Source
: "Mémoires de guerre" http://memoiresdeguerre.jimdo.com
témoignages de "grands
témoins de l'histoire" recueillis en 2011. Un site à
visiter.
Simone Viard lors
de son témoignage en mai 2011
la Résistance
à Granville
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"On avait un poste à
galène parce que Marie-Louise Ménard, elle transmet
tout ça comme s'il n'y avait qu'elle mais on n'était
toutes les 2 sténo-dactylo à l'usine Sidéco de
Granville, on avait la même sténo, on était
Prévost-Delaunay toutes les deux. Chez ses parents, il y avait
ce qu'on appelait les cabinets, c'étaient les toilettes
où ils allaient faire leurs besoins. On avait installé
un poste à galène toutes les deux. Il y en a une qui
écoutait Radio Londres. Toutes les heures, on prenait des
messages de Radio Londres. Il y en avait une qui parlait, et l'autre
prenait en sténo au fur et à mesure et on donnait des
communiqués jusqu'à St Pair, à M. Merlan, le
directeur du lycée. Mais un jour il y en a un de l'entreprise
Tood qui est venu voir maman et lui a dit : "On sait que votre
jeune fille donne des nouvelles de l'ennemi. Qu'elle se méfie
parce qu'elle sera considérée comme franc-tireur et
fusillée sur le champ !" Maman a eu très peur,
alors tout ce que j'avais en documents, maman les a
brûlés.
Nous, on habitait à St Aubin
des Préaux, les Américains étaient à St
Planchers et eux,
les Allemands, étaient à St
Léger, donc ils
allaient s'évacuer et passer devant la ferme où nous
étions réfugiés alors ma tante a dit : "Il ne
faut pas qu'on reste ici parce qu'ils vont lancer des grenades et
brûler la maison." Alors on est partis à travers
champs, les balles nous sifflaient sur la tête et on est
arrivés dans une ferme chez la famille Bailleul. Il y avait
déjà des réfugiés de Granville qui
avaient emmené leur poste de TSF et on n'avait pas le droit.
On était dans le pressoir et on en a dit des "Je vous salue
Marie".
Ils revenaient de traire, ces pauvres
gens. Y'avait le père, la mère et la jeune fille en
tablier à traire comme ça se faisait dans le temps. Les
Allemands avaient trouvé le poste de radio. Ils ont dit :
"Ce n'est pas à nous." Ils n'ont pas voulu le croire,
ils nous ont fait sortir, on ne voulait pas mais ils nous ont fait
sortir et ils les ont fusillés tous les 3 devant nous.
C'était horrible, horrible. Et leur fils était
prisonnier en Allemagne. Quand il est entré, il n'avait plus
personne. Ce sont les voisins qui ont pris les vaches pour continuer
à les traire parce que les pauvres bêtes, elles
n'avaient plus de maîtres. C'étaient des choses atroces,
atroces.
J'avais 16 ans quand la guerre a
commencé et 20 ans en 44. On faisait partie, ma camarade et
moi, du groupe de résistance de M.Merlan qui était
professeur à Granville. Ça, c'étaient toutes les
consignes que l'on avait et là j'avais le frère d'une
camarade qui a reçu une balle des allemands dans le
côté et, comme on n'avait pas le droit de fermer les
portes ni les fenêtres, il avait réussi à rentrer
chez nous. Pour tirer la balle, il souffrait le martyr, perdait du
sang, et c'est un docteur résistant qui habitait au Cours
Jonville à Granville qui est venu au lever du jour pour lui
extraire. Il l'avait insensibilisé au Calvados pour pouvoir
retirer la balle. Les Allemands tournaient tout autour de la maison
car ils savaient qu'il était camouflé dans une maison.
Marie-Louise Ménard, fallait
qu'elle soit culottée quand même, moi je n'aurais pas
osé ! Les Allemands étaient partis faire des exercices,
elle leur a volé la machine à écrire mais avant
on écrivait tout à la main. Tout le début du
livre est écrit à la main. Heure par heure, il y a
tout, la Finlande, tout.
J'avais une camarade de pension
à Granville, son père était juif. Son
père, sa mère et sa sur ont été
déportés à Dachau et elle était dans la
prison de St-Lô et a été tuée pendant le
bombardement de St-Lô.
Quand on est partis de Granville pour
évacuer, ils nous disaient d'évacuer les côtes
à 7 km mais les Allemands, sur la route, nous mitraillaient.
