Sept
heures ! Dong ! dong ! dong ! et ding ! ding ! ding ! dong ding ding
dong !...
Oyez bonnes gens, il est temps de sortir de votre douce torpeur qui
précède le réveil, cest ce que vous
carillonne familièrement l'église Saint-Léger
dans lenvolée de langélus du matin,
aujourdhui comme hier et comme demain... Car, vous le savez,
nos journées, comme toute notre vie dailleurs, sont
rythmées par les cloches !
Lorigine des cloches remonte
à la Préhistoire, mais cest à partir du
10e siècle quelles acquièrent toute leur
importance, à lépoque où elles traduisent
le droit de réunion que viennent dacquérir de
leur seigneur les bourgeois des "communes jurées", par charte
de liberté. Les bourgeois se servent alors de la tour
dune église pour installer "leur" cloche : la
"bancloque".
Mais les protestations des membres du
clergé contre cet usage abusif obligent alors à
installer la bancloque dans une tour de lenceinte de la "ville
franche" ou dans un beffroi construit spécialement au milieu
de la cité et devenant de ce fait le symbole des
libertés acquises. Ainsi les cloches des églises
nont plus de caractère que liturgique...
Louise (1783), 1802
kg, sonne en ré.
À Is-sur-Tille, trois cloches
habitent léglise Saint-Léger. Il y a dabord
Louise, la plus ancienne, au passé agité - ne dut-elle
pas être fondue trois fois avant davoir son existence
propre ! -, en place depuis 1783, date de sa
bénédiction, et qui porte fièrement les armes de
notre ville, ainsi que la figure de lévêque saint
Léger et le Christ sur la croix, avec sainte Madeleine en
prière à ses pieds. Belle pièce que cette
douairière, fière cantatrice qui nous donne la note
ré, puisquelle pèse 1 802 kg. Elle fut
élevée au rang de monument historique le 15 avril
1943.
Suzanne-Mélanie
(1835), 334 kg, produit un si bémol.
Dans son voisinage immédiat,
la "petite" : elle ne pèse que 334 kg et donne la note si
bémol. Elle porte dun côté la Vierge, de
lautre le Christ et on y lit linscription suivante :
"Faite en 1835 aux frais de la fabrique dIs-sur-Tille, et
bénite par M. Gouvenot curé, nommée Suzanne
Mélanie. Jai pour parrain M. le Cte J. L. M. Charbonnel
de Salles, lieutenant général dartillerie,
chevalier de lordre royal et militaire de St Louis, grand
croix de la Légion dhonneur, et pour marraine Dame
Suzanne Trulard, veuve Marinet."
Geneviève-Marie-Thérèse-Jeanne
(1926), 525 kg, donne le sol.
Quant à la troisième,
cest la pièce la plus honorée du groupe, celle
qui est si fière de porter le titre de "cloche de la Mission".
Pour elle, de nombreux souscripteurs enthousiastes dIs et de
Marcilly ont vidé leur tirelire, gens issus des familles
modestes comme des plus fortunées, enfants, hommes, femmes, de
tous âges, associations : que dempressement et de
générosité !... Cest que le métal
requis pour la voir naître (alliage de 78% de cuivre et 22%
détain : proportion correspondant au meilleur
résultat pour la fusion du métal et pour la bonne
sonorité de la cloche) coûtait cher. Sortie de la
célèbre fonderie Paccard dAnnecy*, elle
pèse 525 kg et donne la note sol. Cest en lan de
grâces 1926 quelle arriva dans notre ville,
destinée à venir sintercaler entre la grosse
cloche ré et la petite cloche si bémol, pour un
accord mineur ré sol si bémol, harmonieux et
puissant**.
*
De cette fonderie
célèbre étaient déjà sortis
Françoise Marguerite dite la "Savoyarde" du Sacré-Coeur
de Montmartre (18 835 kg), le carillon de Chaumont et "Jeanne
dArc", le magnifique bourdon de la cathédrale de Rouen
(20 000 kg !)
