En
août 1914 et dans les semaines qui suivirent, les combats qui
ont opposé l'armée française et l'armée
impériale allemande ont été effectués
dans le cadre d'une "guerre de mouvement" au cours de laquelle se
sont succédé marches et contre-marches, attaques et
retraites. Les militaires faisant fonction d'officier de
l'état-civil se trouvaient généralement au sein
de l'état-major du régiment, pas nécessairement
en tête mais pas non plus à l'arrière des
troupes.
La guerre aux
frontières fait rage. Dans les deux camps, les hommes tombent
en masse. Le recensement des pertes, tués et blessés,
est compliqué par les mouvements des troupes. Les
périodes de repos sont rares. L'appel des hommes pas toujours
facile. Lors de ces appels, ceux qui répondent
"présents" ne savent pas toujours ce qu'il est advenu de leurs
camarades manquants (...)
Les troupes manoeuvrant
généralement en ligne, quelques fois en tirailleurs,
des hommes tombaient, tués ou pas, alors que certains de leurs
camarades poursuivant leur avance ou leur retraite, étaient
à leur tour mis hors de combat ou faits prisonniers. Les
"témoins" des premiers morts étaient ainsi dans
l'impossibilité de faire (par deux) la déclaration
légale de décès auprès des
autorités compétentes. Il arriva que - en France ou en
Belgique - des populations civiles restées chez elles ont
ramassé les dépouilles de soldats morts, quand ce fut
possible les ont identifiées, ont rapporté les
décès aux autorités civiles (ou religieuses)
parfois présentes, les ont fait enregistrer et ont
procédé aux inhumations.
La brutalité de ces
premiers combats ont également via des bombardements, des
"marmitages", des explosions ou des incendies fait disparaître
des hommes au sens propre. La forme de guerre qui suivit, la guerre
de position (ou guerre de tranchées), ne permit pas d'avantage
de mieux enregistrer les actes de décès.
Plusieurs problèmes
découlèrent de cet état de faits :
- Comment faire le point sur les pertes réelles et leurs
natures ?
- Comment "officialiser" certains de ces décès ?
- Comment faire le point sur les disparitions ?
Les fiches des soldats
"Morts pour la France" mises en ligne sur le site
Mémoire
des Hommes
proposent toute une variété de conditions de
décès.
Parmi les plus fréquentes figurent : Tué à
l'ennemi, Mort de blessures de guerre, Mort de maladie, Mort en
captivité, Mort lors d'une tentative d'évasion, Disparu
lors d'un naufrage, Disparu au combat... Ces mêmes fiches
indiquent pour chacun comment fut rendu "officiel" le
décès et où il fut
enregistré.
La plupart des
décès survenus dans les ambulances (antennes
médicales de la zone des combats) ou dans les hôpitaux
militaires de l'avant, à la suite de blessures ou de maladie
contractée au front, ont fait l'objet de déclarations
auprès d'un officier de l'état-civil militaire ou
auprès de la mairie du lieu, quand il en existait encore une,
puis lesdites déclarations ont été transmises
pour enregistrement à la mairie du dernier domicile connu du
défunt (...)
Des soldats dits
"Tués à l'ennemi" ont pu faire l'objet d'un acte de
décès établi dans les formes par un officier de
l'état-civil quand deux témoins du trépas
pouvaient apposer leur signature à l'acte, ledit acte
étant transmis pour transcription à la mairie du
dernier domicile connu.
Bien des soldats "tués à l'ennemi" n'ont pu faire
l'objet de la rédaction d'un acte de décès
"règlementaire", faute des deux témoins. Ils ont
cependant été rayés des effectifs quand pouvait
avoir été récupérée leur plaque
d'identité (plaque "unique" en maillechort comportant les
prénom, nom, classe, lieu de recrutement et n° de
matricule de son titulaire). Des hommes ont également
été physiquement annihilés lors d'explosions, de
glissements de terrains... Des officiers de l'état-civil ont
pu également être tués et des registres de
l'état-civil militaires dûment remplis perdus avec
eux...
Afin de pouvoir rendre
patente la mort de ceux n'ayant pu faire l'objet d'un acte de
décès "normal", il a fallu recourir à des
décisions de justice. Ce fut le Tribunal d'Instance dont
relevait le domicile de chacun de ceux qui étaient
concernés, qui fut sollicité. Une procédure
standardisée fut mise en place. Les décisions de
justice étant par la suite transmises aux mairies
concernées.
Ces décisions de justices furent souvent primordiales. Elles
ont permis de régler des problèmes de succession
(héritages), de transmission de patrimoine, de gestion
d'entreprises, sans oublier le remariage de veuves, la
reconnaissances d'enfants comme Pupilles de la
Nation...
6
septembre 1919 - jugement du Tribunal de
Cholet
|
Jugement
déclarant décès de
Jaud
"(...)
Et attendu que le sieur Jaud Auguste Charles Marie,
né à Montigné sur Moine le
treize mai 1881, fils de Auguste et de Marie
Dobigeon, époux de Bousseau Marcelline Marie
Mélina, profession de ---------,
domicilié à Montigné sur
Moine, est décédé comme soldat
au 77e d'infanterie et mort pour la France à
Zonnebeke le douze novembre mil neuf cent
quatorze
Que ce
décès est attesté par un acte
de disparition et une liste d'inhumation d'origine
allemande et confirmé par ce
fait
/
Requiert qu'il plaise au
Tribunal
déclarer que le sieur Jaud
sus-nommé, est décédé
et mort pour la France
et dire que le
jugement à intervenir tiendra lieu d'acte de
décès et qu'il sera transcrit (dans
les registres de la commune de Montigné sur
Moine)
Cholet,
le 6 septembre 1919"
D'où
cette indication sur sa fiche de
Mémoire
des Hommes
:
Le verso
de ce document reprend les termes du jugement,
à quelques mots près, pour lui donner
force d'exécution :
"(...) Attendu que le décès du
sieur Jaud paraît établi d'une
façon certaine et qu'il y a lieu de le
déclarer constant, en en fixant la date au
douze novembre 1914 (...)"
"Ainsi
fait et prononcé le six septembre mil neuf
cent dix neuf en audience publique du Tribunal
civil de première instance de Cholet, tenue
par Messieurs (suivent les noms du
Président, de son adjoint, des juges, du
Procureur de la République, de son assistant
et du commis-greffier)"
Au-dessous : "Visa pour timbre et
enregistré à Cholet le vingt-deux
septembre 1919
Gratis"
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Pour certaines des
familles, ne pas pouvoir se recueillir devant une tombe était
insupportable. C'est une des raisons qui ont conduit le gouvernement
français de l'époque à faire déposer
à l'Arc de Triomphe de Paris celui qui devait
représenter tous ces inconnus, ces "sans tombe
identifiée", ces "vrais disparus" mais toujours
présents.