On était partis avec simplement une brouette avec tout ce qui
était le plus nécessaire et on se jetait dans la haie
parce qu'ils nous prenaient en enfilade, ils nous mitraillaient. On
est allés se mettre dans la gueule du loup parce que St Aubin
des Préaux est entre la route de Villedieu et la route
d'Avranches et la poche d'Avranches a tenu longtemps. Tout le long de
la route on trouvait des chevaux qui étaient morts.
C'était atroce, ces moments-là. Et maman avait
rencontré une voiture qui venait du Nord et ils avaient
réussi à venir jusqu'en Normandie et on leur demande
s'ils avaient été malheureux. Il a dit : "Tenez."
Il a ouvert la portière et sa fille avait
été tuée sur la route et il l'emmenait parce
qu'il n'avait pas voulu la laisser sur le lieu.
On a dû partir en exode vers la
mi-juin car j'ai été attaquée dans la nuit du 16
au 17 juillet et ça faisait à peu près un mois
que l'on était là-bas. Ils avaient
hébergé beaucoup de réfractaires et de gens qui
auraient du partir au STO en Allemagne. Aussitôt après
la Libération, ils sont repartis chez eux. Mais papa et maman
pour les remercier, ils sont restés à leur aider
à faire les récoltes parce qu'on avait pas le droit de
faire ce qu'on appelait des binottes parce qu'ils avaient peur qu'il
y en ait qui se camouflent dedans. Alors il fallait récolter
le foin au fur et à mesure. Alors on a fait toutes les
récoltes et donc on est repartis que vers le mois d'août
ou septembre à Granville. Il n'y a rien eu là-bas, on
aurait du y rester ! Le 6 juin, je me rappelle que je m'en allais
travailler à l'usine Sidéco, j'y allais à pied
car c'était très proche, et les avions piquaient sur la
mer, il y avait des cargos allemands qui étaient sur la mer et
ils piquaient dessus pour les bombarder ou les mitrailler et
là, ce jour-là, papa a fait une tranchée dans le
fond du jardin parce que maman avait eu presque au-dessus de sa
tête un éclat d'obus qui était passé.
Autrement y'avait une poche d'Allemands qui étaient
restés à Jersey. Nous, on était
libérés à Granville mais cette poche
d'Allemands-là, puisqu'on était derrière le
château de La Horie (où les Allemands avaient
été, ensuite les Américains) de Jersey ils
bombardaient la rue de la Horie et j'ai eu de mes voisins la maman
qui a été tuée et le papa blessé. Les
Allemands se vengeaient.
les interdictions
à Granville
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AVIS
Dès maintenant les
prescriptions spéciales suivantes entrent en vigueur dans le
département :
1. Du coucher du soleil jusqu'à son lever, il est interdit de
circuler sur la voie publique.
2. Jusqu'à nouvel ordre, il est interdit de circuler en
véhicule, en cyclos, de former des attroupements de plus de 3
personnes sur la voie publique ou de se réunir à
l'intérieur et l'extérieur des locaux, exception faite
du foyer du foyer et de la place du travail.
3. Les autorités militaires locales pourront accorder des
dérogations aux paragraphes 1 et 2.
4. Les lieux de plaisir, lieux publiques et restaurants devront
être fermés jusqu'à nouvel ordre. La vente et le
débit d'alcool est interdit.
5. Pendant toute la durée du jour et de la nuit, les portes
d'entrées de tous les immeubles ne doivent être
fermées ni à clé ni au verrou. Les
fenêtres doivent être fermées du coucher du soleil
jusqu'à son lever. Personne ne doit se tenir près des
fenêtres et portes.
6. Sans l'ordre de l'autorité militaire, aucune
évacuation ne doit être effectuée.
7. Il est interdit à la population de la localité
située dans la zone des opérations militaires
éventuellement de circuler sur la voie publique même de
jour. Même de jour, elle doit se tenir à
l'intérieur des immeubles et, au cas échéant,
dans les caves. Les fenêtres et portes doivent être
fermées pendant les opérations militaires.
8. Tout transmetteur de renseignements à l'ennemi sera
considéré comme franc-tireur (espionnage).
9. Toute personne civile qui de quelque façon que ce soit
participe aux opérations militaires ou porte assistance
à l'ennemi sera traitée en franc-tireur.
10. Les troupes ont reçu l'ordre d'utiliser les armes en cas
d'infractions aux prescriptions du présent avis.
