si l'agriculture
à St Lager Bressac
était contée...

 

 

avertissement

Le texte résulte de la transcription et du collage de l'enregistrement d'une discussion à bâtons rompus de 2 entretiens séparés avec M. Combe et M. Gayte, en présence de Pierre Léouzon et de Sylvain Ascari. Pourtant, à la lecture, on a souvent l'impression d'une discussion unique entre tous les participants, c'est dire si ces témoignages se complètent et s'éclairent mutuellement.

Loin de vouloir donner un côté folklorique ou couleur locale au récit, notre souci a été de préserver la spontanéité, de laisser apparaître la pensée et la réflexion en cours de construction, les émotions, car ces entretiens n'ont pas été préparés.

De nombreux autres sujets passionnants ont été abordés et il était impossible dans le cadre de ce bulletin de les évoquer tous. Ces témoignages montrent, s'il en était besoin, que rien n'est jamais acquis et que cela signifie souvent affronter avec courage et obstination des forces qui nous dépassent, pour ne pas en devenir le jouet.

 

battage à l'aire - les entrepreneurs

Jeannot : Un entrepreneur de travaux agricoles, c'est quelqu'un qui va faire du travail à façon chez les agriculteurs.

Robert : En 1921 mon père s'est équipé en batteuse... Il s'agissait de batteuses à poste fixe qu'on installait sur l'aire des fermes

Jeannot : A la sortie de la machine, la paille tombait sur une presse aussi à poste fixe ; il y avait un plan incliné avec des barres pour monter, il tombait dans un entonnoir, et systématiquement il y avait un marteau qui tapait là dedans et puis qui pressait.

 

 

Pierre : Tu vas voir comment c'était foutu : donc la paille était en ballots déjà, et pour mettre les fils de fer, ils enquillaient une agrafe : cette agrafe avait une rainure tout le long, ils glissaient le fil de fer dans la rainure, et ils reliaient les deux fils de fer.

 

 

solidarité

Robert : Je regrette l'ambiance qu'on avait à ce moment là.

Pierre : Ah oui, il y avait une solidarité, ça rigolait pas.

Robert : Mais c'était solidaire ! Si vous voulez, ça ne rigolait pas mais il y avait quelque chose de social, une bonne ambiance. Voyez, chaque aire, vous l'avez connu, elle regroupait les voisins, et on s'y trouvait minimum une quinzaine...

Pierre : Bein oui, il fallait qu'il y en ait un qui tire pour la paille, l'autre qui tire pour les sacs... Et puis, il y avait l'entrepreneur qui s'occupait du fonctionnement, il y avait l'engreneur... On sentait une vie.

 

 

 

Robert : C'était formidable ! Souvent, la patronne arrivait à la maison, à midi elle faisait signe aux gars qui s'occupaient de la batteuse : "Allez, venez manger !"

Pierre : Il y avait toujours le bon coq ! Le coq de l'année!

Robert : On était 15 autour d'une table, rien que des blagues ! Et ça chahutait ! Pendant un heure et demie, c'était que des blagues ! Que ça ! C'était formidable ! Mais on finissait quelquefois le soir tard, ça allait un peu par quartiers, vous aviez le quartier du haut Saint Lager, vous aviez le quartier d'ici... vous aviez le quartier là... de la grimpette chez Clément... On ne pouvait même plus se déplacer, on avait pas de phares à l'époque, et le matin, quand on revenait, il fallait qu'on fasse attention, parce qu'il y en avait de couchés sous la batteuse ! Il y en avait de couchés partout ! Même moi...

 

 

 

entraide

Robert : C'était sans arrêt l'entraide.

Pierre : Pour le cochon et les vendanges, c'était pareil...

Robert : L'hiver, il y avait la cochonnade ; dès qu'il faisait beau, en février-mars, il y avait le défonçage, D'ailleurs, sur une photo que m'avaient donnée les Demard, il y a 5 paires de bœufs qui défonçaient.

Sylvain : C'était de l'entraide, il n'y avait pas de rémunération...

Robert : Non, untel m'a moissonné, tiens je vais t'aider à labourer... c'était que ça !

Sylvain : C'était un échange de services...

Robert : De services oui... Défoncer chez l'un aujourd'hui, chez l'autre demain ; c'était ça tout le temps. J'ai toujours admiré Joseph Combe qui était formidable pour ça : arriver à faire travailler les gens ensemble. D'ailleurs, au point de vue métier, il m'a beaucoup appris.

