oléances de rith et ernicheul

à la fin du XVIIIe siècle

 

Lorsque le roi Louis XVI leur demande d'exprimer des doléances, les paysans se trouvent pris au dépourvu, plus habitués qu'ils sont à manier le piquet ou la bêche qu'à tenir une plume. La médiation d'un lettré de la ville s'avère souvent nécessaire pour coucher par écrit leurs revendications.

 

le seigneur et le paysan sous l'Ancien Régime

 

xemptions

Les villageois accueillent, parfois avec soulagement, les cahiers modèles qui circulent dans les campagnes françaises. Dans la Prévôté-Ie-Comte, le recopiage de doléances toutes faites concerne les 2/3 des villages. C'est le cas à Trith-Saint-Léger dont le cahier sert d'exemple type à trois autres communautés : deux voisines, Maing et Monchaux, qui le reprennent intégralement, et Crespin avec quelques modifications. L'auteur du texte n'est autre que l'avocat valenciennois Louis-François-Joseph Grenet : il exerce aussi les fonctions de bailli, c'est-à-dire représentant des intérêts du seigneur, dans ces quatre localités.

A ce titre, il préside successivement les assemblées villageoises avec son cahier modèle... sous le bras : d'abord à Trith, le jeudi 26 mars 1789, puis à Maing et Monchaux le lendemain, et enfin Crespin le dimanche 29 mars. L'avocat se fait élève député de ce dernier village.

 

 

Les quinze articles du cahier de Trith et Verchineul (1) reflètent l'opinion générale des notables du Tiers-Etat. Ils traitent principalement de questions fiscales. L'abolition des privilèges y est fermement réclamée : "Suppression de toutes exemptions sur les impositions, droits, octrois, corvées et impôts" stipule l'article 4.

Le clergé et la noblesse doivent contribuer sur le même pied que le Tiers-Etat : une revendication presque banale au printemps 1789.

 

(1) Verchineul dit Saint-Léger : lieu-dit du village

Trith-Saint-Léger compte alors 154 feux soit 661 habitants.
Seuls 41 habitants, dont les principaux fermiers, se déplacent ce jour-là, pour répondre à l'appel du roi. Les charbonniers, déjà nombreux à Trith, sont très peu représentés.

 

Sur cette carte de l'Atlas de Trudaine (1746),
on lit clairement Tricht pour Trith, et Verchineul dit St Léger.
St Léger est alors plus gros que Trith.
A noter que la carte n'est pas orientée, car le nord est à gauche.
Pour une carte plus complète,

 

 

offres du oy

Plus originale est la proposition d'un système d'impôt progressif selon quatre tranches. L'auteur évalue la population française à 24 millions d'habitants (chiffre quelque peu sous-estimé, puisque le pays compte alors 29 millions d'individus). Il la divise en quatre classes de six millions chacune. Le barème, par an et par tête, s'échelonne de neuf francs pour la première classe à quarante-huit pour la dernière, en passant par dix-huit et vingt-quatre pour les deux classes intermédiaires. L'avocat arrive à un total de 549 milliers de francs pour cette imposition personnelle. A titre indicatif, le déficit budgétaire de l'Etat s'élève, en 1788, à 126 millions.

Pour plus d'efficacité, l'avocat Grenet propose une levée plus directe de l'impôt : "Les collecteurs payeraient au trésorier, dans chaque ville, et lui directement dans les coffres du Roy." Avantage et non des moindres de son projet : cela permettrait de supprimer "toutes autres impositions et par suite tous les commis (sic) dont les vexations coûtent plus au peuple que l'imposition." Faute de fonctionnaires, le roi sous-traite en effet l'administration de la fiscalité à la ferme générale, une institution unanimement détestée par les Français, car elle renchérit le coût de l'impôt.

 

 


 

Le 26 mars 1789, les paysans de Trith s'en remettent aux "lumières" d'un avocat valenciennois pour rédiger leurs doléances. Louis Grenet les a sans doute épatés avec son savant projet d'imposition progressive.

 

ortion congrue

Les villageois abondent également en son sens lorsqu'il réclame la suppression des "abbés commendataires" et des "pensions sur les abbayes". Cet article répond en partie à l'anticléricalisme diffus dans la mentalité paysanne. Il dénonce la pratique qui consiste à donner la jouissance d'un bénéfice régulier (d'une abbaye) à un ecclésiastique séculier (un évêque) ou encore à un laïc. C'est le haut-clergé qui est surtout visé. Les habitants de Trith suggèrent que le surplus dégagé "soit employé à augmenter les portions congrues (1), logements des curés, vicaires, subsistances des ordres mendiants, des pauvres, et à réédifier les églises."

(1) le maigre traitement touché par un curé n'ayant pas de dîme

Le bas-clergé trouve grâce aux yeux des paysans, car il vit au milieu d'eux et souvent comme eux.

Le cahier de Trith, si prompt à fustiger les privilèges et les inégalités fiscales, se montre discret sur une autre injustice sociale : le régime seigneurial. Un seul article, le quinzième, se contente de demander le rachat des "cens et rentes seigneuriales, dixmes et terrages." (2) Il n'est pas question d'abolition, comme l'exigent pourtant de nombreux autres cahiers.

