les oups du entoux

 

Le Collet Pellat (la colline pelée) garde, selon la légende, le souvenir d'un incendie qu'on aurait allumé pour détruire une tanière de loups. L'endroit est donc tôt imprégné de la présence de cet animal qu'évoquent plusieurs noms dans le versant nord comme par exemple Chanteloube, la Loubatière (le lieu hanté par les loups) sous le sommet au niveau du mont-Serein, le Pas du Loup à St-Léger ou les Louves, que le cadastre indique au-dessus des puits du mont-Serein... Il est vrai que les loups furent nombreux dans les parages avant de disparaître vers 1900. Le dernier loup, certainement égaré en période de guerre, aurait été vu en 1945. Son cri résonna dans la montagne. Cependant, comme le rappelle le travail de Paul Peyre, il faut rester prudent avec les noms de lieux. Il existe en effet de vieilles racines pré-indo-européennes qui sèment le doute : lup qu'on retrouve dans "Luberon" ou la montagne de "la Loube" et dont le sens pourrait être celui de montagne arrondie ; kant, qui évoquerait des pentes particulièrement sèches et caillouteuses. Chanteloube serait ainsi "kant+lup", la montagne arrondie et pierreuse.

M. Raoul Bernard, de St-Léger-du-Ventoux, évoque aussi cette ancienne scie, le passe-partout, qui se manie à deux personnes et que l'on appelle ici la "loube". Peut-être que c'était la loube qui chantait ?

 

 

Mais, même si ces noms de lieux ne sont pas inspirés directement du loup, il est certain que celui-ci a habité le Ventoux. Certains habitants et habitantes de la vallée s'en souviennent encore. Mme Georgette Bech, doyenne de la vallée nous raconte :
"Ma mère s'en souvenait. Une fois, elle en a vu un qui passait à côté de la maison à la Péguière, où est née Mme Bech. J'entendis également plusieurs fois cette histoire du père Clément : un soir, tout le monde montait à Brantes. Deux, trois des Granges passèrent donc prendre le père. Il leur dit : "Je finis ma soupe et je vous rattrape, je passerai par le vieux pont". Les autres montaient par le chemin habituel. Quand il arriva au vieux pont, il y avait un loup qui le suivit jusqu'en haut du village..."

M. Bernard, de Saint-Léger, rappelle aussi de nombreuses histoires de loup comme celle qui arriva à cet homme vers 1860 :
"Il décida en effet, un soir, d'aller à l'affût des sangliers aux Veges de Monnet, en bas de la Loubatière. Bien installé sur son arbre, il vit alors passer pas moins de 19 loups juste en-dessous de lui. Ceux-ci continuèrent leur chemin, mais notre bonhomme attendit un certain temps avant de redescendre. Il ne revint jamais à l'affût dans ce quartier... "

Aujourd'hui, certains affirment que ce grand prédateur est déjà dans les parages. Cela fait resurgir des souvenirs et soulève le débat : le retour du loup ne viendrait-il pas compenser l'excès de gibier du massif ?

 


 

 la avande du entoux

 

La lavande se rencontre dans nos régions sous trois formes : la lavande aspic, sur les coteaux peu élevés de 200 à 600 m ; la lavande vraie ou "fine" entre 500 et 1 500 m d'altitude ; le lavandin, hybride des deux précédentes qui est celle que l'on voit le plus dans les campagnes en raison de sa forte production.

 

 

La culture est annuelle. On commence par semer des graines pour la lavande et par bouturer pour le lavandin. L'hiver, on repique, jusqu'à 2 000 plants par hectare, et l'été, on récolte. La floraison (d'un mois plus précoce pour la lavande) a lieu de juin à juillet, selon l'altitude, et la récolte s'étale de mi-juillet à septembre, parfois plus en région montagneuse. Une plantation peut durer dix ans, mais décline à partir de cinq ans.

La lavande est principalement cultivée pour produire de l'huile essentielle. Mais au départ, la plante n'était pas cultivée. On pratiquait la cueillette des lavandes naturelles qui recouvraient spontanément le mont Ventoux et les terres cultivées abandonnées après l'exode rural du XIX' s.