Collé le 6 juin 1944
Je me rappelle que maman avait
été très malade dans la nuit et il fallait
absolument aller chercher un docteur, mais comme je n'avais pas de
laisser-passer, ils ne m'ont pas laissé aller chercher le
docteur.
les cartes de
rationnement
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Pour revenir au ravitaillement, on
avait juste nos cartes. On était pas cultivateurs. Eux y
arrivaient, c'est pour ça qu'on allait chez nos anciens
propriétaires, qui étaient cultivateurs. On avait tous
les 15 jours une volaille, du beurre, mais il fallait venir de
Granville pour aller le chercher à Beuvrigny ! Il fallait que
ça dure pendant 15 jours parce qu'autrement on n'avait presque
rien. Mon frère avait eu ce qu'on appelait la galle du pain,
c'était une plaie, il avait le sang appauvri, on avait juste
juste juste ce qu'il nous fallait.
J'avais une chance, j'étais
J3, donc j'avais le droit à un petit peu plus que mes parents
et mes frères parce que eux n'étaient pas J3. J'avais
droit à un petit peu plus de pain, le café n'en parlons
pas, c'était de l'orge grillée, on s'en passait. Y'en
avait par contre qui profitaient de ça pour faire du
marché noir, ils vendaient à des prix insensés
leurs volailles, leurs légumes et tout ça. Ils se sont
enrichis comme ça. Y'en a toujours qui profitent du malheur
des autres, ça c'est certain.
On n'avait pas encore nos
vêtements ni rien du tout alors il fallait faire des miracles
pour s'habiller. Tout était contingenté, on avait le
droit peut-être à une robe par an. Y'avait pas des
garde-robes comme maintenant !
Daniel et Simone
Viard
Daniel (son fils) intervient
: Je me rappelle d'avoir vu mon père tracer avec un crayon
pour yeux, de la fesse de maman jusqu'au talon, pour faire croire
qu'elle avait des bas parce que ça faisait une
couture.
Oui, je n'avais pas de bas. Il
fallait avoir des astuces comme ça.
Je me rappelle que maman avait
voulu un corset parce qu'à ce moment-là, les femmes
portaient des corsets, eh bien, chez Luc Leboré, ils n'ont
jamais voulu, elle avait de l'argent pour payer mais ils n'ont jamais
voulu parce qu'elle n'avait pas de ticket.
Moi comme j'étais J3 j'avais
droit à de la laine, des choses comme ça, et j'ai
donné de la laine à Mme Zanello parce qu'elle n'y avait
pas le droit pour faire la layette à Emo. Pour être J3,
il fallait être jeune, de 18 ans jusqu'à 20 et quelques
années.
la rencontre de Simone et
Joseph Viard
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J'ai connu mon mari au mois de mai
44. On avait peu de choses à manger à Granville,
vraiment que la carte, la carte de pain pour 30 g de pain, 30 g de
viande, etc, et donc maman allait tous les 15 jours chez nos anciens
propriétaires de Beuvrigny chercher un peu de ravitaillement.
Et ce jour-là, je ne sais pas pourquoi, elle n'a pas pu y
aller, alors j'avais demandé un congé à mon
patron qui était M. Crespin, le directeur de Sidéco, et
puis Bernadette ma copine qui, elle, ne travaillait pas, et on est
partis chercher du ravitaillement. On avait dit à maman qu'on
couchait chez la tante Victoire mais on n'y est pas allées car
la tante Victoire avait le prie-Dieu, elle était du matin au
soir en prière, nous ça ne nous convenait pas, alors
Georgette qui avait des sous a dit : "On ne va pas aller chez ta
tante." On a couché à l'hôtel de France de
Tessy, rien que ça ! Mais comme on n'était quand
même pas très riches, on était dans une petite
chambre à l'annexe. Le matin, elle faisait de la gymnastique
torse nu devant la fenêtre. Un dimanche, en face de la
fenêtre, il y avait toute une équipe de foot qui
applaudissait ! On a refermé la fenêtre. Mon mari, je
l'ai connu ce jour-là au terrain de foot. Quand j'ai repris le
car, il m'a dit : "Quand vous serez décidée à
vous marier, vous me ferez signe !" Je me suis dit : "Il a des
prétentions, celui-là : je ne le connais pas, rien du
tout, et il me demande déjà en mariage, ça va
pas !" Il a écrit à mes parents mais il ne pouvait
pas venir à Granville car c'était zone rouge. A
Granville, on avait des chemins de frise (fil barbelé) dans le
milieu des rues. Il ne pouvait pas venir me voir alors on faisait
moitié route chacun. Il venait jusqu'à Hambye, et moi,
c'est moi qui en faisait le plus ! Je faisais Granville-Hambye
à vélo. J'étais domiciliée à
Granville donc j'avais le droit de sortir de Granville mais pour y
rentrer, pas question. Moi je pouvais car j'y étais
domiciliée. M. Crespin nous avait fait un laisser-passer donc
je pouvais rentrer mais les personnes qui voulaient venir à
Granville, surtout les hommes, ne le pouvaient pas, et on s'est
mariés le 16 octobre 44. Ça a été vite
fait, hein ? Juin, c'était le débarquement, il n'a pas
pu venir, juillet il n'a pas pu venir, août c'est là que
j'ai commencé à le revoir à Hambye, septembre on
a publié les bans et on s'est mariés au mois d'octobre
! J'aurais pu être la dernière des malheureuses car
ça a été vite fait ! Les gens de Tessy, qui
n'avaient même pas su qu'il fréquentait, disaient :
"Oh ben, Joseph Viard, il se marie si vite, c'est qu'il a mis sa
fiancée enceinte ! Mais Daniel est né deux ans
après."
