Avant
dévoquer la vie du fils aîné de Combes, il
faut se poser cette question : Pourquoi Emile Combes vint-il
professer, se marier et mourir à Pons ?
Emile Combes est né à
Roquecourbe, petit village de Tarn, dans une famille très
catholique. Son père est "lainier", tailleur
dhabits et cabaretier, ce qui ne plaît pas du tout
à labbé Gaubert, oncle et parrain du jeune Emile.
la maison natale
dEmile Combes
La famille est
pauvre. Labbé Gaubert, qui a déjà
pris en charge léducation du frère
aîné Philippe, vient un jour voir les parents Combes
pour les convaincre de lui confier le petit Emile afin quil
poursuive ses études au petit séminaire de Castres.
Si l'abbé a remarqué la grande intelligence du petit
Combes, un autre personnage, moins intéressé par la
religion mais très érudit sur les civilisations
antiques, est pour Emile une sorte de précepteur inattendu :
cest le pharmacien du village. Monsieur Alibert,
archéologue, a remarqué que notre jeune garçon
sait lire le nom des médicaments. Il lui propose de ne pas lui
faire payer certains remèdes sil accepte de partager
avec lui sa passion pour les églogues de Virgile. Les parents
dEmile sont enthousiasmés par la proposition du
pharmacien.
l'abbé
Gaubert
Emile est un élève
studieux. Lorsque le petit Combes se rend à
lécole primaire de Roquecourbe avec son gros
dictionnaire de latin sous le bras, quand ses petits camarades
n'emportent guère quun petit livre
dalphabétisation, les villageois se moquent en
lappelant "lou Milou de Carcassonne". Il a au séminaire
un parcours remarqué. Bien que très admiratif de son
petit protégé, le curé Gaubert sera doublement
déçu par ces Combes qui quittent le séminaire
sans avoir reçu les ordres mineurs : Philippe, le frère
aîné, quittera le grand séminaire dAlbi et
sera maître décole dans un village proche de
Roquecourbe. Il financera ainsi un voyage en Algérie,
choisira une jeune fille du village pour épouse et, brillant
orateur, sera élu maire de Saïda.
Emile
Combes
Emile suivra son exemple et sera
professeur à lécole de lAssomption de
Nîmes de 1857 à 1860 où il occupera la chaire de
philosophie. Cest à cet époque quil
prépare ses thèses sur St Thomas dAquin : une en
français qui comportera plus de 500 pages, l'autre en latin de
60 à 70 folios. Il n'achève ses deux thèses
qu'au prix de veillées extrêmement
pénibles. Il devait confier la relecture de ces
thèses au professeur de philosophie de la faculté, qui
tomba malade. Emile Combes sadressa alors au doyen de la
faculté de Montpellier, M. Siguy, qui intervint auprès
du doyen de la faculté de Lettres de Rennes, Henri Martin.
Celui-ci consentit à admettre Emile à la soutenance de
ses thèses. Nous étions alors en juillet et la
soutenance était prévue pour la
mi-décembre.
Emile
Combes
Son choix : l'Institution Notre
dame de Recouvrance de Pons
Il fallait de largent pour
financer limpression des exemplaires de ses thèses,
environ 1 800 francs. Le hasard mit sur son chemin un ancien
condisciple du séminaire : il avait appris par le chanoine
Carot de La Rochelle qu'une place de professeur était vacante
au collège de Pons.
Entre temps, Combes apprend quun poste est libre à
Blaye, en Gironde. Combes est ambitieux, il a besoin dargent :
Blaye lui propose une chaire de philosophie, le salaire annuel de 1
800 francs couvre à peine les frais engendrés.
L'institution de Pons, elle, accepte de prendre en charge ses deux
frères et lui donne un salaire de 2 000 francs par an. Combes
nhésite pas : il prend rendez-vous avec le
supérieur, labbé Hude, grand poète, qui
lui propose la chaire de rhétorique aux appointements de 3 000
francs lan. De plus, Pons a pour Combes lavantage de
se trouver sur la route de Nîmes à Rennes.
Combes ne se loge pas dans les locaux de linstitution,
préférant sa liberté. Une fois installé
dans la petite cité saintongeaise, il continue ses voyages
à Rennes, où il est reçu brillamment à
son doctorat.
Emile
Combes
le mariage de Combes à
Pons
Dès son arrivée
à Pons, Combes sintègre bien à la
population. Il est toujours aussi travailleur, prépare avec
sérieux ses cours au collège.