Nota bene : Deux des plus grosses cloches connues : celle du Kremlin
à Moscou pesant 201 206 kg, mais aujourdhui
déposée, et le gros bourdon de Notre-Dame de Paris
dun poids de 17 170 kg !
**
Les cloches des carillons
sont accordées et leur tracé suit les lois de
lacoustique, leur diamètre augmentant avec la
gravité du son recherché. Chaque cloche émet un
son complexe avec une note fondamentale accompagnée de ses
harmoniques.
La hauteur du son varierait en fonction inverse de la racine
carrée du poids de la cloche.
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église
d'Is sur Tille
ensemble ouest et clocher
photo prise sans doute avant 1905
idem pour les 3 suivantes
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http://www.culture.gouv.fr/documentation/merimee/FRANCE/com-102.htm
Dans le culte catholique, les cloches
sont solennellement bénies ou baptisées lors de leur
mise en place et reçoivent un nom de saint, ainsi quun
parrain et une marraine, ceci afin dêtre adaptée
à leur vocation. Vous êtes aujourdhui
invités, vous tous Issois, au baptême de
Geneviève Marie Thérèse Jeanne, en cette
journée paroissiale du dimanche 25 juillet 1926 où rien
ne sera négligé pour en assurer la
splendeur.
Huit jours avant la date de la
cérémonie, dès son arrivée dans notre
ville, quelle effervescence autour de la "cloche de la Mission" : on
veut la voir de près, suspendue à son
échafaudage provisoire !
Cest un défilé
ininterrompu de paroissiens... Quelle est belle ! et si
artistiquement ciselée aux effigies du Christ, de la vierge
Marie, de Ste Geneviève, de Ste Thérèse de
lenfant Jésus, de Ste Jeanne de Chantal et de la marque
des fondeurs ! Comme vigoureux semble le lourd battant
intérieur suspendu au cerveau-calotte par une puissante
bélière afin de mettre en vibration le métal,
dans un mouvement impressionnant de balancier, pour que
résonne la voix dairain dans la grande cage de pierre du
clocher !
En même temps, clergé,
séminaristes, sacristines, jeunes filles de lAssociation
Jeanne-dArc, se hâtent de parer léglise aux
couleurs de la Vierge, du Pape et de la France...Quelle
fièvre, quelle impatience !
église d'Is
sur Tille - vue intérieure du bas-côté sud et de
la nef, vers le nord-est
Enfin arrive le jour attendu. A 10
heures précises, Sa Grandeur Mgr Landrieux, tout juste
rentré dun voyage fatigant à Chigago (quel
honneur, ce déplacement jusquà Is-sur-Tille !),
fait son entrée dans léglise,
précédé dun long cortège
denfants de choeur et accompagné des Missionnaires, le
R.P. Charpenet et le R.P. Guinot, ainsi que de M.M les Vicaires
Généraux Marigny et Perrenet.
Tous gagnent le choeur où un
trône aux riches tentures rouges frangées dor
attend Mgr lEvêque. M. le Chanoine Constant,
assisté de diacre et sous-diacre, est à lautel
qui a reçu une exquise décoration florale. La
cérémonie du matin, alors, peut démarrer :
marche solennelle et sonnerie "À lEtendard" par la
fanfare des Violettes, messe à 3 voix de L. Perosi et Tollite
hostias à 4 voix mixtes de Saint-Saëns par le talentueux
choeur paroissial, prêche en chaire du R.P Guinot qui explique
le langage et la fonction de la nouvelle cloche, puis sortie de
Monseigneur lEvêque qui quitte léglise,
accordant aux enfants sa bénédiction, aux accents de la
fanfare qui forme la haie sur son passage. Va alors suivre un
dîner privé pour 70 convives : Monseigneur et le
clergé, parrain et marraine de la cloche, membres du Conseil
paroissial, présidents et membres des Comités des
oeuvres, délégués cantonaux de lUnion des
Catholiques...