 

 

Cette cueillette atteignit son maximum vers les années 1920-1930, en même temps que l'industrie des parfums à Grasse et que les maisons de Fragrance installaient des alambics dans ces zones, ou passaient des accords avec les distillateurs locaux. La première distillerie s'installe en 1898 dans la vallée du Toulourenc. Le village thermal de Montbrun-les-Bains, à quelques encablures de Savoillans, voit alors naître la Société H. Reynaud et Fils (HRF) aujourd'hui devenue leader sur le marché des huiles essentielles. Au pied du plateau d'Albion, entourée de montagnes, la vallée du Toulourenc, grâce à sa rivière et ses affluents, était un lieu idéal pour les premières distillations.

Les habitants de la vallée, et notamment les anciens paysans, connaissent bien HRF. Ils ont en effet tous, un jour ou l'autre, vendu directement ou indirectement leur production de lavande ou leur essence à la célèbre entreprise de Montbrun-les-Bains. Il s'agissait alors d'un revenu assuré et marchand. La plupart distillaient leur lavande eux-mêmes, sur de petits alambics à feu direct sous le vase, de 200 à 500 litres, où tiges et eau étaient mélangés. Ces alambics étaient souvent mobiles, déplacés par un mulet et chauffés au bois. Aujourd'hui, la distillation se fait à la vapeur. Un hectare de lavandin peut produire jusqu'à 100 kg d'essence (20 kg pour la lavande).

 

 

Les plantations se développèrent dans les années 1930 et la mécanisation fit son apparition dans les années 1950. Aujourd'hui, la production et les surfaces cultivées se stabilisent après avoir atteint leur maximum dans les années 1970-80. L'huile essentielle tirée de la lavande a des vertus calmantes, cicatrisantes et désinfectantes. L'essence de vraie lavande est utilisée en parfumerie, tandis que celle du lavandin l'est dans l'industrie (cosmétique, savonnerie, lessive...).

Avec le reboisement du Ventoux, les lavanderaies naturelles ont aujourd'hui disparu. La lavande aspic, puissant cicatrisant, et la lavande vraie sont de plus en plus rares, mais vous pourrez avoir encore la chance de les apercevoir au fil des chemins.

 


 

 les railles et les irasses

 

Pendant des siècles, la route n'était qu'une trace établie par l'usage. En Angleterre et en France, à la fin des XVIIe et XVIIIe s., elle devint propriété de l'État qui l'entretenait et la garnissait de relais ; des ponts furent construits, les gués signalés.

Dans le mont Ventoux, chaque village avait ses chemins usuels, ses drailles. On les utilisait pour conduire les troupeaux vers les hauts pâturages, pour aller cueillir la lavande, pour relier les villages voisins ou pour atteindre les forêts du haut du massif. St-Léger avait d'ailleurs acquis une réputation en matière d'exploitation de la forêt. Mistral, dans son récit de la première descente face nord du Ventoux en 1857, qualifiait St-Léger de "pauvre petit village qui est au pied du Ventoux, habité par des charbonniers, tout jonché de lavande en guise de litière.".

 

le mont Ventoux

 

L'activité du charbonnage, qui remontait au Moyen Âge, se développa au XVe s. avec les besoins de l'industrie (four à chaux, fonderie...) jusqu'aux années 1950 où quelques personnes le pratiquaient encore.

Le temps de l'opération, le charbonnier vivait en forêt dans une cabane de pierres sèches. Là, sur une aire préparée, il ramenait le bois nécessaire à la fabrication de la charbonnière qui atteignait en moyenne 10 tonnes de bois de capacité mais pouvait parfois, comme dans les environs de Montbrun-les-Bains pendant la guerre, atteindre 130 tonnes. Il montait donc par ces drailles, coupait du bois, puis le redescendait à travers les vallats, dans ces chemins ou couloirs d'exploitation que l'on appelait alors les tirasses. Pour faciliter le transport du bois ou de la lavande, les hommes utilisaient alors des traîneaux qu'ils tiraient derrière eux. Certaines luges pouvaient transporter jusqu'à 300 kg de bois, ce qui n'était pas sans danger quand on se rend compte de la verticalité de certains vallats et tirasses. "Ça m'est arrivé une fois, voulant aller plus vite, j'ai enlevé le frein du traîneau... J'ai eu à peine le temps de sauter et de le laisser partir. Sinon il m'aurait passé dessus !" se remémore Raoul Bernard, de Saint-Léger.

