Charles Lemay
45777

 

 

Charles Lemay naît le 1er février 1898 à Trith-Saint-Léger.
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 45, rue de Geôle à Caen (Calvados), marié et père de deux enfants.
Charles Lemay est métallurgiste (mouleur en fonte) aux hauts fourneaux de la SMN (Société Métallurgique de Normandie) à Mondeville.

 

Mondeville - hauts fourneaux et station centrale
de la Société Métallurgique de Normandie

 

 

SMN - aciérie Thomas - les 4 convertisseurs de 30 tonnes

.

Le 21 octobre 1941, Charles Lemay est arrêté pour propagande communiste, comme Eugène Baudoin, de Mondeville, Jean Bourget et Roger Goguet, de Dives-sur-Mer. Peu de temps après, il est envoyé au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht.
Le 24 octobre, il est inscrit sur une liste d’otages détenus en différents endroits établie par la Feldkommandantur 723 de Caen.
Le 20 janvier 1942, il figure en n°10 sur une liste de onze otages communistes du Calvados internés à Compiègne pour lesquels la Feldkommandantur de Caen demande à son échelon supérieur une "vérification" avant de les proposer pour l’exécution.

 

 

5 futurs “45000” figurent sur cette liste d’hommes pouvant être fusillés
le tampon "Geheim" signifie "Secret"

 

Charles Lemay est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 dit "des 45000". Ce convoi d’otages, composé pour l’essentiel d’un millier de communistes (responsables politiques du parti et syndicalistes de la CGT) et d’une cinquantaine d’otages juifs (1170 hommes au moment de leur enregistrement à Auschwitz), faisait partie des mesures de représailles allemandes destinées à combattre, en France, les "judéo-bolcheviks" responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.

 

les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation

 

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Charles Lemay est enregistré au camp souche d’Auschwitz sous le numéro 45777.
Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz. Son portrait d’immatriculation a disparu.
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7h, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.

 

portail du sous-camp de Birkenau, secteur B-Ia
semblable à celui du secteur B-Ib par lequel sont passés tous les “45000”

 

Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet - après 5 jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau - Charles Lemay est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.
Il meurt à l’infirmerie d’Auschwitz-I le 17 août 1942, d'après les registres du camp.
Le titre de "déporté politique" lui a été attribué. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 17-08-1994).

 

 


 

 

André Gourdin
45621

 

André Gourdin naît le 6 septembre 1896 à Trith-Saint-Léger, fils de Pierre Gourdin, né en 1870, ouvrier métallurgiste aux Forges et Aciéries du Nord et de l’Est, et de Henriette Potheau, née en 1870, son épouse.
André a une sœur, Augusta, née en 1893. En 1906, la famille habite au 6, rue de la Fontaine, à Trith.

 

André Gourdin (1896-1943)

 

Après l’école primaire, André Gourdin entre à l’École Pratique de Commerce et en sort comptable. Devenu employé de banque, il est "congédié pour avoir tenté d’organiser ses collègues". Il travaille dans un journal local lorsque éclate la Première Guerre mondiale.
Le 8 juillet 1916, à Creil (Oise), André Gourdin épouse Marthe Molin, née le 23 août 1895 à Saint-Leu-d’Essérent (Oise).
Démobilisé en 1919, André Gourdin vient se fixer à Laigneville (Oise).

Le 10 octobre, il entre à la Compagnie des Chemins de Fer du Nord.
André et Marthe Gourdin ont un fils, André-François, né à Creil le 18 juin 1923.
Lors des recensements de 1926 et 1931, la famille habite au 83, rue de la République à Laigneville.

Début 1920, André Gourdin adhère au Parti socialiste, mais rejoint le Parti communiste dès sa création. Pendant très longtemps, il est membre de la commission administrative de la Fédération de l’Oise, puis trésorier du Comité départemental du parti.