Joseph et Simone
Viard
les Canadiens parlaient
le patois normand
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Le jour de la Libération, il y
avait une messe Te Deum. Il y avait des Allemands montés dans
le clocher de l'église, et au fur et à mesure que l'on
sortait, ils nous tiraient dessus. Ils ont été pris
quand on a été libérés par des Canadiens.
Ils parlaient le patois normand aussi bien que nous et papa n'en
revenait pas ! Ils étaient montés sur leur char et il y
en a un qui a dit : "Où qu'on peut cri d'l'iau ?"
(où est-ce qu'on peut aller chercher de l'eau ?) Papa disait :
"Mais ce n'est pas possible !" Et moi, comme j'étais
restée très peureuse, j'avais retourné ma bague
et y'a un prêtre protestant qui me dit : "Madame ou
mademoiselle ?" Je lui dis "Madame". Il me dit : "Tu
sais, là-haut, il y a un bon dieu qui t'entend, tu mens, j'ai
demandé à ton père, tu n'es pas
mariée." Je me suis dit : il va dire ça aux autres
et ils vont m'attaquer ! Mais non, ils nous gâtaient, ils nous
donnaient des chocolats, ils nous disaient : "Prenez, prenez, ceux
qui viendront après vous en demanderont
peut-être."
Ce sont des canadiens qui nous ont
libérés à St Aubin des Préaux et il y
avait Roger Lafrance, j'ai regretté de n'avoir pas eu
l'adresse, Simone Letourneur l'a eue. Il était jeune
marié mais son épouse ne pouvait pas avoir d'enfant. Il
était passé à la Haye du Puits et il avait
trouvé dans les décombres d'une maison une petite fille
qui pleurait : ses parents avaient été tués. Il
l'a prise, l'a mise en sécurité chez une nourrice qu'il
a payée avec l'argent de la Libération, ce qui
n'existait pas chez nous (nous, c'était le franc) et il a dit
qu'après la guerre, il reviendrait la chercher et il est
revenu la chercher. Mais Simone Letourneur, la patronne que l'on
avait, avait l'adresse et ils ont correspondu longtemps ensemble. Ce
sont des souvenirs d'il y a 65 ans !
l'évasion
d'Allemagne de Joseph Viard
|
Mon mari a fait beaucoup, beaucoup,
beaucoup. Il s'est évadé d'Allemagne en 1941 et il
fallait passer par l'Alsace et il avait la tenue de prisonnier de
guerre, avec les lettres PG derrière. Et alors, il voit des
vêtements civils étendus dans un jardin. Il est
rentré chez cette dame-là et il lui a demandé si
elle pouvait lui passer les affaires civiles parce qu'il allait
être tout de suite repéré. Elle lui dit :
"Oui, oui, oui, je vais vous chercher ça." Mais au lieu de
chercher ça, elle est allée à la Feldgendarmerie
et elle l'a dénoncé. Il n'était pas sorti de
chez elle que la Feldgendarmerie était là pour
l'arrêter. Il est reparti en Allemagne et au mois de
décembre 1941, il s'est évadé à nouveau
mais il avait eu le temps de voler du poivre, car il y avait des
chiens qui le recherchaient, alors sur son passage il jetait du
poivre. Si bien que les chiens pouvaient toujours éternuer
mais ils ne le trouvaient pas. Il a réussi à
s'évader comme ça. Une chance inouïe, toute sa
famille était cultivateur à Tessy. Alors, une fois il
était dans une ferme, une fois il était dans une autre,
une fois il était à St Jean des Baisants.
