"La
légende que je vous retranscris ici est née sous la
plume du Dr Westphalen.
Dans le bon vieux
temps, du temps des causeries faites entre femmes, près de
lâtre du feu, une demi-douzaine de filles de Vigy
étaient en train de filer. On racontait des contes de
revenants à faire dresser les cheveux sur la
tête.
La grande Marie ne
voulait rien croire. Cétait une gaillarde. Mais ne
voilà-t-il pas que ses compagnes lui promettent une belle jupe
de calamante si elle avait le courage, la nuitée suivante,
à minuit, daller au fond de Génivaux, au milieu
des bois de Vigy et de crier : "Ho ! Ho ! Au fond de
Génivaux, jy suis !".
La Grande Marie
accepte la proposition, et le lendemain les voilà toutes en
route vers les onze heures de la nuit, par un beau clair de lune.
Arrivées en haut des vignes, elles ont fait halte, et la
Grande Marie, après avoir fait le signe de croix, sen va
toute seule au fond de Génivaux.
Au bout dune
demi-heure dattente, elles ont entendu crier : "Oh ! Oh ! Au
fond de Génivaux, jy suis !" Mais tout de suite
après, une autre voix a répondu : "Oui, sans
leau et le sel, tu ny étais
plus."
Les filles du haut
des vignes sont rentrées à Vigy en courant, toutes
tremblantes. La Grande Marie, une heure après, avait
gagné la jupe de calamante. Mais elle a juré
quelle ny retournerait plus !
Voici une
légende populaire qui sest bien
disséminée. Vous pourrez trouver des textes semblables
dans différentes régions, de préférence
dans un endroit un peu isolé mais proche dun village. La
trame est en général très similaire, seuls
changent les détails tels que les objets protégeant du
Diable. Nous verrons toutefois à loccasion, du
côté de La Bresse, dans les Vosges, une alternative
intéressante à cette histoire.
le fond de
Génivaux et sa fontaine
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Le fond de
Génivaux est le lit relativement profond dun ru dans un
sillon lui-même assez encaissé. Le tout donne un endroit
assez particulier qui put faire travailler limaginaire, surtout
à la nuit tombée, sous les ombres vacillantes dues aux
flammes. En haut de la pente se trouve la fontaine des
Génivaux quil ne faut pas comprendre dans le sens urbain
du terme. Il ne sagit en fait que dune source au pied
dun arbre. En bas, le ru se jette dans la
Canner.
leau
et le sel, des symboles de la
chrétienté
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La
référence à la chrétienté est plus
quévidente dans la liste des objets permettant de se
prémunir contre le Diable. Car sans ces objets, point de
salut.
Leau
rappelle bien sûr le baptême et par extension, leau
bénite connue dans le monde des légendes pour
éloigner voire faire fuir le Diable. Son effet semble bien
plus puissant que la citronnelle sur les moustiques, tant les
traditions populaires usent de ce moyen de défense. Mais
leau nest bien sûr pas uniquement symbolique dans
cette tradition, et finalement la plupart des religions (si ce
nest toutes) font de cet élément un objet de
culte capable de purification.
Le sel, quant
à lui, peut rappeler plusieurs choses. Tout comme leau,
le sel fut un des éléments du baptême
jusquen 1947. On apposait du sel bénit sur la bouche de
lenfant. Le sel est aussi un symbole biblique du
discernement.
Il est parfois
possible de trouver un troisième élément
remplaçant un des deux premiers, à savoir le pain.
Là encore, cest un symbole chrétien
évident. Nouvel objet bénit par le prêtre, mais
cette fois nous quittons le baptême pour la
communion.
une
métaphore pour les jeunes filles
?
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Une analyse, toute
subjective, de ce texte me fait voir une métaphore à
destination des jeunes filles. Si on lit le texte un peu
différemment, on peut se dire que lintrusion dans le
domaine du Diable correspond aux tentations qui jalonnent la vie du
croyant. Ici, Marie "tente le Diable" pour une jupe, poussée
dailleurs par les "bons" conseils de ses amies. "Heureusement"
pour elle, léglise la protège contre la
damnation. Car, malgré le risque pris, son baptême,
représenté par leau et le sel, mettra en fuite le
Diable. Autant dans certaines localisations de cette légende
les symboles sont présents physiquement dans les poches,
autant ici rien nest précisé, et le Diable parle
peut-être seulement du baptême qui protège la
jeune fille.
La légende
peut aussi être tout simplement la trace dune pratique
adolescente visant à se faire peur. La légende serait
alors uniquement la scénarisation dun
"rite".
Je pense toutefois
que lon est entre les deux hypothèses."
Source et lien :
http://www.mylorraine.fr

https://www.stleger.info