En 1924, il est employé à la banque du Nord à Creil. C'est à cette époque qu'il s'installe à Laigneville.
En 1925, il y est candidat aux municipales, recueillant 123 voix sur 318 suffrages exprimés.
En 1929, il obtint 150 voix sur 400 inscrits et est élu au deuxième tour avec François Forget.
En 1928, candidat aux élections législatives dans la circonscription de Senlis II, André Gourdin obtint 1813 voix sur 15156 inscrits et se maintint au second tour contre le député socialiste sortant Jules Uhry, recueillant alors 797 voix.
Le 1er août 1929, désigné pour tenir un meeting à Rantigny, il ne s’y rend pas et est exclu du Parti communiste à la fin de l’année, en même temps que Sarazin, secrétaire fédéral, et Fernand Lhôtelier.
Cette même année 1929, il devient gérant de la coopérative ouvrière "l’Abeille" de Laigneville, commune dont il est conseiller municipal.
Lors des municipales de 1935, André Gourdin recueille 200 voix sur 511 suffrages exprimés, mais est battu au deuxième tour.

 

Laigneville - la rue de la République

 

Comme Lhôtelier, Gourdin est réintégré assez vite dans le Parti communiste.
En mars 1936, il est en effet candidat au conseil général dans le canton de Creil, obtenant 1892 voix sur 12544 et se retire au second tour en faveur du socialiste Philippe, qui est élu. Lors des législatives de 1936, André Gourdin est à nouveau candidat dans la circonscription de Senlis II et obtient 3988 voix sur 11084 suffrages exprimés. Il se désiste alors pour le socialiste Biondi, élu au deuxième tour. En 1937, il est encore candidat au conseil d’arrondissement dans le canton de Creil.

Mobilisé le 9 septembre 1939, André Gourdin est démobilisé le 10 juillet 1940 et regagne Laigneville le 5 août suivant.
A l'Occupation, il est l'un des fondateurs de ce qui sera le Front National dans l'Oise : "Il assure le commandement des groupes de la région de Creil. Organise la récupération d'armes, afin de donner les moyens d'entreprendre des coups de main et sabotages".
Au moment de son arrestation, il est déclaré comme commerçant.
André Gourdin est arrêté le 16 juillet 1941 à son domicile par la police allemande "pour actions de résistance" puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht. Il y est enregistré sous le matricule n° 1305.

 

 

Une déportation de représailles contre le "judéo-bochevisme"

Le convoi d'otages communistes du 6 juillet 1942 s'apparente par ses origines aux fusillades d'otages de Nantes, de Chateaubriant, du Mont Valérien et de bien d'autres lieux d'exécution.
Ils font partie des mesures de représailles prises par le commandant militaire en France pour tenter de terroriser les petits groupes armés communistes qui entreprennent d’attaquer des officiers et des soldats de la Wehrmarcht.

Ces premières manifestations de lutte armée en France débutent en août 1941. Hitler place ces représailles dans le cadre de la "croisade contre le "judéo-bochevisme", qui, depuis juin 1941, lui sert de bannière dans la guerre contre l'Union soviétique.
A partir de septembre 1941, des otages, pour la plupart communistes, parmi lesquels se trouvent de nombreux Juifs, sont fusillés.

 

 

Après les deux attentats retentissants contre le Feldkommandant de Nantes et un conseiller d’administration militaire à Bordeaux, Hitler exige des représailles massives. En conséquence, 48 otages sont fusillés dans la région de Nantes - dont 27 communistes au camp de Châteaubriant - et 50 au camp de Souges, près de Bordeaux.

Persuadé que l'amplification de la terreur ne fera pas céder les communistes, que les investigations de la police française ont permis d'identifier comme les véritables auteurs des attentats, Otto von Stülpnagel, Commandant militaire en France (MBF), réaffirme dans un rapport adressé à Berlin que "de pareilles méthodes (sont) inapplicables à la longue". Il estime que ce bain de sang risque de compromettre, de façon définitive, les bases de sa politique. Dès lors, il s'emploie à rechercher une politique de rechange aux exécutions massives d’otages.

