Il
s'agit d'un article de
paru le 11 avril 2021 et signé Gontran Giraudeau :
in
janvier 1935, une habitante du village d'Inval-Boiron dans la Somme
fit une découverte insolite dans un champ : des lingots d'or !
Un trésor tombé d'un avion se rendant en Angleterre
quelques jours plus tôt.
Une histoire suivie par toute la presse française de
l'époque.
Pendant
quatre jours, les journaux français et britanniques
ont suivi les avancées de l'enquête pour
retrouver les huit lingots d'or, finalement
déterrés d'une pâture près du
village d'Inval-Boiron le 29 janvier 1935.
©
Alliance for Responsible Mining
|
"h
my god !" Ces mots, on imagine John Potbury Kirton les prononcer
ce samedi 26 janvier 1935 sur le tarmac de l'aéroport de
Croydon, dans la banlieue sud de Londres.
La soute de son avion est grande ouverte, le plancher de l'appareil
est défoncé et toute la cargaison a disparu.
Or, Kirton sait qu'il ne transportait pas uniquement les bagages de
ses deux passagers MM. Turtle et Wulstendfeld : il a perdu huit
lingots d'or !
Un
avion DH.84 Dragon de la compagnie Air Navigation &
Trading à l'aéroport de Leeds, le 21 mai 1956.
C'est un avion similaire qui a perdu sa cargaison au-dessus
du Vimeu le 26 janvier 1935.
©
RuthAS (Wikimedia Commons)
|
rès
vite, les policemen de l'Essex, du Kent et de l'East-Sussex lancent
des recherches "entre les côtes de la Manche et
l'aéroport de Croydon", relate un journaliste de
L'Homme libre, daté du 29 janvier.
L'Ouest-Eclair, citant une information de l'Evening
Standard, précise même que les deux caisses de
lingots auraient été retrouvées près de
Greatstone, dans le comté de Kent. Information finalement
démentie par les autorités...
Pendant ce temps pourtant, de
l'autre côté de la Manche, un homme a déjà
fait avancé l'enquête. Il se nomme Joseph Fily, il est
garde-pêche à Saint-Valery-sur-Somme. À 11h45, au
dessus de la baie, il a vu tomber un objet d'un biplan se dirigeant
vers le large. Ni une, ni deux, le Samarien est monté sur son
canot, a traversé le chenal et découvert une valise
"à 300 mètres des bains de la
Ferté".
Rapportée à la
gendarmerie, la malette est enfin ouverte. Le Progrès de la
Somme en révèle son contenu : "un complet
flanelle beige, un pyjama en zéphyr bleu, deux paires de
chaussettes, trois mouchoirs portant les initiales W.H., deux cols,
une paire de pantoufles, un nécessaire complet de
toilettes". Mais toujours pas d'or.
Une violente
tempête au-dessus d'Abbeville
|
e
bagage possède une étiquette de l'hôtel de
Châteaudun à Paris. Un courrier au propriétaire
permet de confirmer le lien avec l'avion du capitaine John Kirton.
Les caisses ne seraient donc pas au fond de la mer ! L'Anglais repart
en France à la hâte. Son récit du vol peut
orienter les recherches.
À bord de son De
Havilland DH 84 Dragon, un avion de conception simple et
légère avec un fuselage en contreplaqué, Kirton
assure l'un de deux services quotidiens de la Hillman's Airways entre
Paris et Londres. Le 26 janvier, il avait décollé
à 10h15 du Bourget avec à son bord 105,5 kg d'or
livrés par une banque de la place de la Madeleine à
Paris, à destination de la banque londonnienne Samuel Montagu.
La valeur des huit lingots était estimée à 1 744
000 anciens francs. Compte tenu de l'érosion monétaire
due à l'inflation, cela équivaut à près
de 1 400 000 euros actuels.
Kirton raconte qu'au bout de
trois quarts d'heures de vol, l'avion s'est retrouvé dans une
violente tempête près d'Abbeville. L'un des passagers,
M. Turtle, a d'ailleurs décrit la scène au
correspondant à Londres du journal Le Jour : "La
rafale soufflait dure et nous étions, mon associé et
moi, secoués depuis le départ. À plusieurs
reprises, je fus projeté de mon siège, quand, soudain,
on eût dit que l'avion glissait sur nous. Horrible sensation,
qui ressemble à celle que l'on éprouve dans un mauvais
ascenceur. Un fracas du diable se produisit et un violent courant
d'air m'arriva de l'arrière, où se trouve le
compartiment des bagages."
M. Turtle avait même vu
la cargaison s'envoler et avait voulu alerter le pilote. Mais ce
dernier, affairé à maintenir l'appareil dans la
bourrasque, lui avait demandé de se rasseoir, croyant à
une panique du passager.
paysage
à
St
Léger sur Bresle
|
Les recherches se
précisent dans le Vimeu
|
n
parvient à limiter la zone de recherches à un triangle
"dont le plus long côté ne dépasserait pas 5
kilomètres et dont les trois angles seraient marqués
par les villages de Saint-Léger-le-Pauvre [ndlr :
aujourd'hui Saint-Léger-sur-Bresle],
Sénarpont et Mesnil-Eudin dans la Somme", selon les
indications du pilote de la Hillman's Airways. Et c'est bien
là, le mardi 29 janvier 1935, trois jours après le vol,
que la quête de l'or va trouver son dénouement.