(2) ce qui vient d'être récolté et qui est encore sur le champ. Le "tourneur" était chargé d'en prélever une partie pour le compte du seigneur et du décimateur.

 

"A faut espérer qu' c' jeu-là finira ben tôt"

 

 

e tourneur

Le rachat permettra de liquider, sans spoliation, un système ne présentant que des inconvénients. Pour le seigneur, la perception s'avère trop "minutieuse, difficile et frayeuse". Le paysan, lui, perd son temps "pour aller s'acquitter de quelques sols de rente, temps pendant lequel il gagnerait par son travail plus que sa dette." Quand il ne voit pas "périr par un orage une dépouille (3), prête à enlever, pour attendre le tourneur des dixme et terrage et l'agriculture serait encouragée ayant le seul fruit des peines et engrais." Sans compter les "proies dont les tribunaux fourmillent" : ce qui tend à prouver que le régime seigneurial est de moins en moins supporté.

L'avocat Grenet semble le reconnaître mais il est partie prenante du système et il le défend en tant que bailli du seigneur. Les paysans peuvent s'en libérer mais ils doivent racheter les droits réels, ceux-ci "étant des propriétés ne pouvant être enlevées aux propriétaires." Ce sont en quelque sorte des tributs à payer, en reconnaissance de la propriété "éminente" que conserverait le seigneur sur l'ensemble des biens fonciers. Les paysans n'adhèrent pas à cette interprétation et attendent, eux, une suppression pure et simple, sans rachat.

(3) Il s'agit de droits réels pesant sur les propriétés.
Les droits personnels comme la corvée vont être supprimés sans rachat.

 

 


 

Volontiers avancé dans la lutte contre le privilège, l'avocat Grenet se montre timoré lorsqu'il s'agit du régime seigneurial. Comme bailli, c'est-à-dire le bras droit juridique du seigneur, il filtre les doléances paysannes. Pour lui, les droits ne peuvent être que rachetables.

 

e fougueux Grenet

Grenet fait partie de ces notables urbains, chefs de file de la première vague révolutionnaire. Avec Prouveur de Pont, Moreau de Bellamy, Perdy, etc, autres avocats, ils sont les maîtres d'œuvre de la pré-révolution en ville. Anti-absolutistes, ils tirent à boulets rouges sur les représentants du Roi, à Valenciennes : le magistrat ou municipalité et surtout l'intendant. L'article 14 réclame ni plus ni moins sa suppression. Le "fougueux Grenet", d'après un de ses confrères, en veut particulièrement à ce "petit roi en province, véritable monstre de l'administration."

Si l'élite valenciennoise est libérale en matière politique, elle fait preuve de conservatisme dans le domaine social. Prouveur de Pont, comme son ami Grenet, se prononce pour le rachat des droits réels au nom de la défense de la propriété. On le comprend : il possède la petite seigneurie de Pont, à Trith, avec ses rentes seigneuriales et terrage. Moreau de Bellamy, lui, est seigneur à Aulnoy. Ces hommes sont d'ailleurs en phase avec les députés du Tiers-Etat. (1)

(1) En 1790, l'Assemblée nationale déclara ces droits rachetables au dernier 20, c'est-à-dire l'équivalent de vingt fois le versement annuel : ce qu'avait proposé, en mars 89, Grenet dans l'article 15. Il faut attendre les lendemains de la révolution du 10 août 1792 pour que cesse toute trace de l'exploitation seigneuriale.

 

"Que tous les Français supportent le fardeau des impôts !"

 

 

njustement

En mars 89, Grenet a fait barrage aux revendications anti-seigneuriales et sans doute aux quelques fermiers, qui ont partie liée au système. Il n'est pas question, par exemple dans le cahier de Trith, du triage des biens communaux, effectué par les Desmasières, seigneurs principaux du village. L'affaire remonte aux années 1730. Ils ont obtenu le démantèlement du marais communal et s'en sont attribué un tiers. Idem dans le village voisin de Maing. Pas un mot de cette spoliation dans les cahiers. La présence du bailli Grenet en a sans doute imposé aux paysans.

En décembre 1790, ces mêmes villageois ne cachent plus leur façon de penser et affirment que le "tiers a été saisi injustement par le seigneur de ladite communauté par un prétendu droit de tirage." Parmi les signataires de cette pétition, il y a Dayez le maire, et A. Fontaine, les deux députés du village en mars 1789. La radicalisation de la revendication ne vient donc pas d'un changement de personnes à la tête de la commune. En 89, la présence du bailli a intimidé et tempéré l'esprit contestataire des villageois. Ils s'émancipent quelques mois plus tard et ils obtiennent finalement gain de cause.

En janvier 1793, le triage de Trith, opéré soixante ans plus tôt, est considéré comme nul et non avenu... La détermination paysanne a eu raison du seigneur, son ennemi héréditaire...

 

 

Source : Journal "La Voix du Nord" - mars 2005

 

  

 

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