de géographie ne disent-ils pas,
malgré la conquête française, que la Corse est
une dépendance de lItalie, un pays étranger donc
?
Napoléon laccepte, le revendique. Il méprise et
sisole. Il se bat quand on réussit à percer son
armure, à le surprendre.
On lui tend des pièges. On pousse vers lui un nouvel
élève arrivé à lécole en
juin 1782. On a incité ce Balathier de Bragelonne, fils du
commandant de Bastia, à se présenter à Napoleone
"Paille-au-Nez" comme génois. Napoléon
linterpelle aussitôt en italien : "Sei di questa
maledetta nazione ?", "Es-tu de cette nation maudite ?"
Lautre fait oui. Aussitôt Napoléon se
précipite, saisit Balathier aux cheveux, et il faut
séparer les combattants.
Napoléon séloigne, patriote corse de douze ans.
(...)
(...) Etranger ? Peut-être.
Soumis, jamais.
Il confie à Bourrienne, l'un des rares élèves
avec lesquels il parle : "J'espère rendre un jour la Corse
à la liberté ! Que sait-on ? Le destin d'un empire
tient souvent à un homme." (...)
Pour lire la
suite...
"NAPOLEON Le Chant du Départ", Tome 1, de Max Gallo
Editions Magellan
statue
de l'élève Bonaparte
au-dessus du portail d'entrée
de l'Ancienne Ecole Militaire
de Brienne-le-Château
Oeuvre de Louis Rochet
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statue
de l'élève Bonaparte
sur la place de l'Hôtel de Ville
de Brienne-le-Château
Oeuvre de Louis Rochet
exécutée en 1855
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Napoléon,
écolier de Brienne
"Pour ma pensée, Brienne
est ma patrie.
C'est là que j'ai ressenti mes premières impressions de
l'homme."
(Napoléon)
Napoléon 1e
à l'Ecole Militaire de Brienne (1779-1784)
Musée Napoléonien Camille George - Brienne
Brienne-le-Château
(Aube)
Enfance de Napoléon 1er - d'après Horace
Vernet
Napoléon
nouveau à l'Ecole de Brienne
"Fier, hautain, taciturne, il s'isolait volontiers de ses
camarades
à son entrée à l'Ecole" (1779) - d'après
le tableau de Réalier Dumas
Napoléon
visite les environs du château de Brienne (4 août
1804)
musée de Versailles
statue de
l'élève Bonaparte lorsqu'il était
élève
à l'Ecole Militaire de Brienne - Oeuvre de Louis Rochet
(1859)
le chateau de
Brienne
Association de
Sauvegarde du Patrimoine Briennois
http://aspb.pagesperso-orange.fr
Pour en savoir plus
:
Vous y
découvrirez le premier Salon Napoléon qui s'est tenu
à Brienne-le-Château les 19 et 20 mai 2001, ainsi que
d'intéressants liens vers le site de la ville de
Brienne.
Voir aussi :
Napoléon de passage
à St Léger sur Dheune en 1805
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https://www.stleger.info