LE
TOUR DU MONDE 1864
Voyage
dans les mauvaises terres du Nébraska
(États-Unis)
par
M. E. de Girardin
1849-1850
Texte et dessins
inédits*
*Tous
les dessins joints à cette relation ont
été exécutés par M.
Lancelot, d'après les croquis
rapportés par le voyageur.
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Voyage
de Saint-Louis au fort Pierre
Chouteau
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J'avais
été chercher fortune à Saint-Louis, la
grande cité du Missouri ; tour à tour
commissionnaire, colporteur ou conducteur de mulets,
j'allais aussi, moi, suivre le courant de
l'émigration vers la terre promise de Californie,
quand je rencontrai un géologue américain qui
devait partir ce jour même pour un long voyage
d'explorations à travers le continent
américain.
J'obtins de l'accompagner comme dessinateur ; on me demanda
deux heures pour faire tous mes préparatifs de
voyage, c'est-à-dire acheter un pantalon de peau de
daim, deux chemises de laine, un revolver et une carabine,
et je m'embarquai sur le steamboat Iowa, au milieu d'une
cohue et d'un brouhaha des plus étourdissants.
Les nombreux amis des passagers nous accablaient d'une
grêle d'oranges et poussaient des hourras
frénétiques, les maures d'équipage
frappaient les matelots ivres, on se disputait et on jurait
en toutes sortes de langues de l'ancien et du nouveau monde,
au milieu des sifflements aigus et des grondements sourds de
notre puissante machine, dont la vapeur nous enveloppait
d'un nuage épais.
l'Iowa,
steamer sur le Missouri
On sait que
les steamboats américains ne ressemblent en rien aux
chétives embarcations de nos rivières. Ce sont
d'immenses constructions à 3 étages,
surmontées de 2 énormes cheminées, de
véritables caravansérails où le
voyageur trouve tout le luxe et le confortable d'un
hôtel de première classe. Aussi une dame de
Saint-Louis, voulant donner une haute idée d'une
maison meublée et décorée avec luxe,
disait : "C'est presque aussi beau qu'un steamboat
!"
Nous
étions 200 passagers environ, la plus grande partie
passagers d'entre pont, pauvres aventuriers engagés
pour un an à la Compagnie Américaine, qui fait
le commerce des pelleteries du Far-West. Il y avait des
types de tous les pays du monde : Parisiens barbus, les uns
victimes des évènements politiques, les autres
déserteurs de la colonie de Cabet ; Danois,
Allemands, Espagnols, Anglais, Irlandais, nègres,
mulâtres, Indiens et métis. Les plus nombreux,
cependant, étaient les Canadiens : doués d'une
constitution de fer, habitués aux voyages et aux
dangers, ce sont d'excellents chasseurs et des coureurs
d'aventures infatigables.
A la
chambre, nous avions trois géologues, un botaniste,
deux officiers de l'armée américaine et un
jeune prince allemand et sa suite. La race indienne y
était représentée par deux sauvagesses
pur sang, dont l'une, fille d'un chef Pied-Noir, et
mariée à un directeur de la Compagnie des
Fourrures, est bien connue dans le haut Missouri pour
l'heureuse influence qu'elle y exerce (...)
îles
flottantes du Missouri
(...)
Remontant péniblement contre un courant de 4 à
5 kilomètres à l'heure, nous passons devant
les coteaux de Gasconnade, remarquables par leurs beaux
rochers couverts de verdure ; puis viennent Jefferson-City,
la capitale du Missouri, et Indépendance, où
les Mormons, dans leur hégire, avaient établi
leur nouvelle Sion et d'où ils furent chassés
par les Missouriens.
Aujourd'hui
cette petite ville est encombrée d'émigrants
se rendant en Californie et un ferry-boat (bac) à
vapeur traverse continuellement le fleuve, transportant
d'une rive à l'autre une multitude de chariots, de
nombreux troupeaux de bufs et de chevaux, ainsi, que
des milliers d'émigrants, hommes, femmes et
enfants.
Après
un temps d'arrêt causé par de nombreuses
déceptions, une nouvelle épidémie de
fièvre d'or venait de se déclarer : les
fermiers vendaient leurs terres à vil prix, les
hommes de loi abandonnaient leur étude ;
négociants, ministres, presbytériens,
méthodistes ou baptistes, tous endossaient la chemise
de laine rouge et, le revolver à la ceinture, la
longue carabine sur l'épaule, ils s'acheminaient en
longues caravanes vers le nouvel Eldorado.