A la suite d’une série d'attentats commis fin novembre et début décembre, il propose, dans un télégramme qu'il adresse à Berlin, le 5 décembre, l'exécution de 100 otages, une amende d'un milliard de francs imposée aux Juifs de Paris et l'internement et la déportation à l'est de l'Europe de 1000 Juifs et 500 jeunes communistes.

 

 

L'autorisation de Hitler de déporter des Juifs à l'Est parvient au MBF le 12 décembre, au moment où se prépare la conférence de Wannsee qui a pour objet l’organisation des déportations de Juifs, en vue de leur extermination, dans l’ensemble des pays sous domination allemande, camouflée sous le nom de "solution finale du problème juif en Europe".

En 1941, l'idée selon laquelle les Juifs sont à l'origine des actions communistes menées contre l'armée d'occupation est largement répandue dans les milieux allemands et sert à légitimer persécutions et exécutions. A l'Est, c'est au nom du "judéo-bolchevisme" que les familles juives et les cadres communistes sont massacrés par des groupes mobiles qui suivent l'avancée des armées allemandes sur le territoire soviétique. Pour la France, Heydrich écrit le 6 novembre 1941 au général Wagner, chef de l'intendance : "Les attaques réussies dans les entreprises travaillant pour la Wehrmacht, les actes de sabotage contre les chemins de fer, les attentats contre les membres de l'armée allemande et les tentatives de meurtre de politiciens qui s'étaient engagés dans la collaboration germano-française, montrent que les cercles "judéo-bolcheviks" sont les auteurs de tous les crimes."

En raison de problèmes de transport, les déportations sont repoussées à une date ultérieure. Le transfert vers l'Est des 1000 Juifs se fera "dans le cadre des évacuations prévues en février ou en mars" (il faut entendre dans le cadre des déportations de la "solution finale"). Les services de la police de sécurité et du SD à Paris sont chargés d'organiser la déportation des Juifs vers l'Est et celle des communistes vers un camp de concentration allemand du Reich.

Dannecker, à la tête de la section des Affaires juives de la police de sécurité et du SD dans la zone administrée par le MBF, profite de la politique des otages pour accélérer les débuts de la "solution finale" en France. A partir de février 1942, il multiplie les démarches auprès d'Eichmann pour obtenir la déportation des 1000 otages juifs annoncée dans l'avis du 14 décembre 1941. Il reçoit, en outre, l'accord d'Eichmann et de Heydrich pour l'évacuation de 5000 autres Juifs de Paris au cours de l'année 1942 (...) et pour d'autres déportations de plus grande envergure en 1943. Un télégramme d'Eichmann indique que les 5000 Juifs devront être placés dans le camp de concentration d'Auschwitz.

 

Dannecker

 

Pour Dannecker, ces premiers transferts sont les préliminaires à l'ambitieux programme de déportation des Juifs de France qu'il s'est tracé. Un premier convoi composé de 1000 Juifs quitte le camp de Compiègne pour Auschwitz le 27 mars 1942. Ce transport est à la fois, pour la France, le premier transport de la “solution finale” et la première déportation d'otages.

Cependant, les attentats se font de plus en plus nombreux et les représailles semblent inefficaces. Après trois attentats successifs au début d'avril 1942, à La Courneuve, au Havre et à Paris, Hitler ordonne le 9 avril 1942, comme mesure supplémentaire d’intimidation aux fusillades d’otages, la déportation de 500 otages communistes, Juifs et "asociaux” pour chaque nouvel attentat. Ces transports doivent être essentiellement composés de communistes, comme l'indique le télégramme envoyé le 11 avril à l'ambassadeur Abetz par son adjoint, Rudolf Schleier (...) Dannecker intervient alors pour que les otages juifs partent en priorité et reçoit, pour la seconde fois, l'appui des services d'Eichmann.