Aussitôt qu'il était dans la ferme, il était
dénoncé par les collaboratrices de Tessy. Ça a
duré jusqu'en 1944, ce manège-là, et donc il ne
mangeait pas toujours à sa faim. Les cultivateurs arrivaient
toujours à se nourrir potablement, alors il en avait toujours
une part et puis ses amis de Tessy, René Néel, tout
ça, souvent il y avait une part pour lui. Il couchait dans une
ancienne boulangerie, c'était un pétrin. Il avait 5 ans
de plus que moi, donc il avait 25 ans. Je l'ai connu au mois de mai
44 mais il était déjà prisonnier
évadé. Il avait une fausse identité, il
s'appelait Jules Varin, pour garder les initiales puisqu'il
s'appelait Joseph Viard. Il était recherché et, une
fois, le gendarme Batesti, qui était un Corse, l'avait
reconnu. Alors il lui dit : "Tu viens avec moi." Mon mari lui
avait dit : "Jules Varin" mais Batesti a dit : "Oui, mais
alias Joseph Viard." Ils étaient sur le pont de la Vire
alors Joseph a dit : "Si vous m'arrêtez, il y en a l'un ou
l'autre qui va s'en sortir. Il y en a un qui va tomber dans la Vire :
si c'est vous c'est bien, si c'est moi c'est pareil." Batesti lui
a dit : "Allez, file, et puis que je ne te revoie pas
!"
sauvée par un
commis de ferme
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J'ai été
attaquée par des Mongols dans la nuit du 16 au 17 juillet.
C'étaient des Mongols qui étaient enrôlés
dans l'armée allemande. Ils sont venus pour me violer, ils
violaient les femmes, brûlaient les maisons, ils ne marchaient
qu'au calvados ! Ils sont venus une nuit. C'est le petit commis de
ferme, Marcel Ménard, qui m'a sauvé la vie. Il a pu
aller chercher son patron et le patron avait déjà un
réfractaire de Paris, et M. Blivet, qui était de la
police de Granville, et puis lui il avait fait une matraque parce
qu'il savait qu'ils allaient s'attaquer à nous et donc, dans
cette nuit-là, les Mongols étaient dans la cour et
Michel avait dit à la chienne : "Couchée, Diane
!" Oui, mais il s'est retrouvé les fusils derrière
le dos et sur les côtés, et puis nous couchés
ici, alors ils ont monté l'escalier mais il n'y avait pas de
lumière, et moi j'étais blottie derrière mon
papa parce que j'étais transie de peur, et ils ont
frappé papa, il avait la figure toute tuméfiée,
c'était atroce. J'ai réussi à descendre
l'escalier et, au bas de l'escalier, il y avait les tiers à
vaches. Eh bien, je leur ai fichu ça dans les jambes, et le
temps qu'ils se dépatouillent de tout ça, on
était sortis par une porte arrière avec maman qui
était morte de peur. On était dans un champ de chanvre
qui faisait plus de 2 m de haut. Ils pouvaient toujours nous chercher
là-dedans ! Mais le lendemain, on s'est dit qu'ils allaient
revenir, alors Eugène Letourneur a dit : "Fusillés
pour être fusillés, on va se dénoncer."
Il est
allé se dénoncer à St
Léger. Les Mongols
avaient abandonné leurs fusils, leurs calots, tout ça.
C'était un mauvais point pour eux parce qu'en partant ils
avaient tiré dans les portes, il y avait des trous de balles
partout. Papa que l'on avait cherché toute la nuit, il
était sourd, on n'arrêtait pas de l'appeler, il
était caché dans une tranchée. On l'a
retrouvé à 6 h du matin transi de froid, et il est
allé avec Eugène se dénoncer. On a eu une chance
inouïe, c'est que le capitaine qui était là
était Polonais, et il parlait aussi bien français que
nous. Il a dit : "Eh bien, maintenant, on connait les
coupables." Tous les crimes qu'il y a eus, les femmes qu'ils ont
tuées, les maisons brûlées, tout ça,
c'étaient eux. Il a voulu me voir mais moi je ne voulais pas
parce que j'étais restée sur la peur et il a dit :
"Mademoiselle, n'ayez pas peur, ils ne reviendront pas." Et
donc les Mongols ont été fusillés dans la
forêt de la Lucerne. C'était une véritable
tuerie, une boucherie.
devant la ferme
où se sont passés les
évènements
la résistance
à Tessy-sur-Vire
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Après, au moment de la
Libération, ils voulaient mettre la place du Marché la
place Joseph Viard, parce qu'il a enterré toutes les victimes
des bombardements de Tessy. Il allait les chercher avec le chariot de
l'abattoir. Il mettait des nappes et les a tous enterrés.