Il a remarqué, en se promenant dans la rue principale, une
jolie jeune fille avec une belle robe bleue, les cheveux
enroulés dans une "résille" dorée, comme
cest la mode alors. Elle sappelle Maria Dussaud,
cest la fille dun commerçant drapier, mort en
1850. Maria vit avec sa mère dans une belle maison de la
grande rue. Mme Veuve Dussaud a également un fils, Auguste,
boulanger, et une fille mariée à un banquier, M.
Guédon.
Maria
Dussaud
Emile fait la cour à la jeune
fille, malgré la résistance de Mme Dussaud mère
qui acceptera finalement de donner son accord pour le mariage de sa
fille, richement dotée dune somme de 30 000 francs, ce
qui représente une somme importante pour
lépoque.
Le mariage fut célébré le 16 juin 1862 à
Pons. Le couple sinstalle dans la grande rue, dans la grande
maison des Dussaud.
De cette union vont naître 5
enfants. La mort de ses garçons sera terriblement vécue
par le petit homme calme qui jamais naura de descendance
mâle.
Emile Combes continue à enseigner encore quelque temps au
collège. Grande est maintenant la distance entre le petit
séminariste pauvre du Tarn et le nouveau petit bourgeois de la
cité de la Charente Inférieure.
la naissance
dEdgard
Un rayon de soleil vient illuminer la
vie de ce couple tranquille, sous la surveillance de la
belle-mère, ravie de voir la venue au monde de son petit-fils
Edgard en ce 10 août 1864.
Combes a décidé de faire des études
médicales. Il faut faire face à lentretien du
ménage, et les cours à la faculté de
médecine créent des frais qui vont lobliger
à se servir dune petite partie de la dot de son
épouse, avec le consentement de la
belle-mère.
Les années 1865-1868 sont pour
le jeune couple des années sombres. Emile perd ses parents
à quelques jours dintervalle, suite à
lépidémie de choléra qui sévit dans
la capitale. Son frère, docteur également, faillit
mourir aussi.
Trois ans plus tard meurt la belle-mère. Pour la jeune
Mme Combes, la douleur est immense, surtout que le petit René
na vécu que quelques mois.
Emile Combes est très
attaché à linstruction de son fils. Edgard
est un brillant élève de lécole
laïque de Pons. Son père souhaite que tous ses enfants
fréquentent lécole publique. Après avoir
eu son bac au collège municipal de Saintes, Edgard accomplit
son volontariat à Bayonne. Il est reçu avec brio
à sa licence de droit. Ce diplôme en poche, il est
choisi comme chef de cabinet par Monsieur Stéhélin,
alors préfet de la Seine-et-Marne.
Sa carrière administrative est assez rapide puisquil
obtient les postes de Sous-Préfet de Castelnaudary, puis
Châtillon sur Seine, et enfin est nommé
secrétaire général de la Préfecture de
Tours. Ce parcours lui permet dacquérir des nouvelles
connaissances, administratives bien sûr, mais aussi
politiques.
Cest en 1895 quil devient chef de cabinet de son
père au ministère de lIntérieur, des
Beaux-Arts et des Cultes.
Il prend le poste de Sous-Préfet de Lunéville en 1897,
et cest en 1900 quil accède au poste important de
Préfet de lAllier. Il va garder ce poste jusquau
moment où son père est nommé Président du
Conseil des Ministres. Sachant quil peut avoir confiance en son
fils, travailleur acharné, sérieux, Emile fait appel
à lui et le nomme secrétaire général de
la Présidence.
Edgard fournit un travail
considérable pendant près de 32 mois.
En avril 1907, il séjourne chez ses beaux-parents à
Versailles. Au cours dune promenade à bicyclette
dans la forêt de Chevreuse, il est atteint dune crise
dappendicite (péritonite) qui nécessite une
intervention chirurgicale à chaud. Il va succomber des suites
de cette opération. Il na que 42 ans.
La douleur du père Combes est
immense. Toute la population pontoise est sous le choc dun
décès aussi rapide. Une stèle surmontée
de son buste est inaugurée à Pons le 20 octobre
1907. Il y est inscrit :
A Edgard COMBES 1864-1907
Elève de lécole communale de Pons
Préfet 1900-1902
Secrétaire général du Ministère de
lintérieur 1902-1905
Conseiller dEtat 1905-1907
Ses camarades et Amis
En 1942, les Allemands envoient le
buste en bronze à la fonte. Le piédestal est
supprimé. La municipalité daprès-guerre
fait graver une plaque qui sera apposée sur le mur de
lancienne école communale. Ce bâtiment abrite
de nos jours la bibliothèque municipale.