A compter du 18 juin, une dizaine de trains de marchandises sont mis à la disposition de Dannecker. Celui-ci organise alors le départ de 4 autres transports de Juifs vers Auschwitz. Ils s'inscrivent, comme le précédent, dans le cadre de "l'évacuation" des 5000 Juifs de la région parisienne. Ils s'effectuent à partir des camps d'internement français de Drancy (le 22 juin), de Pithiviers (le 25 juin et le 17 juillet) et de Beaune-la-Rolande (le 28 juin). Mais, désormais, ces déportations échappent totalement au contrôle de l'administration militaire. Dannecker n'observe plus les instructions données par le MBF pour la constitution des convois de représailles. Les limites d'âge ne sont plus respectées, des femmes et des adolescents sont intégrés dans ces transports.

Pourtant, ces transports partent encore sous le prétexte des représailles. Le fait est révélé de manière indirecte par deux échanges de télégrammes, l’un datant de juillet et l’autre d’août 1942, conservés au Centre de documentation juive contemporaine. Le 9 juillet, Dannecker répond à son homologue de Bruxelles qui l'avait interrogé sur la possibilité de déporter des Juifs de nationalité française : "(…) Il y avait de nombreux Juifs de nationalité française dans les 5 transports qui ont été exécutés jusqu'à maintenant depuis le territoire occupé et qui l'ont été en partie comme mesure de représailles contre le judaïsme (die Teilweise als Sühnemassnahmen gegen die Judenschaf durchgefürt würden) (…)"

Le 1er août, Berndorff s'adresse du département de la Gestapo (RSHA IV-C2) au BdS Knochen (commandant de la police de sécurité et du SD en France) au sujet de "déportation de communistes, Juifs et éléments asociaux vers l'Est à titre de représailles". Il se réfère à son ordre du 6 mai 1942 et écrit : "Je demande un rapport sur l'état de cette affaire. Jusqu'à présent, les formulaires, exigés par le décret en référence, ne sont pas arrivés. Je demande en particulier qu'on me fasse savoir si les personnes déjà arrêtées ou susceptibles d'être arrêtées relèvent des dispositions du décret Nacht und Nebel. Dans l'affirmative, je demande de le spécifier par un tampon ou par un autre moyen sur les formulaires afin que le traitement de ces cas soit conforme à la réglementation."

On constate, en effet, que le département de la Gestapo, en s'adressant pour la première fois à Paris depuis le 6 mai 1942 au sujet des déportations de représailles, n'est pas à l’origine des déportations vers Auschwitz qui ont déjà eu lieu. Non seulement il n’a pas reçu les formulaires individuels des personnes qu'il était censé déporter, mais il ignore même que l’existence de transports vers ce camp. Il avait pourtant ordonné la constitution d'un premier transport de "1000 personnes" pour Auschwitz, le 6 mai 1942.

La réponse qu'il reçoit du service des Affaires juives à Paris est des plus laconiques. Celui-ci laisse entendre que l'absence de réponse de la part du RSHA, au sujet des formulaires individuels, a empêché jusqu'ici le départ des convois de représailles. Il ne fait nullement état des transports déjà réalisés et n'évoque le problème des formulaires que sous l'angle des déportations à venir. S’agissant du convoi du 6 juillet 1942, le télégramme du 1er août amène à se poser la question de savoir quel département du RSHA en a organisé le départ vers Auschwitz.

A leur arrivée à Auschwitz, ces transports sont enregistrés comme "convois du RSHA", comme le furent les autres transports de la "solution finale".

Le fait est connu, malgré la destruction ou la disparition d'une grande partie des archives du camp, grâce à une liste des convois d'Auschwitz, recopiée clandestinement à partir des archives des SS, par des détenus appartenant à la Résistance, en septembre 1944. Cette liste indique le jour d'arrivée de chaque transport, son origine et les numéros sous lesquels les détenus ont été enregistrés. Or, le convoi du 6 juillet 1942 est également mentionné à Auschwitz comme étant un "convoi du RSHA". En effet, la ligne qui lui est consacrée indique : "8 juillet 1942, convoi RSHA-Paris, 45317 - 46326".