Ça avait été terrible, parce qu'à chaque
fois il me disait ça, que le 6 juin 44, nous avions un
buraliste, M. Déroo, de Tessy. Leur fille était
étudiante à Coutances, et il y avait exactement le
même homonyme, M. Déroo, qui tenait une graineterie, qui
avait une fille à Coutances aussi. Ça n'a fait qu'un
bruit dans Tessy ! "M. Déroo a été tué
car sa voiture a été mitraillée sur la
route." Alors, quand M. Déroo, buraliste, est
arrivé, sa femme, quand elle l'a vu sortir plein de sang, lui
a dit : "Dieu merci ! Tu es vivant." Elle croyait que
c'était lui qui était mort mais c'était leur
jeune fille Lucette, qui était l'étudiante, qui avait
eu la carotide coupée. Bien sûr elle était
décédée. Il y avait tout un tas de badauds
à regarder, mon mari a demandé des volontaires pour
faire la toilette mortuaire. Ah, ça a fait une volée de
moineaux, tout le monde est reparti, il restait lui et la religieuse,
une sur qui l'a toujours aidé, dans toutes les
circonstances, et là ils ont fait la toilette mortuaire. Ils
croyaient que Mme Déroo allait tomber folle. Quand elle a vu
son mari, c'était pas lui, c'est l'autre qui était
mort, et puis quand il a fallu sortir la fille, alors ça c'est
un souvenir qui lui restait tout le temps. C'est vrai qu'il a fait
beaucoup, beaucoup pour Tessy.
Joseph
Viard
le docteur Lemoine et les
fausses cartes d'identité
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Le docteur Etienne Lemoine, le
grand-père de Jean-Claude Lemoine, avait réussi
à voler à la Préfecture le tampon de la
préfecture et il faisait des fausses cartes d'identité.
Alors un jour, ils s'amènent à 5 ou 6 et disent :
"On vient chercher des fausses cartes d'identité." Le
docteur Lemoine, qui était nerveux comme tout, leur dit :
"Fichez-moi le camp ! Quand vous reviendrez individuellement,
là on verra, mais pour l'instant non !" Il faisait de la
Résistance, ce monsieur. Il y a eu des armes envoyées
dans la forêt de Cerisy, par parachute, alors lui, le docteur,
comme il avait le droit de circuler, il avait des pneus, mais, ne le
voyant pas revenir, elle a téléphoné à
mon mari en lui demandant si elle ne pouvait pas le
rejoindre. Alors Joseph, Jules Varin, a pris le vélo et
est allé le rejoindre pour récupérer les armes
qui étaient dans la forêt de Cerisy. C'est fou ce qu'il
a fait ! A la Libération, ils lui auraient donné toutes
les médailles, tout ça, mais il a tout refusé.
Il n'a eu que la médaille commémorative
française de la guerre 39-45 avec barrette de la France, et
ça je ne savais pas qu'il avait eu ça. Il ne voulait
pas d'honneurs. Il disait : "Je l'ai fait parce que je devais
faire." Mais il ne voulait pas tout ça. Il était
très simple et ne voulait pas. Après on est partis sur
Paris et là, on a eu 3 enfants en 3 ans, 46, 47 et 49 !
Ça se suivait ! Y'avait pas de contraception à ce
moment-là ! Et après les deux filles. Mais c'est
sûr que j'ai un souvenir de lui formidable.
Quand il est
décédé, tous les drapeaux étaient en
berne sur son cercueil. Il y en avait 8 : cantonal,
départemental, anciens combattants, résistants et une
gerbe bleu blanc rouge des anciens combattants, etc.
Un des fils, Daniel, intervient : Ce que je trouve
insensé, c'est que tu ne touches pas un centime des anciens
combattants. Tu es la femme de Joseph Viard et tu n'as droit à
rien du tout !
Mais il ne voulait pas les honneurs. J'avais toujours dit que ce
qu'il avait fait, c'était pour la France, et que moi je ne
voulais rien. M. Gohier, qui est président des anciens
combattants à Condé, a écrit à l'ANAC et,
comme il a cotisé aux anciens combattants de 1944 à
1949, quand on est partis à Paris (mais après il y
avait 5 gamins alors il n'était pas question qu'il paie les
cotisations), eh bien il ne voulait pas le reconnaître ancien
combattant, donc je n'avais le droit à rien. C'était
Albert Bécel qui était trésorier. Ils ne
voulaient pas me donner la carte de veuve d'anciens combattants parce
que c'était une histoire de gros sous : il n'avait pas
cotisé suffisamment pour que j'aie le droit à la carte.