 

 

Lorsque la quantité de bois nécessaire était apportée, le charbonnier pouvait alors édifier la charbonnière constituée de rondins disposés autour de la cheminée et s'élevant sur un ou deux étages. Une couche de feuilles et de terre recouvrait et rendait étanche le tout. Tout l'art du charbonnier consistait à surveiller en continu, par le contrôle du feu et de l'aération, la transformation du bois en charbon.

Plus tard, des fours à charbon ont considérablement facilité le travail. On en retrouve aujourd'hui le long du GR91 menant à Veaux et dans la montagne de Bluye.

 


 

 enri aisse, dit irette

 

Les anciens de la vallée, notamment Mme Georgette Bech, la doyenne, se remémorent avec grand plaisir la vie des anciens habitants. L'un d'eux, entre autres, était un véritable personnage. On l'appelait Mirette et il avait une attirance pour l'alcool. Ses nombreux périples animaient la vallée:

"C'est un gars qui était pas bête du tout. Il accueillait même Giono chez lui, d'après ce qu'a révélé la découverte de lettres entre les deux hommes. D'ailleurs, quand celui-ci fut de passage dans la vallée, il s'arrêta chez Mirette, sur les hauteurs de Brantes."

 

 

Malheureusement, il buvait et, quand il était saoûl, il ne savait plus ce qu'il racontait. Il venait du quartier du Lioure sur la commune du Barret-du-Lioure dans la Drôme. C'est là qu'on lui trouva son surnom de Mirette. Il traînait souvent dans les bars et emmenait toujours son chien avec lui. Car quand il sortait, celui-ci était le seul à pouvoir le ramener chez lui... Ce chien s'appelait Mirette.
Notre homme l'attachait à la rampe devant le bar, si bien que, quand les gens apercevaient Mirette devant le bar, ils pouvaient être sûrs que son maître était à l'intérieur. On ne tarda donc pas à le surnommer du nom de son fidèle compagnon.
Plus tard, Mirette migra sur les hauteurs de Brantes, près de la bergerie derrière le Rocher du Charles, sur les pentes de la montagne de Geine. Dans sa ferme aujourd'hui en ruine, il faisait des fromages et accueillait volontiers les gens de passage.

 

 

C'est là qu'une curieuse histoire se passa. Un jour de mauvais temps où des chasseurs passèrent là-haut, Mirette les fit entrer pour qu'ils se réchauffent près de la cheminée. Comme à son habitude, il leur offrit alors un peu de "cacha" (*) qu'il conservait dans un grand récipient. Les chasseurs mangèrent cela avec du pain grillé. Ce fut un vrai régal. Mirette leur dit alors : "Allez donc au fond du plat, c'est là que c'est le meilleur ! " Prenant une grande cuillère en bois, il leur montra l'exemple et, surprise, en ressortit... un petit chat !
Il rajouta alors, écœuré : "Voilà trois jours que je le cherche... "
Aucun des invités ne se vanta de cette malheureuse visite chez Mirette.

(*) Le "cacha" est un caillé conservé dans une "douire", récipient profond en terre cuite dans lequel on mettait des tommes écrasées, un peu de petit lait, de l'ail, du sel, de l'eau de vie, qu'on laissait fermenter.

 


 

Les textes de cette page proviennent du Guide "Vallée du Toulourenc - Ventoux : hébergements - produits - randos" (une mine !), aux Editions du Toulourenc, édité avec le concours de la Communauté de Communes du Toulourenc. Les photos sont signées Pascale Merlette-Lagarde. Vous en découvrirez bien d'autres sur le site :

 

 

  

 

 

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