Edgard Combes avait
épousé une jeune fille de nationalité
américaine. Elle avait une immense fortune. Elle
sappelait Sophie Hall-Carter, et était née
dun premier mariage dune Américaine de Boston qui
épousa en secondes noces Albert Josien, Préfet
d'Albi.
Edgard, qui avait entendu son
père raconter son enfance misérable, fut contraint
dadopter un genre de vie de grand bourgeois. Il lui fallait de
beaux vêtements, organiser des réceptions, avoir un
train de vie à la "parisienne".
Il faut dire qu'il gagnait confortablement sa vie, mais ce
nétait rien en rapport avec ce que sa jeune
épouse avait apporté dans sa dot de mariage.
Emile Combes avait beaucoup
dadversaires, à commencer par ses anciens
élèves de linstitution de lAssomption de
Nîmes qui furent élus députés de droite et
napprécièrent pas du tout sa loi sur la
séparation de lEglise et de lEtat.
Dans les officines politiques de
droite sélabore une conspiration qui, ne pouvant
atteindre le Président Combes, va mettre en cause son fils
Edgard.
Cette affaire sera connue sous le nom de "Affaire du million des
Chartreux".
Le "Petit Dauphinois", qui
défend les pères Chartreux, publie un article disant
que lautorisation de "commerce" aurait été
refusée à cette congrégation parce quelle
avait refusé de verser un "pot de vin" de un million de francs
au secrétaire général de la présidence.
Le Prieur exhibait la carte de visite dEdgard Combes comme
pièce à conviction.
Il fut prouvé que le fils Combes ne quitta pas Paris pour la
Savoie au jour indiqué. Cétait un fonctionnaire
du ministère du commerce qui avait sous entendu que les
Chartreux sacrifieraient bien deux millions pour rester en
France.
On apprendra plus tard que cétait un coup monté
de toutes pièces (député Lagrave) pour faire
abroger cette loi dite "scélérate" pour la droite.
Il ny aura donc pas de suite juridique, et Edgard Combes sera
réhabilité.
Emile
Combes
Le sort sacharne sur les
enfants de sexe masculin du couple Combes-Dussaud : Edgard meurt
à 42 ans sans laisser de progéniture.
Son frère André, né en 1868 à Pons,
après de brillantes études, est attaché au
cabinet du Préfet de la Seine. Son père, de passage
à Paris, le trouve bien fatigué et décide de
lausculter. Le verdict est sévère : signe de
lésions cardiaques. Le docteur Combes est impuissant, son fils
décèdera en 1891 à lâge de 23
ans.
En 1869 naît René, qui ne survivra que quelques
mois.
Deux filles enfin : Charlotte
épousera le docteur Bron, qui décédera à
lhôpital militaire de Châlons-sur-Marne en
1919. Ce couple aura deux fils qui feront "Navale" et
deviendront amiraux. Tous deux seront célibataires, sans
descendance. Elle mourra en 1966 dans la grande maison familiale,
soutenue par son fils André.
Enfin, Germaine qui épousera
le docteur Martin. Ce petit bout de femme à lallure
vive, active, habillée comme les paysannes portugaises, tout
en noir, avec son foulard bien serré sur sa tête, fut un
grande résistante.
Lors de son passage en gare de Pons, le Général de
Gaulle demandera à saluer Mme Germaine Martin-Combes. Elle
descendra à pied, habillée comme dhabitude, mais
la poitrine bardée de Grand Croix de la Légion
dHonneur, croix de guerre, du combattant et de très
nombreuses médailles étrangères, ce qui surprit
beaucoup, car elle était très discrète sur ses
faits darmes. De Gaulle descendra du train, embrassera et
félicitera la dernière de la famille Combes.
Germaine avait eu une fille, mystérieusement noyée dans
la piscine ancienne du collège de Pons. La rumeur
publique parle d'un suicide, ses parents ayant refusé son
mariage avec lhomme quelle aimait.
Germaine sest éteinte en 1971, entourée de son
neveu André Bron et dune petite nièce, Mme
Dagincourt-Martin.
Toutes mes sources ont
été puisées dans les livres que ma
donnés Mme Dagincourt-Martin, décédée en
2003, avec laquelle jai eu des entretiens très
intéressants sur la vie des Combes.
Autres sources : le livre de Georges Alquier "le Président
Emile Combes", et celui de Yvon Lapaquellerie, cousin dEmile
Combes. Son livre a servi de base de recherches au Professeur Merle
et à son équipe pour écrire une biographie
dEmile Combes.
Guy Labbé - mars
2005
Le Château
du Fâ
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Le Château
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