Au contraire, les convois de déportés de répression, organisés par le département de la Gestapo (RSHA IV-C2), portaient non pas la mention du RSHA mais celle plus précise de l'organisme qui l'a ordonné : comme par exemple, BdS-Paris, pour les convois partis de Compiègne vers Buchenwald.

 

 

Peut-on en conclure que le départ du convoi du 6 juillet 1942 a été réglé par les services d'Eichmann à Berlin et par son représentant à Paris ?

D'autres faits le confirment. Le 2 juillet, les services ferroviaires allemands avisent le service des Affaires juives en France qu'un train est mis à sa disposition pour le transport de 1100 prisonniers de Compiègne vers Metz, puis vers Auschwitz (Silésie orientale). Il s'agit du convoi du 6 juillet 1942.
Fait significatif, cette information est placée dans une lettre sous la référence : "transports de Juifs depuis la France qui traite, en outre, de l'établissement des trajets à partir des différentes gares pour les "40000" Juifs de France qui doivent prochainement être déportés". Par ailleurs, le service des Affaires juives en profite pour intégrer 50 Juifs dans le transport des "1100 prisonniers" vers Auschwitz. Le 5 juillet, ils sont extraits du camp des Juifs de Compiègne et rejoignent, dans les baraquements de transit, le millier d'otages communistes et la quinzaine d'otages "asociaux" destinés au départ. Ils étaient les derniers otages juifs déportables détenus dans ce camp.

Le 6 juillet, la section, créée sur ordre du MBF pour y enfermer les otages juifs, est vidée de ses internés. Les 18 hommes restants sont placés au "camp des politiques", avant d'être transférés le 26 mai 1943 à Drancy.

Pour le service des Affaires juives, les otages juifs ne pouvaient avoir d'autre destination qu'un camp d'extermination : leur intégration dans le convoi du 6 juillet 1942 impliquait nécessairement que celui-ci parte pour Auschwitz. Ainsi, l'imbrication existant, en France, entre la politique des otages et les débuts de la "solution finale", dans le contexte de la lutte contre le "judéo-bolchevisme", explique la destination du convoi à Auschwitz et la présence de Juifs aux côtés de prisonniers politiques.

Claudine Cardon-Hamet

 

 

Le 18 septembre, le commissaire spécial de la Sûreté nationale de Beauvais écrit au préfet de l’Oise pour l’informer que "le Kreiskommandant de Senlis a demandé de lui transmettre une liste de quinze individus, choisis parmi les communistes les plus militants de la région creilloise, destinés, le cas échéant, à être pris en qualité d’otages. En accord avec le commissaire de police de Creil, [une liste] a été établie" sur laquelle André Gourdin est inscrit en 2e position. Considérant le ton de la lettre, on peut penser que la liste a été effectivement transmise à l’occupant.

Le 20 février 1942, le chef de la Feldkommandantur 580 à Amiens - ayant autorité sur les départements de la Somme et de l’Oise - insiste auprès du préfet de l’Oise, Paul Vacquier, afin que la fiche de chaque interné du Frontstalag 122 pour activité communiste demandée à l’administration préfectorale indique "son activité politique antérieure (très détaillée si possible), ainsi que les raisons qui militent pour ou contre sa prompte libération du camp d’internement".
[Paul Vacquier, nommé préfet de l’Oise le 22 mai 1940, au début de l’offensive allemande, cherche ensuite à maintenir un semblant de souveraineté française à l’échelon local, ce qui lui vaut son départ le 30 octobre 1942.]