Ils ont cru que je voulais toucher une retraite d'anciens
combattants, il n'en était pas question, c'était pour
l'honneur de mon mari, de mes enfants, de mes petits-enfants,
arrière-petits-enfants, je voulais qu'ils reconnaissent tout
ce que leur père avait fait.
Les Allemands avaient
réquisitionné un veau de lait doux dans une ferme et
l'avaient tué. Mais comme il était chaud, ils n'avaient
pas pu le débiter. Alors, derrière chez les filles
Poulain qui étaient collaboratrices (elles couchaient avec les
Allemands et tout ça), ils avaient mis le veau dans une
pièce réfrigérée, mais Olivier, qui
était le voisin, avait vu le manège, alors il a dit
à mon mari : "Ils ont mis un veau là, dis donc !
Pendant que les Saint-Lois ont tout perdu et n'ont rien à
manger." Ils ont été chercher le veau. Quand les
Allemands sont venus pour rechercher le veau, il n'y en avait plus !
Olivier et mon mari l'ont débité puisque mon mari
était boucher, et ils ont fait des sachets qu'ils donnaient
à tous les réfugiés de St-Lô. Ils
passaient chez M. Raimeaud (dit "Chicago", car il avait appris son
métier là-bas) sur la place, et ils avaient tous soit
des côtes de veau, soit de la blanquette, etc.
Le prêtre n'a jamais voulu
aller accompagner les morts au cimetière. C'était
la sur qui venait et mon mari qui les mettaient en bière
et, après la guerre, le prêtre a dit un jour de sermon :
"J'ai vu leurs corps mutilés, je les ai accompagnés
jusqu'à leur dernière demeure." Alors Joseph s'est
levé et a dit : "Espèce de menteur, vous ne vous
êtes jamais dérangé pour y aller !" Le
prêtre avait peur, ça ne se commande pas la peur, mais
il ne fallait pas dire "J'ai vu leurs corps mutilés,
etc."
Tous les morts, quand ils ont
bombardé le pont de la Vire, y'avait Mme Brivoine, il y avait
un autre couple, il y avait 6 morts là, et quand les Allemands
ont vu mon mari les enterrer, ils l'ont obligé à
enterrer leurs morts. Mais il y en avait peu, d'Allemands de
tués. Mais par contre, celui qui a brûlé dans son
avion, les Allemands interdisaient d'aller lui porter du secours car
c'était un Américain, et l'autre qui avait
été parachuté du côté de Fourneaux.
Il s'amène en plein jour. Mon mari tenait une petite boucherie
sur la place, l'Américain ne parlait pas français mais
M. Raimeaud avait été en Amérique et parlait
très bien anglais. Ils lui ont donné des affaires
civiles, de l'argent français parce qu'il allait passer
à Bréhal et, de Bréhal, il fallait qu'il aille
à Granville. En 1949, il est revenu avec sa famille à
Tessy. Il cherchait partout le petit boucher qui lui avait
sauvé la vie, mais nous on était à Paris donc on
ne l'a su qu'après, qu'il était venu.
Le docteur Lebrun avait pris vraiment
mon mari en amitié parce qu'il lui avait dit : "Ecoute,
puisque tu as une fausse identité, tu peux donc faire partie
de la Croix Rouge". Alors il lui avait donné une
mallette avec tous les premiers secours. Je ne sais plus ce qu'elle
est devenue, cette mallette, on l'a eue longtemps à Troisgots,
elle doit être encore dans le grenier.
Daniel - Moi je me rappelle d'un masque à gaz.
- Ah oui, parce qu'on avait peur du gaz car à la guerre 14,
ils avaient utilisé du gaz, et papa, justement, nous avait
fait tellement peur avec l'arrivée des Allemands car lui avait
reçu à la guerre 14 des éclats d'obus dans le
dos. Ils n'ont jamais pu être extraits car c'était trop
localisé près des reins. Il nous faisait peur, on est
partis se réfugier à Giéville parce qu'il disait
: "Quand ils vont arriver, ils violent les femmes, ils
brûlent les maisons et tout ça." Les Allemands par
eux-mêmes ne l'auraient peut-être pas fait, mais
c'étaient ceux qui étaient enrôlés, comme
les Mongols. Eux, ils coupaient bien un doigt pour arracher
l'alliance. C'étaient des sauvages.