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église
d'Is sur Tille
vue intérieure de la nef, vers le choeur
|
Pendant ce temps, on samasse
dans léglise, devenue trop petite pour loccasion
(de mémoire dhomme, il ny eut jamais pareille
affluence !)... et enfin, à 15 heures, le "baptême" de
la cloche commence dans un magnificat entonné par le choeur
paroissial et continué par la foule. Et tous les regards alors
convergent vers celle pour qui tous sont là. Quelle est
resplendissante dans sa jolie robe blanche ajourée sur fond
bleu, suspendue à son échafaudage tapissé de
lierre et piqué de roses !
la nef, vue de
l'entrée
La cérémonie va se
dérouler selon un rite majestueux, tenant compte des
instructions du Pontificat : lavage de la cloche avec une eau
bénite spécialement pour cet usage, onctions avec les
Saintes Huiles, 7 sur la paroi extérieure puis 4 à
lintérieur, bénédiction de
lencensoir fumant dencens et de thym et placé sous
la cloche pour que des parfums la remplissent.
Ensuite Sa Grandeur "donne la voix"
à la cloche : il tire trois coups de battant en lhonneur
de la Sainte Trinité et invite le parrain, Monsieur Edouard
Delaunay, et la marraine, Madame Louise Courtois Bazin, à
faire de même*, puis il dit la signification de la cloche
dans le langage de la liturgie et la splendeur de sa voix qui parle
à nos âmes ..., il dit aussi sa gratitude pour le geste
des paroissiens désireux de conserver vivant le souvenir
dune Mission** fécondée par la grâce de
Dieu, et il en profite pour évoquer notre patrie sournoisement
attaquée par la franc-maçonnerie, le pire des ennemis
de lÉglise, et par le poison dun laïcisme
destructeur qui a chassé Dieu de lécole et de
lâme des petits enfants...
Suit un déferlement
dapplaudissements venus de la foule, vite comprimés : on
est dans une église ! et cest alors la fin de la
grandiose cérémonie : salut solennel, hymne des
cloches, cantate de Bach "Sonnez cloches bénies", distribution
des traditionnelles dragées par le parrain et la marraine...
La semaine qui suivra verra la nouvelle venue prendre place
auprès de ses soeurs...
* Au Moyen-Age, cela
sappelait "donner la parole aux cloches".
** Cette grande Mission, prêchée par les
Révérends pères Charpenet, Guinot et Bauquis,
avait été clôturée le jour de Noël
1925 et avait été à lorigine dune
grande souscription populaire.
Is sur Tille - place
de l'hôtel de ville
Notez la présence du tambour de ville !
Aujourdhui, écoutons
chanter l'église Saint Léger...
Régulièrement, en son clocher, se lève une mer
dharmonie, union dondes sonores, dune absolue
précision, qui flotte, ondule, tourbillonne,
sétend, se gonfle : cest la voix des cloches, dans
lannonce dévénements tristement graves ou
joyeusement gais, rituels ou exceptionnels. Il leur faut
sadapter aux circonstances : tintements légers pour
langélus, appels engageants pour les messes, glas
lugubres et lents, envolées carillonnantes et joyeuses pour
les mariages, les baptêmes ou les fêtes. La vibration de
chaque cloche monte droite, pure, isolée des autres ; puis,
peu à peu, enflant leur voix, toutes trois se fondent, se
mêlent, senlacent, seffacent lune dans
lautre dans un superbe concert.
Vous y voyez sauter les octaves et éclater des trilles
resplendissants. Vous pouvez suivre leur conversation, alors ne vous
privez pas de cette féerie auditive...
Sources : Bulletins
paroissiaux de lannée 1926 et "Histoire
dIs-sur-Tille" par Mochot, chapitre "Cloches"
la mairie et
l'église, de nos jours
https://www.stleger.info