Le 10 mars, le préfet de l’Oise écrit au Ministre secrétaire d’État à l’Intérieur pour lui transmettre ses inquiétudes quant à cette demande : "Étant donné que parmi les internés du camp de Compiègne une vingtaine déjà ont été fusillés en représailles d’attentats commis contre les membres de l’armée d’occupation, il est à craindre que ces autorités aient l’intention de se servir de mon avis pour désigner de nouveaux otages parmi ceux pour lesquels j’aurais émis un avis défavorable à la libération. Me référant au procès-verbal de la conférence des préfets régionaux du 4 février 1942, qui précise “qu’en aucun cas les autorités françaises ne doivent, à la demande des autorités allemandes, procéder à des désignations d’otages”, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me donner vos directives sur la suite qu’il convient de réserver à la demande dont je suis saisi…"

Le 13 avril 1942, le commissaire principal aux renseignements généraux de Beauvais transmet au préfet de l’Oise 66 notices individuelles concernant des individus internés au Frontstalag 122 à Compiègne, dont 19 futurs “45000”. Sur la notice qui le concerne - à la rubrique "Renseignements divers" -, André Gourdin est qualifié de "militant communiste extrêmement actif. Était délégué régional à la propagande du Parti, a été de nombreuses fois candidat à des élections sous l’étiquette communiste. Avait une grosse influence dans le milieu."

Le 24 avril, Paul Vacquier transmet à la Feldkommandantur 580 les notices individuelles des "personnes internées au camp de Compiègne, figurant sur la liste [qui lui a été] communiquée et domiciliées dans le département de l’Oise" qui mentionnent uniquement "des renseignements concernant l’état civil, la parenté et la situation matérielle".

Enfin, le 29 juin, le préfet de l’Oise écrit à la Feldkommandantur 580 pour essayer d’obtenir la sortie du Frontstalag 122 de 64 ressortissants de son département - dont André Gourdin - au motif "qu’aucun fait matériel d’activité communiste n’a été relevé à leur encontre depuis l’arrivée des forces allemandes dans la région", envisageant la possibilité d’interner certains d’entre eux "dans un camp de concentration français". Sa démarche ne reçoit pas de réponse.

Le mal est probablement déjà fait : quand elles ont procédé à des arrestations dans l’Oise entre juillet et septembre 1941, les forces d’occupation ne disposaient-elles pas déjà d’informations et d’appréciations transmises par certains services de la police française ? N’en ont-elles pas obtenu d’autres par la suite ? Le préfet craignait la fusillade. Ce sera la déportation.

Entre fin avril et fin juin 1942, André Gourdin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train, appelé "convoi des 45000", part une fois les portes verrouillées, à 9h30.

 

aquarelle

 

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, André Gourdin est enregistré au camp souche d’Auschwitz sous le numéro 45621.
A Birkenau, il est au Kommando de la Sablière. Dans un état d'épuisement total, il est "désigné pour la chambre à gaz" témoigne Georges Gourdon, son camarade à la Libération. Selon les archives du Revier (infirmerie d'Auschwitz), il entre à l'hôpital d'Auschwitz le 1er novembre 1942 et en sort le 1er janvier 1943.

D’après son certificat de décès établi au camp pour l'état civil d’Auschwitz, André Gourdin meurt le 24 janvier 1943, date reprise par l’arrêté du 6 février 1992 paru au J.O. du 27 mars 1992 portant apposition de la mention "Mort en déportation" sur son acte de décès.
André Gourdin a été déclaré "Mort pour la France". Il a reçu à titre posthume la Croix de guerre, la Médaille militaire (16-02-60) et la médaille de la Résistance.
Le titre de "déporté résistant" lui a été attribué le 23 juillet 1955 "après de très longues démarches et de nombreuses difficultés" écrit son fils André.

A Laigneville, une rue voisine de son domicile porte son nom. Son nom est également inscrit sur le monument aux morts de la commune, face à la mairie.
A Trith-Saint-Léger, son nom a été donné à la rue où il est né et où il a passé sa jeunesse.

 

 

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