La
plaine de Saint-Leger est dominée par une haute tour en
briques, avec machicoulis : c'est un grand jalon resté
là pour rappeler les anciens sires de Mailly, barons de
Ravensbergue, etc., dont les armes primitives portaient
d'or trois maillets de gueules. Cette
famille a des racines qui vont se perdre dans les fondements de la
monarchie et sa devise nous rappelle la fierté de l'antique
chevalerie : Hongne qui voura, c'est-à-dire
Grogne qui voudra.
Décrivons la tour en quelques
mots. Les murs de la base sont en grès et silex, et n'ont pas
moins de 2 m 50 d'épaisseur. Cette construction est à 3
étages, auxquels on accède par un remarquable escalier
placé dans une tourelle accolée à la tour. Cette
tour, dont la circonférence est d'à peu près 15
m, mérite d'être visitée. Le
rez-de-chaussée
est éclairé par une
fenêtre primitivement partagée en croix. Il y avait
double châssis et double contrevent, entre lesquels on
plaçait un matelas en cas d'attaque. Montons 25 degrés
de l'escalier, et nous serons au 1er étage. Cette pièce
ressemble assez à celle que nous venons de
quitter. Seulement, il y a là 2 espèces de niches
qui ont servi peut-être de dépôt d'armes.
Gravissons encore 25 marches, et nous nous trouverons au second
étage, où se voit une alcôve voûtée.
Encore 18 degrés à franchir , et nous sommes au
grenier, éclairé par 4 ouvertures pratiquées aux
4 points cardinaux. Cette pièce est plus large que les autres,
par la raison qu'elle s'avance sur les créneaux. La charpente
de cette partie est très belle. Au haut de la couverture,
à l'est, se trouve la porte du Guet, où
l'on jouit d'un coup d'oeil magnifique. Cette tour était
isolée du château, qui n'existe plus.
D'après sa
généalogie connue, la famille de Mailly formait 13
branches en 1756 : de Mailly, de l'Orsignol, d'Authuille, de
Nédon, d'Auvillers , d'Auchy, de Rumesnil , de l'Épine,
de Mareuil, de Rubempré, de Nesles, d'Haucourt, du Quesnoy.
Les sires de Mailly comptaient dans leurs alliances les maisons de
Coucy, de Bailleul, de Créquy, d'Ailly, de Reyneval, de
Laval-Montmorency, de Montluc, de Montesquiou, du Châtelet, de
Villers, d'Harcourt, de Bourbon-Condé, de Moy, de
Crécy, de Caulincourt, de Dampière, de Grammont, de
Croy, de Joyeuse, de Coligny, de Nassau, de Brancas, de Flavacourt,
de Guines, de Craon, etc. La seigneurie de Saint-Leger passa dans la
famille de Mailly en 1503, par l'union d'Adrien de Mailly avec
Françoise de Bailleul, fille de Jacques de Bailleul, seigneur
de Saint-Leger, et de Jeanne, dame d'Haucourt.
Il n'entre pas dans notre cadre de
retracer ici toutes les belles actions de cette famille, toutes les
marques d'honneur qui lui furent accordées. Il nous
faudrait copier toutes les pages d'un immense in-4° dont M. Le
Mire a bien voulu nous donner connaissance. Nous dirons seulement
qu'en 1050 Anselme de Mailly partagea la régence des
états de Flandre avec le sire de Coucy. Nicolas de Mailly
se croisa, au XIIe siècle, et fut député de la
Terre-Sainte pour aller demander du secours au pape et au roi de
France. Mathieu de Mailly, après avoir fait prisonnier le
comte de Lincestre, dans les guerres de Philippe-Auguste contre
Richard, roi d'Angleterre, fut pris lui-même en 1198, en
défendant son roi tombé dans une embuscade
auprès de Gisors. Antoine de Mailly fut pris par les
Turcs et mourut en esclavage, l'an 1340. En 1410, on chargea de
l'administration du royaume, pendant la maladie de Charles VI, Colart
de Mailly, qui fut tué cinq ans plus tard à la bataille
d'Azincourt avec son fils qui avait été fait chevalier
ce jour même. Adrien, Antoine et René de Mailly
reçurent le titre de cousins de François
1er. En 1755, le contrat de mariage du marquis de
Voyer-d'Argenson avec la comtesse de Mailly fut fait en la
présence du roi, de la reine et de toute la famille
royale.