 

 

 

 

On a connu la traction animale !

Pierre : Je me rappelle, j'allais à l'école à Saint-Lager, j'avais cinq ans, Gaby partait chez mon père avec sa paire de bœufs et sa charrette, et il faisait l'attelage à trois paires de bœufs, pour arriver à défoncer...

Jeannot : C'était encore de l'entraide... Par exemple, en cette saison, le paysan se levait à 3h30 ou 4h du matin, pour donner aux animaux, de manière à ce qu'ils soient en forme assez tôt, et à 5 ou 6h, ils étaient attelés... Mais on n'en était pas maîtres longtemps ! J'ai travaillé avec les animaux jusqu'à l'âge de 16 ans à peu près. Ils étaient plus intelligents que nous. Maintenant, avec les tracteurs et les phares, on travaille n'importe quand : la nuit ou jusqu'à une heure de l'après midi ! Tandis que les animaux, à 11h, ils commençaient à avoir chaud. C'était amusant parce que les parcelles ont toutes l'aller retour ; il y a un accès où on entre à la parcelle et donc où on rentre à l'étable, alors lorsqu'elles arrivaient vers la sortie, pour leur faire faire demi-tour c'était pas évident ! On menait les chevaux avec des guides, accrochés au mors, les bœufs c'était avec une pince dans le nez.

Pierre : La mouchette !

Jeannot : Ça les pinçait pas vraiment, mais ça tenait dans les narines ; on les guidait comme ça... mais quand ils étaient vraiment fatigués, il ne fallait pas insister. Quelquefois, on voulait faire une raie de plus, ce n'était pas possible : la bête penchait la tête comme ça, et vous traînait ! D'ailleurs, vous voyez encore ce genre de pinces sur les taureaux, parce que c'est par le nez qu'on maîtrise le mieux un bovin. D'ailleurs, soi-même, on dit on est mené par le bout du nez !

Robert : Dès 14 ans, on allait déchaumer un peu avec les bœufs. De bon matin, il ne faisait pas jour, ensuite c'était le déjeuner, et à l'école !

 

 

 

de bonnes aires

Jeannot : Mon père a dû acheter son premier tracteur, un Deering, en 52 ou 53, j'étais au collège. Ah ! ça l'a soulagé, ça a augmenté le rendement, clé de l'agriculture. Le but d'une exploitation comme celle de mon père, c'était d'avoir une aire de 200 quintaux. Avec quelques brebis, 2 ou 3 vaches et de la volaille, l'exploitation était correcte, Quelques années plus tard, avec 200 quintaux, vous creviez de faim quand même !

Robert : On l'a bien senti, il fallait produire plus. Mais plus on a produit, plus il a fallu s'équiper en matériel... Le père de Jean, c'était quelqu'un. Il a commencé comme fermier. Petit à petit, il s'est équipé : il a acheté une paire de bœufs, puis il en a acheté deux, il a acheté deux chevaux. En matériel, il s'est tout équipé, il a été un des premiers à acheter un tracteur.

Jeannot : Mon père, à ce moment-là, il avait déjà son Deering 10/20, il labourait mais pour les semis, un tracteur comme ça, c'était trop lourd, les roues étaient en fer... alors c'était fait avec les bêtes, les chevaux et les bœufs. Une vraie galère, quoi ! Il a donc acheté un petit tracteur. Avec l'arrivée des tracteurs, on commençait à se rendre compte qu'il fallait de la surface. Il a loué des terres pour justifier l'emploi du tracteur et avoir une surface supplémentaire.

Pierre : Mais il y en avait d'autres sur le coin qui faisaient du tabac ou du ver à soie pour arriver à compléter leurs revenus. On n'avait pas l'habitude de prendre beaucoup de vacances !

Jeannot : Même si la monoculture a simplifié l'existence, ici à Saint Lager, ça a toujours été varié ; le gros inconvénient : vous êtes toujours occupé à quelque chose, c'est peut-être pour ça qu'on n'avait pas l'habitude de prendre beaucoup de vacances !

 

 

 

 

les filles, à l'usine

Robert : Les garçons à l'époque étaient envoyés à l'école primaire à Saint-Lager. Mais les filles, dès qu'elles avaient le certificat, c'était la Neuve ou la Picarde !

Pierre : Eh oui, il y avait les usines à l'époque ! L'Ardèche, contrairement à ce qu'on entend dire, c'était un des départements français les plus harmonieux entre l'agriculture et l'Industrie, dans la mesure où il y avait l'industrie textile. Il y avait 300 000 habitants en Ardèche, et contrairement à ce qu'on peut s'imaginer, les gens vivaient bien parce qu'il y avait une complémentarité entre l'agriculture et l'industrie : dans toutes le communes, il y avait une fabrique.