Il arrivait chez son oncle à
St Jean des Baisants et donc, tonton, qui était assez
âgé, lui avait payé un café. Les Allemands
arrivent, ça ne faisait même pas un quart d'heure qu'il
était là ! Pareil, il a eu la chance d'avoir une porte
derrière, il est sorti et il est allé se camoufler. Les
Allemands ont vu deux tasses de sorties, alors ils ont dit au tonton
: "Vous buvez du café dans les deux tasses ?" Sans se
démonter, le tonton dit : "Mais je suis veuf, je fais ma
vaisselle quand ça me plaît, quand je veux. Là,
si je veux prendre deux tasses pour mon café, j'en prends
deux, même trois !" Et c'était parce qu'il avait
payé du café à Joseph.
Je sais aussi qu'il y en a pas mal,
qui regardent peut-être les gens de haut maintenant, leurs
enfants aussi, ce sont des gens qui n'ont marché qu'au
marché noir et qui pendant la guerre se sont fait des
situations. Y'en a beaucoup qui se sont enrichis. Ce que je veux
dire, c'est que tout le monde n'était pas
résistant.
A St Poids, Joseph avait
rencontré Dario Zanello, ses parents et tout ça, mais
personne ne voulait les prendre pour coucher parce qu'ils
étaient Italiens alors mon mari, d'un aplomb formidable, a dit
qu'il était de la Croix Rouge et qu'il fallait absolument
qu'il les loge. Alors il les a logés, et dans cette cour,
il y avait une petite niche avec une Sainte Vierge. Tous les arbres
avaient été mitraillés, il n'y avait plus rien,
et dans la maison où ils étaient, pas une ardoise
n'était touchée !
Il a fait énormément,
Il y a des témoins de tout ça, c'est les Zanello,
Olivier, Georgette Lesage, qui ont gardé un souvenir de mon
mari formidable.
M. Hippolyte, il avait tout vu, mais
alors là, quand il entendait les avions, il se couchait sous
sa brouette mais elle ne le couvrait pas entièrement !
A la Libération, ils voulaient
mettre la place au nom de Joseph Viard. Il n'a jamais voulu. Il
disait : "Je n'en ai rien à faire de tout ça, ce que
j'ai fait, c'est que je devais le faire, c'est tout."
Mme Brivoine avait été
tuée sur le pont de Tessy, elle avait les jambes
sectionnées donc il avait fallu reprendre les jambes, les
mettre dans le cercueil et il ne voulait plus manger de rouelle de
veau parce qu'il disait : "Ça ressemble à la cuisse
de Mme Brivoine."
Daniel - Quand tu parles de
machine à écrire, je repense tout de suite à ce
que disait papa quand il voyait après-guerre, donc beaucoup
plus tard, quelqu'un qui se faisait remettre une légion
d'honneur ou des palmes de ceci ou de cela. Papa, qui avait fait
tout ce qu'il a fait parce qu'on a quand même qu'un petit peu
de détails mais il y a sûrement encore plein plein plein
d'autres choses qu'on ne sait même pas, et il avait un sourire
et disait : "Tiens, encore un qui a sauvé une
machine à écrire", parce que lui avait quand
même tout refusé.
Fernand Lepileur, qui était
à Torigni, le beau-frère de Michel Hurel, a eu la Croix
de guerre, la médaille militaire et tout ça parce qu'il
avait sauvé la machine à écrire de son colonel !
Il n'a jamais été au front, rien, mais lui il voulait
tous les honneurs alors que mon mari ne voulait pas.
Daniel - Maintenant, quand on
regarde une émission de télévision qui retrace
la guerre 39-45, on ne nous parle pas assez du STO, de tous ceux qui
se sont battus, les 1ers communistes qui ont été en
Allemagne et qui ont été les premiers à essayer
les fours crématoires, il faut savoir tout ça ! Alors
j'estime que c'est bien qu'on nous fasse voir la Shoah parce
qu'effectivement c'est atroce, mais pas au détriment de tous
ceux qui se sont battus d'une façon ou d'une autre :
résistants ou autres. Ce n'est pas spécialement la
Grande Vadrouille qui va redonner espoir à tous ceux qui se
sont tus jusqu'à présent, qui n'ont pas voulu parler
parce que c'était trop atroce de parler de ces choses qu'ils
ont supportées, et qui commencent à parler maintenant.
Ça peut servir pour tout le monde afin que le fascisme ne
repasse pas. C'est clair, c'est ce que je pense."
Vous trouverez ici les fichiers
audio et les vidéos
https://www.stleger.info