Nous avons sous les yeux un aveu qui
nous paraît trop important, relativement à la commune
qui nous occupe, pour le passer sous silence :
"Aveu et dénombrement rendu le 27 janvier 1738, par messire
Jérôme de Mailly, chevalier, seigneur et patron de
Saint-Leger... à S. A. S. monseigneur Louis-Auguste de
Bourbon, prince souverain de Dombes, comte d'Eu, de la terre et
seigneurie de Saint-Leger, plein fief de Haubert, dans laquelle il a
cour, usage et jurisdiction de moyenne et basse justice sur ses
hommes, droit de présenter à la cure et
bénéfice dudit lieu, droit d'afforage, de colombier,
tort et vers, corvées de bras et de chevaux, de four à
ban, relief, troisième, amende, fortfaitures et confiscations,
et généralement tous autres droits, honneurs, proffit,
revenus, émolumens à plein fief de Haubert, et patron
appartenant, déclarant avoir droit de CHAPELLE À FEU,
dans l'église dudit Saint-Leger, bastie et
édifiée par Jacques de Bailleul et Adrien de Mailly,
son gendre, vivant chevalier seigneur et patron dudit lieu, ses ayeux
et prédécesseurs"
Cet aveu nous fait connaître que l'église de
Saint-Leger a été construite au commencement du XVIe
siècle, et assez probablement en 1503, au moment du mariage
d'Adrien de Mailly avec une fille de Jacques de Bailleul. La
construction d'un assez grand nombre d'églises de cette
contrée remonte à la même
époque.
En 1846, au moment où l'on a
fait couvrir en ardoises l'église de Saint-Leger, l'on a
trouvé, sur une des anciennes tuiles, l'inscription suivante :
Jean Malingue , brictier, à Aubéguimont -
1730.
La nef de l'église de Saint-Leger est très
élevée, et l'on voit clairement que le haut des
murailles attend une voûte qui n'a jamais été
faite, par suite, dit-on, d'une contrariété
que les habitants firent éprouver à Adrien de Mailly.
On remarque, au-dessous des fenêtres, un gros cordon
orné d'une vigne et de feuillages. On lit sur un sommier :
Anno 1751 - Hieronimus comes de Mailly perfecit.
L'entrée du clocher est garnie d'une galerie en bois, du style
flamboyant. Malheureusement ce beau travail a été
mutilé.
La nef communique aux chapelles de la croisée par des arcades
ogivales. On voit là des cordons, supportés sur
des têtes monstrueuses, s'entremêler et aller aboutir
à une clé de voûte ornée.
Cette église est
peuplée d'un grand nombre de statues, mais nous avouons que
plusieurs devraient avoir encouru la peine portée par le 29e
canon du synode de Constance, tenu en 1294. Nous avons
remarqué particulièrement celle de saint
Léonard, en l'honneur duquel on fait un pélerinage avec
grande solennité, le mardi de la Pentecôte ; on y porte
les enfants noués.
Ce pélerinage fut
rétabli en 18.. Cette année-là, la paroisse de
Saint-Leger avait pour trésorier en charge un homme aux
idées complexes, qui trouva moyen de recommander le
pélerinage, tout en faisant une réclame en faveur des
cabaretiers du pays. Voici l'avis qu'il afficha à Foucarmont
et autres lieux : "Le public est averti que la fabrique de
Saint-Leger-aux-Bois a rétabli le pélerinage de saint
Léonard. Les personnes qui ont des enfants de noués
peuvent aller maintenant à Saint-Leger, au lieu d'aller
à Gauville, en Picardie. On y trouvera à boire et
à manger. Grande messe et vêpres, ainsi que grand
divertissement pour les jeunes gens. La fête est fixée
au mardi de la Pentecôte."
Entrons dans le choeur et
considérons de près les fenêtres de l'abside, qui
est à 3 pans. Ces fenêtres, partagées par un
meneau, viennent d'être garnies de verrières dues au
talent de M. Bernard, et qui ont coûté 1 000 fr. Nous
avons sous les yeux Sainte-Clotilde, Saint-Roch,
Saint-Léonard, Saint-Leger, Saint-Antoine et Sainte-Catherine.
Ce travail est d'un bel effet, et nous voudrions rencontrer plus
souvent quelche chose de semblable dans les églises que nous
visitons. Pendant longtemps, on avait cru enseveli le secret de
peindre sur verre. M. Bernard prouve de jour en jour qu'il
possède les procédés et les ressources de cet
art. Le temps dira si la solidité des couleurs répondra
à leur brillant effet. Au reste, nous sommes heureux de
rappeler à nos lecteurs que M. André Pottier, le savant
directeur de la Revue de Rouen (1), a accueilli avec
sympathie les travaux de M. Bernard.