Robert : Mais dans les années 65, la petite exploitation n'était pas vivable. Les petites exploitations sont tombées et les usines ont fermé.

Robert : C'est fou : il y avait 51 exploitants à Saint-Lager-Bressac.

Pierre : Aujourd'hui, on arrive à 10. Il en reste 20%

Robert : Et le foyer ne vit pas vraiment à 100% de l'exploitation.

 

 

le tournesol Halloween, une spécialité lagéroise

 

 

l'élevage hors sol

Jeannot : Le hors sol, c'est venu quand on a été mariés. Marinette travaillait à l'usine. A la naissance de notre fille, elle s'est arrêtée. Il a fallu trouver une nouvelle source de revenus et on a décidé de se lancer dans l'élevage hors sol.

Un intégrateur, c'était quelqu'un qui vous donnait les poussins et l'aliment, techniquement vous suivait pour voir l'évolution et reprenait les poulets. Suivant le rendement que vous faisiez, vous receviez une rémunération proportionnelle. On m'a chiné plusieurs fois sur cet élevage, notamment mon docteur.

Je ne sais pas s'il y avait des hormones dans ces poulets, mais un jour il m'a dit : "Vous n'empoisonnez pas tout le monde parce que l'espérance de vie n'arrête pas d'augmenter."

 

 

la montagne

Jean Ferrat (1964) - voir la vidéo

Ils quittent un à un le pays
Pour s'en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné

Les vieux, ça n'était pas original
Quand ils s'essuyaient machinal
D'un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau
Et manger la tome de chèvre

Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles
Que l'automne vient d'arriver ?

Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu'au sommet de la colline
Qu'importent les jours, les années
Ils avaient tous l'âme bien née
Noueuse comme un pied de vigne

Les vignes, elles courent dans la forêt
Le vin ne sera plus tiré
C'était une horrible piquette
Mais il faisait des centenaires
A ne plus savoir qu'en faire
S'il ne vous tournait pas la tête

Deux chèvres et puis quelques moutons
Une année bonne et l'autre non
Et sans vacances et sans sorties
Les filles veulent aller au bal
Il n'y a rien de plus normal
Que de vouloir vivre sa vie

Leur vie, ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s'en faire
Que l'heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l'on aime
Et rentrer dans son H.L.M.
Manger du poulet aux hormones

 

 

 

le tabac

conversation avec Jean-Marie Balme

Première implantation sur la commune après la guerre, vers 1947.
Pendant plusieurs années, un grand nombre d'exploitants agricoles le cultivait sur de plus ou moins grandes surfaces, car il fallait avoir le local nécessaire pour le faire sécher. Cette culture occupait une grande partie de l'année. Nous le semions en mars, le plantions en mai, commencions la cueillette fin juin, pour les premiers ramassages des feuilles basses, ensuite les médianes et pour terminer les couronnes fin juillet début août. Nous enfilions toutes les feuilles sur un fil de fer ou une ficelle en nylon pour les pendre pour le séchage.

Lorsqu'il était sec, courant novembre on le dépendait pour le mettre en masse, bien couvert car les feuilles trop séchées se brisaient et trop humides moisissaient. Courant décembre, il fallait les trier par qualité et grandeurs. Nous regroupions les feuilles par paquets de 25 (manoques) que nous stockions avant de faire des ballots pour le livrer à la Régie Française des Tabacs, en janvier. à Montélimar.

Le travail demandait beaucoup de main d'oeuvre au moment de la cueillette et du tri. Sa culture réclamait un sol riche et si possible bien irrigué. Ses ennemis : le mistral, la grêle qui déchirait les feuilles.

La culture du tabac a été la plus importante des années 50 à 70, pour s'achever autour des années 80, après la campagne anti-tabac. Il faut de plus ajouter à cela le prix inférieur du tabac étranger.

 

 

 

la mauvaise herbe

Georges Brassens - écouter la chanson

Je suis d'la mauvaise herbe
Braves gens, braves gens
C'est pas moi qu'on rumine
Et c'est pas moi qu'on met en gerbes

 

 

Sylvain Ascari - bulletin municipal de St Lager Bressac 2013

  

 
j'ai cherché des paysans, j'ai trouvé des chefs d'entreprise

 

 

 

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