Précisément, à Inval-Boiron.
en bleu les 3
pointes du triangle supposé :
Saint-Léger-le-Pauvre, Sénarpont et
Mesnil-Eudin - en rouge : Inval-Boiron
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Cet
après-midi-là, il fait froid dans la vallée de
la Bresle. Marguerite Dion, une pailleuse de chaises
âgée de 30 ans, se rend malgré tout ramasser du
bois dans une propriété en bordure de la forêt
d'Arguel. Bien obligée. Paul, son mari est au chômage et
elle a quatre enfants à nourrir. Soudain, son regard se fixe
sur des débris de caissette en bois, à peine visibles
sous une couche de neige. "Se pourrait-il que ce soit les deux
caisses dont on parle dans les journaux ?", se dit-elle. Elle
part chercher son époux : "Il s'agissait bien de deux
caisses, mesurant 50 cm sur 20, cerclées de fer et qui
étaient éventrées. Sur chaque figuraient les
lettres M. L.- S. M. C. 1 et 2", relate Le Progrès de
la Somme.
Des lingots d'or
dans un sol gelé
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onnêtes,
les Dion préviennent les gendarmes de Oisemont, qui se rendent
sur place et trouvent le premier lingot à 75 cm dans le sol.
"Aussitôt, ils organisèrent un terrassement
méthodique avec quelques habitants du pays", peut-on lire
dans l'Excelsior. À 20 heures, ils creusent encore
à la lumière des projecteurs dans un sol gelé.
Le travail est difficile, mais fructueux : six lingots sortent de
terre.
Le lendemain, Paul Dion et son
fils Gaston, aidés des frères Hermant, des ouvriers
agricoles, retrouvent les deux derniers lingots. Il leur aura fallu
bêcher jusqu'à 1,20 mètre ! L'or est rendu
à ses propriétaires.
Le
Progrès de la Somme - 31 janvier
1935
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La Petite Gironde,
L'Echo de Paris, Le Mémorial de la Loire et de la
Haute-Loire ou encore La Liberté et L'Action
française, toute la presse se fait l'écho de la
belle histoire et de la récompense annoncée par la
compagnie d'assurance. Le 6 février, la promesse est tenue.
À 18 heures, les Dion et les Hermant sont réunis
à la mairie du village.
"Dans la petite salle de
l'école communale, où le poêle dispense une
appréciable chaleur", décrit Le Progrès
de la Somme, E. L. Dickins, représentant officiel du
groupe Lloyds et de la London Assurance Company, leur remet les
primes : Marguerite et Paul reçoivent 110 000 anciens francs
(environ 88 000 euros), les frères Hersant et Gaston Dion
(absent ce jour-là), 2 000 anciens francs chacun (environ 1
600 euros). Le propriétaire de la pâture, qui estimait
à 100 anciens francs les dégâts causés sur
sa clôture lors des recherches, n'est pas oublié : M.
Dickins lui offre la belle somme de 500 anciens francs. Deux derniers
billets de 1 000 anciens francs sont donnés à la
commune au profit des indigents.
"Le champagne pétille
dans les verres", la joie domine et Marguerite Dion tient
à rassurer M. Dickins sur le bon emploi de cette fortune
nouvelle : "Soyez sans crainte, demain je prendrai un livret de
Caisse d'épargne pour chacun de mes enfants - ils sont quatre
- et avec le reste on achètera une terre."
l'église
d'Inval et celle de
St
Léger le Pauvre, devenu St Léger sur Bresle en
1956
|
'est
sur cet espoir d'une vie meilleure que se concluent les derniers
articles de presse relatant les lingots tombés du ciel dans le
Vimeu. La suite sera plus tragique. Et cette suite, on la doit
à Laurent Normand. Passionné d'histoire locale, il
tient le blog Talmeu, consacré au Talou et au Vimeu, une zone
s'étendant de Dieppe à Abbeville. C'est lui qui, le
premier, a exhumé les lingots d'Inval-Boiron des archives :
"Un jour, je discutais avec une dame âgée du village.
Elle a commencé à me parler de cette histoire. Mais
elle me disait que c'était un trésor des Allemands
pendant la Seconde Guerre mondiale. C'était faux bien
sûr, ça arrive souvent. En cherchant dans les vieux
journaux, j'ai retracé la
vérité."
Repéré par le
journal L'Eclaireur, le travail de Laurent Normand a
suscité un certain engouement : "Les statistiques de mon
blog ont connu un pic de fréquentation ! Et les gens
étaient heureux de mes recherches." Il a même
retrouvé l'une des petites-filles du couple Dion, aujourd'hui
âgée de 64 ans. "Je suis allé la voir pour lui
montrer les photos. Elle était très
émue."
Jointe par
téléphone, Béatrice Dion nous apprend que,
contrairement à ce que sa grand-mère envisageait
à l'époque, il n'y a eu ni livret de Caisse
d'épargne, ni achat de terre. Mais un café à
Vieux-Rouen en Seine-inférieure (Seine-Maritime depuis 1955).
Et ils ont fait faillite : "Mon grand-père buvait, tout
l'argent passait dans l'alcool. Il a rendu Marguerite malheureuse.
Mon père Gaston [ndlr : qui a reçu 2 000
anciens francs] a lui aussi dilapidé son argent dans la
boisson, ma mère n'en a pas profité".
Béatrice Dion est
malgré tout heureuse que cette histoire de lingots, celle de
sa famille et d'Inval-Boiron ait enfin émergé du
passé : "Ça m'a touché, c'était une
grosse surprise !"
Excelsior
- 8 février 1935
|
Complément :
voici l'adresse du site Talmeu, dont parle l'article :
https://talmeu.com
Concernant ce sujet
précis des lingots, visiter
erci
de fermer l'agrandissement.
https://www.stleger.info