Les chariots
d'émigrants, recouverts d'une large toile, sont
arrangés à l'intérieur avec beaucoup
d'ordre et de propreté ; c'est une cabane roulante
que son propriétaire doit habiter pendant 6 ou 7
longs mois, et qu'il rend aussi confortable que
possible.
Les
pistolets et les carabines, arsenal indispensable à
l'aventurier du Far-West, sont accrochés aux parois
intérieures du chariot ; dans un coin est
attaché le poêle en fonte que l'on installe
à chaque campement, pour y cuire le biscuit.
Çà et là sont aussi suspendus des
outils et des ustensiles de ménage. On trouve dans
presque toutes ces tentes roulantes quelques ouvrages
d'histoire et de géographie, et toujours la Bible, ce
compagnon inséparable de l'émigrant
américain.
Quelques
émigrants inscrivent extérieurement sur la
toile leur nom et profession ; je lis sur l'un des
chariots
J.
B. SMITH, DENTISTE DE NEW-YORK
S'adresser au bouvier
Le bouvier
n'était autre que le dentiste lui-même ;
après avoir dételé ses bufs et
cuit son dîner, il passait un habit noir, et, comme
les charlatans de nos foires, il faisait monter les victimes
dans son chariot et leur arrachait les dents, sans douleur,
moyennant la modique somme d'une piastre.
On me montre
un grand chariot couvert d'une toile blanche à raies
bleues et hermétiquement fermé. Il est
habité, me dit-on, par 6 jeunes filles qui vont aux
mines d'or y chercher des maris et une position
indépendante. On les dit fort jolies, et surtout fort
respectables, et la preuve de cette dernière
assertion est qu'elles verrouillent chaque soir avec des
épingles la porte de calicot qui ferme leur chariot
(...)
cimetière
indien Sioux
(...) Ce qui
frappe le plus le voyageur remontant le Missouri, c'est
l'immense quantité d'arbres énormes
entraînés par le courant et qui,
s'enfonçant dans le lit boueux du fleuve,
présentent une pointe souvent à fleur d'eau et
causent de nombreux et terribles naufrages.
Parfois, ces troncs d'arbres accrochés ensemble et
amoncelés les uns sur les autres forment des
îlots et couvrent une étendue de plusieurs
milles, et c'est à peine si les bateaux peuvent se
frayer un passage en faisant mille zigzags ; aussi est-il
impossible de naviguer la nuit et, au coucher du soleil, le
steamboat est solidement amarré à la rive.
Comme le pays est complètement inhabité et que
l'on n'y trouve ni charbon, ni bois coupé d'avance,
nos 80 hommes d'équipage, armés de haches,
font un terrible dégât dans les vieilles
forêts de cèdres ou de peupliers des deux
rives.
Les
compagnies qui ont pour but le commerce de pelleteries sur
le territoire américain sont au nombre de deux
seulement : la Compagnie Américaine (Américain
fur Company) et celle de l'Opposition. La haine la plus
invétérée existe entre les
employés de ces deux compagnies, et ils ne reculent
devant aucun moyen de se nuire mutuellement toutes les fois
qu'il s'en présente l'occasion.
Un jour que nous passions devant un blockhaus ou poste
d'hiver appartenant à la compagnie de l'Opposition,
notre capitaine trouva charmant de débarquer tout son
équipage et de démolir maisons, bastions et
palissades ; le tout fut transporté à bord et
brûlé dans la journée.
Quelques jours après, le bateau de l'autre Compagnie
se vengea en renouvelant, sur un autre point, l'innocente
plaisanterie de notre capitaine et détruisant
complètement un poste d'hiver de la Compagnie
Américaine.
camp d'Indiens
sioux
Cette longue
navigation devient fatigante et monotone ; jour après
jour, nous remontons le grand fleuve et le volume d'eau
qu'il roule sur son lit de vase semble augmenter sous notre
carène, les îlots de troncs d'arbres sont moins
nombreux, les épais massifs de cotonniers qui
bordaient les rives font place à des prairies
à perte de vue et, parfois, une colonne de
fumée visible à l'horizon nous indique un
campement d'Indiens.
Les nuits
sont brûlantes ; dès que le bateau est
amarré à la rive, des millions de moustiques
envahissent le salon et les cabines. Alors, malgré la
chaleur, il faut se ganter et s'envelopper la figure et le
cou à grand renfort de foulards et de
cache-nez...
Pour lire
la suite, passionnante, se reporter aux pages
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