On voit, dans le choeur, la pierre
commémorative du fondateur de l'église. En voici
quelques passages : Sire Jacques de Bailleul... prudent en
doctrine... ferme en la foi d'espérance... anflamé
flamboiat pour charité... Il a fondé en ce lieu terrein
icelle chapelle à tousiors... or priez... son esprit s'envolle
en paradis... il expira en l'an Vcc et dix (1510)... le vivant doibt
prier Dieu por le mort.
A droite du choeur se trouve l'ancienne chapelle à
feu du seigneur, dont l'entrée était
pratiquée dans une balustrade vitrée à
l'intérieur.
En 1809, au moment où M.
Antoine Le Mire acheta la propriété des sieurs de
Mailly, la jouissance de la chapelle fut comprise dans la vente, et
le nouveau propriétaire y fit faire des frais de
réparation assez considérables, entre autres choses un
relief représentant saint Antoine, patron du nouveau
possesseur. Mais un peu plus tard, à la suite d'un
procès entre la commune et la famille Le Mire, le conseil de
fabrique, se fondant sur le décret de 1809, s'empara de la
chapelle et fit murer la porte d'entrée. Aujourd'hui, c'est
une sacristie où nous avons remarqué des armoires fort
bien disposées.
Le caveau de sépulture des
sires de Mailly se trouve sous cette ancienne chapelle. Mais les
dépouilles mortelles qu'il contenait ont été
enlevées, en 1793, par 2 monstres à face humaine, qui
retirèrent de ce lieu 3 cercueils en plomb. L'un de ces
cercueils contenait le corps d'une jeune fille. Quelle ne fut pas la
surprise des spectateurs au moment de l'ouverture du sépulcre
? Le corps de la défunte n'offrait encore aucun indice de
putréfaction. Son linceul avait conservé une
parfaite blancheur. Les habits dont on l'avait revêtue
étaient propres comme des habits de noce... Ce douloureux
spectacle n'attendrit pas les infàmes qui présidaient
à cette spoliation ! Ils arrachèrent sans pudeur les
vêtements de la jeune vierge. Ils jetèrent son
corps dans la fosse commune et s'acheminèrent vers
Neufchâtel, emportant le plomb des cercueils et criant :
Vive la liberté ! Nous taisons le nom de ces
misérables, par égard pour leur famille.
Eu 1267, Eude Rigaud conféra
le diaconat à Guillaume de Saint-Leger. Mais, s'il faut en
croire une tradition locale, la paroisse de Saint-Leger aurait
été située, à cette époque, au
lieu nommé aujourd'hui le Mesnil-Allard, hameau où l'on
trouve des traces qui annonceraient un ancien
château.
Les marguilliers de Saint-Leger
payaient autrefois au comté d'Eu une rente d'une livre, pour
4 journaux de terre accostant le chemin Stallin, avec 20 sols
de droits seigneuriaux, en cas de mutation.
En quittant le cimetière de
Saint-Leger, on aperçoit une grande mare communale, dont le
trop plein s'engouffre dans des bétoires. Les habitants de
Foucarmont ont remarqué que, si la mare de Saint-Leger
déborde, 6 heures plus tard l'eau de la fontaine qui sert de
lavoir public, à Foucarmont, devient très trouble et il
faut se hâter d'enlever le linge, si l'on ne veut pas
être obligé de lui faire subir une seconde
lessive.
Nous avons omis de dire qu'en 1787 le
duc de Penthièvre et le vicomte du Authier, son premier
gentilhomme, visitèrent la tour de Saint-Leger, où un
dîner leur fut offert : les jeunes gens du pays leur
improvisèrent une garde d'honneur, et les nobles hôtes
quittèrent la commune en laissant le souvenir de leur
magnanimité envers les habitants.
Quelque temps après cette visite, il s'éleva un conflit
entre les habitants de Saint-Leger et leur nouveau seigneur, au sujet
des droits forestiers. 25 des plus notables du pays partirent
pour Neufchâtel, où ils chargèrent divers avocats
de soutenir leur cause. Un procès sérieux
commença. Mais la révolution de 1789 éclata
et mit fin aux réclamations réciproques du seigneur et
des habitants. Toutefois, les avocats ne renoncèrent pas aux
honoraires de leurs labeurs, et les plaideurs de Saint-Leger durent
se cotiser pour fournir une somme de neuf cents
livres.
Population, 734 -
Lemire, maire - M. Regneaux, adjoint -
M. Dumont,
curé - M. Sergeant , instituteur
(1)
Revue de Rouen, année 1847, page 126
https://www.stleger.info